08/07/2020 reporterre.net  9 min #176512

« Insuffisante », « marginale »... La politique du gouvernement taclée par le Haut Conseil pour le climat

Alors que le climat continue de s'emballer, la France n'est toujours pas à la hauteur des enjeux et des objectifs qu'elle s'est fixée. L'inaction de l'exécutif est épinglée dans un rapport publié, ce mercredi 8 juillet, par le Haut Conseil pour le climat, dans un contexte de remaniement ministériel censé « accélérer sur les priorités environnementales » selon l'Élysée.

« Le réchauffement climatique induit par les activités humaines continue de s'aggraver, alors que les actions climatiques de la France ne sont pas à la hauteur des enjeux ni des objectifs qu'elle s'est donnés » : c'est le constat implacable dressé par le  Haut Conseil pour le climat (HCC), une instance consultative indépendante chargée d'évaluer la compatibilité de la politique du gouvernement avec l'accord de Paris sur le climat.

Mercredi 8 juillet 2020, le Haut Conseil pour le climat a publié  son deuxième rapport annuel Neutralité carbone, dans un contexte de  remaniement ministériel censé « accélérer sur les priorités environnementales » selon l'Élysée. Le nouveau gouvernement, dont la composition a été dévoilée lundi, « hérite de la responsabilité de gérer et sortir des crises successives, sanitaire, économique et sociale, vers une société et une économie moins vulnérables, mieux adaptées et plus résilientes aux chocs externes », estiment les membres du Haut Conseil, experts en climat et en transition énergétique.

Dans une visio-conférence de presse, lundi, la présidente du Haut Conseil Corinne Le Quéré a rappelé que 2019 a été « l'année la plus chaude jamais enregistrée en Europe et a été marquée par deux vagues de chaleur et une sécheresse exceptionnelles en France ». « La situation s'aggrave, nous devons redresser le cap et relancer la transition », a-t-elle déclaré. Pour ce faire, « si une seule recommandation devait être conservée de ce rapport, elle serait de bannir tout soutien aux secteurs carbonés du plan de reprise et de l'orienter le plus possible sur des mesures efficaces pour la baisse des émissions de gaz à effet de serre », disent les experts dans le rapport.

« Aucune transformation structurelle n'a été engagée dans les secteurs les plus émetteurs de gaz à effets de serre »

Dans son rapport annuel, le HCC a observé un progrès dans la gouvernance des politiques climatiques : « À travers l'approche du « budget vert », l'action de l'État se veut plus transparente sur son impact environnemental. Les ministères doivent publier leur feuille de route carbone, approche novatrice contribuant à étendre la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) comme cadre de référence pour toute l'action publique. »

Néanmoins, l'évaluation des lois et politiques en fonction de leurs conséquences sur le climat n'a, dans les faits, « pratiquement pas progressé » et « la nouvelle SNBC entérine un affaiblissement de l'ambition de court terme en relevant les budgets carbone ». « Le gouvernement a déclaré plusieurs fois qu'il allait prendre un virage écologique, mais ça reste à démontrer... Il a visiblement une compréhension de ce qu'il faut faire, mais il n'est pas passé dans l'opérationnel », a commenté Corinne Le Quéré.

En cause : « Un manque de fermeté et d'une vision structurelle et transversale » dans le pilotage de la stratégie nationale bas-carbone. Publiée en mai, la version révisée de la  feuille de route de la France en matière de  « transition écologique » a déjà du plomb dans l'aile. « La crise à venir peut ralentir les investissements décarbonés, ou faire dérailler la trajectoire [de la SNBC] en générant un effet rebond fort », craint le Haut Conseil, notant que « l'absence de mesure de substitution au gel de la taxe carbone affaiblit sa crédibilité ». Pour le HCC, le pilotage de la SNBC « doit monter en vigueur rapidement ».

Le bâtiment fait partie des quatre principaux secteurs émetteurs de gaz à effet de serre. 

Car le temps presse : la réduction des émissions de gaz à effet de serre - de l'ordre de 0,9 % en 2019 - continue à être « trop lente et insuffisante » pour permettre d'atteindre « les budgets carbone actuels et futurs ». Les quatre principaux secteurs émetteurs sont le transport (30 %), l'agriculture, le bâtiment et l'industrie (entre 18 et 20 % chacun). Or, « aucune transformation structurelle n'a été engagée dans ces secteurs les plus émetteurs », a déploré Corinne le Quéré. Pire, « le secteur des transports voit ses émissions augmenter depuis trente ans », a-t-elle poursuivi, appelant l'exécutif à investir « dans les transports publics, les infrastructures de mobilité douce, et la réaffectation de l'espace routier ».

Dans le secteur des bâtiments, une massification de la rénovation énergétique est perçue par les experts comme un levier efficace pour enclencher des transformations structurelles et porteuses d'emplois. Enfin, dans l'agriculture, le HCC encourage « la valorisation du stockage de carbone dans les sols », « le développement d'une stratégie pour les protéines végétales », « de pratiques agroécologiques pour l'élevage », et « la modification de l'offre des produits alimentaires » dans le cadre européen de la Politique agricole commune et du  « pacte vert ».

