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Le combat à la Cour suprême aggrave la crise politique qui entoure les élections américaines

Par Patrick Martin
22 septembre 2020

La mort de la juge Ruth Bader Ginsburg, membre de la Cour suprême, membre de haut rang du Parti démocrate, a exacerbé les conflits politiques aux États-Unis. Le président Trump et le leader Républicain du Sénat Mitch McConnell ont menacé de pourvoir le poste vacant avec un candidat d'extrême droite avant l'élection du 3 novembre.

Le président Trump a annoncé samedi qu'il allait nommer une femme juriste au siège vacant de la Cour suprême, citant comme choix possible deux catholiques d'ultra-droite qui sont des opposantes bien connus à l'arrêt Roe contre Wade qui a légalisé l'avortement: La juge Amy Coney Barrett de l'Indiana et la juge Barbara Lagoa de Floride, une Cubano-Américaine.

Les responsables de la Maison-Blanche ont indiqué qu'une nomination pourrait intervenir avec une rapidité extraordinaire, dès mercredi, afin de respecter un calendrier d'audiences devant la commission judiciaire du Sénat. Cela sera suivi par un débat et un vote de confirmation du Sénat avant le jour du scrutin.

Les Démocrates se sont plaints du cynisme politique flagrant de McConnell, qui a même bloqué une audition en 2016 sur la nomination de Merrick Garland par le président Barack Obama pour remplir la place créée par la mort soudaine du chef du bloc de droite à la haute cour, Antonin Scalia.

Le leader de la majorité au Sénat, Mitch McConnell, du Kentucky, se rend au Sénat le 14 septembre 2020, au Capitole à Washington. (AP Photo/Jacquelyn Martin)

Il y a quatre ans, McConnell a blogué sur le fait que les Américains avaient le droit de décider de pourvoir le poste vacant à la cour par leur vote lors de l'élection présidentielle. L'élection devait avoir lieu dans neuf mois. Aujourd'hui, à six semaines seulement du jour de l'élection, et alors que le vote anticipé et le vote par correspondance ont déjà commencé il fait pression pour que le Sénat confirme immédiatement un candidat du Trump, que le peuple aille se faire voire ailleurs.

Plusieurs considérations entrent en ligne de compte dans la volonté de pourvoir le poste vacant de Ginsburg le plus rapidement possible. Trump et McConnell calculent que la perspective d'assurer une majorité d'ultra-droite de 6 contre 3 à la Cour, sera probablement suffisante pour renverser la décision Roe contre Wade. Ainsi, elle pourrait mobiliser les électeurs fondamentalistes chrétiens derrière une campagne électorale Républicaine qui faiblit.

Trump est à la traîne du Démocrate, Joe Biden, dans la plupart des sondages, à l'échelle nationale et dans les principaux États du «champ de bataille» qui décideront de la compétition au sein du Collège électoral. Wall Street et une grande partie des entreprises américaines ont apporté leur soutien à Biden, qui a récolté bien plus d'argent pour sa campagne que Trump et qui domine les ondes au moment même où le vote par correspondance commence dans de nombreux États.

Les Républicains du Sénat risquent également de perdre leur étroite majorité de trois voix à la Chambre haute. Les Républicains sortants sont à la traîne dans les sondages en Arizona, au Colorado, en Iowa, en Caroline du Nord et dans le Maine. Ils ne devancent que de peu dans une demi-douzaine d'autres États, tandis qu'un seul Démocrate, en Alabama, risque sérieusement de perdre sa place.

La composition de la haute cour pourrait jouer un rôle majeur dans le règlement des litiges qui découlent de l'élection elle-même. Une majorité de droite de 6 contre 3 serait une arène bien plus favorable à Trump. Au cas où il contesterait les bulletins de vote par correspondance ou s'il faisait un autre effort juridique sur le modèle de la décision Bush contre Gore de 2000, pour mettre fin au comptage des votes et se faire déclarer vainqueur.

On a déjà intenté plus de 200 procès fédéraux dans 45 États sur divers aspects des élections, et l'on s'attend à ce que certaines de ces questions soient soumises à la Cour suprême pour décision avant le 3 novembre. «Nous ne pouvons pas laisser le jour de l'élection passer avec un tribunal à 4 contre 4», a déclaré le sénateur républicain Ted Cruz du Texas. «Nous risquons une crise constitutionnelle».

