{"160307":{"id":"160307","parent":"160079","time":"1565714288","url":"http:\/\/newsnet.fr\/160307","source":"http:\/\/www.tlaxcala-int.org\/article.asp?reference=26785","category":"philosophie","title":"Postscriptum : La v\u00e9rit\u00e9 de Toni Morrison","catalog-images":"1\/newsnet_160307_933819.jpg","image":"http:\/\/newsnet.fr\/img\/newsnet_160307_933819.jpg","hub":"newsnet","url-explicit":"http:\/\/newsnet.fr\/art\/postscriptum-la-verite-de-toni-morrison","admin":"newsnet","views":"617","priority":"4","length":"24205","lang":"fr","content":"\u003Cp\u003E\u003Ca href=\"http:\/\/www.tlaxcala-int.org\/biographie.asp?ref_aut=6877&lg_pp=fr\"\u003EHilton Als\u003C\/a\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EElle avait vu il y a des ann\u00e9es la folie dans laquelle nous vivons aujourd'hui\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cspan class=\"philum ic-img2\"\u003E\u003C\/span\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EToni Morrison (1931-2019) par Katy Horan, \u003Ca href=\"http:\/\/www.amazon.com\/exec\/obidos\/ASIN\/1580056733\/braipick-20\"\u003ELiterary Witches\u003C\/a\u003E.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EQuand elle vous regardait et s'adressait \u00e0 vous par votre pr\u00e9nom, elle faisait sonner cela comme une promesse, une promesse qui se tenait du c\u00f4t\u00e9 de tout ce qui \u00e9tait juteux, intelligent, noir, amus\u00e9, \u00e0 vous. Autrefois, quand les dames \u00e9taient \"de couleur\" et qu'elle n'\u00e9tait elle-m\u00eame qu'une enfant, elle avait appris de ces dames, probablement, le m\u00eame regard d'incr\u00e9dulit\u00e9 qui roulait des yeux, l\u00e8vres serr\u00e9es, qu'elle employait quand elle racontait une erreur flagrante de jugement de la part de quelqu'un d' autre, ou une stupidit\u00e9 prof\u00e9r\u00e9e par quelqu'un ou dont il ne se doutait pas qu'il \u00e9tait sur le point de la prof\u00e9rer. Apr\u00e8s qu'elle vous avait jet\u00e9 ce genre de regard, vous n'aviez plus aucune envie de dire quoi que ce soit de stupide. Si elle vous recevait comme un ami - et c'\u00e9tait rare dans un monde o\u00f9 tant de gens voulaient lui prendre son temps et estimaient qu'ils avaient droit \u00e0 son temps, \u00e9tant donn\u00e9 le caract\u00e8re intime de sa voix - elle \u00e9tait accueillante mais r\u00e9serv\u00e9e. Puis, si vous aviez eu la chance de remplir les crit\u00e8res qu'elle exigeait de tous ses amis, dont la capacit\u00e9 de rire fort et longtemps de votre propre folie, et de la sienne aussi, elle \u00e9tait moins r\u00e9serv\u00e9e, puis tr\u00e8s franche : il n'y avait pas de temps pour autre chose que la franchise.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EUn jour, elle m'a dit que lorsqu'elle \u00e9tait une jeune m\u00e8re c\u00e9libataire \u00e9levant ses deux gar\u00e7ons, elle allait regarder ses enfants pendant qu'ils dormaient. Ici, Toni, l'ancienne \u00e9tudiante-actrice, s'agrippait \u00e0 son chemisier pour exprimer son \u00e9merveillement et son abn\u00e9gation quand elle regardait ses enfants. \u00ab C'est ainsi que je me voyais moi-m\u00eame \u00e0 l'\u00e9poque \u00bb, dit-elle, le rire se mettant \u00e0 jaillir de sa poitrine. Parce que, en v\u00e9rit\u00e9, ses enfants n'appr\u00e9ciaient pas du tout. En effet, un de ses gar\u00e7ons lui a demand\u00e9 de ne pas errer dans la pi\u00e8ce comme \u00e7a la nuit, \u00e7a lui faisait peur. Et l\u00e0, elle \u00e9clatait d'un rire qui se moquait de l'id\u00e9e m\u00eame de la perception de soi, sans parler de l'auto-dramatisation : elles \u00e9taient toujours esquint\u00e9es par la r\u00e9alit\u00e9 d'autrui.