
Par la rédaction de The Cradle, le 5 décembre 2025
Alors que le monde se focalise sur Gaza, Tel Aviv mène sa campagne la plus agressive de nettoyage ethnique et de spoliation de terres en Cisjordanie occupée depuis 1948.
Le matin du 7 octobre 2023, alors que le monde assistait aux retombées de l'opération Al-Aqsa Flood, un autre front s'ouvrait discrètement. Non pas avec des frappes aériennes ou de l'artillerie, mais avec des bulldozers, des lois et des milices de colons.
Pendant que les bombes pulvérisaient Gaza, la Cisjordanie occupée était en proie à d'autres fléaux : l'expulsion systématique, la dépossession violente et l'annexion illégale.
L'État colonisateur étend son emprise
Cette guerre ne fait pas la une des journaux ni ne fait l'objet de débats sur les réseaux sociaux, excepté pour ceux qui suivent ces développements de près. Mais ses conséquences pourraient s'avérer encore plus durables. Alors que le monde entier est focalisé sur la dévastation de Gaza, Israël intensifie une campagne planifiée de longue date pour démembrer de force la Cisjordanie occupée, détruire la vie paysanne palestinienne et effacer toute perspective d'un État palestinien souverain.
Ses procédés sont à la fois violents et bureaucratiques : colons armés, vol massif de l'eau, décrets "archéologiques", blocus économique et neutralisation politique du peu de pouvoir qui reste à l'Autorité palestinienne (AP).
La violence des colons devient doctrine d'État
Les attaques des colons contre les Palestiniens ne sont plus sporadiques ou spontanées. Autrefois attribuée à des factions marginales telles que les "Hilltop Youth", cette violence s'est muée, depuis le 7 octobre, en une extension paramilitaire semi-officielle de l'État israélien. Des hordes de colons armés opèrent désormais en parfaite coordination avec l'armée d'occupation, agissant comme les exécutants d'une politique de déplacement forcé.
Dans les zones B et C de la Cisjordanie occupée, les agriculteurs et villageois palestiniens sont traqués par ces milices qui s'introduisent dans leurs foyers, détruisent les panneaux solaires, empoisonnent les sources, incendient les récoltes et se livrent à d'autres actes criminels, non seulement pour intimider, mais aussi pour blesser, tuer et expulser les gens de leurs terres.
Ces attaques témoignent d'un revirement stratégique. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), plus de 260 agressions de colons ont été enregistrées en octobre, soit le nombre d'attaques le plus élevé depuis 2006. Ces agressions, en moyenne huit par jour, sont systématiques et prennent pour cible principalement les agriculteurs pendant la saison des récoltes et les communautés de bergers dans les zones reculées.
Mais la véritable arme est l'impunité. Les colons agissent désormais avec la certitude que l'État les protégera et ne les poursuivra pas. Des colons ont même incendié une mosquée à Deir Istiya et ont tagué ses murs d'un message provocateur : "Nous n'avons pas peur d'Avi Bluth", le chef du commandement central de l'armée israélienne. Soutenus par des ministres extrémistes comme Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir, ils savent qu'ils sont protégés et considérés comme les véritables maitres du territoire.
L'organisation israélienne de défense des droits humains Yesh Din rapporte que même avant octobre 2023, 94 % des cas de violence commis par des colons restaient impunis. Depuis octobre, les apparences mêmes des procédures judiciaires ont purement et simplement disparu.
Des oliviers criminalisés
En Cisjordanie occupée, l'offensive menée par Israël s'étend jusqu'aux racines, au sens propre du terme. L' olivier, source de vie de la société et de l'économie rurales palestiniennes, est désormais une cible de premier plan. Tel-Aviv instrumentalise le contrôle des ressources et les lois environnementales pour démanteler l'agriculture palestinienne et déposséder les populations de leurs terres.
Selon Amnesty International, les agriculteurs palestiniens sont soumis à l'un des régimes de domination les plus restrictifs au monde, qui limite leur accès aux ressources vitales. Israël contrôle 85 % de l'eau de la Cisjordanie occupée et interdit tout forage de puits, contraignant les populations à se tourner vers l'agriculture traditionnelle pluviale, une pratique fragilisée par le changement climatique et le vol des eaux souterraines au profit des colonies de peuplement verdoyantes situées aux alentours.
Cette guerre contre l'agriculture passe également par des procédures légales kafkaïennes. Israël a en effet criminalisé la récolte de plantes indigènes palestiniennes telles que le thym, l'akkoub et la sauge, en invoquant les lois de "protection de la nature". Alors que des bulldozers rasent des milliers d'hectares de flore sauvage pour étendre les colonies, les Palestiniens qui cueillent de l'akkoub pour préparer un repas familial sont condamnés à des amendes et à des peines de prison. Selon les experts, cette pratique s'inscrit dans une campagne plus large de dépossession des Palestiniens de leurs terres, contrôlant même ce qu'ils mangent et comment ils vivent.
