14/01/2021 mrmondialisation.org  8 min #184198

Grenoble : la mairie refuse de rétablir l'eau et le chauffage pour des mal-logés

Pendant plus de quatre ans, près de 250 logements HLM du quartier de l'Abbaye, à Grenoble, sont restés inoccupés sous le prétexte de la future gentrification de cette zone. Bien que vacants, ces logements étaient malgré tout chauffés et alimentés en eau et en électricité durant ces années. Au début du mois de décembre, alors qu'une cinquantaine de sans-logis y ont trouvé refuge en pleine vague de froid, Actis, l'office public de l'habitat de la région grenobloise, a donné l'ordre de couper les fluides. C'est ainsi qu'avec l'aval de certains élus locaux et sous le regard du maire Eric Piolle, ce bailleur social a privé sans sourciller des familles entières d'eau, d'électricité et de chauffage, juste avant les fêtes de fin d'année, en pleine crise sanitaire. Des enfants d'à peine trois ans on ainsi été condamnés à passer Noël dans le noir, subissant les températures glaciales qui frappent la ville en cette période. L'association DAL 38 ainsi que des habitants de Grenoble se mobilisent aujourd'hui pour exiger notamment le rétablissement des fluides dans ces logements sociaux. Une  pétition à destination d'Eric Piolle a été mise en ligne. Un [https://www.helloasso.com/associations/droit-au-logement-38/formulaires/1

A Grenoble, 232 logements ont été progressivement vidés des familles qui les habitaient en vue d'une opération de gentrification du quartier de l'Abbaye. Pendant 4 ans, ces habitations vacantes ont pourtant continué à être chauffées afin de préserver l'état des lieux. Depuis le 9 décembre 2020, un de ces immeubles est occupé par 52 sans-logis (couples, célibataires, familles avec enfants, etc.), sous l'égide de l'association DAL (Droit Au Logement) qui demande depuis à la mairie de réquisitionner ces habitations temporairement afin que ses occupants actuels puissent y rester jusqu'à être relogés dignement. Bien qu'insalubre, cette résidence des Volets Verts, située au 7 place Laurent Bonnevay, était jusque-là alimentée en eau, électricité et chauffage urbain. Pourtant, quelques jours suivant l'occupation des lieux par les sans-logis, le bailleur social Actis, qui détient l'usufruit de ces logements, a pris la décision de couper les fluides, avec l'approbation des élus locaux.

Le DAL qualifie cet acte de « cynique », ouvrant la voie à « une pratique jusqu'alors proscrite par de nombreux propriétaires institutionnels, que même le Préfet de police de Paris n'avait pas utilisé contre les occupants de l'ancien commissariat de la rue du Croissant dans le 2e arrondissement, occupé par des sans-logis le 1er janvier 2020, jusqu'à leur relogement. ». L'association mentionne un autre exemple, celui de l'occupation du 24 rue de la Banque, précisant que ni la Lyonnaise de Banque, ni la Mairie de Paris n'y avaient suspendu les fluides. Ainsi, ce qui se passe aujourd'hui est d'une extrême gravité selon Mathis, membre du DAL, qui s'inquiète notamment de la santé de ces personnes vulnérables laissées sans chauffage en plein hiver (et en pleine crise sanitaire, précisons-le), alors que la ville connaît des températures en-dessous de zéro : « après plusieurs semaines sans fluides, les enfants commencent à tomber malades. Noël dans le noir, sans eau, depuis le 12 décembre 2020... Pas de remise de fluides si les habitants restent. Néanmoins la mobilisation continue et les habitants tiendront. »

Bien que Grenoble propose un accompagnement individuel pour les personnes mal-logées, le DAL n'y adhère pas étant donné que les centres d'hébergement hivernaux de l'Isère imposent des  conditions de vie déplorables aux personnes hébergées et ce, sur tous les niveaux : suivi, alimentation, conditions sanitaires, accès aux services publics Qui plus est, l'accueil dans ces logements d'urgence n'est que temporaire et certains d'entre eux risquent d'être  fermés par l'association  AJHIRALP (Association Régionale pour l'Insertion) dès le 31 mars 2021, rejetant les occupants dans la rue.