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EC'\u00e9tait une conversationniste merveilleuse avec de belles mains : les manucures soign\u00e9es \u00e9taient l'une de ses rares indulgences apr\u00e8s une vie pass\u00e9e \u00e0 s'occuper des autres, \u00e0 faire la vaisselle, le m\u00e9nage, le rangement. Lorsque nous nous sommes rencontr\u00e9s pour la premi\u00e8re fois, en 2002, elle n'avait plus \u00e0 ranger le d\u00e9sordre des autres. Comme les femmes plus \u00e2g\u00e9es qu'elle d\u00e9crivait si joliment dans \u003Ci\u003EL'œil le plus bleu\u003C\/i\u003E, elle \u00e9tait, \u00e0 ce moment-l\u00e0, de fait enfin libre. Lib\u00e9r\u00e9e de la responsabilit\u00e9 d'avoir \u00e0 faire plaisir \u00e0 quelqu'un d'autre qu'\u00e0 elle-m\u00eame. Elle \u00e9tait excit\u00e9e d'\u00eatre elle-m\u00eame. Lorsque vous lui rendiez visite ou que vous la rencontriez lors d'un \u00e9v\u00e9nement, elle s'asseyait et racontait des histoires. Elle le faisait sans l'aide d'un iPhone pour v\u00e9rifier certains d\u00e9tails. Les d\u00e9tails \u00e9taient dans sa t\u00eate ; elle \u00e9tait \u00e9crivaine. Comme elle d\u00e9crivait ceci ou cela, elle vous captivait non seulement par le choix de ses mots, mais aussi par le flot continu de rires qui soutenait ses mots, jusqu'\u00e0 ce que, \u00e0 la fin de l'histoire, lorsque la sc\u00e8ne, les gens, le temps, \u00e9taient \u00e0 vos pieds, elle produise une fusillade de gloussements qui s'\u00e9levaient et retombaient, puis disparaissaient quand elle hochait la t\u00eate.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EPlus de v\u00e9rit\u00e9s : elle n'avait pas aim\u00e9 quelque chose que j'avais \u00e9crit sur un de ses livres dans un article de mes d\u00e9buts et elle l'a dit. Nous \u00e9tions assis dans un grand restaurant vide pr\u00e8s de chez elle, dans le comt\u00e9 de Rockland. Elle nous y avait conduits avec une vitesse et une force qui m'avaient choqu\u00e9, mais, encore une fois, pourquoi cela aurait-il \u00e9t\u00e9 le cas ? C'\u00e9tait Toni Morrison. C'\u00e9tait l'une des premi\u00e8res fois que nous \u00e9tions seuls. (Auparavant, nous nous rencontrions toujours par l'interm\u00e9diaire d'amis.) Quand elle a dit que mes critiques lui d\u00e9plaisaient, je me suis retourn\u00e9 : je ne savais vraiment pas \u00e0 qui elle parlait, et je le lui ai dit. La personne qui avait \u00e9crit ce qu'elle n'aimait pas \u00e9tait quelqu'un dont je ne me souvenais pas, quelqu'un avec qui je ne m'identifiais plus, une personne qui avait probablement essay\u00e9 de se grandir parce que les fourmis pensent toujours qu'elles sont plus grandes en rampant sur l'\u00e9paule des g\u00e9ants. Apr\u00e8s que j'ai dit ma version de tout \u00e7a, elle a dit qu'elle comprenait. Et puis la conversation a commenc\u00e9 s\u00e9rieusement, mais pas avant que j'aie eu un autre choc, en r\u00e9alisant ceci : J'avais bless\u00e9 Toni Morrison. Toni Morrison pouvait \u00eatre bless\u00e9e.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EQuand vous \u00e9tiez avec elle, la l\u00e9gendaire \u00e9ditrice apparaissait, et elle voyait votre vraie dimension en tant que personne, et ce que vous pouviez faire, ou ce qu'elle pensait que vous pouviez faire, parce qu'elle est arriv\u00e9e dans l'\u00e9dition quand l'\u00e9dition \u00e9tait synonyme de soin [\u003Ci\u003Eorig. care, NdT\u003C\/i\u003E]. Je pense qu'elle se pr\u00e9occupait de ma tendance \u00e0 m'inqui\u00e9ter et \u00e0 ne pas prendre trop de place en tant qu'\u00e9crivain, \u00e0 laisser les autres passer en premier, \u00e0 tracer un voile entre moi et le monde par honte, peur et fr\u00e9n\u00e9sie. Elle avait probablement vu cette tendance chez un certain nombre d'\u00e9crivaines