08/08/2020 reseauinternational.net  12 min #177755

Implication du Sbu dans l'incident en Biélorussie - Poutine offre une porte de sortie à Loukachenko

par Christelle Néant.

Le 6 août 2020, le média russe Komsomolskaya Pravda (KP) publiait un article indiquant que le SBU (les services secrets ukrainiens) serait impliqué dans l'organisation de  la provocation qui a abouti à l'arrestation de 33 citoyens russes en Biélorussie. Le lendemain, Vladimir Poutine appelait Alexandre Loukachenko, le président biélorusse, afin de discuter du sort des citoyens russes arrêtés. En appelant Loukachenko seulement après la publication de ces informations par KP, Vladimir Poutine lui a en réalité offert une porte de sortie pour s'extraire du bourbier dans lequel le Président biélorusse s'est mis tout seul.

Recrutement « étrange » des hommes arrêtés

Hier, 6 août, Alexandre Kots, le célèbre journaliste de Komsomolskaya Pravda, publiait un  article montrant une potentielle implication du SBU dans l'affaire des Russes arrêtés en Biélorussie.

D'après ses sources au sein des services de sécurité russes (cela a son importance, retenez-le pour après), le groupe a été recruté parmi d'anciens employés de la société Wagner (ça aussi c'est important) par un certain « Sergueï Petrovitch » pour assurer la sécurité d'installations pétrolières en Syrie.

L'homme les contacte avec un numéro de téléphone dont l'indicatif international est bien celui de la Syrie (+963 931 42 562), mais il s'avère que le numéro est virtuel. Impossible de localiser le téléphone raccordé à ce numéro, qui n'apparaît pas dans le réseau mobile. Il faut savoir qu'acheter un tel numéro virtuel est très simple. Il y a de nombreuses applications mobiles qui permettent d'acheter un numéro virtuel d'un autre pays.

Avec ce numéro, il contacte ces anciens employés de Wagner et leur demande ni plus ni moins que leur CV, c'est-à-dire leur expérience du combat, et leur niveau d'entraînement. L'homme semble assez fin psychologue et arrive à faire croire aux hommes contactés qu'il est au choix un patron de la société Wagner, ou un officiel de haut-rang du ministère russe de la Défense. Résultat, aucun ne s'inquiète lorsqu'il leur demande leurs compétences pour manœuvrer des systèmes BUK (ça aussi retenez-le c'est important), ou s'ils connaissent des soldats russes se trouvant dans le Donbass.

Ce Sergueï Petrovitch mène tellement bien sa barque qu'un vétéran du Donbass, Artiom Milyayev (nom de code « Chamane »), se porte volontaire pour l'aider à recruter un groupe pour travailler à l'étranger.

Il est d'autant plus convaincu que depuis la mi-mai un homme du nom de Sergueï Viktorovitch Bezinski, se présentant comme le chef de la sécurité de Rosneft, a rejoint les négociations pour le recrutement de ce groupe. L'homme a une adresse e-mail en «  », histoire de donner plus de crédibilité à sa couverture. Sauf que le nom de domaine n'appartient pas à Rosneft, n'est pas enregistré en Russie et a cessé « bizarrement » de fonctionner le 31 juillet, deux jours après l'arrestation des citoyens russes.

Mais entre-temps, « Chamane » a cherché des volontaires, se tournant vers un ami, un ancien lieutenant-colonel de l'armée russe, Krivenko. Il leur fallait trouver 90 combattants, et chacun a amené une partie des membres du groupe, par recommandation personnelle ou entrevue avec des volontaires.

Fin mai, le nombre recherché est passé de 90 à 180 personnes, et « Chamane » s'est exécuté, envoyant les informations personnelles, avec photo et données de carte bancaire à la fameuse adresse e-mail « Rosneft », pour l'envoi futur de la paye.

