19/05/2020 tlaxcala-int.org  9 min #174131

Denis Goldberg (1933-2020) : homme intègre, combattant de la liberté et vrai mensch Nécrologie d'un combattant sud-africain, juif et antisioniste

 Ronnie Kasrils

L'intégrité et la défense de la vérité, quel qu'en soit le coût personnel, est un choix que Denis Goldberg a fait dès son plus jeune âge, et auquel il s'est tenu toute sa vie. On dit qu'une vie vécue avec intégrité, servie dans une lutte pour la liberté et l'égalité de tous, est une lumière pour les nations. Denis rejoint ce panthéon d'étoiles au firmament.

Denis Goldberg pose devant un portrait de lui dans sa maison le 15 mai 2018 à Hout Bay, près du Cap, en Afrique du Sud. Photo Per-Anders Pettersson/Getty Images

Ses parents se sont installés en Afrique du Sud, de la Lituanie en passant par Londres, pour échapper aux pogroms tsaristes et à la pauvreté de la Russie du XIXe siècle. Il a grandi dans la zone alors mixte d' Observatory, au Cap, où son père avait une petite entreprise de transport. Les deux parents étaient membres du parti communiste et l'éducation de Denis dans un foyer non raciste pendant la Seconde Guerre mondiale, ainsi que la lutte contre le fascisme, ont façonné ses opinions.

« J'ai compris que ce qui se passait en Afrique du Sud avec son racisme était comme le racisme de l'Allemagne nazie en Europe contre lequel nous étions censés lutter », a-t-il expliqué à plusieurs reprises.

C'est sa répugnance pour le racisme dont il a été témoin en Afrique du Sud qui est devenue la force motrice de son parcours de vie, le marquant comme si différent de 99% de la population blanche. Il abhorrait le racisme et la discrimination partout où ils existaient. Il a connu l'antisémitisme pendant ses années d'école. Il n'était pas religieux, mais il s'était imprégné de l'injonction judaïque du sage Hillel, prononcée par sa mère : «Traitez les autres comme vous voulez qu'ils vous traitent. »

En tant que juif antisioniste, il en est venu à considérer le racisme colonial d'Israël comme apparenté à l'apartheid en Afrique du Sud.

Dès son adolescence, il avait été attiré par le mouvement de libération. En 1957, après avoir obtenu son diplôme d'ingénieur civil, il a rejoint le Parti communiste clandestin et le Congrès des démocrates légal, qui était allié à l'ANC et soutenait la Charte de la liberté. Lors du massacre de Sharpeville en 1960, lui et sa mère ont tous deux purgé une peine de quatre mois d'emprisonnement. Les coups de feu tirés sur des Africains dés armés ont conduit l'ANC à passer d'une résistance non violente à une résistance violente et à créer sa branche armée, uMkhonto weSizwe. Denis y a été recruté dès sa création. Au bout de trois années mouvementées, il a été capturé avec les principaux dirigeants du dans leur planque, la ferme de Rivonia.

Denis Goldberg et un portrait de lui à l'époque du procès Rivonia, par Sunil Pawar

On sait qu'il était le plus jeune des accusés du procès Rivonia de 1964 lorsque, âgé de 31 ans, il risquait la peine de mort aux côtés de Nelson Mandela, Walter Sisulu et d'autres, pour avoir lancé la résistance armée à l'apartheid. Son cri jubilatoire à sa mère souffrante, qui n'avait pas pleinement saisi le verdict, fut : « La vie, mère ! Belle vie ! » C'était prophétique, car sa vie, sa belle vie pleine de sens et de service au peuple, s'est accomplie malgré 22 années d'emprisonnement pénible, séparé de sa famille et de ses camarades de procès, qui étaient incarcérés à Robben Island.