qu'elle a nourries au fil des ans et chez certains artistes gays noirs, comme Bill Gunn, qu'elle avait aussi aim\u00e9. (Quand il \u00e9tait malade du SIDA, elle est all\u00e9e le voir \u00e0 l'h\u00f4pital avec un de ses fameux g\u00e2teaux. \u00ab Je savais qu'il ne pouvait pas manger ce g\u00e2teau, \u00bb dit-elle. \u00ab Mais il \u00e9tait heureux d'avoir ce g\u00e2teau. \u00bb) Alors quand vous sortiez, elle vous applaudissait. Une fois, je suis all\u00e9 avec un ami faire faire des chaussures par un cordonnier. Quand les chaussures ont \u00e9t\u00e9 finies, Toni m'a vu les porter \u00e0 un d\u00eener. Je lui ai racont\u00e9 l'histoire. Elle m'a regard\u00e9, s'est extasi\u00e9e et m'a dit : \u00ab C'est \u00e7a, mes chaussures. \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EL'audace peut rendre solitaire, mais elle ne s'est jamais plainte de solitude. Elle parlait du monde comme s'il \u00e9tait en conversation avec elle. Je n'ai encore jamais rencontr\u00e9 quelqu'un qui puisse \"lire\" les m\u00e9dias avec autant de rapidit\u00e9 et de bon sens qu'elle. Elle a vu la folie dans laquelle nous vivons maintenant il y a des ann\u00e9es \u00e0 cause de certaines tendances dans les reportages et dans la litt\u00e9rature. \u00ab La complexit\u00e9 de ce qu'on appelle l'individu, dont on fait l'\u00e9loge depuis des d\u00e9cennies en Am\u00e9rique, s'est en quelque sorte r\u00e9duite au \" moi \" \u00bb, a-t-elle dit.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EEn tant qu'\u00e9tudiante magnifique \u00e0 l'Universit\u00e9 Howard, dans les ann\u00e9es 1950, Toni a jou\u00e9 un peu avec les Howard Players, un groupe anim\u00e9 alors par notre ami commun, le regrett\u00e9 et grand r\u00e9alisateur et \u00e9crivain Owen Dodson. Il m'a dit quelle superbe actrice elle avait \u00e9t\u00e9, belle dans la forme et la voix, et c'est toujours int\u00e9ressant pour moi de voir combien de femmes \u00e9crivaines que j'ai admir\u00e9 - Colette, Jean Rhys, Jamaica Kincaid, Toni- ont, sans le savoir, commenc\u00e9 \u00e0 se chercher, \u00e0 chercher leurs voix d'\u00e9crivaines, sur sc\u00e8ne. Jouer et chanter exigent de l'interpr\u00e8te qu'il fasse deux choses simultan\u00e9ment : \u00eatre soi-m\u00eame et ne pas \u00eatre soi-m\u00eame mais un personnage, donner vie \u00e0 un sc\u00e9nario qu'on n'a pas \u00e9crit.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EBien s\u00fbr, cette condition n'est pas inconnue des femmes en g\u00e9n\u00e9ral, et quand Toni avait coutume de dire : \u00ab Je ne voulais pas grandir pour devenir \u00e9crivain, je voulais grandir pour devenir adulte \u00bb, elle disait beaucoup. Parce qu'\u00eatre adulte, c'est prendre au s\u00e9rieux la race humaine et le r\u00f4le qu'on y joue. Elle a \u00e9crit ce qu'elle a appel\u00e9 la \"litt\u00e9rature de village\" pour la tribu, c'est-\u00e0-dire les Noirs. Pour \u00eatre compris dans la diaspora que nous appelons la vie noire, il faut un haut degr\u00e9 d'alacrit\u00e9 intellectuelle et de finesse technique : les Noirs parlent de nombreuses langues en partie parce qu'ils ont d\u00fb survivre \u00e0 de nombreuses cultures dominantes diff\u00e9rentes pour vivre, sans parler de prosp\u00e9rer, faire des choses, pour laisser une marque. Il faut \u00eatre un artiste extr\u00eamement ambitieux pour dire que je parlerai \u00e0 ces gens - mon peuple - d'une voix que nous pouvons tous comprendre, ensemble, juste nous, et si quelqu'un d'autre veut suivre, ils peuvent le faire. Pour ce faire, Toni a ferm\u00e9 la porte \u00e0 ce qui pr\u00e9occupe beaucoup trop d'\u00e9crivains et d'artistes de couleur lorsqu'ils font, directement ou indirectement, de la \"blanchitude\" leur sujet. Toni a donn\u00e9 un coup de pied au patriarcat et l'a envoy\u00e9 valser avec \u00e0 peine un regard en arri\u00e8re.