01/12/2019 dedefensa.org  16 min #165342

Fni - Macron veut abandonner la stratégie menée par l'Otan

Deux jours à Londres...

1erdécembre 2019 - Le paradoxe est complet dans la situation politique du président français : impopulaire, fragilisé, voire haï en France même où il est chargé de tous les maux, peut-être pas de son fait mais certainement de son comportement et selon une logique antiSystème, - même si ceux qui l'accablent sont bien loin d'être tous des antiSystème ; il est au contraire de plus en plus apprécié, voire acclamé par tout ce qui compte de commentateurs antiSystème, hors-presseSystème, comme celui qui s'impose de plus en plus comme le premier partenaire occidental de Poutine. Le dernier en date à prendre cette position sur ce deuxième volet qui est celui de la politique étrangère, c'est Tom Luongo dans ce texte du  30 novembre 2019.

Luongo, depuis qu'il a pris sa place dans la presse alternative antiSystème US, a toujours été l'un des plus attentifs aux affaires européennes, avec son intérêt centré sur l'Allemagne et sur la Russie, et sur les mouvements populistes. Son intérêt soudain pour Macron, qu'il présente comme la grande "vedette" de la prochaine réunion de l'OTAN à Londres (3-4 décembre) et de la réunion à Paris sur l'Ukraine (Allemagne-France-Russie-Ukraine), est une bonne mesure de la place prise par le président français dans l'analyse antiSystème, depuis la visite de Poutine à Brégançon (19 août), depuis son discours aux ambassadeurs (27 août), depuis son interview à The Economist (7 novembre).

Ces trois événements, ces trois dates, marquent en effet qu'on commence à s'inscrire dans la durée pour le cas Macron, que l'on n'ait peut-être plus en présence d'un coup d'éclat ou d'une tendance temporaire qu'on assimilerait alors à un simulacre, mais bien peut-être d'une politique arrêtée, à considérable potentialité antiSystème de la part d'un homme complètement issu du Système. Les réunions signalées devront permettre d'en avoir le cœur net, quant à la durabilité et la structuration du phénomène, - ou bien, il ne faut jamais oublier les nids-de-poule, conduits à déchanter... En effet, la question centrale n'est pas de savoir si Macron va réussir (sur tel ou tel point, peu importe), mais bien de vérifier s'il s'agit d'une position durable et tenable dans des conditions si peu ordinaires et défavorables à une telle position.

Dans tous les cas, la visite du Secrétaire Général de l'OTAN Stoltenberg a donné une assez claire indication dans le sens de l'option d'une "position durable" du président français, telle qu'on l'a décrite. La visite de Stoltenberg, une petite semaine avant le sommet de Londres, était faite essentiellement sur injonction du département d'État, pour obtenir un réalignement français ou, dans tous les cas, un adoucissement significatif des divers propos macronien déjà détaillés. La conférence de presse qui a suivi, où l'on a pu apprécier l'allant catégorique de Macron et le malaise diffus de Stoltenberg, a montré que Macron entendait débarquer à Londres avec les mêmes objectifs et les mêmes affirmations vigoureusement martelées. (Voir une version courte de la conférence de presse, et une autre plus longue , sur les sujets impliqués.)

Macron a principalement insisté sur deux points.'

• Le premier point a été un démenti catégorique à l'information selon laquelle il avait accepté la proposition russe (lettre de Poutine du 26 septembre aux pays membres de l'OTAN) de moratoire sur le déploiement de missiles à capacités nucléaires de la classe couverte par le traité FNI qui a cessé d'exister avec sa dénonciation par l'un des deux signataires, les USA, en février dernier. Le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) avait  annoncé des nouvelles à ce propos deux jours avant la rencontre avec Stoltenberg et des embarras de traduction avaient conduit à parler d'une acceptation de Macron de la proposition russe.

Macron a donc démenti, mais dans un sens très constructif, précisant qu'il avait communiqué sa réponse à Poutine à tous les autres pays de l'OTAN, - ce que certains de ces pays n'avaient pas cru bon eux-mêmes de faire (communiquer leur propre réponse à la France, - s'ils ont répondu d'ailleurs), note-t-il aigrement... Macron refuse le moratoire parce que cela reviendrait à « constater que le traité n'existe plus », ce qui n'a pour lui aucun intérêt et ne mérite pas d'être célébré par un "accord" qui n'apporte rien. Par contre, il juge cette proposition de moratoire comme « une bonne base de discussion » (entre alliés de l'OTAN, puis avec la Russie), pour aller vers une nouvelles génération de traité(s) pour la sécurité en Europe qui, eux, au contraire du traité USA-URSS de décembre 1987, devraient nécessairement et impérativement voir les (des) pays européens parties prenantes en même temps que la Russie.

