19/01/2020 histoireetsociete.wordpress.com  13 min #167667

Béziers, une ville en pleine lutte a encore le temps d'un vrai débat...

une vue partielle de la salle durant le débat

Un débat autour de mon livre « le temps retrouvé d'une communiste » est d'abord une rencontre avec l'humeur de la ville et la manière dont les militants communistes et proches (mes interlocuteurs) y vivent. C'est ma récompense, mon seul salaire, un voyage comme je les ai toujours pratique, un dialogue Beziers, est le fief de Robert ménard. L'antipathique communiquant, passé de reporters sans frontières et son art de rassembler les « artistes » et autres paillettes et strass de droits de l'hommisme frelatés, financés par Publicis, à la gestion d'une ville dont il prétend incarner l'ordre provincial et petit bourgeois face aux trublions révolutionnaires.

Quand j'arrive chez lui, Paul Barbazange avec sa haute silhouette de Vercingetorix méridional m'accueille devant le portail i. Il revient d'un événement dont toute la ville bruisse. A Béziers m'annonce-t-il, il y a désormais une liste d'union PS,PCF,MRG, avec comme tête de liste un communiste nicolas Cossange. Les membres de cette liste se battent pour éviter que Ménard étende son emprise. Ce vendredi matin, ils allaient à la rencontre de la population. près de là, une émission de télévision, « les grandes gueules », RMC, avait installé ses studios dans une brasserie du centre de la ville, une sorte d'entente tacite entre le pouvoir et l'extrême-droite. Des grévistes, cheminots électriciens, intersyndicale, des avocats, les communistes qui tractent, sans s'être concertés se retrouvent là et soutiennent les grévistes qui demandent à passer à l'antenne. La discussion est ferme mais courtoise. L'émission propose qu'ils interviennent à la fin à 11 h 35, les grévistes et le reste de la troupe savent que l'on peut couper et souhaitent intervenir à 10h après la page publicitaire. Refus. Les cheminots sont venus avec des instruments assourdissants, les cornes de brume avec lesquelles des chantiers sont prévenus qu'un train à grande vitesse approche. Ça rend sourd.. L'émission avec probablement des ordres de Paris préfère s'interrompre plutôt que donner la parole aux habitants. Mais il n'y a eu aucun dégâts, aucun vandalisme comme il est tenté de le répandre, d'ailleurs le lendemain un tract de l'intersyndicale, CGT, FSU,FO, Solidaires et gilets jaunes rétablira les faits par rapport à Ménard et à l'émission qui laisse entendre avoir eu une attaque d'émeutier en disant « Pour des grandes gueules, il les jouent petits bras ».

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A Béziers, les manifestations sont parmi les plus importantes du département. Comme le dira le soir lors de ma conférence, en introduction du débat, le cheminot à la retraite qui gère le cercle qui nous accueille : « Cette grève ne ressemble à aucune autre, on avance vite, très vite dans la compréhension de ce qu'est le pouvoir ». Ce que l'on peut attendre des médias a fait une nouvelle démonstration ce matin. Ménard faux cul déplore l'absence de démocratie de ceux qui empêchent la télévision et il se présente lui et l'émission comme un rempart face aux émeutiers à qui l'on interdit le droit à la parole. Après plus de 40 jours de grève c'est un miracle qu'il n'y ait pas plus de destruction face à un refus réel de concertation et un discours insultant sur ceux qui ne veulent pas discuter Mais ceux qui vivent ça effectivement apprennent vite, très vite

Oui c'est vrai, mais peut-être est-ce là le pas qui est le plus mal aisé à franchir, celui de la conscience politique et il ne s'agit pas seulement d'une base méfiante. Ceux qui mènent cette grève ne se font aucune illusion sur ce qu'on peut attendre des « institutions » telles qu'elles sont. Quelque chose a besoin de naître, non seulement un parti communiste qui s'assume enfin en tant que tel mais un parti qui soit pleinement le leur et qui se donne les moyens d'un changement de société, à partir de ce qu'ils sont et pas de ce qu'est un jeu politicien. Chacun cherche un chemin

