{"162915":{"id":"162915","parent":"0","time":"1570962120","url":"http:\/\/newsnet.fr\/162915","source":"http:\/\/usbeketrica.com\/article\/eva-illouz-le-developpement-personnel-c-est-l-ideologie-revee-du-neoliberalisme","category":"documentaires","title":"Eva Illouz : \u00ab Le d\u00e9veloppement personnel, c'est l'id\u00e9ologie r\u00eav\u00e9e du n\u00e9olib\u00e9ralisme \u00bb","catalog-images":"3\/newsnet_162915_53f9bb.jpg\/newsnet_162915_e760f3.jpg\/newsnet_162915_280939.jpg","image":"http:\/\/newsnet.fr\/img\/newsnet_162915_280939.jpg","hub":"newsnet","url-explicit":"http:\/\/newsnet.fr\/art\/eva-illouz-le-developpement-personnel-c-est-l-ideologie-revee-du-neoliberalisme","admin":"newsnet","views":"537","priority":"3","length":"21660","lang":"fr","content":"\u003Cp\u003E\u003Cspan class=\"philum ic-img2\"\u003E\u003C\/span\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EEva Illouz s'est fait conna\u00eetre pour avoir expliqu\u00e9 \u00ab \u003Ca href=\"http:\/\/www.seuil.com\/ouvrage\/pourquoi-l-amour-fait-mal-eva-illouz\/9782021081527\"\u003Epourquoi l'amour fait mal\u003C\/a\u003E \u00bb et, plus r\u00e9cemment, comment la dictature du bonheur s'est infiltr\u00e9e en douce dans nos vies. Alors faut-il en vouloir \u00e0 notre Chief Happiness Officer ? A-t-on encore le droit de crier dans l'open space sans passer pour un fou ? Et \u00e0 quel futur de l'\u00e9galit\u00e9 peut-on s'attendre apr\u00e8s #MeToo ? De passage \u00e0 Paris, la sociologue franco-isra\u00e9lienne a accept\u00e9 de r\u00e9pondre \u00e0 nos questions existentielles sans en vouloir \u00e0 notre \u00ab happycondrie \u00bb.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab Il est o\u00f9 le bonheur ? Il est o\u00f9 ? \u00bb Sommes-nous en train de vous confier que cette chanson de Christophe Ma\u00e9 r\u00e9sonnait avec insolence dans nos t\u00eates alors que nous nous appr\u00eations \u00e0 rencontrer Eva Illouz ? Absolument. Pr\u00e9cisons que le bonheur est le th\u00e8me d'\u003Ci\u003EHappycratie\u003C\/i\u003E, \u003Ca href=\"https:\/\/usbeketrica.com\/article\/happycratie-faut-il-en-finir-avec-le-developpement-personnel\"\u003Eessai \u00e9difiant\u003C\/a\u003E paru \u00e0 l'\u00e9t\u00e9 2018 (Premier Parall\u00e8le). Halte \u00e0 la dictature du bonheur, alertent la sociologue franco-isra\u00e9lienne et le docteur en psychologie Edgar Cabanas, car celle-ci se r\u00e9v\u00e8le pi\u00e9geuse. Vous voulez \u00eatre heureux ? Les livres de d\u00e9veloppement personnel, qui caracolent en t\u00eate des ventes, vous attendent. Et puisqu'il suffit de \u00ab voir les choses positivement \u00bb, pourquoi plaider pour de meilleures conditions de travail, de meilleures \u00e9coles, un meilleur futur ?\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ETel est le fil rouge de la pens\u00e9e d'Eva Illouz, qu'elle \u00e9crive au sujet de l'animatrice vedette Oprah Winfrey ou sur la trilogie \u00e9rotique Fifty Shades : la psychologie ne peut pas tout expliquer. M\u00eame ce qui nous semble relever de l'intime refl\u00e8te des normes. M\u00eame la souffrance amoureuse peut \u00eatre lue sociologiquement (\u003Ca href=\"http:\/\/www.seuil.com\/ouvrage\/pourquoi-l-amour-fait-mal-eva-illouz\/9782021081527\"\u003EPourquoi l'amour fait mal\u003C\/a\u003E, Seuil, 2012) : vous ne cessez d'encha\u00eener les ruptures, d'accord, mais la modernit\u00e9 des rapports amoureux (transform\u00e9s notamment par le consum\u00e9risme) a aussi sa part de responsabilit\u00e9. Enfin, nos \u00e9motions ne r\u00e9sisteraient pas \u00e0 la mainmise du capitalisme : c'est la th\u00e8se d'un ouvrage collectif (\u003Ca href=\"http:\/\/www.premierparallele.fr\/livre\/les-marchandises-emotionnelles\"\u003ELes Marchandises \u00e9motionnelles\u003C\/a\u003E, Premier Parall\u00e8le, 2019) dirig\u00e9 par Eva Illouz, qui analyse comment les industries du tourisme, du sexe ou du cin\u00e9ma visent \u00e0 nous transformer intimement.