08/12/2025 ssofidelis.substack.com  9min #298458

La chasse aux sorcières, l'hérétique et l'Inquisition : pourquoi l'Occident craint tant Francesca Albanese

© Fotografía oficial de la Presidencia de Colombia

Par  Michael Leonardi, le 5 décembre 2025

Francesca Albanese, rapporteure spéciale des Nations unies sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, représente une menace systémique et existentielle pour le discours de la "civilisation occidentale" et le mythe de la suprématie colporté quotidiennement par l'establishment. Dans l'univers médiatique italien, Maurizio Molinari (ancien directeur de La Repubblica et La Stampa) et le commentateur télévisé Davide Parenzo incarnent parfaitement cette gangrène systémique, constituant deux des pires exemples de la domination du sionisme dans les médias italiens. Comme l'a souligné Chris Hedges le week-end dernier lors d'un forum à Rome, ces individus, à l'instar de leurs homologues américains du New York Times ou du Washington Post, ne peuvent être qualifiés de journalistes, mais de laquais du pouvoir, et en l'occurrence de la hasbara israélienne.

La virulence de la chasse aux sorcières menée contre Mme Albanese n'est pas fortuite et témoigne d'un profond climat de panique. Mme Albanese représente un danger pour l'establishment, pas pour de vulgaires slogans propagandistes, mais parce qu'elle maîtrise l'arme redoutable et imparable du droit international pour contrer une campagne de propagande fondée sur des mensonges. Cette panique s'est manifestée par une hystérie d'un autre âge, déclenchée non seulement par Israël, mais surtout par ses alliés occidentaux, dont les États-Unis et la plupart des États membres de l'UE, tous coupables de complicité dans le génocide en cours.

Chasse aux sorcières au Campo de' Fiori

Danny Danon, l'ambassadeur israélien auprès des Nations unies, a abandonné tout semblant d'argument juridique pour se livrer à des insultes littérales, dans une démonstration choquante de fanatisme diplomatique - ironiquement quelques jours avant Halloween. Le contexte de ces attaques révèle l'ampleur du complot dont elle fait l'objet : interdite d'entrée aux États-Unis sous le coup de sanctions, Mme Albanese a dû présenter son dernier rapport, intitulé "Génocide de Gaza : Un crime collectif", depuis l'Afrique du Sud, où elle venait de prononcer le prestigieux discours annuel Nelson Mandela, sous un tonnerre d'applaudissements de plusieurs minutes.

C'est dans ce contexte, face à un écran, car l'ambassadeur n'a pu la voir en personne, que Danon a pointé du doigt son image et s'est écrié à plusieurs reprises : "Vous êtes une sorcière... vos rapports relèvent de la sorcellerie".

Il ne s'agissait pas d'une métaphore, mais d'une tentative délibérée de présenter la juriste comme un monstre. Comme l'a démontré la célèbre historienne Silvia Federici dans son ouvrage Caliban et la sorcière, l'étiquette de "sorcière" n'est jamais attribuée par hasard. C'est un outil politique utilisé par les structures de pouvoir moribondes pour mater les femmes remettant en cause l'ordre capitaliste et patriarcal. Comme le souligne Silvia Federici, la chasse aux sorcières est historiquement une "guerre contre les femmes" dirigée contre celles qui résistent à l'enclosure des terres communes et à toute forme de tyrannie, et Mme Albanese est la cible moderne de cette guerre pour avoir résisté à l'enclosure de la Palestine et à l'impunité d'Israël.

Le public italien a immédiatement saisi le lien. En réponse aux calomnies de Danon, des manifestations de solidarité ont éclaté dans tout le pays. Des foules se sont notamment rassemblées de manière particulièrement émouvante à Rome, sur le Campo de' Fiori, au pied de la statue de Giordano Bruno. Bruno, le philosophe brûlé vif sur le bûcher par l'Inquisition en 1600 pour avoir refusé de renier ses convictions, incarne à jamais la libre pensée face au dogme. Aujourd'hui, c'est le tour de Mme Albanese d'être l'hérétique face à l'Inquisition de la structure du pouvoir sioniste, et les Italiens se sont spontanément rassemblés au Campo de' Fiori pour faire savoir qu'ils ne la laissent pas tomber.

