16/09/2020 tlaxcala-int.org  6 min #179321

Cesare Battisti : nous persistons

Various Authors - Autores varios - Auteurs divers- AAVV-d.a.

Voici un texte dont la principale revendication est que soit appliqué le droit commun à un détenu et dont la liste des signataires présente quelques noms qu'on n'est pas habitué à voir sur lundimatin. Qu'il doive paraître sur ce site est significatif d'une époque où le plus cruel acharnement répressif contre un individu, quarante après les faits qui lui sont reprochés, passe pour la normalité.

Après quatre jours sans réponse, Le Monde a fini par nous envoyer un refus sous forme de lettre-type. Ayant peu de goût pour les démarches auprès de médias dont le crédit ne cesse de s'amenuiser, et le temps pressant, nous comptons donc sur les lecteurs de lundimatin pour faire connaître cette protestation et pour la signer.
Depuis le début de la semaine dernière, Cesare Battisti avait entamé une grève de la faim pour obtenir que cesse le régime d'exception sans aucun fondement légal, qui lui est appliqué. A cette occasion s'est rallumée aussitôt l'habituelle guerre du faux contre lui. Les médias italiens ont repris à l'envi le mensonge selon lequel son régime avait été approuvé par la Cour de Cassation. Or, comme le rappelle un communiqué des défenseurs de Cesare, cette juridiction ne s'était prononcée que sur l'isolement comme peine complémentaire de la perpétuité, sur une période qui se terminait le 14 juillet 2019. Depuis, il est maintenu sous ce régime en dehors de toute légalité.
On peut toujours douter de l'utilité des pétitions, et nous ne nous en sommes jamais privés. Mais il nous semble qu'elles s'avèrent d'autant plus nécessaires qu'elles vont à l'encontre de l'air du temps. Celle-ci nous permettra au moins de nous compter et de montrer à Cesare, au fond de son emmurement vivant, qu'il n'est pas seul.

Cesare Battisti : nous persistons

Nous persistons à défendre Cesare Battisti, contre les forces politiques qui, de la France au Brésil, de l'Italie à la Bolivie, ont fait de lui le jouet d'un antiterrorisme fantasmatique, de surenchères sécuritaires et d'un justicialisme qui confond la justice avec un populisme pénal nourrissant la vengeance infinie des Etats.

Cesare Battisti a été enlevé en janvier 2019 en Bolivie, dans des circonstances étrangères à toute forme de droit international et national. [1] La mise en scène télévisée de son atterrissage à l'aéroport de Ciampino, où il a été accueilli par le ministre de l'Intérieur d'extrême-droite Salvini et son soutien « 5 étoiles », déguisés en policiers, a choqué jusqu'au Conseil supérieur de la magistrature italienne. Depuis maintenant 40 ans, Cesare démontre qu'il a renoncé à toute activité clandestine et violente et on lui applique rétroactivement un régime antiterroriste qui lui interdit tout contact avec d'autres détenus et le maintient à l'isolement 24 h sur 24. Cela se passait dans la prison d'Oristano, dans des circonstances telles qu'il devait choisir entre prendre son repas de midi ou la « promenade » dans un espace restreint. C'est pourquoi, au début de la semaine dernière il avait entamé une grève de la faim.

En fin de semaine, il a été transféré en Calabre, dans la prison de Rossano où on le maintient toujours sous le régime dit AS2, réservé aux terroristes : il y sera en compagnie de 18 prisonniers d'Al Qaeda ! A cette heure, nous ignorons s'il poursuit sa grève de la faim.

Sa persécution par l'administration pénitentiaire fait l'objet de plusieurs plaintes. L'arbitraire exorbitant qu'il subit n'a strictement rien à voir avec une éventuelle dangerosité : on ne lui pardonne pas d'avoir essayé d'échapper à la vengeance d'Etat et c'est pour cela que nous persistons à le défendre.

Nous persistons à défendre Cesare Battisti, non pas parce qu'il serait innocent, parce qu'il serait écrivain ou parce qu'il serait sympathique, ou toute autre raison, mais parce que, de par son histoire, il appartient pleinement à cette fraction de la population italienne, jeune et moins jeune, qui, dans les années 70 du siècle dernier, est entrée pendant une décennie en sécession avec la vieille société, sa soumission au capitalisme débridé et ses forces politiques institutionnelles. Cette sécession a pris aussi une tournure violente, et si on doit critiquer la forme politique que cette violence s'est donnée, et les discours idéologiques qui allaient avec, il convient d'observer que cette violence était le fait de toute la société italienne, en particulier des forces de l'ordre et des Services secrets. Les attentats aveugles, de loin les plus meurtriers, étaient le fait d'une extrême-droite largement infiltrée et manipulée par les services étatiques. C'est notamment parce que, avec ses romans, Cesare Battisti a rappelé la réalité d'une époque mythifiée sous le vocable « années de plomb », que les représentants des forces politiques attaquées à l'époque, qui n'ont jamais cessé de gouverner ensemble ou séparément, se sont acharnées sur lui, soutenus par des médias en mal de monstres et par les pestes émotionnelles d'une opinion manipulée.

Nous persistons et persisterons à soutenir Cesare Battisti dans sa bataille pour obtenir que ses droits lui soient rendus, notamment, dans un premier temps, celui à une détention « normale ». Nous le soutiendrons dans son combat pour obtenir auprès de l'ONU et du Conseil de l'Europe que soit reconnu le caractère illicite de son enlèvement et de sa détention. Nous persisterons à défendre l'idée que la société italienne a tout à gagner à regarder en face son passé et à s'acheminer vers l'amnistie des délits politiques des années 70.

Premières signatures : Isabelle Alonso, écrivaine et chroniqueuse ; Jean-Pierre Bastid, écrivain ; Luca Belvaux, cinéaste ; Stéphanie Benson, écrivaine ; Eric Beynel, porte-parole de la confédération Solidaires ; Laurence Biberfeld, écrivaine ; Jean-Pierre Bouyxou, critique de cinéma ; Eric Brun, sociologue ; Jean-Marie Buchet, cinéaste ; Pierre Carles, cinéaste ; Jean-Louis Comolli, cinéaste ; Anne Crignon, journaliste (Le Nouvel Observateur) ; Elsa Dorlin, philosophe ; Gérard Delteil, écrivain ; Pascal Dessaint, écrivain ; Jean-Michel Devésa, professeur des universités, écrivain ; Patrick Dewdney, écrivain ; Sylvain Garel, ancien président du groupe écologiste à la Mairie de Paris ; François Gèze, éditeur ; Alain Jugnon, philosophe ; Chantal Junius, retraitée ; Hervé Le Corre, écrivain ; Marin Ledun, écrivain ; Gilles Martin-Chauffier, écrivain et rédacteur en chef de Paris-Match ; Chantal Montellier, écrivaine et bédéiste ; Patrick Mosconi, écrivain ; Jean-Jacques M'U, éditeur ; Gilles Perrault, écrivain ; Serge Quadruppani, écrivain et traducteur ; Nathalie Quintane, écrivain ; Patrick Raynal, écrivain, ancien directeur de la Série Noire ; Vincent Ruyschaert, thermicien ; Elisa Santanela, maître de conférences en études italiennes ; Alessandro Stella, directeur de recherches au CNRS ; Charles Tatum Jr, traducteur, éditeur ; Rémi Toulouze, éditeur ; Patricia Tutoy, sociologue ; Fred Vargas, écrivaine ; Jo Vargas, peintre ; Gilbert Oscaby, retraité...

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Courtesy of  LundiMatin
Source:  lundi.am
Publication date of original article: 14/09/2020

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