03/07/2022 arretsurinfo.ch  7 min #211389

Le magazine Blast accuse Bernard Henri Levy d'avoir touché 9 millions de la part du Qatar en contrepartie de son appui dans le déclenchement de la guerre en Libye

Justice : Bhl débouté contre Blast

Les journalistes traditionnels ne cessent de solliciter la parole de ce personnage manichéen qui a trempé dans toutes les guerres et crimes de l'Occident contre le reste du monde

Source:  Blast-info.fr

Le jugement est tombé un peu après 16 heures au greffe du TGI de Paris : la 17ème chambre déboute BHL de sa plainte par laquelle il entendait faire censurer les premières révélations de notre enquête sur l'argent noir du Qatar - dont ce volet le concerne directement. Les juges reconnaissent de fait la légitimité de notre travail. Ils condamnent par ailleurs Bernard Henry-Lévy, qui avait refusé de nous répondre, à 3 000 euros au titre de l'article 700 (code de procédure civile).

L'attente a duré, plus que prévu. Au greffe, ce mercredi, où Me Julien Kahn, l'avocat de Blast retenu par le procès des attentats du 13 novembre avait délégué une collaboratrice, il a fallu patienter. Une trentaine de minutes longues comme l'éternité dues à une panne informatique, avant que la nouvelle ne tombe.

La fureur de BHL

La 17ème chambre du tribunal de Paris, compétente pour les affaires de presse, déboute Bernard Henry-Lévy. En cause un article mis en ligne sur notre site le 29 avril 2021, intitulé «   Qatar Connection : les documents qui visent Carla Bruni Sarkozy, BHL et Laurent Platini ». Après sa parution, le 3 mai, le philosophe avait assigné Blast et son directeur de publication, Denis Robert. Il demandait à la justice de les condamner solidairement à 100 000 euros de dommages et intérêts. Par ailleurs, il réclamait le retrait de l'article, sous astreinte.

Crédit photo: Wikipedia

Bernard Henry-Lévy considérait notamment comme « gravement » attentatoire à son honneur et sa considération nos révélations sur un courrier du ministre qatari des Finances. Un document signé le 25 octobre 2011. Dans celui-ci, le ministre informait le directeur du Trésor de l'émirat « qu'un chèque certifié de 40 millions de riyals qataris (environ 9,1 millions d'euros, à la parité actuelle) [devait] être remis à Bernard Henry-Lévy. Sur ordre de l'émir ».

La 17ème chambre, réceptive aux arguments de Blast et de son avocat, n'a pas suivi les demandes du plaignant.

Lors de l'audience tenue le 16 juin, la discussion s'était concentrée sur cette dimension prétendument diffamatoire de notre travail, que nous contestions. « Il sera observé, écrivent les magistrats dans leur jugement, qu'à ce stade aucun fait n'est imputé à Bernard Henry-Lévy autre que l'insinuation qu'il ait pu recevoir de l'argent de la part d'un Etat étranger, dont les relations avec la France et les investissements dans le pays sont notoires ». Dans notre article, nous en étions restés là, puisque rien ne permettait d'affirmer - aucun élément en notre possession à ce stade - que ce versement avait été acté. Par ailleurs, et jusqu'à preuve du contraire, il n'y a rien d'illégal dans le fait de recevoir un chèque d'un Etat étranger, ce que nous avions d'ailleurs soulevé à la barre pour souligner l'irrecevabilité de la plainte.

Une fois les éléments du litige ainsi qualifié, le tribunal se prononce. « Ce fait, s'il est précis, peut-ton lire par ailleurs dans les minutes du jugement, n'est pas contraire à l'honneur et à la considération, notions dont il doit être rappelé qu'elles ne doivent pas s'apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives du demandeur, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l'allégation litigieuse ». Cinglant.

