27/03/2023 basta.media  6 min #226152

Pour ravitailler les grévistes : une alliance entre paysans, cantines collectives et salariés en lutte

Des produits frais et locaux sont distribués sur les piquets de grève de Touraine. Objectif : aider les salariés en lutte à tenir et favoriser les discussions entre mondes ouvrier et paysan. A la manœuvre : une cantine, La Louche finale.

Ces paniers de fruits et légumes locaux réchauffent les cœurs des grévistes, et celui de Romain Henry, paysan, qui assure la distribution aux cheminots. « Ravitailler les piquets de grève est essentiel pour construire un rapport de forces victorieux sur le terrain », estime le porte-parole de la Confédération paysanne d'Indre-et-Loire.

60 paniers de légumes, pain, pommes et fromages de brebis ont ainsi été livrés le 7 mars aux soixante grévistes du technicentre SNCF de Saint-Pierre-des-Corps, à côté de Tours. « On organise le soutien avec un sens énorme de solidarité. Les collègues savent la valeur qu'il y a dans le panier, ça a beaucoup de sens de faire ça », ajoute l'agriculteur.

Le 14 mars, c'était au tour des gaziers en grève sur le site de Storengy à Céré-la-Ronde de bénéficier de denrées produites localement. Et le 20 mars, les grévistes de la centrale nucléaire de Chinon ont vu ainsi leur petit déjeuner offert sur le piquet de grève qu'ils tenaient.

Livraison le 14 mars 2023 de denrées locales sur le site de Storengy à Céré-la-Ronde, qui occupe une place stratégique dans l'approvisionnement en gaz naturel de Paris, Lyon, Nantes et du Sud de la France.

©Yoan Jäger-StuhlJ/Divergence

Au cœur de cette logistique se trouve La Louche finale, une cantine de luttes créée fin 2022 en Touraine. « La Louche finale a organisé la collecte à prix coûtant des produits de nos fermes », explique Romain Henry. « On veut être un outil d'appui à des moments de luttes », précise Violette*, bénévole à la Louche finale.

Défendre un modèle paysan

La structure a un souci constant : soutenir les productrices et producteurs locaux en s'approvisionnant en priorité auprès d'eux et en les rémunérant. « Il s'agit de défendre un modèle paysan avec ce qu'on cuisine. » À chaque mobilisation depuis le 19 janvier 2023, des fermes locales d'Indre-et-Loire approvisionnent via cette cantine le mouvement social.

L'idée d'approvisionner les lieux de luttes remonte, dans la région, à 2019 lors du mouvement d'alors contre la réforme des retraites, qui voulait instaurer une retraite à points. « Les mobilisations de convergence étaient très fortes, se souvient Romain Henry. On savait qu'on ne pouvait pas quitter nos fermes, car les seules personnes qu'on allait bloquer, c'était nous-mêmes. Mais on était plusieurs collègues paysans à vouloir contribuer en approvisionnant les piquets de grève, soit en dons, soit en prix coûtant. » Avec cette conviction : « Les grandes conquêtes sociales se sont faites quand les mouvements paysans et les ouvriers ont été ensemble. Nos luttes paysannes sont les mêmes que celles des salariés, il faut s'unir. »

Si la grève prit fin en décembre 2019, la dynamique s'est poursuivie avec l'organisation d'un immense banquet populaire dans les rues de Tours. Plus de 500 repas sont alors assurés, une radio des luttes accompagne le mouvement, des conférences d'éducation populaire se multiplient ainsi que des concerts dans les rues, avec des prix libres qui alimentent les caisses de grève. Le collectif FestiLuttes en Touraine naît de cette dynamique.

« L'abandon de la réforme des retraites à points a suspendu tout cela, mais quand Macron est reparti avec cette réforme, on a embrayé directement, explique Romain Henry. On savait qu'on n'avait pas les moyens d'organiser nous-mêmes des repas, et qu'on avait besoin d'intermédiaires entre nos fermes et les lieux de luttes pour approvisionner. »

Logistique de la cuisine

C'est finalement un collectif militant, La Louche finale, qui se monte fin 2022 pour être l'intermédiaire entre les fermes et les lieux de luttes. « La Louche finale est née de la volonté d'un collectif militant à Tours d'assurer un soutien logistique pour les événements militants en s'occupant de la logistique cuisine de façon bénévole et les services de repas sur différentes manifestations et événements, explique Vince*. C'est monté en puissance grâce au mouvement contre la réforme des retraites. » « On est sur quasiment toutes les manifs qui ont lieu à Tours pour servir des soupes, des fromages, des crêpes, du pain et du café à prix libre », ajoute Violette.

La Louche finale repose sur un collectif de volontaires. « Il y a une équipe de bénévoles pour faire la cuisine la veille de l'événement et une équipe pour assurer le service le lendemain », détaille Vince. Si le collectif est très demandé pour assurer des repas, de plus en plus de manifestants se portent volontaires pour aider à la logistique. On est aussi ouverts aux dons de matériel de cuisine », précise le bénévole [1].

Distribution de paniers

La Louche finale oscille entre dons, prix libre et prix coûtant. « Ce qui est important pour nous, c'est que ce soit des prix libres pour les manifs. Les gens mettent et prennent ce qu'ils veulent », insiste Violette. Ce mode autogestionnaire a rapidement permis de générer une économie permettant à La Louche finale de s'équiper en matériel pour cuisiner, et de rémunérer les productrices et producteurs.

« L'argent supplémentaire dégagé nous a également permis d'organiser la distribution de paniers de fruits et légumes pour les gens faisant des piquets », note Vince. Le principe ressemble à celui des Amap (associations de maintien pour l'agriculture paysanne) : « On collecte les produits chez les paysans qu'on rémunère. Parfois, les productrices et producteurs nous font un prix réduit ou militant, mais ce n'est pas obligé : on a à cœur de rémunérer les paysans pour leur travail. On distribue ensuite ces paniers individuellement à chaque gréviste. Tout cela est financé par les surplus du prix libre. »

Depuis quelques semaines, La Louche finale assure aussi des petits déjeuners sur des piquets de grève. « On sait que les meilleures discussions ont lieu près de la machine à café, remarque Romain Henry. Créer de la convivialité permet à des gens à la fin de rester et de poursuivre la lutte. On crée les possibilités pour des personnes de s'investir et de contribuer. »

Sophie Chapelle

*Le prénom a été modifié

Photo de une : Livraison au technicentre SNCF de Saint Pierre des Corps, le 7 mars 2023. ©Yoan Jäger-StuhlJ/Divergence

Notes

[1] Pour les contacter, écrire à lalouchefinale@proton.me

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newsnet 2023-03-27 #13125

ow, joli
graine de système