15/01/2021 tlaxcala-int.org  5 min #184242

En pleine pandémie, 4 500 personnes risquent de mourir de froid à la cañada real, le bidonville de madrid

 Nuria Álvarez Agüí

La Cañada Real est le plus grand bidonville d'Europe (plus de 8 000 habitants recensés en 2011) et le plus ancien aussi : il a commencé à exister avec la migration rurale dès les années 50. Il a perduré si longtemps parce que sa localisation sur un ancien chemin de transhumance empêchait sa régularisation (la voie empruntée par un bon nombre d'anciens bidonvilles en Espagne).

Plusieurs générations d'habitants y sont nées, et des vagues migratoires de l'Europe de l'Est et du Nord de l'Afrique y sont arrivées à partir des années 90. Ses habitants travaillaient en particulier pour des salaires de misère dans le bâtiment à Madrid, qui a connu un boom du à partir du début du siècle. Ils se retrouvent stigmatisés pour leur appartenance de classe et ethnique (les Gitans, Marocains et Roumains y sont surreprésentés).

L'expansion immobilière aux alentours de ce quartier-bidonville a conduit à des évictions (2005-2012) menées par la mairie de Madrid. Elles ont été arrêtées par une sentence du tribunal de Strasbourg exigeant le relogement des habitants expulsés. Or les gouvernements ultra-néolibéraux de Madrid avaient privatisé la quasi-totalité du parc de logements sociaux. Finalement il y a eu un principe d'accord entre les autorités et les habitants : le Pacte pour la Cañada (2017). Celui-ci prévoyait la régularisation de toutes les maisons dans de bonnes conditions d'habitabilité si les propriétaires pouvaient payer leur parcelle. Seul le secteur 6 de la Cañada, situé à côté de la station d'épuration de de la capitale, devait être démantelé. Le Pacte incluait le relogement des habitants du secteur 6 s'ils remplissaient des conditions d'ancienneté (être installés avant 2011) et certaines conditions sociales. Dans le reste de la Cañada (secteurs 1-5), les habitants remplissant les conditions devaient aussi être relogés s'ils n'arrivaient pas à acheter leurs parcelles.

Cependant, la mise en place du Pacte pour la Cañada a commencé à cumuler des retards dès le début. Seulement quelques dizaines de familles du secteur 6 ont été relogées en 2018 et 2019 par la mairie et la région de Madrid. L'arrivée d'un gouvernement de droite (Parti Populaire) à la mairie de Madrid en mai 2019 a contribué à paralyser encore plus le processus de relogement. Pendant quelques mois d'impasse, on s'est demandé pourquoi les administrations madrilènes faisaient traîner la mise en place du Pacte de 2017. Il apparaît aujourd'hui que les grands intérêts immobiliers privés exerçaient des pressions pour une solution différente.

"Ils sont en train de nous couper le jus"

C'est lors de la deuxième vague du coronavirus que le pot aux roses a été dévoilé. Sous la pression des intérêts immobiliers et profitant de la criminalisation des habitants, l'entreprise d'électricité Naturgy a coupé l'électricité a 4 500 habitants des secteurs 5 et 6 de la Cañada Real. Les habitants se sont alors mobilisés, réclamant la restauration d'un service pour lequel ils étaient disposés à payer, comme le reste des habitants de Madrid. La police a attribué la coupure d'électricité à des plantations illégales de marihuana et la présidente de Région Isabel Díaz Ayuso a profité de l'occasion pour fantasmer sur des « propriétaires de voitures de luxe qui ne veulent pas payer l'électricité », alors qu'on n'a jamais donné aux habitants de la Cañada la possibilité de le faire. Les administrations régionale et locale se sont refusées à rétablir l'électricité. Quand la vague de froid est arrivée, Ayuso a surenchéri en ajoutant qu'elle ne comptait pas « démocratiser la délinquance ».

Manifestation devant le siège de Naturgy le 4 janvier 2021

Fin décembre, 4 500 habitants de la Cañada étaient privés d'électricité depuis trois mois. Avec des très maigres salaires ou au chômage, ils essaient d'acheter assez d'essence pour se chauffer avec des groupes électrogènes. Ils se rassemblent chaque jour, leurs enfants confectionnent des affiches et même les Nations Unies se prononcent, mais leur situation reste largement occultée dans le raz-de-marée médiatique sur le coronavirus ou sur les USA. La situation devient dramatique pour les enfants : à l'école, leurs camarades se moquent d'eux quand ils n'ont pas pris de douche. À la maison, ils font leurs devoirs à la bougie et ils ont froid en permanence. Les administrations madrilènes refusent même toute rencontre avec ces habitants « illégaux ».

"Nous ne voulons pas d'auberges, nous avons nos logements. Nous voulons payer la lumière! Solution maintenant!!!" Source: Yo Soy Cañada

Début janvier, la vague de froid la plus terrible des dernières 50 années s'abat sur Madrid. La Cañada atteint -10ºC et les habitants sans électricité risquent leurs vies. La gauche de l'Unidad Popular commence à se prononcer timidement au niveau national. La mairie de Madrid propose à une centaine d'habitants d'être relogés dans une usine abandonnée dont le groupe électrogène cesse rapidement de fonctionner par manque d'essence. Mais les habitants ne veulent pas quitter leurs maisons ; d'après eux, c'est l'énième ruse pour les expulser de chez eux sans compensation ni relogement.

Habitant transportant un groupe électrogène

Début janvier, plusieurs bébés sont hospitalisés pour pneumonie, une fillette de trois ans est hospitalisée pour hypothermie et un homme de 74 ans sans problèmes de santé meurt soudainement. L'entreprise Naturgy commence redouter la publicité négative et s'offre à rétablir le courant si les administrations régionale et locale donnent le feu vert. Mais rien de concret n'est encore fait. Le 14 janvier, la Cañada continue à geler sous la neige et sans électricité.

Il faudrait peut-être en parler en dehors de l'Espagne.

"Je veux être comme tout le monde-Cañada Unie"

"Nous avons les mêmes droits que les enfants du monde"

 Suivre sur Facebook

Courtesy of  Tlaxcala
Publication date of original article: 15/01/2021

 tlaxcala-int.org

 Commenter