24/04/2007  10min #8335

Chapitre Viii : Un songe de Picrochole

Repris par Alter info.com , Chahid Slimani

Satan

Obsédé par son désir d'en découdre avec les mollahs iraniens et ruminant des projets de réforme du grand Moyen-Orient plus extravagants et plus mirobolants les uns que les autres, Picrochole se coucha, l'esprit en feu .

Durant la nuit, il fit un songe.

Il se sentit soulevé de sa couche et son c?ur se mit à battre la chamade dans sa poitrine . Epouvanté et le corps agité de frissons, il osa enfin lever les yeux sur son kidnappeur.

Shock and Awe. Dans la nuit noire, un visage illuminé de l'intérieur rayonnait .

Le Diable , le Prince des Ténèbres!

Il essaya de crier, mais sa gorge nouée ne laissa passer aucun son.

Et pourtant ce personnage n'avait rien de terrifiant, bien au contraire. C'était cela qui paralysait Picrochole : le Diable lui ressemblait comme un frère.

Le Diable regardait Picrochole et Picrochole regardait le Diable.

Sa sidération ne dura pas. Par un mouvement naturel propre aux esprits peu subtils, il avait rapidement trouvé cette situation toute naturelle. N'est-il pas le maître du monde, le grand ordonnateur de la future guerre des étoiles?

Picrochole réprima même un petit hoquet rieur : il se représentait d'avance la tête de Condi et de Dick lorsqu'il leur raconterait sa rencontre avec Satan; mais pas avec le Satan banal, connu de tous, avec ses cornes, sa queue et sa fourche. Non. Le Satan qu'il regardait face à face, comme un ami regarde son ami et comme un frère regarde son frère lui sembla d'autant plus beau et rassurant qu'il était son clone . Voilà qui allait effacer la petite moue de supériorité méprisante que cet horripilant Dick Cheney affichait chaque fois qu'il lui parlait !

Apaisé et reconnaissant, il se blottissait tendrement contre la poitrine chaude et accueillante de son alter ego et il s'étonnait lui-même d'éprouver en cet instant un si doux sentiment de plénitude et d'harmonie. Il jouissait de la délicieuse sensation d'être en même temps en son corps et hors de son corps.

Le cadeau de Satan

Puis il se sentit saisi délicatement sous les bras et en un clignement de paupières, Satan le déposa, tel un fétu de paille, sur le toit de la Maison Blanche . Certes, la hauteur de la bâtisse est modeste et la performance peu considérable.

Cependant l'ange déchu a beaucoup d'autres exploits à son actif. Il n'est pas pour rien le rival et le triomphateur du Créateur. Nul n'ignore que Dieu a payé, dit-on, cette victoire mémorable d'une énorme rançon - celle du sacrifice de son unique rejeton . Mais il n'a pu que tenter de limiter les dégâts, car entretemps le Mal s'était répandu sur le globe plus rapidement que l'algue venimeuse en Méditerranée . Aujourd'hui, la posidonie des croisades pour le pétrole et des nouvelles guerres coloniales est en passe d'étouffer la planète .

Du haut de son monticule, un spectacle magique se présenta aux yeux éblouis de Picrochole. Il vit en un instant tous les royaumes de la terre . Et ces royaumes semblaient flotter sur une mer de billets verts. Des dollars, des millions de dollars, véritable neige de papier monnaie, recouvraient le globe terrestre d'une couche moelleuse.

Les continents, gigantesques Titanics, naviguaient, insouciants, sur une mer de dollars . Les dollars étaient partout, dessus, dessous , à gauche, à droite : les villes, les campagnes, tout était submergé. Par endroits, les billets verts s'étaient coagulés en gigantesques amas. Les monstrueux icebergs, se déplaçaient nonchalamment au gré d'invisibles et d'incompréhensibles mouvements chtoniens. Ici et là, des bras levés émergeaient de l'amoncellement de billets. Ils signalaient la trace de continents engloutis et de drames étouffés. Ailleurs, le monde, concentré sur la fête et la musique, continuait à danser sur les ponts d'un paquebot privé de pilote et de gouvernail.

