
Par Andrew P. Napolitano, le 13 novembre 2025
Andrew P. Napolitano réagit à une note de service de Donald Trump qualifiant l'antifascisme - en tant qu'idéologie - d'"organisation" terroriste nationale, ordonnant aux forces de l'ordre fédérales de disperser ses rassemblements.
Alors que l'attention du pays est focalisée sur l'arrêt des activités du gouvernement fédéral, le président Donald Trump a signé le Mémorandum présidentiel sur la sécurité nationale 7 (NSPM-7), qui désigne le mouvement antifa comme "organisation terroriste nationale", et ordonne aux forces de l'ordre fédérales de réprimer ses rassemblements et ceux de ses partisans.
L'essentiel de ce mémorandum reflète l'opinion du président selon laquelle les États-Unis sont menacés par un ennemi intérieur composé d'Américains qui haïssent le christianisme, le capitalisme et les valeurs américaines. Il estime qu'il est du devoir du gouvernement fédéral de restreindre la liberté d'expression de ces individus, car leurs discours auraient tendance à inciter à la violence.
Voici le contexte.
En vertu du Sedition Act de 1918, le président Woodrow Wilson a fait arrêter des citoyens pour avoir critiqué l'implication des États-Unis dans la Première Guerre mondiale, notamment lors d'un incident tristement célèbre au cours duquel il a fait arrêter certains de ses anciens étudiants de l'université de Princeton pour avoir lu la Déclaration d'indépendance à haute voix devant les bureaux de recrutement de Trenton, dans le New Jersey. Son ministère de la Justice a convaincu les tribunaux que les discours incitant à la violence devaient être passibles de poursuites.
En vertu de cette loi, abrogée par la suite, plus de deux mille Américains ont été poursuivis pour s'être opposés à la participation des États-Unis à la Première Guerre mondiale.
Les discours en question étaient ceux qui, comme on s'en doute, incitaient à la violence. Dans une série d'affaires jugées par la Cour suprême et finalement invalidées en 1969, la jurisprudence américaine a autorisé le gouvernement à poursuivre les discours à tendance subversive, appelés plus tard "discours constituant un danger manifeste et imminent", même si l'objectif de ces discours n'a jamais donné lieu à des troubles.
Brandenburg c. Ohio
Des Antifas lors d'un rassemblement anti-Trump en 2017 (© Monica D. Spencer/Wikimedia Commons/CC BY 2.0)
En 1969, la Cour suprême a rejeté à l'unanimité 50 ans de restrictions judiciaires de la liberté d'expression dans l'affaire Brandenburg c. Ohio. Dans cette affaire, un dirigeant du Ku Klux Klan a publiquement condamné les Noirs et les Juifs, appelant ouvertement à la violence pour reprendre le pouvoir. Brandenburg a été condamné pour activisme criminel - essentiellement pour avoir prôné la violence à des fins politiques, comme l'ont fait les révolutionnaires américains - par un tribunal de l'Ohio, et sa condamnation a été confirmée.
La Cour suprême a alors unanimement invalidé les lois fédérales et étatiques sur l'incitation à la violence. Elle a ainsi rejeté les critères de préjugé et de danger clair et imminent, et posé les bases de la conception moderne des limites du discours public.
La décision Brandenburg prévoit que toute expression inoffensive est protégée contre les poursuites judiciaires, et qu'une expression est dite sans danger lorsque la possibilité d'y répondre ou de la réfuter par d'autres discours reste ouverte. Cette décision a été confortée à de nombreuses reprises, dont récemment, l'année dernière, par l'actuelle Cour suprême.
Elle permet surtout aux orateurs publics d'exprimer tout ce qu'ils souhaitent, y compris d'inciter à la violence, à condition cependant que d'autres discours - qu'ils soient prononcés ou non - puissent contester l'orateur dans le temps imparti.
Le NSPM-7
Cour suprême des États-Unis à Washington, D.C. (Phil Roeder, Flickr, CC BY 2.0)
Penchons-nous à présent sur le NSPM-7, que le président a signé au début de cet automne. Ce document prétend revenir sur la règle Brandenburg et ramener l'Amérique à la dangereuse tendance qu'est la suppression de tout discours désapprouvé ou redouté par le gouvernement.