Aujourd'hui, un chant traditionnel italien est devenu cri de ralliement : "Tremate, tremate, le streghe son tornate" [Tremblez, tremblez, les sorcières sont de retour].

Stratégie d'intimidation et pression économique

Le gouvernement américain a déployé l'artillerie lourde pour la réduire au silence. Marco Rubio, le secrétaire d'État, mène cette offensive et n'a cessé de réclamer son renvoi. Il a ouvertement contesté son intégrité, déclarant dans une lettre adressée au secrétaire général de l'ONU que

"les propos antisémites et les préjugés flagrants de Mme Albanese constituent un obstacle à l'exercice de ses fonctions", exigeant que l'ONU "la licencie sur-le-champ".

Ces attaques politiques se sont muées en une campagne de destruction personnelle et une asphyxie économique. Les sanctions insensées imposées à Mme Albanese lui infligent un véritable cauchemar kafkaïen : elle se voit refuser la couverture de sa compagnie d'assurance privée et n'a plus accès à ses comptes bancaires, ni aux États-Unis ni en Europe. Au-delà de la guerre financière, les menaces pesant sur sa sécurité physique sont extrêmement préoccupantes ; elle a en effet reçu de nombreuses menaces de mort contre elle-même et sa famille. De plus, elle est physiquement interdite d'entrée sur le territoire qu'elle est chargée de surveiller, à savoir les territoires palestiniens occupés, et l'accès aux États-Unis - et à l'ONU - lui est toujours refusé. Pourtant, face à cette persécution sans précédent d'une haute fonctionnaire de l'ONU, le gouvernement italien et l'Union européenne n'ont pas levé le petit doigt pour la soutenir ou exiger la levée de ces sanctions.

© Fotografía oficial de la Presidencia de Colombia

Répression étatique et monopole médiatique

Pour comprendre l'acharnement dont fait l'objet Mme Albanese en Italie, deux éléments sont à prendre en compte : d'une part, l'atmosphère répressive créée par le gouvernement néofasciste de Mme Meloni, et d'autre part, le monopole médiatique exercé par ce gouvernement. Cette administration n'hésite pas à adopter des mesures de plus en plus liberticides, et mène une campagne assimilant le sionisme au judaïsme et criminalisant toute critique d'Israël. Cette tendance est illustrée par la tentative actuelle de l'État d'extrader un imam qui vit à Turin depuis plus de 20 ans, simplement pour avoir qualifié le 7 octobre d'acte de résistance.

Le discours médiatique est contrôlé par le groupe GEDI, propriété de John Elkann, membre de la famille Agnelli. Sioniste et partenaire commercial étroitement lié aux intérêts israéliens, Elkann utilise son empire médiatique pour protéger l'occupation de tout examen minutieux. Ce n'est pas un hasard si, pendant son mandat de directeur de La Repubblica et de La Stampa, Maurizio Molinari a imposé une ligne éditoriale radicale qui diabolisait la résistance palestinienne et blanchissait les crimes israéliens.

Le raid sur La Stampa à Turin

Entre ces mensonges de l'establishment et la réalité sur le terrain, la tension a atteint un point culminant la semaine dernière à Turin, lors de la grève générale de vendredi. Un groupe d'étudiants grévistes a pénétré dans les locaux de La Stampa, tagué des slogans anti-génocide sur les murs, éparpillé des papiers par terre et semé le chaos en guise de protestation.

La réaction a été immédiate et unanime. Ces étudiants ont été qualifiés de "violents criminels" par le gouvernement italien, les médias et même par le président Sergio Mattarella. La réaction de Francesca Albanese à cet incident témoigne toutefois de son intégrité. Tout en dénonçant à plusieurs reprises les tactiques violentes utilisées par les étudiants, elle a refusé de se joindre au chœur des condamnations unilatérales. Elle a présenté cet événement comme un appel désespéré à l'attention des médias, leur signifiant de cesser de couvrir les crimes d'Israël. Elle a exhorté les institutions à enfin relayer la situation telle que l'exige le droit international : un génocide en cours depuis plus de trois ans, une occupation illégale oppressante et un système d'apartheid barbare.