Mais revenons-en à la découverte de cette mobilisation, du fait que sans doute partout en France, des faits semblables se déroulent se cristallisant autour d'un petit événement, la colère contre des médias qui mentent, censurent et de la conséquence sur mon débat. En constatant que cela fait des mois désormais que les communistes qui me reçoivent ont le nez sur le guidon, j'en déduis qu'ils doivent être épuisés, à mener de front grève et élections municipales. Plusieurs camarades m'ont téléphoné pour me dire qu'après les municipales, dans leur section ils prévoyaient de m'inviter parce que ceux qui avaient lu le livre voulaient en débattre, après. A Béziers, le risque a été pris de m'inviter dans un calendrier surchargé. Paul Barbazange, sa compagne Chantal « la marseillaise » qui est venue me chercher en voiture jusque chez moi, ont décidé de prévoir un débat au milieu de cette période. Ils me confirment dans mes craintes, il risque de ne pas y avoir grand monde et ce d'autant plus qu'à la même heures les cheminots sont en réunion et ont prévu une action. D'ailleurs, j'ai oublié de porter mes livres et eux d'en commander. Ils en ont déjà acheté 8 et se les font passer, cela sera bien suffisant ; Ils ont prévu une trentaine de repas.

Quand j'arrive, devant le cercle une magnifique femme marocaine et son fils ont l'air de chercher, elle a un petit papier dans la main celui qui annonce ma conférence., c'est sa pédicure, une communiste qui lui a donné le tract, ce n'est rien mais c'est cela la force de ce parti qui jadis était encore démultiplié par les cellules, chacun prend sa part de tâche même s'il ne peut pas être présent, une responsabilité collective quand on est convaincus. Dans la salle, surprise, ils sont une cinquantaine, beaucoup plus que ce qui était prévuLa salle est pleine, j'en reconnais plusieurs, nous nous embrassons avec chaleur. Nanni me demande si j'ai des nouvelles de Gisèle Moreau, elle en garde un tel souvenir C'est la famille Ce n'est pas la première fois que je viens et les débats sont toujours animés, parfois un peu houleux, la dernière fois c'était avec Marianne,ils me demandent de ses nouvelles. Le dernier débat qu'ils ont fait récemment dans pareille situation, c'était sur l'écologie, avec un « docteur » de Cadarache, et ils n'étaient pas une vingtaine. Il y a même un camarade qui vient du fin fond du département, du Minervois, à côté de Narbonne. Il suit le blog et je découvre même lors du repas qu'il est parti en Chine, qu'il apprête à y retourner. Il va constater sur le terrain, ce que nous publions Marianne et moi. Le lendemain, je téléphonerai à Marianne pour lui faire partager ma joie, il y a plein de lecteurs du blog ici, notre labeur n'est pas inutile Mais il y a plus, il y a chez tous ces gens une vraie curiosité y compris pour l'histoire locale, les fouilles, la restauration d'une ferme médiévale et je renoue avec le temps où j'étudiais les chapiteaux, le pays cathare, Marie de Montpellier Il y a des liens avec les chercheurs de l'université.. Beaucoup d'amis de France-Cuba sont là. Aimé Coquet qui ne mènera pas la liste aux municipales mais demeure toujours aussi actif a déjà lu le livre. Lui et Paul sont en train de passer la main aux jeunes mais ils sont en pleine forme et avec une expérience, un dévouement venu d'un autre âge C'est un monde et c'est ça que j'aime découvrir toute cette richesse intellectuelle, cette curiosité aux autres

Face à tous ces gens amicaux, je laisse tomber le texte préparé et nous décidons de parler de « nous », c'est ça qu'ils attendent, mais aussi mon « franc parler » comme ils disent. D'ailleurs un camarade, un ancien gazier qui vient de prendre sa retraite et fait de délicieuses confitures dit après m'avoir entendu raconter me pérégrinations dans le vaste monde : « Moi, je n'ai pas fait comme toi le tour du monde, mais ce que tu as constaté en Hongrie je l'ai vécu ici sans avoir à bouger. La fin de ma cellule d'entreprise alors même que le pouvoir privatisait. Ceux qui au nom du parti sont venus tenter de nous faire tout accepter et même voulu nous faire changer de nom... l'ancien ministre ». Je vois de qui il parle et j'ajoute que nous nous l'appelions « gyrophare ». C'est un fou -rire général, la complicité entre nous, voilà l'essentiel Une femme calme posée, mais déterminée explique « Nous communistes, nous sommes des gens de conviction. C'est ça dont ils ne veulent plus.Ils essaient de nous effacer et pas seulement dans les livres d'école, il s'agit de la société, des valeurs de partage, de solidarité, de dignité ouvrière que nous incarnons, il faut effacer l'œuvre d'Ambroize Croizat, non seulement ils en escomptent du profit mais il ne doit plus rien rester de ce que nous avons créé. » C'est très profond, sans pathos, un constat de classe. Au repas, un ancien postier me décrit l'esclavage de ceux que l'on vient d'embaucher: « les électriciens avaient coupé le jus, ils leur ont ordonné de trier à la main et avec une lampe de poche ils ont dû accepter, j'avais honte pour eux, je le leur ai dit. Ils ont baisé les yeux et continué, c'est à ça qu'ils veulent tous nous réduire ».