(Peut-être cela va-t-il de soi mais ce n'est pas certain, et dans tous les cas cela aurait mieux été de soi si cela avait été dit... Quoi qu'il en soit, Macron n'a pas précisé si les USA devaient être partie de ce/ces traité[s] hypothétique[s], s'il était nécessaire qu'ils le soient, etc.)

• Le second point découle du premier car, en refusant la proposition russe de moratoire mais en la jugeant comme "une bonne base de discussion" pour de nouveaux traités avec, au moins, les pays européens dont la Russie bien entendu, Macron a fait un pas de plus que Poutine, dans le sens évidemment souhaité par Poutine. Par ailleurs, nul ne s'en étonnera tant ses interventions sont constamment rythmées comme un leitmotiv de rappels de la nécessité de "meilleures relations avec la Russie", de "discussions avec la Russie", de "l'établissement d'une architecture de sécurité en Europe" avec la Russie, etc.

C'est bien là le caractère le plus constant de l'attitude de Macron que le rappel de cette nécessité d'établir des contacts suivis avec la Russie, de parvenir à des accords, à une entente, etc., qui garantissent la paix et la sécurité en Europe, - bref, tout le contraire de la politique qui est actuellement suivie. Il est impossible que la bureaucratie de sécurité nationale de l'OTAN et des USA, le gouvernement US lui-même, - sauf peut-être Trump lui-même, selon l'humeur du jour, - n'aient pas entendu tout cela comme une trahison implicite, presqu'explicite même avec le manche du couteau planté dans le dos qui dépasse, de la politique US et de la politique de l'OTAN telle que les USA entendent qu'elle soit. L'attitude de Macron contient in fine une sévère critique du retrait US du  traité FNI, et un refus tout aussi implicite de déploiement de nouveaux missiles dans le cadre d'une politique qui ne pourrait être perçue que comme agressive par la Russie, - le contraire d'« une bonne base de discussion » pour aller vers de nouveaux traités et établir "la paix et la sécurité" en Europe.

Macron adopte même la rhétorique russe du "nous ne sommes plus au temps de la Guerre froide" (« Le monde a changé. Le rideau de fer est tombé. Cela implique aujourd'hui de revenir sur quelques sujets essentiels en la matière, par un dialogue lucide avec la Russie, robuste et exigeant ») pour évoquer deux points fondamentaux :

1) réclamer de nouveaux rapports avec la Russie et mettre en évidence le ridicule du fait de faire de la Russie (et de la Chine) (les)l'ennemie(s) de l'OTAN, et
2) dans le cadre de ces "nouveaux rapports" et pour leur donner la structure qui convient, travailler pour établir de nouveaux traités de sécurité limitant les armements, et cela dans les conditions différentes de la Guerre froide où les deux principaux acteurs étaient les USA et l'URSS, c'est-à-dire principalement entre les pays européens dont évidemment la Russie.

« Ne vous y trompez pas, écrit Luongo dans l'article référencé, cette intervention de Macron [lors de la conférence de presse avec Stoltenberg] est une victoire pour Poutine et, par extension, pour le monde... »

Londres à l'ombre de Poutine

La même citation de Luongo doit être complétée en une seule phrase dont elle n'est qu'une partie, comme conclusion d'un passage où le chroniqueur estime que Macron a amorcé avec succès la réunion du 9 décembre à Paris, avec les quatre pays du "format Normandie" (Allemagne-France-Russie-Ukraine), et que s'il s'agit d'une victoire de Poutine, il s'agit aussi d'une victoire du couple Macron-Merkel et France-Allemagne :

« Ne vous y trompez pas,cette intervention de Macron [lors de la conférence de presse avec Stoltenberg] est une victoire pour Poutine et, par extension, pour le monde. Parce que Macron, Merkel et Poutine ont désormais en mains tous les outils nécessaires pour pousser le président ukrainien Zelenski à remplir toutes les conditions imposées à l'Ukraine pour remplir sa part de responsabilité des accords de Minsk. »

Luongo a surtout travaillé sur l'Allemagne jusqu'ici et il est de ceux qui croient que la puissance allemande est nécessaire et de toutes les façons inéluctable pour, étant couplée à la puissance française, assurer une indépendance européenne par rapport aux USA. C'est-à-dire qu'on en revient à la thèse du "couple franco-allemand" (sur laquelle Macron a appuyé toute sa politique et qu'il commencerait peut-être à juger bancale), ou bien à la thèse de l'"Europe-puissance" sans autre précision, à laquelle il continuerait à croire...