En outre, deux semaines seulement après l'élection, la Cour suprême doit entendre un recours contre l'Affordable Care Act par un groupe de procureurs généraux des États Républicains. Si Ginsburg se fait remplacer par un juge conservateur, la décisionpar 5 contre 4 qui a confirmé la constitutionnalité de l'Obamacare en 2012 pourrait bien être annulée.

Le caractère réactionnaire et antidémocratique de l'effort de Trump et McConnell pour établir une domination incontestée de la droite sur la Cour suprême a suscité une indignation populaire générale. Des milliers de personnes ont afflué sur la colline du Capitole à Washington pour rendre hommage à Ginsburg. Les sondages d'opinion montrent une opposition publique écrasante à ce que Trump nomme quelqu'un à un poste à vie à la Cour à la veille d'une élection où il pourrait bien être démis de ses fonctions.

La réaction de la direction du Parti démocrate à Washington est cependant une combinaison de lâcheté et d'impuissance. Ils agitent le poing contre Trump, mais ils craignent bien plus les conséquences de tout appel direct à l'hostilité populaire envers ce gouvernement de droite détesté.

Cette attitude s'est exprimée lors d'une conférence de presse inhabituelle donnée dimanche soir par le leader de la minorité au Sénat, Charles Schumer, et la représentante Alexandria Ocasio-Cortez. Le «sénateur de Wall Street», comme on appelle Schumer, et la «Démocrate-socialiste» Ocasio-Cortez n'avaient jamais fait cause commune auparavant.

Ils se sont unis pour dénoncer le projet de McConnell d'organiser un vote de confirmation sur le candidat de Trump pour pourvoir le poste vacant de Ginsburg. Ils ont mis en garde contre une menace massive sur les droits fondamentaux du peuple américain. Trump nommerait un juge qui s'engagerait à annuler les droits liés à la procréation, les droits du travail, les droits civils, le droit de vote, les droits des personnes LGBTQ - y compris le mariage homosexuel. Ils vont revenir en arrière sur toutes ces lois, ont déclaré les deux démocrates.

Tout cela est parfaitement vrai, mais ce que les deux Démocrates ont proposé de faire à ce sujet était... rien. Ils ont exhorté les téléspectateurs à appeler, écrire et envoyer des courriels à leurs sénateurs, en particulier les Sénateurs Républicains dans les États disputés.

McConnell dispose d'une majorité de 53-47 au Sénat, et deux républicains ont déjà annoncé leur opposition à un vote de confirmation avant l'élection. «Nous n'avons besoin que de deux autres sénateurs», a déclaré Schumer. «Nous devons dire à Mitch McConnell qu'il joue avec le feu», a ajouté Ocasio-Cortez.

«Si le leader McConnell et les Sénateurs Républicains vont de l'avant avec cela, alors rien n'est hors de question pour l'année prochaine», a déclaré Schumer. «Rien n'est exclu». Cette fanfaronnade est révélatrice. Schumer menace de conséquences en 2021, concédant effectivement qu'ils ne peuvent rien faire avant l'élection et l'installation d'un nouveau Congrès et d'un nouveau président, sauf faire appel à une poignée de sénateurs républicains «persuasifs».

Si les Démocrates avaient lancé un appel à une manifestation de masse à Washington pour s'opposer à l'effort de Trump-McConnell pour pourvoir le poste vacant à la Cour suprême à la veille de l'élection, ils savent très bien que des masses de gens se rendraient sur place. C'est, bien sûr, exactement pourquoi ils ne le font pas. Ils ont bien plus peur des forces sociales qui se manifesteraient pour un tel appel que des attaques que Trump et les Républicains pourraient lancer contre les droits démocratiques des travailleurs.

Le rôle servile d'Ocasio-Cortez, membre des Démocrates socialistes d'Amérique (DSA), est particulièrement significatif. Elle s'est fait glorifiée par les groupes de pseudo-gauche comme preuve que leur politique de pousser le Parti Démocrate à gauche peut transformer ce parti capitaliste de droite en un instrument de changement social progressif.

Un journaliste a interrogé Ocasio-Cortez sur une nouvelle tentative de destituer Trump dans le but de bloquer le vote de confirmation du Sénat. (selon les règles du Sénat, un vote de destitution par la Chambre des représentants oblige à un procès au Sénat qui a priorité sur toute autre affaire.) Elle a répondu docilement que la destitution dépend «des dirigeants démocrates», c'est-à-dire de Nancy Pelosi et de Steny Hoyer, tous deux défenseurs acharnés des grandes entreprises et de l'establishment politique américain.