Le débat s'engage sans fard, à l'inverse des débats publics pour la liste, ici on peut parler de tout, dire ce qu'a apporté le 38 ème congrès mais aussi ses limites. Un camarades dit sa déception en particulier face à ce qui se passe réellement au Sahel, l'impression que sur le plan international triomphe la vieille équipe. Nous explorons la réalité de nos avancées, la censure qui continue à régner, la distance prise avec une Humanité qui n'est plus la leur. Nous détaillons ce qui va, ce qui freine C'est là que le cheminot retraité qui a vanté l'originalité de la grève m'interpelle sur « ma vérité », mais aussi celle des militants qui a besoin de s'exprimer, ce débat franc dont nous avons tous besoin. Beaucoup de choses dites tournent autour de la situation, la combativité du bitterois et pourtant la difficulté à faire adhérer ces jeunes qui se battent et qui accueillent volontiers les militants communistes mais n'adhèrent pas. De quel parti avons-nous besoin,ont-ils besoin ? Qu'est-ce que les plus âgés d'entre nous, comme nous avons à leur transmettre qui peut aider ? Certainement pas ce délire trotskiste dont on nous berce et qui conduit à 2% et qui consiste à dire : « Tous les socialismes existants ont été et sont des dictatures mais faites-moi confiance à moi, je vais vous mitonner le socialisme idéal, celui qui n'a jamais existé. » Personne ne peut croire à cela, et surtout pas les Français qui sont des gens très politiques, très rationnels. J'aime bien ce mélange de raison et d'idéalisme, de curiosité intellectuelle et de scepticisme matois qui m'a toujours paru si caractéristique des communistes. parce qu'au même moment où ils protestent contre l'image que certains donnent de l'URSS et de la Chine, le lâchage du Venezuela, ils sont capables de dire: « on a déjà donné avec l'URSS, on va pas se mettre à suivre tout de la Chine! »

Je comprends ce qu'ils expriment et je leur dis mon sentiment: « ce ne sera plus jamais cette manière de suivre les yeux fermés Le parti m'aurait fait faire n'importe quoi. Maintenant j'ai appris à réfléchir à ce à quoi on m'invitait. Il ne faut pas que l'amertume, la défiance l'emportent mais il faut que la conviction soit construite. Il y a toujours eu ce débat, cette réflexion collective, mais là ça doit être plus que jamais, pas le tout ou rien ce qui va et ne va pas en fonction de quoi? »

L'idée s'approfondit qu'il faut un parti révolutionnaire, mais pas des braillards, des excités à la Mélenchon,non un parti sérieux qui propose la sécurité, le droit à une vie honnête pour soi et les enfants, pas de charité, un travail, des soins, des protections, un avenir. Le contraire de ce que veut un parti au pouvoir fauteur de trouble et de violence. « Ils », les capitalistes et leur petit personnel politicien et médiatique, « Ils » iront jusqu'au bout de leur capacité de destruction, nous sommes d'accord sur le diagnostic. La question du socialisme correspondant à ce que nous sommes est en gestation, à peine esquissé. C'est de cela dont est gros ce mouvement, et ceux qui viendront parce que l'affaire ne fait que commencer... Il serait temps d'avancer et pas se contenter du coude à coude avec la gauche plurielle, comme si le mouvement ne devait espérer qu'une recomposition digne de l'époque de Mitterrand. Il faut à la fois l'union mais aussi l'affirmation du communisme, projet de société contre projet de société. Comme il faut être le parti de la sécurité de l'ordre et nous enrichir de ce désir de révolte, de tout bouleverser. Il faut trouver les moyens de transmettre mais pour mieux aborder l'avenir. La mémoire, notre mémoire, le sujet de mon livre porte bien sur ce qui est en question. Un camarade dit « Il ne s'agit pas de reconstruire, il s'agit vu tout ce qui a été détruit de construire. » L'intelligence collective, l'écoute attentive, même si parfois certains protestent devant ma manière de passer d'une époque à une autre. Ils aimeraient un tableau chronologique. Le soutien à Robert ménard de l'Humanité c'est en 2000 ou en 1996? 1995? Si c'est ce dernier chiffre, en pleine période spéciale où Cuba joue sa survie, c'est terrible, c'est comme si aujourd'hui on tirait dans les pattes des grévistes Partout on me fait le même reproche, il faut reconstruire la chronologie parce que cela permet à chaque mémoire de s »insérer dans l'Histoire. Ils aiment bien ce désordre apparent d'une vie de femme avec ses joies, ses peines avec la grande Histoire, celle qu'ils n'ont jamais pu s'expliciter, mais ils ont besoin de préciser pour que cela devienne leur vérité à eux Peut-être ont-ils du mal à accepter ce qui est différent, l'ouverture sur la famille juive polonaise mais ils s'y retrouvent avec Krasucki et mon mépris de Walesa.