Picrochole stupéfait et pétrifié d'admiration entendit distinctement son Diable prendre la parole pour lui dire :

- Vois, grâce moi, le monde est à toi. Tu peux t'offrir toutes les richesses de la terre. Sur les billets, il est écrit In God We trust. Tu ne le sais pas, mais c'est moi qui vous ai soufflé cette formule. Je te connais mieux que toi-même et je sais que le dollar est ton véritable Dieu et ce Dieu-là est ma création. Il te permet de mener l'univers à ta guise, ou plutôt à la mienne car tu es ma créature et mon instrument. Toi et moi, hier, aujourd'hui, demain, nous ne faisons qu'un. Tu es ma main et je suis ton cerveau .

Picrochole se sentit d'abord décontenancé, puis la panique le submergea de nouveau. Il essaya d'argumenter et de convaincre son interlocuteur que le dollar est un don de Dieu et que c'est Dieu qui parle à travers lui. L'argent, et donc l'abondance de gros billets dans les bourses et les comptes en banque, sont la manifestation tangible de l'amour divin pour les Picrocholiens et le signe de l'élection de leurs possesseurs.

Mais il n'arrivait pas à aligner deux phrases et ne put que bafouiller péniblement : "Je sais ce que je crois. Je continuerai à exprimer ce que je crois, et ce que je crois... je crois que ce que je crois est bien." (1)

Il faillit accuser Satan d'être un vantard. Mais il se reprit. Après tout, seul compte le résultat, conclut-il prudemment en son for intérieur .

Les confidences de Satan

Avec le gros bon sens pratique et terre à terre qui est sa marque de fabrique, il s'était tourné vers le Diable et lui avait dit , la mine béate:

- Alors je suis riche et puissant !

- Tu es riche et puissant, lui avait répondu Satan. Tu peux acheter, piller et tuer autant que tu veux, il te suffit de trouver quelques prétextes plausibles afin de préserver nos oreilles des criailleries des innocents et des candides qui invoqueraient contre toi des lois internationales désuètes, des conventions d'un autre temps et quelques autres fariboles destinées à freiner tes rapines. J'ai d'ailleurs vu avec satisfaction que ni toi, ni tes prédécesseurs ne vous en êtes privés . Nous pourrons un jour nous distraire à énumérer les mensonges sur lesquels nous avons, ensemble, mené tes guerres depuis que je vous ai aidés à constituer une nation selon mon c?ur, belliqueuse , vaniteuse , rapace et agressive.

Picrochole buvait comme du petit lait ces paroles ailées, douces comme le miel et enivrantes comme l'ambroisie. Il ne perdait pas une miette des confidences de son Démon.

- Tu sais qu'un mensonge , surtout s'il est très gros , devient une vérité inébranlable lorsqu'il est répété dix fois, cent fois, mille fois . C'est ce qu'avait déjà compris un autre de mes amis très chers (2)

- Je l'ai donc abandonné à son sort et je t'ai choisi . Tu es maintenant mon disciple bien-aimé.

La suite du discours de Satan avait froissé Picrochole, mais il avait essayé de faire bonne figure.

- Tu n'es pas un Apollon, toi non plus, mais je m'accepte lorsque tu consens à fermer la bouche et à ne pas reproduire des mimiques de chimpanzé.

Picrochole s'était senti tout dépité par cette comparaison et son nez s'était allongé, lui qui se croyait d'autant plus irrésistible qu'il avait remarqué que Condi n'était pas insensible à ses mâles attributs!

Satan, bon prince, lui avait tapoté la joue.

- Allons, ne fais pas cette tête , lui avait-il dit pour le rasséréner! Aujourd'hui est un jour de fête. Admire ton royaume et mon pouvoir. Un de tes généraux , Smedley Butler, ne résumait-il pas ses trente années passées comme officier dans les marines dans les années trente: "J'ai été un bandit à la solde du capitalisme." Il avait ajouté qu'il pouvait donner quelques conseils à Al Capone, car les marines opéraient sur trois continents tandis que Capone, lui, n'agissait que sur trois districts d'une seule ville. (3)

Le dollar, joyau de Satan

- Regarde , le monde entier est ocellé de tes machines de mort et de tes garnisons. Fixes ou feuilles de nénuphar, elles constellent le sol de tous les continents . L'Europe est à ta botte, le Canada, l'Angleterre, l'Australie sont ton arrière-cour.

- Et tout cela t'est permis grâce à mon ingénieuse invention monétaire. L'invention d'une monnaie de singe reproductive à l'infini est l' une de mes ruses les plus machiavéliques. Depuis lors, le mot "dette" ne fait plus partie de ton vocabulaire. Les dollars sont à ton entière disposition. Tu peux en imprimer de pleins cargos . Ne suis-je pas bon prince ?

