02/07/2022 les-crises.fr  8 min #211324

L'horrible campagne de Clinton en 2016 a aggravé nos relations avec la Russie

Des révélations récentes prouvent qu'Hillary Clinton a joué un rôle direct dans la diffusion des accusations, aujourd'hui discréditées, qui ont alimenté la frénésie du Russiagate - un épisode qui a rendu encore plus difficile la tâche déjà ardue de mener une politique rationnelle vis-à-vis de la Russie.

Source :  Jacobin Mag, Branko Marcetic
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Hillary Clinton s'adressant à une foule à Raleigh, en Caroline du Nord, lors de sa campagne présidentielle en 2016. Logan Cyrus / AFP via Getty Images)

Dans le système médiatique américain bipolaire d'aujourd'hui, les organes de presse les plus favorables aux Démocrates et aux Républicains, respectivement, ont tendance à se concentrer sur les scandales du parti opposé, ce qui signifie qu'une ou plusieurs parties du public passent constamment à côté des informations essentielles.

Prenez certaines des révélations qui ont été faites dans le cadre de l'enquête de l'avocat spécial John Durham, créée par l'ancien procureur général William Barr dans les derniers jours de l'administration de Donald Trump pour explorer les origines de l'enquête Trump-Russie qui a obsédé l'establishment pendant des années. Largement couverte par la sphère médiatique de droite, un nombre comparativement plus faible de consommateurs d'informations de gauche sont probablement au courant de leur existence. Ce qui signifie qu'ils ne sont pas non plus au courant des nouvelles informations sur le rôle direct d'Hillary Clinton dans la fomentation des terribles relations entre les États-Unis et la Russie qui nous ont maintenant rapprochés de manière alarmante du péril nucléaire.

Les révélations qui ont fait les gros titres les plus récents et les plus sensationnels ont trait à l'histoire de la banque Trump-Alfa, dont vous vous souvenez peut-être comme l'un des premiers scandales clés établissant l'idée d'un lien entre Trump et la Russie dans l'imagination du public pendant l'élection de 2016, et contribuant à jeter les bases de ce que nous connaissons sous le nom de Russiagate.

L'accusation était que la communication, ou pinging, entre un serveur qui hébergeait une adresse de domaine de l'organisation Trump et un serveur appartenant à la banque russe Alfa Bank laissait supposer l'existence d'un backchannel, ou selon les termes de la campagne Clinton, d'une « hotline secrète » entre Trump et Moscou. Les nombreuses enquêtes qui ont suivi n'ont rien donné et de nombreux médias ont refusé de reprendre l'affaire. À l'époque et depuis, les observateurs ont proposé des explications plus anodines pour cette activité.

En tout cas, la bombe qui a obsédé les médias conservateurs ces dernières semaines est que Clinton elle-même était personnellement impliquée dans la diffusion de l'histoire, pour être charitable, non prouvée. Robby Mook, acolyte de longue date de Clinton et directeur de la campagne 2016, a déclaré qu'après avoir accepté, avec d'autres hauts responsables de la campagne, de diffuser l'histoire de l'Alfa Bank à la presse, ils en ont « discuté avec Hillary, qui a approuvé la décision ». Mook et l'ancien conseiller général de la campagne Clinton, Marc Elias, ont tous deux déclaré qu'ils voulaient spécifiquement diffuser l'histoire par le biais de la presse, plutôt que de s'adresser aux autorités.

« S'adresser au FBI ne semble pas être un moyen efficace de diffuser des informations au public, a déclaré Mook. Vous le faites par le biais des médias. »

Le reste est dans les archives publiques. Une fois l'histoire publiée, la campagne en a fait la promotion et l'a présentée comme « le lien le plus direct à ce jour entre Donald Trump et Moscou », sans, bien sûr, reconnaître son propre rôle dans sa divulgation au public. Le rapport, combiné à une foule d'autres reportages douteux qui ont suivi, a contribué à établir le scandale du Russiagate qui a pratiquement dominé la politique pendant les trois années suivantes.