après le débat, un repas fraternel durant lequel se poursuivent les échanges, des camarades cheminots sorti d leur action passent dire bonsoir Elles sont trois à tout assumer

Enfin pour conclure, je voudrais ajouter quelque chose qui m'a beaucoup touchée, le nombre de femmes qui avant et après le débat m'ont toutes interpellée dans les mêmes termes : « Comment as-tu vécu le fait d'être une femme et dirigeante,d'avoir une telle vie ? Cela devait être doublement difficile, on nous a tellement fait taire ». Je les écoute et je me dis qu'effectivement la manière dont j'ai été traitée dans ma fédération les Bouches du Rhône, dont je suis encore traitée par ces gens-là et par la direction d'une presse qui ne se dit même plus communiste a aussi cette dimension-là... Il y a dans ma fédé une lâcheté collective qui est bien celle que l'on réserve aux femmes... mais en leur répondant, je leur dis et je suis sûre d'être entendue que cela nous donne plus de force parce que nous n'attendons pas grand-chose, nous ne sommes pas brisées dans des ambitions qui ne sont pas les nôtres. Nous sommes plus affectives, quand nous nous engageons c'est une grande force. Si un certain féminisme me tape sur le système, je reste profondément féministe et je sais à quel point l'entrée massive des femmes dans les luttes apporte quelque chose de vrai, de réaliste, comment dire une revendication du « tout », peut-être que cela contribue à l'exigence d'une véritable changement pas du rafistolage dans les couloirs d'une assemblée. C'est compliqué parce qu'il ne faut pas non plus fantasmer l'apport de chacun mais être simplement attentif à toutes ces nuances d'un monde qui bascule dans une nouvelle ère.

Il n'y avait pas de livres à vendre, Paul Barbazange a vendu son exemplaire au camarade venu du Minervois et il a pris cinq commandes et fait une adhésion., l'amie marocaine qui m'a accueillie et qui cherchait la salle, elle est devenue française et souhaite l'être pleinement, elle a écrit un livre sur les femmes marocaines.

Danielle Bleitrach

PS. Le 6 février je suis à Martigues, j'hésite encore c'est la librairie alinéa qui a organisé ce débat, en revanche j'attends beaucoup des deux jours de rencontre le 29 févier et le 1 mars à Reillane dans la Haute Provence et d'autres qui se préparent. Peut-être que je dois renoncer à ce débat à Martigues, je vais décider en début de semaine. Quel étrange paradoxe, je vais de débats en débats prôner l'engagement, dire à quel point il n'y a rien d'autre que le PCF, et là où je vis, je les fuis.. La confiance chez moi c'est comme les allumettes, cela ne sert qu'une fois, ça ne le sera plus jamais dans cette ville de Marseille, dans cette fédération, je ne veux même pas savoir J'explique à Chantal que les pygmées quand ils veulent réprimer un de leurs délinquants se contentent de l'ignorer pendant un temps déterminé.. moi je suis le seul pygmée de ma tribu et à moi toute seule je frappe d'interdit.Cela lave, me libère, me rend disponible à toutes ces interrogation que je sens monter autour de moi, je me désencombre j'ai toujours agi comme ça pour conserver l'essentiel, le désir d'êtreDans le train je discute avec un merveilleux jeune homme, un ingénieur de 26 ans Il est pur, malicieux pourtant, c'est profond, c'est une vie, l'engagement, l'amour, je tente de lui passer le témoin, sans l'encombrer de certitudes hors de saison, il a compris, il n'a de sens que par rapport aux autres, il faut partir de là, il ne faut pas reconstruire, il faut construire mais il y a des gens avec qui c'est désormais impossible

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