
par Paolo Hamidouche
TotalEnergies est sous le feu des critiques en France, son pays d'origine, suite à une plainte déposée par le Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR) auprès du Parquet national antiterroriste (PNAT). L'entreprise française pétrolière est accusée de complicité dans des crimes de guerre, des actes de torture et des disparitions forcées liés à ses activités au Mozambique. Dans ce pays, l'insurrection de l'État islamique à Cabo Delgado en 2021 a contraint le gouvernement de Maputo à une répression brutale. TotalEnergies est accusée d'avoir laissé se perpétrer des massacres de civils, souvent fuyant les hordes rebelles, sur les sites de ses installations.
Violences au Mozambique
En mars-avril 2021, l'attaque de l'État islamique contre Palma, ville de la province de Cabo Delgado, au nord du pays, à la frontière tanzanienne, a provoqué une onde de choc au Mozambique et contraint Total à suspendre ses activités dans le pays, menaçant de se retirer d'importants projets d'extraction de gaz naturel, essentiels à l'économie de Maputo. Depuis 2019, Total prévoyait un investissement massif pour la construction d'installations d'extraction de gaz naturel et d'un terminal d'exportation de gaz naturel liquéfié (GNL) sur la péninsule d'Afungi, dans la province de Cabo Delgado. Comme l'écrivait Politico.eu, ce projet, «avec le développement par ExxonMobil d'un second gisement gazier, était considéré comme le plus important investissement privé jamais réalisé en Afrique, pour un coût total de 50 milliards de dollars», mais il est au point mort depuis l'attaque de l'État islamique à Cabo Delgado, menée avec le soutien de volontaires somaliens d'Al-Shabaab.
Le projet Mozambique LNG, coentreprise d'extraction de gaz menée par Total, s'est heurté à l'opposition de l'État islamique, qui cherchait à provoquer l'effondrement économique du pays en ciblant ses régions productrices d'énergie. L'attaque de Palma a donc suscité une vive inquiétude chez Total et a servi d'électrochoc, déclenchant une contre-offensive mozambicaine vigoureuse, soutenue par des militants rwandais et des troupes fournies par la Tanzanie, l'Afrique du Sud, le Botswana et le Lesotho dans le cadre de la mission de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC).
Accusations contre Total
Selon la CEDH, la contre-offensive a entraîné des massacres que Total n'a pas su empêcher aux abords de ses sites. Dans son enquête pour Politico.eu, Alex Perry a révélé que des soldats de la Force opérationnelle conjointe, l'unité de l'armée mozambicaine chargée de la protection des opérations de Total, ont détenu des dizaines de civils dans des conditions inhumaines, enfermés dans des conteneurs, les ont battus, maltraités et tués. Ces civils avaient fui les tirs croisés des djihadistes, qu'ils accusaient d'être des sympathisants clandestins de l'État islamique. On estime à au moins 97 le nombre de victimes civiles, mais certaines sources évoquent le double. Des militants accusent Total d'avoir été au courant des événements, et Ecchr fait également état d'une autre enquête ouverte par le parquet de Nanterre sur les activités de Total au Mozambique.
En substance, l'entreprise basée à Courbevoie est accusée d'avoir fermé les yeux sur les agissements de l'armée mozambicaine, chargée de protéger ses actifs, dans le but d'éradiquer rapidement et sans ménagement le problème de Daech dans la région. Total nie toute responsabilité, et l'on ignore encore si le parquet français donnera suite à la plainte. Toutefois, cette plainte rouvre une plaie encore vive dans l'histoire africaine récente. Cabo Delgado a été, et demeure, le théâtre d'une guerre insurrectionnelle brutale sur tous les fronts.
Une guerre dévastatrice pour les civils.
D'une part, l'insurrection de Daech, menée localement par le commandant Abou Yasser Hassan, a alimenté le fanatisme religieux et l'aliénation des habitants de Cabo Delgado, province pauvre et délaissée du Mozambique, vis-à-vis du gouvernement central, et a engendré de violents massacres, notamment des décapitations de masse et le meurtre d'enfants. En revanche, le rétablissement de l'autorité légitime s'est souvent accompagné de violences généralisées, une simplification brutale qui a poussé l'armée mozambicaine et ses alliés à attaquer indifféremment adversaires et civils, avec un zèle qui pourrait paraître suspect si l'on ne tenait pas compte de leur volonté de rétablir rapidement le statu quo et, par conséquent, la situation énergétique. Au total, au moins 6000 morts ont été confirmés dans l'insurrection depuis 2017.
La plainte déposée contre Total intervient au moment même où le groupe énergétique français s'apprête à relancer le projet, soutenu par un prêt conséquent de 4,7 milliards de dollars de la Banque d'import-export des États-Unis, malgré l'opposition de la société civile dans de nombreux pays. Un tableau complexe se dessine, entre les souvenirs de violences non résolues et un système judiciaire qui tarde à se mettre en place. Une chose est sûre : à Cabo Delgado, les civils sont soit victimes de dynamiques violentes, soit simples figurants dans un vaste jeu d'influence et de violence qui semble de plus en plus difficile à appréhender.
source : Stratpol