(D'une façon très caractéristique de cet état d'esprit, - puisque le diable, ou le bon Dieu est dans les détails, - Macron écrit dans la lettre qu'il écrit à Poutine, dans tous les cas selon le contenu qui en a été révélé par le FAZ et dont on peut penser qu'il a fuité à partir du gouvernement allemand qui en avait reçu copie : Macron a argumenté qu'« il a invité Poutine à Fort Brégançon où il s'est montré partisan d'une "Europe de Lisbonne à Vladivostok" ». La formule "une Europe de Lisbonne à Vladivostok" fait tout de même plus européen que la formule classique "de Brest à Vladivostok", et même que le plus modeste "de l'Atlantique à l'Oural".)

Cette idée du "couple" franco-allemand, au nom duquel Macron parlerait s'appuie essentiellement sur la thèse d'un "réarmement massif" de l'Allemagne, qui est une des thèses favorites du site trotskiste bien connu dans nos colonnes, WSWS.org. On retrouve l'expression dans le titre (« Le gouvernement allemand prévoit de nouvelles interventions militaires et un réarmement massif ») d'un article paru hier  30 novembre 2019, abordant notamment la question de l'interventionnisme allemand en Afrique, d'abord en soutien des Français, et aussi pour de plus noirs desseins de type néo-colonialistes :

« Des plans concrets ont été élaborés pour une mission de combat au Mali en Afrique de l'Ouest. L'armée allemande mène actuellement des missions de formation dans le cadre de la "vraie lutte contre le terrorisme", qui est toutefois "actuellement menée exclusivement par la France". Il existe "une volonté de la France de placer l'intervention sur une base plus large", car le sentiment général est "que la situation n'est pas facile en ce qui concerne les forces armées maliennes et autres...... Cela devait être discuté dans le cadre de l'extension habituelle des mandats."
» Le message est sans équivoque: sept ans après que le Bundestag a  décidé début 2013, de soutenir l'intervention militaire française, la mission allemande doit maintenant être officiellement transformée en une opération de combat meurtrière. La tâche de la Bundeswehr n'est pas de "lutter contre le terrorisme", mais bien de soumettre le pays à une domination néocoloniale. La semaine dernière, à Berlin, la " Conférence sur l'Afrique" du gouvernement allemand a souligné l'étendue des plans impérialistes globaux de l'Allemagne pour un continent densément peuplé et riche en ressources.
» Les projets militaires et de grande puissance du gouvernement allemand - une coalition de la CDU, de l'Union sociale chrétienne (CSU) et du Parti social-démocrate (SPD), - s'étendent bien au-delà de l'Afrique. Kramp-Karrenbauer a évoqué son  discours de politique étrangère prononcé il y a deux semaines à l'Université des forces armées de Munich, dans lequel elle avait appelé à un rôle plus important de la politique étrangère et militaire de l'Allemagne, déclarant qu'"il faut être prêt à ce que nos alliés et partenaires nous approchent beaucoup plus vite avec de telles préoccupations". »

Décidément, notre scepticisme ne cesse de se renforcer. Nous annoncer triomphalement pour la validité de la thèse que l'Allemagne se préparerait à "une opération de combat meurtrière" pour soutenir l'intervention française au Mali, soutien décidé par le Bundestag en 2013 et jusqu'ici cantonnée à quelques éléments de logistique, ne nous paraît en effet pas très convaincant pour accepter l'image de la transformation de l'Allemagne en puissance militaire à l'image de ce qu'elle fut autrefois. (Cela, sans compter les liens organiques qui tiennent l'Allemagne dans une forte dépendance du commandement intégré de l'OTAN, ce qui laisse à penser à propos des imbroglios juridiques qui naîtraient si l'Allemagne décidait d'acquérir une totale indépendance militaire.)