De manière étrange, « Chamane » a utilisé des documents à en-tête de la défunte compagnie Mar (liquidée en 2018) pour recruter ses hommes. Et la première version, datée du 3 avril 2020 comporte une faute en bas, avec le mot « Peinture » au lieu du mot « Signature ». Erreur qui fut corrigée par après.

Questionnaire de recrutement de la société Mar

Le 6 juillet, mauvaise nouvelle, Sergueï Petrovitch serait mort en Libye, et un nouvel intermédiaire, nommé Arthur, se présente à lui avec un numéro vénézuélien (+5 841 291 01 091), prétendant qu'il s'agissait du numéro de la section consulaire de l'ambassade russe à Caracas. Bien sûr comme pour le numéro syrien, il s'agit seulement d'un numéro virtuel.

L'homme suggère à « Chamane » de se réorienter exclusivement vers les projets Rosneft et pour cela de diviser les 180 hommes en cinq groupes, ce qui est fait. Chaque groupe ayant son propre commandant (un est dirigé par « Chamane », un autre par « Iouritch » c'est-à-dire Krivenko, un par « Sanytch », Belik de son vrai nom, un quatrième est dirigé par un homme surnommé « Paradoxe », et le dernier par « Admin »).

Quatre des cinq groupes devaient se rendre à Minsk les 24 juillet, 26 juillet, 4 août et 6 août. Le groupe de « Iouritch » devait être envoyé au Venezuela par la mer. Le groupe de « Chamane » était quant à lui principalement constitué d'anciens combattants du Donbass, qui avaient donc eu la citoyenneté ukrainienne dans le passé. Il a été rejoint par Andreï Bakounovitch, qui se trouvait déjà à Minsk. Les services d'intermédiaire de « Chamane » ont été payés 14 000 dollars, déposés par un inconnu portant une barbe via un distributeur automatique d'Alpha Bank.

Photo de l'homme qui a transféré de l'argent au groupe de « Chamane »

L'implication du SBU dans la provocation en Biélorussie

Puis le 15 juillet, « Chamane » reçoit par e-mail les billets d'avions au départ de Minsk le 25 juillet pour Istanbul, avec escale à La Havane, puis Caracas. Et c'est là que la piste ukrainienne est apparue lors de l'enquête de Kots.

Les billets d'avions semblent avoir été achetés sur le site de Must Go, une société enregistrée à Kiev avec le numéro de téléphone +380 50 94 68 296, mais comportant des informations de la compagnie de voyage Coral Travel. Alexandre Kots a donc contacté le bureau de Turkish airlines à Moscou qui a déclaré que les billets ont bien été acheté via une agence autorisée enregistrée en Ukraine !

Réponse de Turkish airlines

La société Travel Set, située à Kiev, mentionnée dans les documents de la compagnie aérienne turque, a été enregistrée en janvier 2020. Mais ce n'est pas la seule société ukrainienne impliquée dans l'achat de ces billets. La société ukrainienne Easy Travel, enregistrée à Lvov, s'est retrouvée intégrée au processus d'achat des tickets, sous la marque Must Go. Tous les numéros de téléphones de ces sociétés sont ukrainiens. Pourtant les coordonnées de Must Go indiquées sont celles de la société de voyage russe Coral Travel à Moscou et Ekaterinbourg. Sauf que la société Coral Travel n'a aucune trace de ces billets dans leur système de réservation.

Les billets du groupe de « Sanytch » ont également été achetés par une société ukrainienne, nommée Air Life Logistic, basée à Kiev. Là-aussi de manière bizarre la société a été enregistrée en janvier 2020.

Billet électronique montrant la mention de la société Must Go.

Si tout cela vous semble déjà très bizarre, attendez la suite.

Alors que le groupe de « Chamane » était déjà en route, les billets pour Istanbul ont été annulés et reportés au 30 juillet, sauf que les premiers concernés (les hommes du groupe) n'étaient pas au courant. Et alors qu'ils étaient sur la route vers Minsk, la réservation du 30 juillet de la plupart des membres du groupe a elle aussi été annulée.

