Mouvement de la jeunesse palestinienne, 1er décembre 2025.- Il y a quarante-trois ans, le soir du 16 septembre 1982, les forces israéliennes assiégeaient les camps de Sabra et Chatila à Beyrouth. Les 48 heures qui suivirent furent un épisode tragique de notre longue lutte contre le sionisme, l'impérialisme occidental et les puissances réactionnaires arabes. Loin d'être un acte de barbarie isolé, cette atrocité illustrait parfaitement la logique structurelle de l'impérialisme américain et du projet colonial sioniste : l'élimination des populations autochtones n'y est pas un simple fait, mais un élément central du maintien de la domination politique et économique.
Fedayeen du Fateh lors d'un rassemblement à Beyrouth, au Liban (Source Wikipedia.org)
Quelques semaines auparavant, l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) avait été expulsée du Liban sous l'égide des États-Unis. Washington avait garanti la « sécurité » des camps tout en autorisant discrètement l'armée sioniste et ses alliés phalangistes à s'y installer après le départ des combattants palestiniens.
La guerre civile libanaise, avec son héritage colonial, ses milices sectaires et ses factions soutenues de l'extérieur, a offert un terrain propice à cette stratégie. Lorsque Bachir Gemayel, le président phalangiste soutenu par la CIA et le Mossad, a été assassiné, les responsables sionistes se sont empressés d'en accuser les Palestiniens, fournissant ainsi un prétexte au massacre.
Ce qui a rendu le massacre possible, ce n'est pas seulement la collusion israélo-phalangiste, mais aussi l'absence de l'OLP elle-même. Pendant des années, l'OLP avait protégé et mobilisé les camps de réfugiés au Liban, servant à la fois de bouclier et d'horizon politique pour la libération palestinienne. Son expulsion n'était pas seulement l'œuvre d'Israël ou des États-Unis ; elle a également été facilitée par des régimes réactionnaires arabes. En 1982, par exemple, la Syrie d'Hafez al-Assad s'est érigée en championne de la cause palestinienne tout en œuvrant à contenir et à affaiblir l'OLP, refusant d'affronter Israël de front lors du siège de Beyrouth et exposant ainsi les camps à des massacres.
Les leçons de 1982 résonnent encore aujourd'hui. Nous assistons à la mise en œuvre du même projet régional, impulsé par la même constellation de puissances (États-Unis, pays du Golfe et alliés), visant à isoler et à démanteler les fronts de libération et à maintenir l'ordre néocolonial. Ce projet repose sur le désarmement des mouvements antisystémiques et la refonte des institutions étatiques afin de calmer les revendications populaires d'autodétermination.
En septembre dernier, des pays comme le Royaume-Uni, la France et le Canada ont reconnu un « État » palestinien, une reconnaissance explicitement conditionnée au désarmement palestinien. Au Liban, des appels similaires, soutenus par les pays du Golfe et l'Occident, à désarmer la résistance sont présentés comme une tentative de (re)établir la « souveraineté » libanaise. En pratique, ils visent à transformer l'État libanais en un appareil docile, aligné sur l'extérieur : un réservoir de main-d'œuvre, une plateforme d'investissement et une force armée sélectivement orientée vers le maintien de l'ordre intérieur plutôt que vers la défense nationale.
Les appels à confier la protection du territoire libanais aux Forces armées libanaises (FAL) s'inscrivent dans une rhétorique de protection nationale, mais ce dispositif fait écho au contexte palestinien.
Dans les deux cas, la reconnaissance de la souveraineté est conditionnelle et se maintient grâce à l'aide militaire étrangère et à l'obéissance aux puissances mêmes qui soutiennent Israël.
La reconnaissance européenne de l'État palestinien n'est proposée qu'en contrepartie d'exigences telles que le désarmement, une restructuration néolibérale des institutions étatiques et la protection de la sécurité d'Israël. De même, la prétendue autonomie des Forces armées libanaises est compromise par leur dépendance aux financements des Etats-Unis et des pays du Golfe. Le mois dernier, l'ambassadeur Tom Barrack a commis un lapsus révélateur, qualifiant les Forces armées libanaises de « bien intentionnées » mais « sous-équipées », avant de concéder le véritable objectif de cette aide : « Qui vont-ils combattre ? Nous ne voulons pas les armer pour qu'ils combattent Israël... vous les armez pour qu'ils combattent leur propre peuple, le Hezbollah. »
Cette situation paradoxale révèle un équilibre politique où la médiation masque la sujétion. Les acteurs se présentant comme des arbitres neutres sont les mêmes qui perpétuent l'asymétrie militaire. La véritable souveraineté ne peut se réaliser si la survie d'un État dépend d'une aide militaire extérieure, de subventions économiques et d'un alignement sur les puissances mêmes qui soutiennent ses adversaires. Dans ces conditions, la « stabilité » libanaise et la « reconnaissance de l'État » palestinien deviennent des reconnaissances vaines qui institutionnalisent la dépendance.