Le pire, c'est que, selon l'acte d'accusation prononcé par les procureurs dans l'affaire particulière dont ce témoignage est issu, l'un des chercheurs qui a travaillé sur l'histoire était très explicite sur ses doutes à ce sujet. « Supposons à nouveau qu'ils ne soient pas assez intelligents pour réfuter notre scénario, dans le meilleur des cas, a-t-il écrit. Vous vous rendez compte que nous devrons dévoiler toutes les astuces que nous avons utilisées pour ne serait-ce que faire une association tirée par les cheveux ? La seule chose qui nous motive à ce stade est que nous n'aimons pas [Trump]. Cela ne passera pas aux yeux de l'opinion publique. Les amis, nous regardons le problème par le mauvais bout de la lorgnette. Il est temps de se regrouper ! »

C'est déjà assez mauvais. Mais ces dernières révélations viennent s'ajouter à plusieurs autres dont nous avons eu connaissance précédemment. En octobre 2020, le directeur du renseignement national de l'époque, John Ratcliffe, a déclassifié les notes manuscrites caviardées du briefing de l'ancien directeur de la CIA, John Brennan, au président Barack Obama, dans lesquelles il mettait en garde contre « l'approbation présumée par Hillary Clinton, le 28 juillet, d'une proposition de l'un de ses conseillers en politique étrangère visant à vilipender Donald Trump en provoquant un scandale prétendant l'ingérence des services de sécurité russes. »

D'autres déclassifications ont montré qu'en septembre 2016, des responsables du renseignement ont envoyé au FBI un rapport d'enquête sur « l'approbation par Hillary Clinton d'un plan concernant le candidat à la présidence des États-Unis Donald Trump et des pirates informatiques russes entravant les élections américaines comme moyen de distraire le public de son utilisation d'un serveur de messagerie privé. » Tout cela se situe encore plus maladroitement au-dessus de toutes les révélations sur l'implication profonde de la campagne Clinton dans le dossier Steele maintenant discrédité et truffé de conneries, probablement la pièce la plus fondamentale de tout le scandale du Russiagate.

Par ailleurs, il semblerait que le conseiller en politique étrangère qui aurait proposé d'alimenter le scandale du Russiagate soit le fidèle Jake Sullivan, qui avait à l'époque diffusé l'histoire de l'Alfa Bank. Sullivan est maintenant le conseiller à la Sécurité nationale du président Biden, ce qui signifie qu'il est au cœur des choix politiques actuels de l'administration concernant la Russie et la guerre en Ukraine.

Pour la droite, l'histoire est importante car elle révèle l'anatomie d'une campagne démocrate de coups bas, une tentative d'utiliser des fuites anonymes dans la presse et des collectes de renseignements dans l'ombre pour saper un président élu et jeter le doute sur la légitimité d'une élection ; bien qu'il soit un peu fort de café que ces plaintes proviennent du Parti républicain, qui a une histoire chargée d'utilisation d'exactement les mêmes types de techniques (y compris en 2020 et lors des prochains midterms à venir).

La signification plus profonde de cet épisode est, à mon avis, ailleurs. La conséquence la plus grave et la plus durable du fiasco du Russiagate est qu'en liant les perceptions publiques de la Russie à la guerre partisane intérieure empoisonnée de l'Amérique, il a contribué à envoyer les relations américano-russes, déjà mauvaises, vers de nouveaux abysses, avec des conséquences potentielles périlleuses pour les relations internationales en général et le risque de confrontation nucléaire en particulier. Aujourd'hui encore, les États-Unis sont uniques au monde dans la mesure où la « négociation » est un gros mot, une attitude qui, dans un renversement marqué par rapport aux années de la Guerre froide, est très majoritairement concentrée dans les cercles libéraux.

Trump, qui avait laissé entendre qu'il pourrait être ouvert à des relations plus amicales avec le pays, est rapidement devenu probablement le président anti-russe le plus agressif depuis la fin de la Guerre froide, déchirant les traités de contrôle des armements et augmentant les tensions avec le pays en prenant des mesures considérées auparavant comme impensables et trop provocantes pour être prises. Un fait qui n'est toujours pas vraiment reconnu par la plupart des libéraux bien intentionnés, parce que les médias ont choisi de se fixer exclusivement sur ce que Trump a dit, et non sur ce qu'il a réellement fait.

Clinton et son équipe ne méritent pas tout le blâme pour cela. De nombreux politiciens et médias ont attisé l'hystérie Trump-Russie qui nous a conduits à ce moment pour faire de l'audience et attirer l'attention, et ils l'ont fait pendant des années. Mais c'est Clinton qui a mis le feu aux poudres, et le plus déprimant, c'est que si elle avait mené une campagne à moitié moins compétente - ou si elle avait pris la peine de faire campagne dans la Rust Belt - tout cela aurait pu être évité. Et nous pensions tous que la défaite face à Trump était la pire chose à retenir de cette épouvantable campagne de 2016.

A propos de l'auteur

Branko Marcetic est un des rédacteurs de Jacobin, il est aussi l'auteur de Yesterday's Man : The Case Against Joe Biden [L'homme du passé, le dossier contre Joe Biden, NdT]. Il vit à Chicago, dans l'Illinois.

Source :  Jacobin Mag, Branko Marcetic, 13-06-2022

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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