« Eric Piolle, maire des riches »

La crise du logement qui sévit actuellement sur le territoire français, due à l'appauvrissement graduel des populations modestes qui, aggravé par la crise de la Covid-19, aura d'autant plus creusé les inégalités, n'aura pas épargné la ville de Grenoble qui compte aujourd'hui « 1 800 sans abris, 16 000 ménages en attente de logements sociaux depuis plusieurs années et plus de 17 000 logements vacants... Un chiffre démesuré. » s'indigne Mathis. Pourtant, la mairie et la préfecture refusent d'avoir recours à laloi sur la réquisition des logements vacants, datant du 11 octobre 1945, même si celle-ci permettrait d'héberger de nombreux sans-abris ou mal-logés. Selon Mathis, le préfet de l'Isère, Lionel Beffre, et le maire de Grenoble, Eric Piolle, refusent de recourir à cette loi « pour des raisons politiques ».

Plusieurs manifestations ont eu lieu à Grenoble depuis le mois dernier pour défendre les mal-logés du quartier de l'Abbaye, demandant aux élus de réagir. Les associations et les grenoblois mobilisés exigent le rétablissement de l'eau (en gardant à l'esprit que le droit à l'eau potable est un droit fondamental reconnu par l'Organisation des Nations Unies depuis le 28 juillet 2010), de l'électricité et du chauffage au 7 place Laurent Bonnevay, mais aussi le relogement de tous les occupants ainsi que l'application de la loi de réquisition des logements vides. Le temps dira s'il reste une part d'humanité à ces élus ou si le système aura fini de déshumaniser ceux qui le servent.

Quid du droit au logement ?  Soutenez Mr Mondialisation sur Tipeee

Le droit au logement en France ne date pourtant pas d'hier et découle du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui indique que « La Nation garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ». La loi Quilliot du 22 juin 1982 indique également que « Le droit à l'habitat est un droit fondamental ». Ce même droit est cité dans deux autres lois : la loi Mermaz de 1989 et la loi Besson de 1990. En 1995, il est de nouveau mis en avant par le Conseil constitutionnel qui considère que : « La possibilité de disposer d'un logement décent est un objectif à valeur constitutionnelle ». Malgré cela, le droit au logement reste largement inappliqué sur le territoire français.

En effet, selon un rapport publié en juin 2020 par six associations de solidarité pour le logement, dont la Fondation Abbé Pierre, plus un demandeur HLM est pauvre, moins il aura de chances d'obtenir un logement. Cette contradiction avec le droit au logement résulte, d'après le rapport inter-associatif, « de l'organisation d'un système économique, politique, juridique et financier, qui exclut de fait, pour cause de ressources insuffisantes, des catégories entières de la population. ». La recherche montre que pour l'immense majorité des demandeurs de logement social à faibles ressources, plus le revenu est élevé, plus le taux d'attribution augmente. Elle souligne également le fait que c'est lors de la sélection des candidats qui seront présentés à la commission d'attribution que ceux ayant les ressources les plus faibles seront, en grande partie, écartés de l'accès au parc social « à travers une série de mécanismes d'exclusion à la fois intentionnels et non-intentionnels. », ajoutant que « le motif de l'insuffisance des ressources constitue en effet un motif absolu de rejet d'un demandeur au moment de la désignation si celui-ci ne répond pas aux critères de solvabilisation fixés. »

Le rapport indique que la moitié des ménages pauvres sont contraints de faire appel au parc privé, subissant ipso facto des taux d'effort colossaux et souvent, des conditions de logement indignes. Dans son  communiqué de presse du 11 juin 2020, la Fondation Abbé Pierre souligne que bien qu'il n'y ait pas de minimum de ressources exigible par les commissions d'attribution, celles-ci « évaluent la capacité du demandeur à supporter le coût de son logement. Or ce coût n'a cessé d'augmenter. En parallèle, la précarité croissante des familles candidates au logement social conduit à une réduction des ressources stables « présentables » au bailleur. De fait, le « taux d'effort » du candidat dépasse de plus en plus souvent le seuil de 25 ou 30 %, synonyme d'exclusion. »

Les obstacles pour accéder aux logements sociaux que doivent surmonter les personnes aux revenus les plus modestes sont nombreux : « pénurie de logements sociaux, loyers HLM trop élevés, attributions mal ciblées, défaut d'accompagnement, solvabilisation insuffisante par les aides publiques, méconnaissance de leurs obligations par les différents acteurs... à commencer par les préfets. » Les six associations à l'origine du rapport sur les Difficultés d'accès au parc social des ménages à faibles ressources ont également publié 15 propositions pour faciliter cet accès. Peut-être certains élus devraient-ils y jeter un coup d'œil ?

J.M.

 mrmondialisation.org]

 Commenter