À la frontière biélorusse, les membres du groupe ont montré des copies de leurs contrats au nom de la société RN-Zapad. Les billets, imprimés à la station service la plus proche, leur ont été amenés par un citoyen biélorusse, Guennadi Kompane, qui leur a été envoyé par la personne se trouvant derrière la fameuse fausse adresse e-mail Rosneft. L'homme a été les chercher à la frontière et les a ensuite amenés à Minsk dans deux mini-bus.

Il va sans dire que les contrats sont des faux, des informations légales aux tampons, en passant par la signature du soi-disant directeur de la société, Roustamov, qui a quitté la société il y a un an, vit en réalité depuis longtemps à Samara et non à Minsk, et dont la signature n'a rien à voir.

Contrat et échantillon de la vraie signature de Roustamov

Histoire d'ajouter de la crédibilité à tout cela, une certaine Larissa Samarina, présentée au choix comme une employée de l'ambassade russe à Istanbul ou une manager de Rosneft, était censée s'occuper de l'hébergement des Russes à Minsk.

Sauf qu'en enquêtant sur elle, Alexandre Kots a découvert que la photo de la femme apparaissant sur la copie du badge fournie au chef du groupe, était en réalité celle d'  une femme vivant à Donetsk, en RPD (République Populaire de Donetsk), et qui a travaillé dans le domaine du tourisme ! Cette dernière a indiqué que la photo utilisée est celle de son passeport ukrainien, qu'elle a peu voyagé depuis le début de la guerre, et qu'elle a désormais très peur de se retrouver impliquée dans toute cette histoire dont elle ne savait rien.

Comment d'ordinaires escrocs auraient-ils pu avoir accès à cette photo de document officiel ? C'est typiquement le genre de fichier auquel des services secrets peuvent avoir accès. Et quoi de mieux que d'utiliser l'identité d'une femme d'un territoire qui n'est plus sous contrôle de l'Ukraine ? Comme ça ils impliquent une « terroriste » dans l'affaire. La cerise sur le gâteau.

La personne se cachant derrière cette fausse identité, a réservé le sanatorium où les Russes ont été arrêtés, du 24 au 29 juillet, disant au directeur qu'il s'agissait d'un groupe de passagers dont le vol avait été reprogrammé, un fait dont ils n'étaient même pas au courant ! Ce n'est que le 25 juillet, le jour du départ initialement prévu que « Chamane » est informé de l'annulation du vol. Il ordonne alors de détruire les anciens billets, éliminant ainsi des preuves importantes qui auraient permis à la Biélorussie de remonter rapidement la trace de Kiev et Lvov, certainement jusqu'à un bâtiment du SBU. D'ailleurs autre fait bizarre, tous les paiements de ce « projet » ont été faits exclusivement en espèces.

Et pour finir de vous convaincre de l'implication du SBU dans la provocation en Biélorussie, il suffit d'écouter Loukachenko en personne. Lors de  son interview accordée à Gordon, il a lui-même admis publiquement que les services secrets ukrainiens avaient averti Minsk de la présence d'un autre groupe de combattants dans le sud du pays. Comme c'est bizarre...

Cette opération menée en Biélorussie ressemble typiquement aux  opérations psychologiques subversives menées par l'Ukraine contre le Donbass et la Russie qu'a décrites Vassily Prozorov, un ancien agent du SBU. Le but semble évident : semer la discorde entre la Russie et la Biélorussie, et écorner la réputation des sociétés Wagner et Rosneft au passage. Mais pas seulement.

Le fait qu'il a été demandé aux combattants s'ils savaient manœuvrer un BUK montre aussi que le SBU avait un autre but, si l'extradition de ces citoyens russes vers l'Ukraine était obtenue, à savoir très certainement de les impliquer dans  l'affaire du crash du MH17, peut-être en les présentant comme ceux qui auraient tiré le missile qui aurait abattu le Boeing.