Heureusement, le président ne peut pas imposer de tels modifications aux conceptions judiciaires du droit à la liberté d'expression. Mais il a ordonné aux forces de l'ordre fédérales de faire taire les discours que son administration réprouve dès qu'ils sont exprimés, et, si possible, avant même qu'ils ne parviennent aux oreilles du public.
Le NSPM-7 soulève de nombreuses questions d'ordre constitutionnel.
Tout d'abord, pour censurer un discours, le gouvernement doit en évaluer le contenu. Or, la jurisprudence Brandenburg et ses extensions interdisent au gouvernement ce type d'évaluation.
L'objectif essentiel du Premier Amendement est d'encourager, de favoriser et de protéger les discours ouverts, sans restriction, critiques, même virulents, voire incendiaires, concernant les membres et les politiques du gouvernement.
Si le gouvernement pouvait légalement et constitutionnellement contrôler le contenu des discours et faire taire ceux qu'il désapprouve ou redoute, cet objectif - soit la valeur fondamentale qui sous-tend le Premier Amendement - serait menacé et le Premier Amendement perdrait toute utilité.
De plus, le NSPM-7 part du principe que les forces de l'ordre fédérales ont un rôle à jouer dans le débat public. Cette présomption s'avère également historiquement et constitutionnellement erronée. La constitution ne leur confère aucun rôle dans le débat public.
Selon le 10è Amendement, le domaine de la sécurité publique est réservé aux États, et ce, depuis leur adhésion à l'Union. Le gouvernement fédéral ne peut par exemple pas gérer le service postal, et il veut maintenant s'immiscer dans le libre-échange des idées !
Le gouvernement bénéficie-t-il de la liberté d'expression ? La réponse courte est non. La réponse approfondie révèle que la liberté d'expression, tout comme ses corollaires que sont la liberté de pensée, de presse, de réunion et de religion, est un droit naturel découlant de notre humanité. Ces droits ne peuvent donc être exercés que par des êtres humains.
Les responsables gouvernementaux, du président aux postes subalternes, peuvent bien sûr penser librement, s'exprimer et publier leurs opinions, tout comme nous. Mais ils ont interdiction de recourir aux leviers du pouvoir gouvernemental pour ce faire, car cette pratique serait de nature à nous réduire au silence.
Enfin, ce NSPM-7 s'attaque aux idées. Les agences gouvernementales du renseignement ont conclu que les Antifas constituent une idéologie, et non une organisation. Bien que cette idéologie puisse être antichrétienne, anticapitaliste et antiaméricaine, il ne s'agit que d'idées, et toute idée peut être légalement défendue par quiconque, et exprimée dans des discours et des écrits, quelles que soient les orthodoxies auxquelles elle s'oppose.
Ce concept de suppression de la liberté d'expression au motif qu'elle pourrait avoir des conséquences néfastes n'est pas sans rappeler celui adopté par les agents et les soldats britanniques qui fouillaient le domicile des colons sous prétexte d'y rechercher des documents gouvernementaux, alors qu'ils s'intéressaient en réalité aux écrits révolutionnaires.
La loi ne définit pas la notion d'organisation terroriste nationale, et le classement de l'Antifa dans la catégorie NSPM-7 est donc juridiquement sans fondement, et extrêmement inquiétant. Car le terrorisme consiste bel et bien à tuer des civils sur des embarcations en pleine mer sous prétexte qu'ils s'apprêteraient à commettre un crime, et à restreindre la liberté d'expression protégée par la Constitution américaine de peur qu'elle n'engendre la violence.
Mais où est donc passée l'application rigoureuse des lois ?
Traduit par Spirit of Free Speech
* Andrew P. Napolitano, ancien juge de la Cour supérieure du New Jersey, était analyste judiciaire senior chez Fox News Channel et anime le podcast Judging Freedom. Le juge Napolitano a écrit sept livres sur la Constitution américaine. Le plus récent est Suicide Pact: The Radical Expansion of Presidential Powers and the Lethal Threat to American Liberty. Pour en savoir plus sur le juge Andrew Napolitano, rendez-vous ici.