16/02/2020 tlaxcala-int.org  6 min #169079

Le Manifeste sámi 15 : se reconnecter par la résistance

Various Authors - Autores varios - Auteurs divers- AAVV-d.a.

Sápmi, notre patrie, a été colonisée et exploitée. Nous, les Sámis, avons été disloqués et déconnectés de la terre et les uns des autres. Nous luttons pour conserver les vestiges de notre autodétermination, de nos droits territoriaux et culturels. Sans avoir le droit d'exister et de déterminer notre avenir, nous sommes incapables de vivre comme une société distincte. Le Sápmi englobe le nord de la Norvège, de la Suède, de la Finlande et la péninsule de Kola en Russie. Les Sámis sont le seul peuple indigène d'Europe. Cependant, nos droits indigènes ne sont pas reconnus et les questions relatives aux Sámis ne sont toujours pas prises au sérieux dans les programmes politiques nationaux. Le résultat de cette situation est que nous ne vivons pas, nous luttons pour survivre.

Un groupe d'artistes sámis a mené une action directe au marché d'hiver de Jokkmokk, l'un des plus grands rassemblements du Sápmi. Nous avons choisi de rendre le mouvement de défense des droits des Sámis plus visible et d'exprimer les objectifs des artistes protestataires sámis par le biais d'un manifeste. L'idée était de clarifier une réponse à une question simple : Pourquoi faisons-nous cela ? Parce que nous le devons.

Avec les bons vents qui soufflent sur notre route, Alice Bah Kuhnke, la ministre suédoise de la Culture, de la Démocratie et des Sámis, avait prévu une visite au marché d'hiver cette année. Nous avions maintenant eu la chance de manifester devant la ministre en personne !

Nous avons choisi de combattre le pouvoir pour répondre au sentiment d'impuissance de notre peuple. Lorsque nous résistons, nous nous reconnectons. Quand nous nous reconnectons, nous devenons plus forts. C'est l'histoire de notre action directe non violente appelée le Manifeste Sámi 15. Elle montre comment la résistance pacifique peut être puissante, avoir une vertu curative et constituer un encouragement.

Nous nous sommes rassemblé·es devant l'hôtel où la ministre se rendait. Vêtu·es à la fois de vêtements modernes et traditionnels, nous voulions nous montrer tels que nous sommes aujourd'hui, coincé·es entre différentes cultures. La ministre est arrivée. L'une d'entre nous s'est assise pour déclamer le manifeste après avoir demandé l'attention de la ministre. Une autre s'est mise derrière elle et lui a coupé ses longs cheveux avec un couteau, pendant que nous avons tous interprété de la musique d'improvisation, un mélange de violon et de joik, la manière traditionnelle de chanter des Sámis. L'acte symbolisait la perte de notre esprit et de nous-mêmes, mais aussi le cercle de la vie. En tant qu'humains, nous avons la responsabilité de prendre soin de nos sœurs et frères et de tous les vivants.

La ministre a été touchée par notre action et a déclaré par la suite au journal suédois NSD : « - C'était un très bon acte. C'était calme, sérieux, triste, clair et avec des mots forts. Il y avait un sentiment de désespoir. Il faut avoir enduré beaucoup de choses pour 'agir ainsi ».

Les images et les vidéos de notre performance sont devenues virales et ont atteint un demi-million de personnes à travers toutes sortes de médias. Mission accomplie !

Nous croyons qu'il n'y aura pas de changement sans protestation, et le Manifeste Sámi 15 n'est qu'une des nombreuses actions du mouvement actuel pour les droits des Sámis. Le manifeste est en même temps une partie de quelque chose de plus grand. Il fait partie d'un mouvement qui grandit, se répand, touche, change et inspire.

Nous devons pousser les gouvernements du monde entier à promouvoir les droits des indigènes/autochtones, et cette action est une façon de le faire. En racontant notre travail, nous souhaitons encourager d'autres Sámis et peuples indigènes à prendre part à la lutte pour notre vie. Chacun a les moyens de résister, de protéger, de se mobiliser et de contester.