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EN\u00e9e en 1961 \u00e0 Fez dans une famille juive marocaine, elle arrive \u00e0 Sarcelles \u00e0 l'\u00e2ge de 10 ans, part quelques ann\u00e9es plus tard \u00e9tudier aux \u00c9tats-Unis, se tourne vers la sociologie - la lecture de \u003Ci\u003EBelle du Seigneur\u003C\/i\u003E d'Albert Cohen aurait inspir\u00e9 ce choix - et vit aujourd'hui entre Paris, o\u00f9 elle est chercheuse \u00e0 l'EHESS, et Isra\u00ebl, o\u00f9 elle est professeure de sociologie \u00e0 l'universit\u00e9 h\u00e9bra\u00efque de J\u00e9rusalem. Elle parle couramment fran\u00e7ais, h\u00e9breu, anglais et allemand. L'interview se fait heureusement pour nous dans la premi\u00e8re des quatre langues. Celle qui diss\u00e8que les sentiments en laisse peu transpara\u00eetre. La sociologie est son sport de combat. Un sport dont, c'est l'avantage, le terrain d\u00e9passe souvent les fronti\u00e8res du pr\u00e9sent pour ouvrir des pistes convaincantes sur le futur.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003EUsbek & Rica : Votre th\u00e8se, d\u00e9velopp\u00e9e dans Happycratie comme dans Les Marchandises \u00e9motionnelles, est que le capitalisme a transform\u00e9 notre rapport aux \u00e9motions et au bonheur. Nous l'avons laiss\u00e9 faire ?\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003EEva Illouz :\u003C\/b\u003E La science du marketing a jou\u00e9 un r\u00f4le important dans ce processus, et la sociologie n'a pas suffisamment \u00e9valu\u00e9 son influence \u00e0 mon sens. Au d\u00e9but du XXe si\u00e8cle, on sort d'une \u00e9conomie d'\u00e9pargne pour passer \u00e0 une \u00e9conomie de la d\u00e9pense. Pour cela, la science du marketing commence \u00e0 s'\u00e9tablir comme la science qui va faire le lien entre le sujet et la sph\u00e8re \u00e9conomique. Mais attention, il s'agit autant de comprendre la nature de cette subjectivit\u00e9 que de l'inventer. La science du marketing met en place un apparatus pour que le consommateur corresponde mieux \u00e0 cette nouvelle culture o\u00f9 existe une quantit\u00e9 inou\u00efe d'objets, dont la plupart ne sont pas n\u00e9cessaires \u00e0 notre existence. Et comme les besoins du corps sont relativement finis, il y a eu un d\u00e9ploiement vers une id\u00e9e de l'humain comme ayant des besoins \u00e9motionnels quasi inassouvibles. C'est encore plus intense apr\u00e8s la r\u00e9volution de 1968 parce qu'on peut enfin utiliser le corps, la sexualit\u00e9, le moi \u00ab authentique \u00bb comme socle pour la consommation. L'authenticit\u00e9 devient ainsi une des grandes marchandises qui circulent dans des industries comme la psychologie ou le tourisme. Cette fa\u00e7on de reconceptualiser le moi est extr\u00eamement \u00ab productive \u00bb sur le plan \u00e9conomique.\u003C\/p\u003E\u003Cfigure\u003E\u003Cimg src=\"http:\/\/newsnet.fr\/img\/newsnet_162915_e760f3.jpg\" \/\u003E\u003Cfigcaption\u003EEva Illouz \u00a9Zo\u00e9 Ducournau\u003C\/figcaption\u003E\u003C\/figure\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003EQuel a \u00e9t\u00e9 le r\u00f4le de la psychologie dans cette \u00e9volution ?