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EUne partie de l'extraordinaire puissance de \u003Ci\u003ESula\u003C\/i\u003E est que c'est un monde o\u00f9 les hommes ne sont pas au centre. C'est le son des voix de femmes qui prime, qui fait l'histoire. Dans environ les deux tiers du livre, Sula, une artiste sans art, une femme de couleur libre, retourne dans la ville o\u00f9 elle a grandi et o\u00f9 elle a \u00e9t\u00e9 \u00e9lev\u00e9e, en partie, par sa grand-m\u00e8re Eva.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ESula se jeta sur le lit d'Eva. \"Le reste de mes affaires viendra plus tard.\"\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\"J'esp\u00e8re bien. \"Ces petites queues en fourrure ne vont pas te servir \u00e0 grand-chose, pas plus qu'au renard qui les avait.\"\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\"Tu dis bonjour aux gens que t'as pas vus depuis dix ans ?\"\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab Si les gens disaient o\u00f9 ils sont et quand ils viennent, alors les autres pourraient s'y pr\u00e9parer. Sans \u00e7a - si c'est pour te tomber dessus sans crier gare - faut bien qu'ils prennent les choses comme elles viennent. \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\"Comment tu vas, Grand-maman ?\"\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab On fait aller. Bien aimable de t'en soucier. Tu tra\u00eenais pas, quand tu voulais quelque chose. Quand t'avais besoin d'un peu de monnaie ou... \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab Viens pas me dire tout ce que tu m'as donn\u00e9, grand-maman, et tout ce que je te dois Mamma, et combien je te dois ou rien de tout \u00e7a. \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\"Oh ? Il parait que je dois pas en parler ?\"\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\"OK. Parles-en.\"\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab Y a pas dix secondes que t'es dans la maison depuis 10 secondes et d\u00e9j\u00e0 tu commences. \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\"Faut \u00eatre deux, grand-maman.\"\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab Eh bien, emp\u00eache ta bouche de commencer ce que ton cul ne peut pas suivre. Quand est-ce que tu vas te marier ? Tu as besoin d'avoir des b\u00e9b\u00e9s. Je vais te caser. \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\"Je ne veux avoir personne d'autre. Je veux m'avoir, moi.\"\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\"Ego\u00efste. Aucune femme n'a rien \u00e0 faire \u00e0 tra\u00eener sans un homme.\"\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\"Tu l'as fait.\"\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\"Pas par choix.\"\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\"Maman aussi.\"\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab Pas par choix, j'ai dit. Tu n'as pas le droit de vouloir rester toute seule. Tu as besoin... Je vais te dire ce dont t'as besoin. \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ESula se redressa.