La relance de la  taxation du carbone est également une piste jugée crédible par les experts pour mener la « transition ». Cette taxe carbone devrait alors « respecter les exigences de transparence des finalités, et de vigilance sur ses effets redistributifs », et ses effets inégalitaires et inéquitables « doivent être corrigés ». Mais, préviennent les membres du HCC, « l'État reste le garant de la mise en œuvre et de l'équité des politiques publiques climatiques. En l'absence de consensus, il arbitre entre les différentes sources de légitimité : l'absence de consensus ne peut être un prétexte à l'inaction climatique ».

Dans son rapport, le Haut Conseil pour le climat dresse aussi un inventaire des leviers d'action qui reposent sur les régions, qualifiées de « cheffes de file du climat », principalement dans les transports, l'agriculture et le bâtiment. « Les enjeux d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre sont différenciés selon les régions, expliquent les auteurs. Les émissions sont corrélées à la concentration de population, des richesses, mais aussi à la structure de l'économie régionale. »

Pour le HCC, certaines régions abritent des activités responsables de très fortes émissions, mais dont la consommation finale est exportée vers d'autres régions. « Un dialogue associant l'État et les régions est nécessaire pour spécifier l'effort de chacun », recommandent-ils. Et « dans des régions comme celles du nord de la France, il faut se demander quel est le futur de certaines filières dans un monde bas-carbone, comme l'automobile, précise Corinne Le Quéré. Il faudra avoir la présence d'esprit de planifier, de former les gens pour qu'ils puissent bénéficier d'un emploi dans un autre domaine. »

Le 29 juin, lors de sa rencontre avec les 150 membres de la convention citoyenne pour le climat à l'Élysée, Emmanuel Macron a annoncé une  enveloppe de quinze milliards d'euros sur deux ans pour décarboner l'économie. Une avancée, mais pas la panacée pour le HCC : « Cette enveloppe est la bienvenue, mais en matière de lutte contre le changement climatique, il ne s'agit pas juste de mettre un paquet d'argent et de dire "voilà, c'est fait", a jugé Corinne Le Quéré. Cette transition implique que l'ensemble des politiques publiques soient alignées à la stratégie nationale bas-carbone. »

« Le plan de reprise proposé par le gouvernement ne va pas dans le sens de nos recommandations »

Par ailleurs, les experts du climat ont salué le travail de la convention citoyenne, « une initiative remarquable à valoriser » qui démontre « que des personnes d'horizons géographiques, sociaux, politiques et culturels différents peuvent pleinement percevoir l'urgence climatique et converger en quelques mois sur de nombreuses propositions d'envergure intégrant action pour le climat et justice sociale ». Le Haut Conseil pour le climat « recommande qu'y soit donnée une suite à la hauteur du travail collectif effectué, tel que s'y est engagé le gouvernement ».

En avril, en plein confinement lié à la pandémie de Covid-19,  le Haut Conseil pour le climat s'était déjà auto-saisi et avait proposé au gouvernement des mesures pour que la relance économique mette la France sur la voie d'un développement climato-compatible. Son rapport, intitulé Climat, santé : mieux prévenir, mieux guérir, appelait l'exécutif à conditionner les aides aux entreprises et collectivités à « l'adoption explicite de plans (...) bas-carbone », « avec mesures de vérification », précisait-ils.


« Le gouvernement a déclaré plusieurs fois qu'il allait prendre un virage écologique, mais ça reste à démontrer... »

Pour Corinne Le Quéré, force est de constater que « le plan de reprise proposé par le gouvernement ne va pas dans le sens de nos recommandations » : « Les aides ont été  allouées vers des secteurs très émetteurs - comme l'automobile ou  l'aviation -, sans conditionnalité ferme concernant leur évolution vers une trajectoire compatible avec les objectifs climatiques », a-t-elle déploré. La baisse temporaire des émissions de CO2 résultant du confinement, estimée à - 13 % entre janvier et mai, « reste donc marginale par rapport aux efforts structurels à accomplir : nous avons toujours les mêmes voitures, les mêmes chauffages et les mêmes industries ».

Le Haut Conseil pour le climat somme donc l'exécutif de rectifier le tir et « d'insérer le plan de reprise dans les limites du climat » : « Il existe peu de déficits que les États ne peuvent se permettre d'ignorer : le déficit carbone en est un. Il ne se rembourse pas à l'échelle de nos générations, et ses intérêts se payent sur nos conditions de vie.... L'impact à moyen et long-terme des décisions qui seront prises dans les mois à venir ne doit pas être sous-estimé. Il fait peser une responsabilité particulière sur les dirigeants publics et privés qui vont devoir en décider. »


Source : Alexandre-Reza Kokabi (Reporterre)

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chapô : Le 14 et le 15 février 2020, près de Luchon (Pyrénéées), la station de ski Superbagnères a fait venir de la neige par hélicoptère pour compenser le manque de neige. Anne-Christine POUJOULAT / AFP
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