Vladimir Poutine offre une porte de sortie à Loukachenko

Et c'est là que j'en viens à la deuxième nouvelle.  Celle annoncée aujourd'hui par le Kremlin. À savoir que Vladimir Poutine a appelé Alexandre Loukachenko pour discuter, entre autre, du sort des 33 citoyens russes arrêtés.

Les deux présidents « ont exprimé leur confiance dans le fait que la situation sera résolue dans l'esprit de compréhension mutuelle qui est typique de la coopération entre les deux pays ».

Vladimir Poutine a aussi souligné « que la partie russe est intéressée par le maintien d'une situation politique intérieure stable en Biélorussie et par la tenue des prochaines élections présidentielles dans une atmosphère calme ».

Si on déchiffre cette discussion retranscrite de manière très officielle, donc très diplomatique, Poutine a rappelé à Loukachenko que la Russie n'utilise pas ce genre de méthodes, et qu'il fallait donc calmer l'hystérie et les hypothèses farfelues.

Quant à « l'esprit de compréhension mutuelle » il s'agit en fait de la transmission des informations qu'a publiées Alexandre Kots à la Biélorussie afin qu'elle parvienne à la bonne conclusion sur cette affaire (d'ailleurs ces informations ont aussi été transmises au comité d'enquête russe afin de faire la lumière sur cette sordide affaire).

D'où le fait que Vladimir Poutine a attendu la sortie publique de ces informations AVANT d'appeler Loukachenko. C'est la différence entre un chef d'état qui agit avant de penser, et un qui réfléchit avant d'agir.

Avec ces informations, Vladimir Poutine offre une porte de sortie à son homologue biélorusse, qui peut ainsi rejeter la faute de cette provocation sur le SBU et sauver un tout petit peu la face au milieu de cette débandade.

Et là vous vous demandez, mais si ces informations viennent des services secrets russes, pourquoi ne pas les avoir transmises discrètement à Minsk ? Pourquoi les publier sur Internet ?

Eh bien pour plusieurs raisons. La première c'est que ces 33 citoyens russes et la Russie elle-même ont été traînés publiquement dans la boue, il est donc logique que Moscou lave leur honneur et le sien publiquement.

La deuxième raison, c'est d'exposer publiquement les méthodes du SBU, et de montrer que non seulement les services secrets ukrainiens s'en prennent à la Russie et au Donbass, mais qu'ils s'en prennent aussi sans vergogne à d'autres pays comme la Biélorussie, qu'ils prétendent aider avec leurs « renseignements ».

Et la troisième raison, c'est qu'en rendant ces informations publiques, la Russie offre justement cette porte de sortie (je ne vais pas dire honorable, mais disons la moins mauvaise) potentielle pour Loukachenko.

En effet, comme je l'ai écrit hier, en se lançant dans ce délire, Loukachenko s'est mis dans le pétrin. Quoi qu'il fasse il y aura des conséquences. Le seul choix qu'il lui reste est entre la peste et le choléra. Soit il renonce aux poursuites contre les citoyens russes et il perd la face, soit il va jusqu'au bout de son délire et les extrade vers l'Ukraine. Dans ce cas, la Biélorussie subira les conséquences désastreuses du jusqu'au boutisme de son Président, la Russie faisant payer cette trahison au prix fort.

En prouvant publiquement l'implication du SBU dans cette provocation, la Russie offre à Loukachenko un bouc émissaire idéal, permettant à la Biélorussie de renoncer aux poursuite contre les citoyens russes sans trop perdre la face (un peu quand même pour s'être faits berner comme des bleus mais c'est moins grave que de devoir admettre qu'ils sont les seuls responsables pour avoir monté en épingle un dossier totalement vide).

Reste à voir maintenant si Loukachenko va utiliser cette porte de sortie offerte ou s'il va s'enfoncer dans son délire façon diva. Cela seul l'avenir nous le dira.

 Christelle Néant

source :  donbass-insider.com

 reseauinternational.net

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