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab J'ai besoin que tu fermes ton clapet. \u00bb \u00ab Personne ne me parle comme \u00e7a. Personne... \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab Moi, si. C'est pas parce que t'as \u00e9t\u00e9 assez salope pour te couper la jambe qu'il faut nous botter le cul avec le moignon. \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab Qui dit que je me suis coup\u00e9 la jambe ? \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab Eh bien, tu l'as mise sous un train pour toucher l'assurance. \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab Attends un peu, menteuse, garce ! \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab J'attends. \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab La Bible dit d'honorer ton p\u00e8re et ta m\u00e8re pour qu'ils jouissent longtemps de la terre que Dieu t'a donn\u00e9e. \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab Maman a d\u00fb sauter ce passage. Elle n'a pas dur\u00e9 si longtemps. \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab Gueule d'enfer ! Dieu va te foudroyer ! \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab Quel Dieu ? Celui qui t'a regard\u00e9e br\u00fbler Plum ? \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab Me parle pas de br\u00fbler. Tu as regard\u00e9 ta propre m\u00e8re. Sale punaise ! C'est toi qui aurais d\u00fb br\u00fbler ! \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab Mais c'est pas le cas. T'entends ? C'est pas le cas. S'il y a encore des feux ici, c'est moi qui les allumerai ! \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab Le feu de l'enfer, on ne l'allume pas et il br\u00fble d\u00e9j\u00e0 en toi... \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab Tout se br\u00fble en moi, c'est \u00e0 moi ! \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab Amen ! \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab Et je foutrai cette ville en l'air et tout ce qu'il y a dedans avant que tu puisses l'\u00e9teindre ! \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab L'orgueil s'en va avant la chute. \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab Qu'est-ce que je m'en fous de la chute ? \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Ci\u003E\u003Cb\u003E[Sula, traduit de l'anglais par Pierre Alien, Chr. Bourgois, \u00e9d. Kundle, 2015, pp. 101-106]\u003C\/b\u003E\u003C\/i\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELe caract\u00e8re brillant de cette conversation r\u00e9side dans son \u00e9conomie et dans la r\u00e9alit\u00e9 du discours des femmes : si vous avez grandi pr\u00e8s de ces types de personnages, c'est comme si vous \u00e9coutiez une transcription d'un dialogue que vous avez entendu dans l'intimit\u00e9 de votre propre maison ou de celle d'un parent. Sula montre son cul pour montrer sa col\u00e8re, et plus encore.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EQuand Toni parlait d'\u00e9crivains et de livres qu'elle admirait, comme \"Invisible Man\" de Ralph Ellison, elle faisait savoir qu'elle \u00e9tait un peu ennuy\u00e9e par le pr\u00e9suppos\u00e9 d'Ellison que son protagoniste n'existait pas dans le monde car les blancs ne le voyaient pas. La protagoniste d'Ellison n'\u00e9tait pas invisible pour elle, dit-elle, elle connaissait ces types. Et elle nous a montr\u00e9 comment ses autres personnages connaissaient ses hommes : parfois en col\u00e8re, parfois en conflit, toujours avec grand int\u00e9r\u00eat. Elle a retourn\u00e9 le miroir du monde - son monde - sur eux et, ce faisant, a forc\u00e9 ses personnages masculins \u00e0 faire ce que les hommes noirs n'\u00e9taient pas cens\u00e9s tr\u00e8s bien faire dans la vie r\u00e9elle : rester, ne serait-ce que pour un temps. Et en les faisant rester, ils ont chang\u00e9 les choses, m\u00eame s'ils \u00e9taient fous, comme Shadrack, dans \"Sula\" (1973), ou Plum le maudit, dans le m\u00eame roman, ou le tyrannique Macon Dead II, dans \"Song of Solomon\" (1977), ou le mort Bill Cosey, dans \"Love\" (2003), ou Frank Money, un Ulysse contemporain en recherche de sa sœur, dans \"Home\" (2012). Le fait est que les hommes \u00e9taient engag\u00e9s, ils \u00e9taient vus.