14/11/2025 reseauinternational.net  4min #296227

La déculpabilisation du désir d'hégémonie allemand

par Jean-Pierre Aussant

Si en 1990, Bush (senior), Gorbatchev et Mitterrand avaient su que trente ans plus tard un chancelier allemand (Merz au Bundestag le 14 mai 2025) affirmerait son ambition de faire de l'armée allemande la plus puissante d'Europe (armée conventionnelle mais quand même...), ils n'auraient certainement pas été d'accord avec la réunification de ce pays. Madame Thatcher, en revanche, femme cultivée, de caractère et qui connaissait l'âme germanique mieux que les autres, dès le début se montra réticente. C'est qu'elle savait bien qu'au-delà des apparences provisoirement changeantes en fonction des intérêts à court terme (que pouvait faire l'Allemagne en 1945 sinon se montrer très conciliante avec les alliés, elle, qui aurait pu craindre alors les pires représailles après 5 ans de fureur nazie), l'âme d'une nation transcende le temps et les contingences et tôt ou tard resurgit de ses cendres.

Or l'âme de l'Allemagne est de dominer les autres nations dès que les circonstances le lui permettent. Non pas que les Allemands soient intrinsèquement méchants car pris individuellement, moi qui vis dans ce pays depuis une quinzaine d'années je peux le confirmer, l'Allemand moyen vaut bien le Français, l'Italien ou l'Anglais moyen. Il n'est ni mieux ni pire que les autres. Non, le problème se situe parmi les élites qui gouvernent le pays. Il y a dans ces cercles un éternel désir de revanche. C'est que l'Allemagne, contrairement à la France qui sera la grande puissance continentale pendant tout le Moyen-Âge) a raté le train de l'histoire en passant à côté de sa première unification à la mort de Charlemagne. Il faudra attendre 1000 ans pour que Bismarck réussisse enfin à unir les principautés en ayant d'ailleurs besoin pour cela de diaboliser la France. Oui, l'Allemagne souffre en réalité non pas d'un complexe de supériorité comme on pourrait le croire de prime abord mais bien d'un complexe d'infériorité civilisationnel. L'Allemagne n'en finit pas de vouloir se prouver quelque chose à elle et aux autres. C'est cela le moteur de son nationalisme (voir mon article de fond sur les vraies raisons du nationalisme allemand). 1

Certes, que le chancelier Merz choisisse précisément ce moment de crise que nous connaissons en Europe et dans le monde pour afficher le retour décomplexé du rêve d'hégémonie germanique, est compréhensible. Bien comprise, la crise actuelle est du pain béni pour l'émancipation de l'Allemagne, et ce, pour au moins cinq raisons fondamentales qui s'enchevêtrent mutuellement. Ces raisons étant bien sûr des prétextes que l'Allemagne exploite à la perfection.

L'invasion de l'Ukraine par la grande Russie (Nous ne débattons pas ici de la justesse ou non de cette guerre, cela est un autre débat).

Le désengagement des États-Unis dans les affaires de défense européenne (en tout cas perçu comme tel)

Aucun chef d'État en Europe n'a la carrure pour une vraie mise au point avec l'Allemagne. Il nous manque terriblement une Margaret Thatcher... (les Allemands le savent)

La sortie de la Grande-Bretagne de l'UE qui laisse la France seule face à l'Allemagne, une France affaiblie qui est de surcroît gouvernée non seulement par des nains (au sens propre et figuré) mais des nains à siège éjectable qui sont remplacés tous les deux mois.

Enfin la cerise sur le gâteau, Madame von der Leyen, l'odieuse présidente du Conseil européen qui a réussi à littéralement inhiber les autres chefs d'État, et qui ne travaille que pour ses compatriotes (pensons au coup de poignard contre la France dans les accords EU-Mercosur, accords qui avantagent l'Allemagne au détriment de la France) sans que personne n'ose lui en faire le moindre reproche.

Oui, la question allemande est à nouveau en train de pointer son nez. L'Allemagne qui, bien que n'ayant pas la bombe atomique se comporte déjà en maître (imaginons un peu si c'était le contraire, si l'Allemagne avait la bombe et que la France ne l'ait pas. Comment alors se comporteraient-ils, les gens de l'establishment d'outre-Rhin ?).

Alors, que faire ? Faut-il se résigner ?

Non, bien sûr que non. Ce qu'il faut, c'est accepter de retourner au réel. J'aurais envie de dire, il faut faire ce que les Allemands feraient, s'ils étaient à notre place. C'est-à-dire, penser aux rapports de force militaires et au réel.

Il faudrait leur dire : «Vous êtes bien gentils les gars mais suite à vos deux dernières guerres que vous avez perdues, suite à l'abominable aide que vous avez apportée à l'Empire ottoman dans son génocide contre les Arméniens, et surtout suite à l'horreur du nazisme, cette inouïe rupture de civilisation, nous ne voulons pas que vous deveniez la puissance dominante en Europe. Tout en voulant être amis avec vous et tout en reconnaissant vos qualités, nous pensons que d'un point de vue civilisationnel, vous ne le méritez pas. Et n'oubliez pas, chers Allemands, vous qui aimez tant la «realpolitik» sans bla, bla, que c'est nous, et non pas vous, qui avons les 300 têtes nucléaires».

Voilà ce qu'il faudrait leur dire. Il faut juste trouver un chef d'État qui en soit capable ; c'est-à-dire un chef d'état ayant la France dans la peau. Et là, ce n'est pas gagné.

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