Les colons multiplient par ailleurs les attaques directes contre les cultures, bloquent l'accès des agriculteurs palestiniens à des centaines d'hectares d'oliveraies et paralysent l'économie locale. Lorsque les Palestiniens résistent, ils sont accusés de terrorisme. Cette stratégie cherche à rendre la présence sur ces terres trop dangereuse, trop coûteuse, et finalement intenable.
Annexion "rampante" ou déclarée ?
Parallèlement aux actes de violence, Israël mène une campagne plus discrète, mais sans doute plus dangereuse : la colonisation "légale" de la Cisjordanie occupée. Cette annexion rampante ne fait pas l'objet de déclarations ou de signatures officielles. Elle opère par le biais de lois sur le plan d'urbanisme, de la gouvernance civile et de projets archéologiques stratégiques.
L'une des manifestations les plus alarmantes de cette évolution tient à l'utilisation de l'archéologie comme arme. Le gouvernement israélien cherche à placer la Cisjordanie occupée sous le contrôle de son "Autorité des monuments d'Israël", faisant ainsi disparaître la juridiction de l'administration militaire au profit d'un organisme civil - une annexion de facto.
Sous prétexte de préserver le " patrimoine biblique", de vastes zones sont déclarées "sites archéologiques" ou "parcs nationaux", instaurant ainsi un récit exclusivement juif qui interdit systématiquement aux Palestiniens de construire ou de cultiver leurs terres.
Cette falsification historique efface le passé pluriséculaire de la région au profit d'un mythe juif exclusif censé justifier la colonisation.
En substituant le droit civil au régime militaire, Israël reclasse la Cisjordanie occupée non pas comme un territoire sous occupation, mais comme une extension de sa souveraineté. Les frontières entre Tel-Aviv et Tulkarem s'estompent, et l'apartheid s'officialise.
Démanteler la structure politique
Alors que les bulldozers ravagent les champs et que les lois asservissent les villages, Tel-Aviv réorganise également la vie politique palestinienne. L'objectif n'est pas de démanteler l'Autorité palestinienne collaboratrice, qui continue d'assurer une fonction administrative et de sécurité dans la zone A, mais de la réduire à un sous-traitant municipal sous contrôle.
Israël contourne désormais l'Autorité palestinienne en établissant des contacts directs avec les chefs tribaux, les conseils villageois et les personnalités locales influentes. Une politique coloniale classique visant à diviser la communauté politique indigène, à promouvoir les collaborateurs locaux et à éliminer tout leadership national unifié.
L'objectif est de briser la cohésion palestinienne et de transformer la lutte de libération nationale en situations humanitaires isolées, comme à Hébron, Naplouse et Jénine, présentées comme des communautés isolées dans le besoin.
Parallèlement, Tel-Aviv siphonne les recettes fiscales de l'Autorité palestinienne, la privant ainsi de ses ressources, comme le permettent les accords d'Oslo. Alors que l'"Autorité" s'effondre peu à peu, le chaos engendré est exploité pour justifier un contrôle accru israélien.
Nakba 2.0
Cette combinaison dévastatrice - milices de colons, cultures incendiées, spoliation illégale de terres et division politique - constitue une campagne de déplacement forcé sans recours à l'armée. En d'autres termes, on assiste à une Nakba en sourdine.
Un rapport de B'Tselem confirme que la violence des colons a entraîné le déplacement de 44 communautés de bergers palestiniens depuis 2023. Comme l' explique Yair Dvir, de B'Tselem :
"Quand on examine la situation, on constate clairement la mise en oeuvre d'un véritable système. Il ne s'agit pas que de colons hors-la-loi. Ils sont soutenus par l'establishment israélien. L'objectif est clair : provoquer le déplacement forcé des Palestiniens".
Alors que le monde entier se focalise sur l'anéantissement de Gaza, la Cisjordanie occupée est méthodiquement purgée de sa population par la peur, la pauvreté et la soif. L'objectif stratégique d'Israël est d'éliminer toute perspective de solution à deux États et d'instaurer une réalité à un seul État où tous les droits sont réservés aux Juifs, tandis que les Palestiniens sont confinés dans des enclaves isolées, privés de souveraineté, et enfin poussés vers la rive est du Jourdain.
Parler de " lendemain" à Gaza sans tenir compte du processus en cours dans les collines de la Cisjordanie occupée revient à ignorer l'essentiel du projet. Les avions de chasse peuvent arrêter de bombarder, mais le processus de colonisation - les clôtures, les permis, les lois, les routes et les armes - continue son œuvre. C'est ici, en silence, que l'effacement final est mis en œuvre. Un avenir sans droit au retour, ni justice, où l'histoire est réécrite à coups de béton et de mythe.
Traduit par Spirit of Free Speech