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EDans \"Tar Baby\" (1981), on rencontre Jadine, une mannequin noir qui tombe amoureuse de Son, un rebelle. La classe, l'un des grands sujets inexplor\u00e9s de notre vie noire usam\u00e9ricaine disparate, est ce qui les s\u00e9pare, finalement, mais je ne pense pas que m\u00eame James Baldwin, l'ami de Morrison, l'ait vu. Dans une interview que Baldwin a donn\u00e9e \u00e0 Quincy Troupe vers la fin de sa vie, il a dit que Toni \u00e9tait une all\u00e9goriste, mais ce n'est pas vraiment vrai. Baldwin a grandi en tant que romancier \u00e0 l'\u00e9poque de \"From Here to Eternity\" [\u003Ci\u003ETant qu'il y aura des hommes\u003C\/i\u003E, film de Fred Zinnemann, 1953] et \"The Naked and the Dead\"[\u003Ci\u003ELes Nus et les Morts\u003C\/i\u003E, film de Raoul Walsh, 1958]- une \u00e9poque d\u00e9finie par une \"prose muscl\u00e9e\" et des histoires empreintes de r\u00e9alisme. Baldwin s'est perdu dans l'atmosph\u00e8re de Toni, dans laquelle elle se perdait parfois aussi. En 1981, dans une interview, elle dit : \u00ab Je dois avouer, cependant, que je me d\u00e9sint\u00e9resse parfois des personnages et que je m'int\u00e9resse beaucoup plus aux arbres et aux animaux. Je pense que je fais preuve d'une grande retenue, mais mon \u00e9diteur m'a dit : \"Arr\u00eatez cette histoire de beaut\u00e9 \u00bb. Et je lui ai dit : \"Attendez, attendez que je vous parle de ces fourmis. \" \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EPostscript\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EToni, une jardini\u00e8re passionn\u00e9e, \u00e9tait une naturaliste dans un monde o\u00f9 la nature avait \u00e9t\u00e9 maltrait\u00e9e et utilis\u00e9e pour le commerce, tout comme les corps qui la r\u00e9coltaient \u00e9taient utilis\u00e9s pour le commerce. La nature appara\u00eet \u00e0 travers les fissures de plusieurs de ses livres. Parfois, les fleurs ne poussent pas dans ses histoires, parce que la vie est rabougrie \u00e0 un endroit ; parfois, les ordures qui entourent la vie jet\u00e9e aux orties deviennent une sorte de jardin. Fermez les yeux et souvenez-vous de la pauvre Pecola Breedlove condamn\u00e9e, \u00e0 la fin de \u003Ci\u003EL'œil le plus bleu,\u003C\/i\u003E qui picore parmi tout ce verre bris\u00e9, avec son r\u00eave de beaut\u00e9 -beaut\u00e9 blanche - contribuant \u00e0 sa chute. Ou le paysage outrageusement luxuriant qui compose le terrain de l'Isle des Chevaliers, dans \"Tar Baby\", ou le bois et la plaine dans \"A Mercy\" (2008) : le monde ext\u00e9rieur est beau et reste beau, m\u00eame quand on y met la main. Parfois, quand je la lis, je pense \u00e0 cette remarque extraordinaire de Diane Arbus, quand elle d\u00e9crit la beaut\u00e9 et le d\u00e9sespoir qu'elle a trouv\u00e9 en photographiant dans les colonies nudistes : \u00ab C'est comme si, apr\u00e8s la Chute, Adam et \u00c8ve avaient suppli\u00e9 le Seigneur de leur pardonner et Lui, dans son exasp\u00e9ration sans bornes, avait dit : \"Tr\u00e8s bien, alors. Restez. Restez dans le Jardin. Devenez civilis\u00e9s. Procr\u00e9ez. Bousillez-le'. Et ils l'ont fait. \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELa grandeur de Toni en tant que romanci\u00e8re tenait beaucoup \u00e0 son talent - sa grande habilet\u00e9 - \u00e0 montrer comment nous avons g\u00e2ch\u00e9 le paysage, non seulement dans le monde mais en nous-m\u00eames. L'esclavage \u00e9tait une fa\u00e7on de le bousiller, bien s\u00fbr, et l'\u00e9norme blessure au centre de \u003Ci\u003EBeloved\u003C\/i\u003E (1988) a \u00e0 