- Mais l'exploit dont je suis le plus fier est non seulement d'avoir eu l'idée de cette fausse monnaie, mais d'en avoir tiré toutes les conséquences en imposant au monde un système économique qui ne profite qu'à toi et à tes amis . La mondialisation, ce mot n'est-il pas une heureuse trouvaille? Dorénavant, avec ta monnaie de singe, tu peux jouer au monopoly avec toute la planète . Et en plus, toi et moi, moi en toi, avons fait croire au monde que c'était un système économique libérateur. Les humains sont si crédules ! Ah! Ah! Ah! nous avons libérés les renards; poules , poulets et poulettes n'ont qu'à bien se tenir!

- N'oublie jamais que si aujourd'hui le dollar, ce précieux talisman, est ta chevelure de Samson , il deviendra demain ton talon d'Achille si tu ne sais pas le gérer avec le cynisme que requiert la situation .

Le nez de Picrochole s'était allongé une nouvelle fois. Il s'était demandé de qui parlait son nouvel ami. Personne, dans son entourage, ne s'appelait Samson ou Achille.

Le diable qui lisait d'autant mieux à livre ouvert en son esprit qu'il était son esprit, avait émis un petit gloussement sarcastique .

Picrochole allait timidement faire état de quelques difficultés entre le Tigre et l'Euphrate, mais son cerveau peu habitué à raisonner refusait de se mettre en mouvement et il ne put que bafouiller "Les armes de destruction massive sont dangereuses." (4)

Cette contention cérébrale l'avait plongé dans un violente agitation intérieure qu'il essayait de cacher, car il craignait de contrarier un ami aussi obligeant . Puis il était revenu à l'enlisement de ses troupes en Mésopotamie et avait créé un immortel oxymoron en parlant de "succès catastrophique..." (5) qu'il avait justifié par le fait que " Nos ennemis sont innovateurs et pleins de ressources ; nous aussi. Ils imaginent constamment de nouveaux stratagèmes pour nuire à notre pays et à notre peuple ; nous aussi." (6)

Cette fois le Démon avait semblé excédé et avait poussé un soupir d'impatience. Tant de simplicité frisait la stupidité. Il était sur le point de se décourager , craignant de ne rien pouvoir tirer d'intéressant de cette guenille humaine .

Puis il s'était ravisé. Après tout, mieux valait avoir affaire à un crétin malléable qu'à un être intelligent et méfiant.

Picrochole , troublé et agité, sentait qu'il perdait pied . Tout occupé à sa tentative de rassembler ses esprits, il n'avait pas entendu ce que Satan se disait à lui-même en aparté. De toutes manières, il n'avait pas d'oreilles pour entendre ce genre de paroles.

- Ce prétentieux croit que Dieu lui parle ! Quand il se vante de ce que " Dieu m'a dit de frapper Al-Qaïda, et j'ai frappé ; puis Il m'a ordonné de frapper Saddam, et je l'ai fait ; et maintenant, j'ai la ferme intention de résoudre le problème du Moyen-Orient..(7)

Picrochole remonte sur son cheval

Picrochole , courbaturé, se réveilla sur la carpette, au pied de son lit. Il sortit des limbes de son rêve tout ahuri .

Mais son esprit léger comme une bulle de savon était à peine troublé. Il refusa tout net de méditer le sens de son rêve et même, il l'oublia très vite.

Il saisit son sabre et enfourcha son cheval afin de se préparer à de nouvelles et mirobolantes expéditions.

Il n'entendit pas l'éclat de rire de Satan résonner dans les nues. Le Diable en rit encore.

*

1 - Paroles prononcées à Rome le 22 juillet 2001 2 - Adolf Hitler , dans Mein Kampf 3 - Cité par Eduardo Galeano (écrivain uruguayen), mai 2003 4 - Paroles prononcées devant le Bundestag allemand (mai 2002) 5 - Déclaration au Time Magazine (août 2004), à propos de sa politique irakienne 6 - Paroles prononcées devant les responsables du Pentagone (août 2004)7

Note : Les citations , la photo de Bush et celle du chimpanzé figurent dans le site WOTRACE

SUITE : IL ETAIT UNE FOIS LA MONDIALISATION ?