Ce qui a failli briser Denis, c'est la séparation d'avec ces compagnons d'armes africains, vu qu'il a purgé la majeure partie de sa peine dans une prison réservée aux Blancs, sans jamais avoir plus d'une poignée de compagnons à la fois. En 1985, après avoir été un prisonnier plein de ressources, enthousiasmant ses compagnons de cellule, son moral a commencé à s'affaisser. Il avoue à sa seule visiteuse, Hillary Kuny (sa femme Esme a été exilée en Angleterre et n'est pas venue lui rendre visite), d'une voix qu'elle qualifie de « désespérée », qu'il a dit au revoir à 48 camarades qui avaient purgé leurs peines beaucoup plus courtes. Alors que Denis fêtait leur libération, écrit Kune, il ressentait durement le caractère interminable de sa peine.

Puis, sa libération est arrivée d'un lieu inattendu. Sa jeune fille, également appelée Hillary, qui vivait dans un kibboutz en Israël, a obtenu le soutien d'un associé israélien influent qui avait négocié la libération de prisonniers juifs, principalement des criminels, dans le monde entier.

Le gouvernement d'apartheid a accepté les demandes de cet homme, ayant à cœur d'impressionner son allié israélien. Denis a été libéré à condition qu'il s'engage à ne pas prôner le renversement violent de l'État d'apartheid. Il a interprété cela de manière créative en considérant que cela lui donnait le droit de prôner un changement politique une fois à l'étranger, et de mobiliser pour l'isolement du régime. Pretoria a été révoltée lorsque cela s'est produit. La liberté lui a donné un nouveau souffle.

À sa libération, il n'a eu d'autre choix que de prendre l'avion avec l'Israélien pour se rendre dans le kibboutz de sa fille. À la consternation de son sauveur, il s'est mis à éreinter Israël pour ses marchés d'armes avec l'Afrique du Sud de l'apartheid, il a déclaré qu'Israël était l'équivalent de l'Afrique du Sud au Moyen-Orient et que la solution devait être identique dans les deux pays : un seul État avec des droits égaux pour tous.

Sans plus tarder, il s'est envolé pour pour rejoindre sa femme et son fils David, devenu un homme. Il a été chaleureusement accueilli par l'ANC et a rapidement travaillé à plein temps pour eux. L'une de ses premières tâches internationales a été de parler au nom de l'ANC en solidarité avec le peuple palestinien. Il a clairement exprimé à plusieurs reprises son point de vue sur Israël :

« Ayant vécu sous l'apartheid en Afrique du Sud, il ne fait aucun doute dans mon esprit qu'Israël est un État d'apartheid. Je ne peux pas permettre en mon nom que le même genre d'oppression se poursuive contre les Palestiniens. Je dois m'élever contre elle. Et je dois essayer de m'y opposer d'une voix rationnelle et calme alors que je suis vraiment très en colère... quand les gens [israéliens] disent, eh bien, vous les Sud-Africains, vous avez des préjugés contre nous. Nous n'avons pas de préjugés. Nous parlons de droit international... Le lobby pro-israélien, le Conseil des députés juifs d'Afrique du Sud et la Fédération sioniste d'Afrique du Sud essaient de dire que la question [palestino-israélienne] n'est pas simple, [ils disent que] c'est compliqué. Ce n'est pas compliqué. C'est très simple, la simplicité est qu'un groupe dominant [les Juifs israéliens] exclut le peuple palestinien autochtone de l'égalité des droits. »

Denis a servi l'ANC avec une énergie et un dévouement sans bornes, est devenu l'un de ses orateurs les plus impressionnants sur la scène internationale et plus tard en Afrique du Sud, a collecté des fonds en créant une entreprise de marchandises prospère et a fondé Community Heart, qui à ce jour collecte des livres et du matériel éducatif pour les écoles défavorisées en Afrique du Sud.

Il est rentré chez lui pour occuper un poste dans le gouvernement en 2002, après le décès de sa femme puis de sa fille. Un nouveau chapitre de sa vie a commencé avec son second mariage avec Edelgard Nkobi (veuve du fils du leader de l'ANC Thomas Nkobi), une journaliste est-allemande. Ils se sont installés à Hout Bay, près du Cap. Mais la tragédie a frappé avec la mort prématurée d'Edelgard, causée par un cancer.