Porte-parole autoproclamé de la rébellion libyenne

Pour fonder leur opinion, les juges se sont également penchés sur le décryptage mettant en perspective la révélation (et la publication) de ce document. S'interrogeant sur les raisons d'une telle prodigalité, Thierry Gadault et Bernard Nicolas, les auteurs, rappelaient que BHL, « porte-parole autoproclamé de la rébellion libyenne », avait à l'époque pesé « de tout son poids pour convaincre le président Sarkozy d'engager la France militairement [en Lybie], sous couvert d'une opération autorisée par l'ONU ». Nous précisions encore, pour tenter de percer le mystère, qu'une « autre version [circulait] dans les milieux du renseignement ». Selon laquelle, « la chute du colonel Kadhafi aurait été imaginée, préparée et organisée par Doha, la capitale du Qatar ». Pour y parvenir, le régime qatari aurait « utilisé les grands pays occidentaux, à commencer par la France, pour mettre son plan à exécution et faire la sale besogne ».

Sarkozy en 2010. Crédit photo Wikipedia

Sur cette analyse qui met en perspective l'existence de cet ordre de paiement officiel et l'action menée par BHL en Lybie, jusqu'à la chute du colonel Kadhafi, le jugement (les minutes...) complète le tableau : « Il est dès lors insinué dans l'article que les prises de position du demandeur [BHL], « en faveur des Droits de l'Homme dans les conflits qui ont marqué la fin du XXème siècle et le début du XXIème siècle », selon les conclusions en demande, « dans la politique de la France d'avantager les rebelles du CNT face aux forces loyalistes et aux autres factions d'opposition » selon les conclusions en défense, auraient eu pour inspiration « ce plan » du Qatar. »

Pas un caractère diffamatoire

Des précisions qui avaient achevé de rendre le plaignant furieux. Mais là encore, la justice refuse de lui donner raison. « Toutefois, s'interroger sur les raisons qui ont poussé Bernard-Henri LEVY à prendre position, en 2011, sur les évènements alors en cours en Libye, qu'il s'agisse de sa judéité, de son désir de protection de la population locale ou de son appui à la politique qatarie, ne constitue pas l'articulation d'un fait précis qui serait susceptible de faire sans difficulté l'objet d'un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité ».

Pour le dire clairement, la presse est parfaitement dans son rôle et son droit, n'en déplaise au patron de la biennommée revue La règle du jeu, quand elle commente les affaires du monde, y compris quand celui-ci s'y invite.

Ce travail de décryptage, note le tribunal, relève « d'une déduction », « voire d'un procès d'intention », « dont la vérité est impossible à prouver ». « Sa pertinence peut être librement débattue » », estiment les juges, mais « il n'appartient pas au tribunal de se prononcer sur la pertinence des opinions, même si elles peuvent légitimement heurter ».

De fait, concluent la décision du jour, « le passage ne présentant pas un caractère diffamatoire, le tribunal déboutera Bernard-Henri LEVY de l'ensemble de ses demandes ».

Pour Bernard Henry-Lévy et son avocat Me Alain Jacubowicz, la gifle est cuisante. Au titre de l'article 700 du code de procédure civile, le premier est par ailleurs condamné à payer 3 000 euros à Blast et à Denis Robert, pour les « frais irrépétibles qu'ils ont dû exposer pour la défense de leur intérêt ». Un retour à l'envoyeur puisque BHL avait également demandé que lui soit versé encore 15 000 euros, au titre du même article.

* Bernard Henry-Lévy a décidé de faire appel (source : le Monde)

Poursuivre :

La minute du jugement

Lire et relire les différents volets de notre enquête sur le Qatar :

 Qatar connection, les documents qui visent Carla Bruni-Sarkozy, BHL et Laurent Platini

 Jours tranquilles à Tripoli

 Qatar connection : deux ministres au coeur de l'affaire

 Qatar connection : BHL au centre du jeu qatari

 Qatar connection : comment le Qatar s'est offert la coupe du monde 2022

 Qatar connection : le courrier qui accable Doha dans le financement du terrorisme au sahel

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