Cette contradiction apparaît encore plus clairement lorsqu'on l'examine à travers le prisme de l'engagement de Washington à préserver l'« avantage militaire qualitatif » (AMQ) d'Israël, une politique garantissant sa supériorité militaire sur tous les acteurs régionaux. De ce fait, aucun État arabe, et a fortiori aucun futur État palestinien, ne saurait se prévaloir d'une capacité militaire indépendante. Le désarmement de la résistance n'est donc pas une option politique, mais une exigence structurelle de l'ordre régional.
Le Liban en est une illustration flagrante. Les États-Unis ont approuvé 95 millions de dollars de financement militaire étranger pour le Liban en 2025, après en avoir déboursé 236 millions en 2021. L'Arabie saoudite demeure un autre bailleur de fonds majeur. Ces flux financiers lient les capacités de l'armée aux priorités des donateurs. Le soutien apporté par Macron à une initiative saoudienne visant à équiper les Forces armées libanaises s'inscrit dans cette logique : consolider le pouvoir militaire au sein des formations dirigeantes tout en marginalisant la résistance populaire et les revendications d'autodéfense.
À Gaza, des États comme le Qatar et la Turquie jouent un rôle de médiateurs. Le Qatar abrite la plus grande base aérienne américaine de la région, renforce ses accords de défense avec Washington et se positionne comme un intermédiaire dans les accords énergétiques entre le Golfe et l'Occident (des gazoducs avec la France aux projets gaziers impliquant le Royaume-Uni). La Turquie, quant à elle, dépend du commerce avec l'UE, de son appartenance à l'OTAN, des capitaux du Golfe et des marchés occidentaux. Tous deux se présentent comme des alliés de la Palestine, mais leurs dépendances stratégiques font qu'aux moments critiques, ils se font l'écho des appels au désarmement. Dans ce contexte, la médiation sert davantage l'hégémonie occidentale que la souveraineté palestinienne ou libanaise. Ces dépendances expliquent pourquoi un État qui affiche publiquement sa solidarité avec la Palestine se fera l'écho, aux moments critiques, des appels au désarmement de la résistance palestinienne.
Cette dynamique fait écho à l'analyse de Ghassan Kanafani dans *La Grande Révolte de 1936-1939 en Palestine* (1972) : les puissances impériales maintiennent leur emprise non seulement par la force, mais aussi par la neutralisation politique de la révolte, en instrumentalisant les élites locales et les régimes arabes pour transformer la résistance en compromis.
Cette structure a refait surface en octobre dernier, lorsque les ministres des Affaires étrangères de Turquie, de Jordanie, des Émirats arabes unis, d'Indonésie, du Pakistan, d'Arabie saoudite, du Qatar et d'Égypte ont approuvé un cadre américano-israélien axé sur « l'aide humanitaire », la « reconstruction » et une « solution à deux États » liée à de nouveaux accords de sécurité. Comme l'a averti Kanafani, une telle médiation transforme les luttes de libération en négociations dirigées qui marginalisent et désarment la résistance.
Le désarmement n'est donc pas qu'une simple priorité américano-israélienne. Les classes dirigeantes arabes profitent depuis longtemps de l'affaiblissement des fronts efficaces de la résistance palestinienne. Un mouvement de résistance fort bénéficie d'un large soutien populaire dans toute la région ; un mouvement affaibli devient une monnaie d'échange, troquée contre un levier diplomatique, des avantages économiques et la survie du régime. Des dirigeants comme Abdel Fattah al-Sissi et le roi Abdallah II comprennent que le désarmement les sert deux fois : il les aligne sur l'ordre dominant et empêche les victoires de la résistance régionale d'inspirer une dissidence intérieure.
La « trahison arabe » n'est donc pas seulement morale, mais aussi structurelle. Elle s'enracine dans un ordre bâti pour protéger le pouvoir impérial et sioniste et perpétué par des régimes arabes dont les économies politiques dépendent des investissements étrangers, de la coordination sécuritaire et de l'intégration aux marchés mondiaux. Cette structure a permis le génocide à Gaza, le massacre de Sabra et Chatila, l'occupation du territoire libanais et les bombardements continus du Yémen. C'est cette même structure qui fait du désarmement le prix de la survie, reproduisant un schéma séculaire où l'on demande aux peuples arabes de renoncer à leur souveraineté en échange d'un sous-développement contrôlé.
La véritable question n'est pas de savoir si la résistance désarmera, mais qui profite du désarmement, de cette souveraineté symbolique et de cette dépendance accrue à l'égard des puissances étrangères. C'est pourquoi nous insistons : Gaza est la boussole. Gaza, au même titre que les berceaux de la résistance libanaise et yéménite, révèle au grand jour l'architecture coloniale de la puissance américaine et de ses alliés régionaux, dont la cruauté n'a d'égale que leur lâcheté. Ici, le courage de la résistance anti-impérialiste se réduit à un simple enjeu de marchandage dans des négociations pour le pouvoir et la survie.
Article original en anglais sur Al-Akhbar / Traduction MR