La performance des Démocrates a été si pathétique que même un de leurs acolytes habituels des médias, l'analyste juridique de CNN Jeffrey Toobin, en a été horrifié. Il a déclaré dimanche soir que même si les Démocrates gagnent le contrôle du Sénat et prennent la Maison-Blanche, la question est de savoir «s'ils seront toujours les boucs émissaires de McConnell». C'est leur rôle depuis que Trump a pris ses fonctions, a-t-il concédé.

L'énumération par Schumer et Ocasio-Cortez des droits qui seraient mis en danger si Trump était autorisé à procéder à sa troisième nomination de juge à la Cour suprême ne fait que souligner le caractère extrêmement atténué de la démocratie américaine. Comment est-il possible que les droits de dizaines de millions de personnes - travailleurs, noirs, gays, femmes, immigrants - puissent être menacés par un juge, ou deux sénateurs, ou même un président?

On a acquis ces droits au cours de luttes menées pendant plusieurs décennies et impliquant des millions et des millions de travailleurs. Pourtant, les Démocrates admettent aujourd'hui qu'ils ne tiennent plus qu'à un fil.

L'effort flagrant de Trump et McConnell pour truquer la Cour suprême souligne le caractère frauduleux de la démocratie américaine. Trump lui-même n'occupe la Maison-Blanche qu'à cause du système antidémocratique du Collège électoral, ayant perdu le vote populaire de plus de trois millions de personnes.

Le Sénat lui-même est totalement antidémocratique, la Californie (près de 40 millions d'habitants) et le Wyoming (moins de 600.000 habitants) ayant deux sénateurs chacun. Les républicains de McConnell détiennent une majorité de 53-47, mais les sénateurs républicains représentent à peine 40 pour cent de la population américaine.

Et puis il y a la Cour suprême elle-même: neuf juges non élus, occupant des sièges à vie. Ils sont tous issus de collèges de la classe supérieure - «l'Ivy League». On les a tous choisi selon un processus qui garantit que chacun d'entre eux est un défenseur acharné du système capitaliste et de l'impérialisme américain.

L'intensité du conflit qui fait rage au sein de l'élite dirigeante américaine, les attaques ouvertes contre les principes démocratiques et la légalité constitutionnelle par Trump en particulier, ont conduit même les commentateurs bourgeois des médias à exprimer leur inquiétude. Ainsi, Dan Balz du Washington Post a écrit dimanche: «En fonction du résultat de l'élection et de la résolution de la question de savoir qui occupera le siège de Ginsburg. La bataille pourrait facilement s'étendre à un débat encore plus chargé sur la question de savoir si la haute cour parle et représente les vues d'une majorité d'Américains. Voire si le système démocratique de gouvernement est devenu non démocratique.»

La désintégration de la démocratie américaine est sous-tendue par l'aggravation de la crise sociale. Des dizaines de millions de personnes sont sans emploi à cause de la pandémie, qui a infecté sept millions de personnes et tué 200.000 Américains. Un million de personnes risquent d'être mises au chômage de façon imminente. On a coupé des allocations fédérales de chômage étendues à des millions de personnes. Maintenant, ils font face à une suppression totale de toute aide au revenu.

Aucun des deux partis capitalistes ne parle au nom des travailleurs qui constituent la grande majorité de la population. Les Démocrates saluent les syndicats, la police industrielle corrompue des entreprises, comme s'ils représentaient les travailleurs. Trump renonce à cette prétention, en se présentant comme un Führer américain qui prétend défendre les intérêts des travailleurs en menant une guerre économique contre la Chine, le Mexique et l'Europe.

L'alternative pour la classe ouvrière est de lutter contre la véritable source de toutes les attaques contre l'emploi, le niveau de vie et les droits démocratiques: le système de profit capitaliste. Cela signifie une rupture avec le système capitaliste bipartite et la construction d'un mouvement politique indépendant de masse des travailleurs pour lutter pour un programme socialiste. C'est la politique avancée par le Parti de l'égalité socialiste et nos candidats à la présidence et à la vice-présidence pour 2020, Joseph Kishore et Norissa Santa Cruz.

(Article paru d'abord en anglais le 21 septembre 2020)

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