Photos : Johannes Samuelsson

Le Manifeste Sámi 15

Nous vivons et travaillons pour cela :

1. Parce que nous le devons. Parce que c'est le seul mode de vie que nous connaissons.

2. Parce que tout commence et se termine avec Eanan, la mère, la terre. Eanan est la base de tout. Eanan est la question et la réponse. Rien ne nous définit mieux qu'elle. Notre survie dépend d'elle. Il est de notre responsabilité de protéger, de respecter et de prendre soin de notre mère, afin que nous, et toutes les générations à venir, puissions vivre en harmonie avec elle. Reconnectés.

3. Parce que nous avons le droit inhérent à l'autodétermination et à la liberté sur notre terre. Sans ces droits, nous souffrons. Il est temps pour notre peuple de commencer à vivre au lieu de simplement survivre. Nous voulons vivre, pas mourir.

4. Parce que nos langues maternelles sont les miroirs de nos visions du monde et une partie essentielle de notre identité. En préservant et en développant nos langues maternelles, nous préservons et développons nos identités ainsi que nous-mêmes. L'affaiblissement de la langue nuit à la capacité de communiquer. Les langues sámies sont aujourd'hui en danger. Nous exigeons donc que tous les Sámis reçoivent les ressources nécessaires et le respect dont ils ont besoin pour préserver et développer les langues sámies. Lorsqu'une langue disparaît, c'est un signe de la nature et des animaux qui disparait avec elle. Nous demandons la protection de notre Eanan, de notre terre, de notre culture et de nos langues autochtones afin de pouvoir nous développer comme tous les autres peuples devraient pouvoir le faire.

5. Parce que nous sommes déconnecté·es de la Terre mère et que nous nous sentons donc impuissant·es. Lorsque nous sommes reconnecté·es, nous évitons l'autodestruction par l'amour de la vie et la liberté d'agir pour elle. Le pouvoir, c'est pouvoir préserver et développer la vie. Nous devons nous reconnecter à Eanan, la Terre. Les gens du monde entier devraient réfléchir à leur relation avec la nature. On ne gagne pas la liberté dans la vie tant qu'on n'a pas la liberté de vivre, ni la liberté dans la mort tant qu'on n'a pas la liberté de mourir.

6. Parce que les peuples sans existence reconnue n'ont aucun droit. Nous ne voulons plus être ignorés, nous voulons être respectés en tant que peuple indigène également par les gouvernements suédois et finlandais dans ces régions sous leur contrôle. La Suède et la Finlande devraient ratifier la Convention 169 de l'OIT et mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Respecter les droits des peuples autochtones à l'autodétermination et à l'existence. Les exploiteurs et leurs partisans doivent savoir que la honte de leurs actes ne sera pas passée sous silence.

7. Parce que nous croyons qu'il n'y aura pas de changement sans protestation. Nous avons tou·tes le pouvoir d'agir et de changer les choses aujourd'hui. C'est un appel au rassemblement, à la mobilisation et à l'action, à la révolution et à la décolonisation. L'heure de la libération a sonné.

8. Parce que notre lien avec la terre doit être transmis à notre progéniture. C'est essentiel pour pouvoir suivre l'ancien chemin de lumière. Nous le faisons pour la liberté, la justice et un avenir meilleur. Ce sont là les droits humains.

9. Que notre voix soit suivie par les vagues d'échos. Que le courage encourage le courage.

6/2 2015, Jåhkåmåhkke, Sábme / Jokkmokk, Suède

Anders Sunna

Jenni Laiti

Niillas Holmberg

Max Mackhe

Maxida Märak

Mimie Märak

Collectif Suohpanterror

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  cutt.ly
Publication date of original article: 23/03/2015

 tlaxcala-int.org

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