\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELa psychologie est venue \u00e0 la rescousse de l'entreprise au moment o\u00f9 le capitalisme a d\u00fb se mesurer \u00e0 de nouvelles normes d\u00e9mocratiques. \u00c0 partir des ann\u00e9es 1920-1930, on ne peut plus exploiter les travailleurs tranquillement. La question devient : comment faire pour exploiter cette main-d'œuvre de mieux en mieux dans les limites du droit du travail ? Il y avait d\u00e9j\u00e0 une forme de b\u00e9haviorisme - courant de la psychologie qui s'int\u00e9resse aux comportements - \u00e0 l'\u00e9poque. Des \u00e9l\u00e8ves de Carl Jung comme \u003Cspan id=\"bt4703940\"\u003E\u003Ca onclick=\"togglebub('wiki,call__4703940_https:\/\/fr.wikipedia.org\/wiki\/Elton*Mayo_1');\"\u003E\u003Cspan class=\"philum ic-wiki2\"\u003E\u003C\/span\u003E\u003C\/a\u003E\u003C\/span\u003E \u003Ca href=\"https:\/\/fr.wikipedia.org\/wiki\/Elton_Mayo\"\u003EElton Mayo\u003C\/a\u003E (psychologue et sociologue australien consid\u00e9r\u00e9 comme l'un des p\u00e8res fondateurs de la sociologie du travail, ndlr) viennent aider l'entreprise. On propose un nouveau mod\u00e8le de travailleurs, mus par des sentiments, venus de leur enfance, de leur cadre familial. Les psychologues ont en fait redessin\u00e9 l'humain, sans le vouloir peut-\u00eatre. On commence \u00e0 r\u00e9imaginer le lieu de travail comme un lieu o\u00f9 l'on doit cr\u00e9er des techniques efficaces de gestion de la main-d'œuvre, faire en sorte que le m\u00e9contentement ne soit pas \u00e9veill\u00e9 et que le travailleur donne le meilleur de lui-m\u00eame \u00e0 l'entreprise, qu'il soit content. Jusqu'alors le contr\u00f4le des travailleurs se faisait par la violence, tr\u00e8s souvent, ou par la main forte.\u003C\/p\u003E\u003Cblockquote\u003E\u00ab Le travailleur d'aujourd'hui est tellement investi dans son travail qu'il s'identifie \u00e0 lui, et cherche \u00e0 exprimer son moi le plus profond \u00bb\u003C\/blockquote\u003E\u003Cp\u003EUne nouvelle id\u00e9ologie de la satisfaction se met en place. C'est politiquement tr\u00e8s ambigu : d'un c\u00f4t\u00e9 il y a progr\u00e8s, de l'autre on inclut le travailleur pour mieux l'exploiter. Se met en place une forme de contr\u00f4le par les \u00e9motions, beaucoup plus subtile, qui a abouti au fait que le travailleur d'aujourd'hui vient sur le lieu de travail avec sa subjectivit\u00e9, il est tellement investi dans son travail qu'il s'identifie \u00e0 lui, et cherche \u00e0 exprimer par le travail son moi le plus profond. Dans ce sens-l\u00e0 il y a eu une victoire \u00e9clatante de ce discours \u00e9conomique qui a utilis\u00e9 la psychologie.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003ECes m\u00e9canismes atteignent leur paroxysme avec l'arriv\u00e9e d'un m\u00e9tier comme celui de Chief Happiness Officer, embauch\u00e9 pour assurer le bien-\u00eatre au travail de ses coll\u00e8gues. Mais est-ce si grave si nous ne sommes pas dupes de ces nouvelles formes de management ?\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ESi vous posez la question de savoir s'il faut abolir l'id\u00e9e selon laquelle les entreprises doivent satisfaire les besoins \u00e9motionnels des travailleurs ou revenir au mod\u00e8le d'une mainmise violente et directe sur les travailleurs, certains vous diront que la deuxi\u00e8me forme de contr\u00f4le est pr\u00e9f\u00e9rable parce qu'elle est directe et non ambigu\u00eb et qu'elle peut donc g\u00e9n\u00e9rer de la r\u00e9sistance. Je ne sais pas. La perspective de Michel Foucault est de dire que ces deux formes de