voir avec la fa\u00e7on dont l'esclavage a non seulement tu\u00e9 des corps, mais a bousill\u00e9 nos esprits, cr\u00e9ant ainsi un mode de pens\u00e9e particuli\u00e8rement usam\u00e9ricain. En raison de cette histoire, les personnages de Toni vivent dans ses histoires et se tiennent en dehors de l'action en m\u00eame temps. Son dernier chef-d'œuvre, \"A Mercy\" [\u003Ci\u003EUn don\u003C\/i\u003E], est un roman sur l'institution mentale de l'esclavage dans ce pays, mais, \u00e0 un autre niveau, le livre traite des voix et comment ces voix remplissent un nouveau paysage usam\u00e9ricain de diff\u00e9rence : Nous venons tous d'ailleurs, alors qu'est-ce qui fait un USAm\u00e9ricain ?\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EL'une des voix les plus puissantes de \"A Mercy\" appartient \u00e0 Florens, une jeune femme dont la recherche de l'amour la conduit dans des lieux assez dangereux, dont une profonde vuln\u00e9rabilit\u00e9 du cœur. On l'entend dans sa voix, surtout apr\u00e8s que son amant, le Forgeron, l'a abandonn\u00e9e dans la plantation o\u00f9 elle est esclave.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Ci\u003EDepuis votre d\u00e9part sans adieu, l'\u00e9t\u00e9 passe, puis l'automne, et avec le d\u00e9clin de l'hiver, la maladie revient. Pas comme avant avec Sorrw mais avec Sir..... Tu ne sais probablement pas du tout \u00e0 quoi ressemble ton dos, quel que soit le ciel : lumi\u00e8re du soleil, lever de lune. Je m'y repose. Ma main, mes yeux, ma bouche. La premi\u00e8re fois que je le vois, tu es en train d'activer le feu avec des soufflets. L'\u00e9clat de l'eau coule le long de ta colonne vert\u00e9brale et je suis choqu\u00e9e par moi-m\u00eame pour mon envie de l\u00e9cher l\u00e0.\u003C\/i\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELa Florens de Toni est une voix imaginaire enracin\u00e9e dans la brillante capacit\u00e9 et le d\u00e9sir de l'auteure de ressentir ce que la chair ressent en dehors de sa propre exp\u00e9rience, et ce qu'il faut pour que l'amour survive, m\u00eame quand il a \u00e9t\u00e9 abandonn\u00e9. Son travail est un argument plus que cr\u00e9dible pour le pouvoir de l'invention. \u00ab Cessez de penser \u00e0 sauver la face \u00bb, dit-elle, dans son discours du prix Nobel de 1993. \u00ab Et dites-nous votre monde particulier. Inventez une histoire. \u00bb Elle a invent\u00e9 des histoires, d'accord, des contes qu'elle a d\u00e9velopp\u00e9s dans un contexte clairement litt\u00e9raire. En effet, on ne lui reconna\u00eet pas assez le m\u00e9rite d' \u00eatre une grande moderniste, l'\u00e9gale des modernistes qu'elle admirait et dont elle parlait \u00e0 l'universit\u00e9 : Faulkner et Virginia Woolf. Elle adorait aussi Gabriel Garc\u00eda M\u00e1rquez, un autre romancier qui s'int\u00e9ressait au pouvoir corrosif et r\u00e9dempteur des ph\u00e9nom\u00e8nes naturels, de la vie v\u00e9g\u00e9tale et de la terre. Une fois, elle m'a demand\u00e9 ce que je pensais de son travail. J'ai avou\u00e9 que je ne l'avais pas lu depuis longtemps. Elle a souri et dit : \u00ab Moi ? Je d\u00e9vore tout de lui. \u00bb\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ECe que ces artistes ont en commun, bien s\u00fbr, c'est la grandeur de l'intention fa\u00e7onn\u00e9e par certaines id\u00e9es de ce que la fiction peut faire et devrait faire pour le lecteur de livres litt\u00e9raires. D\u00e8s le d\u00e9but, Toni travaillait \u00e0 plusieurs niveaux \u00e0 la fois, mais la complexit\u00e9 de la pens\u00e9e - les id\u00e9es dans la fiction - \u00e9tait au centre de ses pr\u00e9occupations. Le d\u00e9sir de trouver la plasticit\u00e9 du langage, ce qui peut se plier et