Bien au contraire, la  vérité-de-situation est de plus en plus étrangère à la possibilité d'un rôle stratégique marquant et indépendant de cette puissance. L'Allemagne est dans une crise à la fois politique et économique, avec un pouvoir chancelant, et les réactions récentes à l'interview de Macron à The Economistont montré que ce pays reste un simulacre de puissance, totalement servile vis-à-vis des USA, ce qui implique une voie complètement différente, sinon opposée à celle qu'indique Macron.

En l'état des choses, si l'on nous claironnait que les divers projets de Macron s'appuient sur un axe Paris-Berlin, on peut être assurés qu'ils seraient devenus autant de simulacres, qu'ils n'auraient plus aucune existence. Il nous paraît évident que les USA vont exercer le maximum de pression sur Berlin, avec les résultats habituels, pour que les Allemands tentent par tous les moyens discrets possibles de freiner l'offensive française. Quoi qu'il en soit, l'Allemagne aurait une occasion en or de montrer qu'elle est prête à jouer le jeu de l'indépendance européenne lors de la réunion sur les accords de Minsk, en poussant dans le sens de la résolution du conflit dont la communauté de sécurité nationale à Washington D.C., ou disons le DeepState, ne veulent à aucun prix puisque leur but est d'entretenir la tension avec la Russie par tous les moyens.

(L'occasion est d'autant plus belle pour les Allemands que cette situation de l'action du DeepState pourrait éventuellement être contrariée par un Trump dont il pas du tout assuré qu'il ne soit pas, un jour de bonne humeur, discrètement ou pas, favorable à un accord... La même chose pouvant d'ailleurs être dite d'une façon générale sur l'OTAN, par rapport au jugement sévère qu'a formulé Macron. Il y aura des moments intéressants à Londres.)

La conclusion de cette étrange aventure, dans sa séquence actuelle rejoint bien entendu celle que nous énoncions dans nos Notes d'Analyse du  24 novembre 2019.

«...Ou bien Macron est sérieux et il n'a plus qu'une chose à faire : se tourner vers la Russie et signer avec elle l'un ou l'autre traité de sécurité mettant en chantier ce que Sarkozy, traversant deux ou trois semaines de lucidité, faillit lancer avec les Russes (c'était alors le président Medvedev)  à l'automne 2008. (Il s'agissait d'un grand "pacte de sécurité pan-européen" auquel les Russes ne cessent de penser depuis le "notre maison commune" de Gorbatchev parlant de l'Europe : "Signe d'ouverture envers le président russe, M. Sarkozy a repris l'idée de 'pacte de sécurité' pan-européen, lancée par M. Medvedev en juin à Berlin.") C'est l'idée très vieille-France, aussi bonne que les vins qui vieillissent, de l'"alliance de revers", avec possibilité d'ouverture à d'autres, et c'est la seule façon d'assumer le diagnostic de "mort cérébrale" dont le président français à crédité l'OTAN. »

Reste effectivement qu'il s'agit d'une bien "étrange aventure", de la part d'un jeune homme si complètement issu du Système, et dont nul, et certainement pas à nous à dedefensa.org, ne croyaient possible qu'il en vînt à imaginer une manœuvre qui serait, si elle allait assez loin dans se réalisation, - sans même parler d'une réussite complète et achevée car bien des événements nouveaux et bouleversants seraient déclenchés par elle chemin faisant, - un formidable ferment d'explosion dans le cœur en fusion du bloc-BAO. Reste effectivement (bis) à considérer ce paradoxe que la situation intérieure si catastrophique de Macron pourrait et même devrait le pousser à poursuivre autant que faire se peut, contre toutes les poussées de communication qui activent d'autres feux et font s'enliser les proojets les plus audacieux, cette "étrange aventure" pour se donner une stature extérieure d'indépendance souveraine dont il pourrait espérer qu'elle équilibrât au moins en partie cette considérable faiblesse intérieure. Il ne faut jamais désespérer, dira-t-on avec une joyeuse ironie : il y a toujours un moyen, pour le plus réputé pro-Système d'entre tous, de faire par des chemins tortueux et sans chercher à mal ni à bien de l'antiSystème tonitruant.

Donc, à suivre pas à pas, l'oreille collée au sol, dans l'espoir d'entendre les premiers grondements du tremblement de terre. Toujours cette même espérance.

 dedefensa.org

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