Toujours aussi courageux, Denis n'a jamais laissé son chagrin personnel le retenir. Sa contribution et son engagement politiques se sont poursuivis, de plus en plus axés sur l'amélioration de la situation des défavorisés de sa communauté. Cela ne signifiait nullement que Denis se retirait de son travail national ou international. Il était une voix influente au sein de l'ANC et il a beaucoup voyagé à l'étranger dans le cadre de tournées de conférences et de missions de collecte de fonds.

Lorsque l'ANC, sous le président Jacob Zuma est devenue prisonnière de la corruption et l'État de la mauvaise gestion et du pillage, il a élevé sa voix pour condamner ces pratiques. Il a soutenu l'élection de Cyril Ramaphosa à la présidence et espéré un renouveau.

Denis était d'avis que, compte tenu de l'héritage de l'apartheid en matière d'inégalité et de pauvreté, il faudrait des années d'efforts honnêtes pour remettre les choses en ordre. Il n'avait pas non plus d'illusions sur la dure lutte qui attend les Palestiniens. Il a continué à défendre leur cause jusqu'à la fin de sa vie, les encourageant par l'exemple de la victoire de l'Afrique du Sud sur l'apartheid et l'importance de campagnes telles que Boycott, Désinvestissement et Sanctions. En 2017, alors que les prisonniers palestiniens faisaient une grève de la faim, il a lancé un appel passionné en faveur de leur libération.

« Nous, les Sud-Africains, savons par notre passé d'apartheid comment les lois et les règlements tels que la détention administrative sont utilisés pour renforcer un système raciste d'apartheid. Au cours des 50 dernières années, plus de huit cent mille, je répète, huit cent mille, Palestiniens ont été emprisonnés par l'État israélien en vertu de nombreuses lois et réglementations administratives explicitement racistes sous l'occupation militaire illégale de la Palestine.

Je suis déçu que trop d'Israéliens juifs restent silencieux face au racisme de l'État israélien et au déni de justice. Le silence face à une injustice telle que la détention administrative rend les gens complices de cette injustice ».

Montrant sa préoccupation humaine pour tous, Juifs et Arabes, emprisonnés dans le système sioniste en Israël, et croyant qu'ils pourraient vivre en harmonie dans un système basé sur l'égalité pour tous, il a dit : « La réponse immédiate et à long terme aux besoins de paix et de stabilité dans toute la Palestine et dans l'État israélien n'est pas d'augmenter la détention administrative, ni l'emprisonnement de ceux qui réclament justice. La réponse n'est pas plus de détentions illégales sans procès. La réponse doit être un système social et économique dans le cadre de l'État de droit qui développe une société inclusive et démocratique ».

La déception de Denis à l'égard des Juifs israéliens reflète son point de vue sur la communauté juive d'Afrique du Sud et son soutien inconditionnel à Israël. Le fait qu'il était prêt à débattre de questions de manière civile a donné aux sionistes l'effronterie de prétendre qu'il avait en quelque sorte de l'empathie pour eux. Il était tout aussi prêt à débattre avec ses gardiens de prison.

Pendant près de trois ans, Denis a lutté contre une maladie débilitante qui allait le tuer. Il a eu la chance de développer une relation tendre avec une femme charmante, Deidre Abrahams, une pathologiste médico-légale. Elle et d'autres amis dévoués, ainsi que son fils David, ont travaillé avec lui à sa création finale, la construction d'une Maison de l'espoir pour les enfants défavorisés de la région de Hout Bay, où l'art, la musique et les activités sportives allaient se développer. Il était si déterminé à voir le démarrage du centre, que lorsqu'il y avait des tâches à accomplir et que Deidre ou ses assistants n'étaient pas disponibles, il utilisait un déambulateur pour se rendre à sa voiture, reliait son appareil à oxygène à une batterie sur le siège arrière et fonçait.

Denis avait trois souhaits avant sa mort : mourir chez lui, mourir dans les bras de son amante et voir la construction de sa Maison de l'espoir commencer. Il est mort avec ces vœux exaucés.

Le gouvernement a déclaré quatre jours de deuil. J'entends Denis gazouiller qu'avec le confinement du Covid-19, il ne pourrait de toute façon y avoir aucune célébration. Quelle vie. Un vrai mensch [être humain].

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  mg.co.za
Publication date of original article: 07/05/2020

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