s'\u00e9couler avec les pens\u00e9es et les sentiments d'un personnage, \u00e9tait \u00e0 peu pr\u00e8s \u00e9gal \u00e0 cela. C'est diff\u00e9rent d'\u00eatre postmoderniste. En tant que postmoderniste, elle aurait d\u00fb s'immiscer dans l'histoire avec ses propres observations et commentaires, et o\u00f9 serait la fiction l\u00e0 ? Si elle voulait cr\u00e9er un monde fractur\u00e9, comme elle l'a fait dans \"Jazz\" (1992), la fracture devait exister dans le tissu lui-m\u00eame, pour ainsi dire, c'est-\u00e0-dire dans un r\u00e9cit qu'elle avait fa\u00e7onn\u00e9 et contr\u00f4lait.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EElle croyait que raconter des histoires \u00e9tait la meilleure fa\u00e7on \"d'apprendre quoi que ce soit\". Une partie de ce \u00e0 quoi les lecteurs r\u00e9agissent dans son travail est la fa\u00e7on dont elle leur donne le droit d'auteur sur leur propre vie. Et elle a cr\u00e9\u00e9 l'illusion, parfois, que ses personnages arrivaient \u00e0 votre porte, tout entiers. (Elle avait l'habitude de plaisanter en disant que Pilate, dans \u003Ci\u003ELe Chant de Salomon\u003C\/i\u003E, \u00e9tait si pr\u00e9sente quand elle \u00e9crivait son roman qu'elle devait rappeler \u00e0 la brillante matriarche que c'\u00e9tait son livre). Mais aucun d'entre eux n'aurait pu trouver sa libert\u00e9 sans son extraordinaire discipline. C'est la discipline qui sous-tend son art qui nous a permis d'entendre ses citoyens fictifs parler entre eux et avec eux-m\u00eames, permettant ainsi aux lecteurs de Toni de se parler \u00e0 eux-m\u00eames et de s'\u00e9couter aussi.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EPourtant, peu importe l'isolement individuel des personnages de Toni, on leur donne g\u00e9n\u00e9ralement l'occasion de parler \u00e0 quelqu'un d'autre ; c'est une fa\u00e7on pour elle de nous montrer leur complexit\u00e9 dans le monde. Claudia et Pecola, dans \"The Bluest Eye\" ; Nel et Sula, dans \"Sula\" ; Milkman et Guitar, dans \"Song of Solomon\" ; Jadine et Fils, dans \"Tar Baby\" ; Sethe et Denver et Beloved, dans \"Beloved\" ; Joe et Violet et Dorcas, dans \"Jazz\" ; les femmes dans \"Paradise\" - tous ces \u00eatres sont \u00e0 la fois seuls et compos\u00e9s de multiples intentions, de haine, de cr\u00e9ation et de destruction, de haine et d'amour, d'esp\u00e9rance, et de conneries. Parfois l'amour est le plus fort entre deux hommes, parfois entre deux femmes, et des fois, maintenant, je me demande ce que cela aurait \u00e9t\u00e9 pour elle de cr\u00e9er un monde aussi fluide que son langage, un monde o\u00f9 le genre n'aurait pas \u00e9t\u00e9 vu en opposition ou en soutien \u00e0 lui-m\u00eame et aurait juste \u00e9t\u00e9. Quelle chose int\u00e9ressante et provocante \u00e0 dire, aurait-elle pu dire. Et puis elle aurait peut-\u00eatre empoch\u00e9 l'id\u00e9e, peut-\u00eatre, pour s'en servir plus tard, probablement, dans un autre roman unique en son genre.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ECourtesy of \u003Ca href=\"http:\/\/tlaxcala-int.org\"\u003ETlaxcala\u003C\/a\u003E\u003Cbr \/\u003E\nSource: \u003Ca href=\"https:\/\/www.newyorker.com\/culture\/postscript\/toni-morrisons-truth\"\u003Enewyorker.com\u003C\/a\u003E\u003Cbr \/\u003E\nPublication date of original article: 08\/08\/2019\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Ca href=\"http:\/\/www.tlaxcala-int.org\/article.asp?reference=26785\"\u003Etlaxcala-int.org\u003C\/a\u003E\u003C\/p\u003E","_links":{"parent_art":[{"title":"The guardian : D\u00e9c\u00e8s de Toni Morrison, auteur et laur\u00e9at du Pulitzer, \u00e0 l'\u00e2ge de 88 ans","url":"http:\/\/newsnet.fr\/apicom\/id:160079,json:1"}]}}}