L'Italie, épicentre de la résistance internationale

Cette guerre diplomatique et médiatique s'inscrit dans un contexte de mouvement insurrectionnel massif en Italie qui a suscité l'admiration de l'opinion publique internationale. Alors que le gouvernement Meloni continue de cautionner le génocide mené par les États-Unis et Israël en fournissant une couverture diplomatique et des armes via le géant de la défense Leonardo, le peuple s'est soulevé en signe de défi.

Cette résistance n'a cessé de monter en puissance le week-end dernier. Les dirigeants de la Flottille mondiale Sumud sont arrivés en Italie, notamment l'activiste suédoise Greta Thunberg, le militant brésilien Thiago Ávila et le journaliste et militant palestinien Ahmed Shihab-Elden. Ils se sont joints à une puissante coalition d'intellectuels de renom, parmi lesquels Francesca Albanese, le journaliste Chris Hedges, lauréat du prix Pulitzer, la militante italienne des droits humains Luisa Morgantini et l'ancien ministre grec des Finances Yanis Varoufakis.

La mobilisation a été immense. Vendredi dernier, les courageux dockers de Gênes ont lancé une nouvelle grève générale, bloquant les livraisons d'armes, et ont été rejoints par d'autres grévistes de villes de toute la péninsule. Samedi, la mobilisation s'est intensifiée avec des marches nationales d'envergure qui ont envahi les rues de Milan et de Rome, exigeant la fin du génocide en cours en Palestine, terre de résistance emblématique pour les peuples opprimés du monde entier, et la fin de l'économie de guerre en constante expansion.

Chris Hedges, impressionné par l'ampleur et force morale du mouvement italien, a rendu un hommage émouvant aux manifestants :

"Quel privilège et quel honneur d'avoir été avec vous tous, c'est la meilleure des thérapies. Vous avez montré au monde entier ce qu'est la résistance et pourquoi elle revêt un impératif moral. Je suis venu avec une équipe de tournage pour documenter votre courage et votre lucidité quant à l'urgence de la situation et au peu de temps qu'il nous reste pour sauver notre société, protéger l'État de droit et mettre fin au génocide. Puisse l'Italie être au coeur d'une résistance internationale  ! Merci à tous de nous avoir si bien inspirés !"

Pourquoi Francesca Albanese leur fait si peur

1. Elle révèle l'hypocrisie de l'Occident en démontrant, à l'aide de données factuelles, que l'UE et les États-Unis, loin d'être les "démocraties éclairées" qu'ils prétendent être, sont des sponsors actifs de l'apartheid et du génocide.

2. Elle dénonce les mensonges des médias. Avec des termes tels que "colonialisme de peuplement", "apartheid" et "déplacement forcé", elle neutralise la propagande des Molinari et Elkann.

3. Elle brise le consensus, perturbant l'establishment en soutenant les grèves générales, les bloquages portuaires et la solidarité internationale manifestée par Thunberg, Hedges et la Global Sumud Flotilla, plaidant ainsi en faveur de la justice dans le cadre du droit international.

Francesca Albanese est qualifiée de "sorcière" par les puissances occidentales parce qu'elle représente le droit international face à la force destructrice du discours géopolitique. Elle démonte la fiction voulant qu'Israël soit l'"unique démocratie au Moyen-Orient", prouvant que les crimes de génocide et d'occupation perpétrés par Israël, ainsi que la complicité de nombreux pays parmi les plus puissants du monde, dont le gouvernement néofasciste italien et les médias détenus par la famille Agnelli, sont la négation même de la civilisation.

Traduit par  Spirit of Free Speech

Michael Leonardi vit en Italie et peut être contacté à l'adresse michaeleleonardigmail.com

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