08/01/2020 les-crises.fr  7 min #167149

Davantage d'austérité pour les pays en voie de développement : C'est une mauvaise nouvelle, et cela ne s'impose pas - Par Isabel Ortiz et Thomas Stubbs

Source :  Consortium News, Isabel Ortiz & Thomas Stubbs, 03-12-2019

Alors que l'Occident remet en question les politiques d'austérité dévastatrices, c'est pourtant cela qui devient la nouvelle norme pour le reste du monde, écrivent Isabel Ortiz et Thomas Stubbs.

Des manifestants anti-austérité devant le parlement grec en 2011. (Kotsolis, CC BY-SA 3.0, Wikimedia Commons)

Après des années d'austérité, un certain nombre de pays de la zone euro envisagent à présent des politiques budgétaires  expansionnistes. Et au Royaume-Uni, les dépenses publiques devraient revenir aux niveaux  observés pour la dernière fois dans les années 1970. Mais l'austérité sévit ailleurs dans le monde, y compris dans certains des pays les plus pauvres.

Depuis 2010, les gouvernements du monde entier ont fait des coupes dans les dépenses publiques. De nouvelles recherches ont révélé qu'environ 75 % de la population mondiale, soit 5,8 milliards de personnes, vivront d'ici 2021 dans des pays soumis à l'austérité.

Cette nouvelle vague d'austérité commencera l'année prochaine et touchera 130 pays, dont la plupart se trouvent dans les pays en voie de développement. Pas moins de 69 pays connaîtront une « contraction excessive », réduisant les dépenses en dessous des niveaux observés avant la crise financière mondiale de 2007. La liste comprend des pays qui ont de très importants besoins tant humains que dans le cadre du développement, comme le Burundi, Djibouti, l'Érythrée, l'Irak, la République du Congo et le Yémen.

Marché au Burundi, 2012 (EC/ECHO/Martin Karimi)

Plutôt que d'investir dans une reprise vigoureuse avec pour objectif d'apporter la prospérité aux citoyens, les gouvernements réduisent les retraites, les salaires du secteur public (y compris ceux des enseignants et des travailleurs de la santé), l'aide sociale et la protection des travailleurs. Pourtant, les conséquences sociales des politiques d'austérité sont déjà  douloureusement évidentes. Des millions de personnes seront ainsi poussées vers la pauvreté, dont un grand nombre de femmes, d'enfants et de personnes handicapées.

Conseiller en austérité

Dans les pays en voie de développement, le Fonds monétaire international (FMI) conseille aux gouvernements d'entreprendre des réformes d'austérité soit dans le cadre de ses missions de surveillance régulières, soit lorsque les pays doivent adhérer à  ses programmes d'ajustement structurel pour emprunter de l'argent.

Bien que le FMI prétende dans ces programmes  protéger les dépenses sociales, des  recherches indépendantes prouvent le contraire. Les réformes politiques mandatées par le FMI ont entraîné des réductions des dépenses publiques en matière  d'éducation et de santé ( pdf), une augmentation des inégalités de revenus ( pdf), une réduction des droits du travail ( pdf), une diminution de  l'accès aux soins de santé et une augmentation de  la mortalité néonatale dans les pays en voie de développement.

Au-delà de ces effets directs sur la protection sociale, il existe un autre problème moins reconnu. En supprimant des postes de fonctionnaires qualifiés, les prescriptions d'austérité du FMI ont sapé  la capacité administrative des gouvernements ( pdf) à fournir des services publics efficaces pour l'avenir. Des données récentes montrent également que les réformes fiscales imposées par le FMI ne se traduisent pas par une augmentation des recettes publiques ( pdf). Elles remanient simplement la provenance des recettes : une augmentation de taxes régressives sur les produits et services et moins provenant d'autres sources. Cela représente un transfert de responsabilité sur les membres les plus pauvres de la société.

Manifestants en Équateur, octobre 2019. (Noticias, CC BY 3.0, Wikimedia Commons)

Les réunions annuelles du FMI et de la Banque mondiale, qui viennent de s'achever, ont été l'occasion de faire le point sur les conséquences destructrices de l'austérité. Dans le sillage des manifestations généralisées contre le programme du FMI en cours en  Équateur, dans la continuité des protestations antérieures en  Argentine, la nécessité d'une voie alternative était particulièrement pressante. Les observateurs critiques espéraient  un leadership intellectuel et des  engagements concrets pour sortir de l'austérité. Ce qu'ils ont obtenu, c'est plutôt  la même chose en plus intense : des déclarations inventées de toutes pièces sur la nécessité de renforcer les dépenses sociales, mais avec pour résultat un resserrement de la ceinture fiscale.

Il n'est pas nécessaire que l'austérité devienne la « nouvelle normalité ». L'une des conclusions les plus troublantes après la dernière décennie d'austérité est que ces réductions budgétaires  n'ont jamais été réellement nécessaires. Les gouvernements auraient pu - et auraient dû - adopter d'autres options politiques. Ces mesures auraient apporté la prospérité aux citoyens et évité la vague actuelle de mécontentement social.

Même dans les pays les plus pauvres, les gouvernements peuvent  créer un espace fiscal. Les services publics et les investissements peuvent être financés par  une imposition progressive, une répression  des flux financiers illicites, une meilleure gestion de la dette,  des cadres macroéconomiques plus souples et - dans le cas des pays les plus pauvres - par des pressions en faveur d'une aide accrue. Par exemple, plus de 60 pays ont ces dernières années renégocié leur dette souveraine, ce qui a permis aux gouvernements de consacrer moins d'argent au remboursement de la dette et plus aux dépenses nécessaires au développement.

Ces stratégies d'augmentation du financement sont conformes aux  objectifs de développement durable, sur lesquels 193 pays se sont mis d'accord en septembre 2015 aux Nations Unies, avec des engagements spécifiques pour une éducation universelle, une politique de santé et de protection sociale.

Pour atteindre ces objectifs de développement qui ont été acceptés au niveau international, il faut mettre en sommeil les néfastes politiques d'austérité de la dernière décennie. Plus important encore, cela implique de reconnaître qu'un avenir d'austérité est une catastrophe évitable.

Isabel Ortiz, ancienne directrice de l'Organisation internationale du travail et de l'UNICEF, est directrice du Programme de justice sociale mondiale à « Initiative for Policy Dialogue » de l'Université Columbia.

Thomas Stubbs est maître de conférences au département Relations Internationales à Royal Holloway, Université de Londres, et il est chercheur associé en économie politique au « Centre for Business Research », Université de Cambridge.

Source :  Consortium News, Isabel Ortiz & Thomas Stubbs, 03-12-2019

Traduit par les lecteurs du site  www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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