contr\u00f4le sont un peu identiques, une qu'il appelle le pouvoir n\u00e9gatif (celui de punir, et de frapper) et une autre forme de pouvoir productive dans laquelle le sujet serait disciplin\u00e9 par des techniques qui lui donnent plus le sentiment d'\u00eatre sujet. Je suis tr\u00e8s ambivalente vis-\u00e0-vis de ce type de diagnostic. Mais je n'ai pas non plus de grand d\u00e9voilement \u00e0 proposer, comme Marx a pu d\u00e9voiler par exemple les relations d'exploitation. Les Chief Happiness Officers sont l\u00e0 pour contribuer \u00e0 la culture d'entreprise, pour renforcer la loyaut\u00e9 \u00e0 l'entreprise, pour cr\u00e9er des relations humaines, parce que ce sont souvent d'elles que d\u00e9pend son image et donc ses profits. Le capitalisme contemporain, c'est la surexploitation psychique.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003EVous d\u00e9noncez \u00e9galement les travers du succ\u00e8s du d\u00e9veloppement personnel qui, dites-vous, nous d\u00e9tourne du collectif. Ne peut-il pas au contraire aider chacun \u00e0 s'\u00e9manciper pour finalement former une soci\u00e9t\u00e9 plus forte ?\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EComme beaucoup de sociologues, je fais une distinction entre le niveau individuel et le niveau collectif. Je comprends tr\u00e8s bien qu'une personne qui a recours \u00e0 un m\u00e9dicament qui lui fait du bien soit, quand elle entend une critique sociologique d'un tel m\u00e9dicament, r\u00e9volt\u00e9e. Elle a raison. Le d\u00e9veloppement personnel vous dit que votre souffrance vous appartient, \u00e0 vous et pas \u00e0 d'autres, et que c'est \u00e0 vous de l'am\u00e9liorer par votre travail sur vous-m\u00eame. C'est ce que j'appelle la privatisation de la souffrance sociale. Quand j'ai \u00e9crit \u003Ci\u003EPourquoi l'amour fait mal,\u003C\/i\u003E qui traitait du sujet a priori le plus intime, j'ai re\u00e7u un grand nombre de r\u00e9actions me confiant \u00ab Vous m'avez lib\u00e9r\u00e9(e) \u00bb, car je disais aux lecteurs que leur souffrance, qui semblait psychique et intime, \u00e9tait en fait une souffrance sociale. Cela ne veut pas dire que ces discours et techniques ne sont pas utiles individuellement. Elles le sont. Mais ce qui est vrai pour l'individu ne l'est pas pour le collectif.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003EChacun devient responsable de son bonheur, et \u00ab c'est la construction collective m\u00eame d'un changement sociopolitique qui se trouve s\u00e9rieusement limit\u00e9e \u00bb, \u00e9crivez-vous.\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EL'id\u00e9ologie du d\u00e9veloppement personnel est \u00e0 la fois psychique et \u00e9conomique, parce que l'id\u00e9e-cl\u00e9 sous-jacente est que c'est par le travail sur soi qu'on arrive \u00e0 surmonter tous les probl\u00e8mes \u00e9conomiques. C'est donc vraiment l'id\u00e9ologie r\u00eav\u00e9e du n\u00e9olib\u00e9ralisme, puisque lui-m\u00eame repose sur l'id\u00e9e que c'est aux individus de faire le travail fait auparavant par l'\u00c9tat. Nous devenons responsables de notre destin\u00e9e \u00e9conomique par le bon management de notre psych\u00e9, ce qui veut dire aussi que les destitu\u00e9s n'ont finalement \u00e0 s'en prendre qu'\u00e0 eux-m\u00eames, puisqu'il y a des instruments, des techniques, pour \u00eatre toujours les vainqueurs, puisqu'il ne s'agit que de cela en fait. C'est une id\u00e9ologie qui se repr\u00e9sente le monde social en termes de victoires et de d\u00e9faites, de winners et de losers, tout le darwinisme \u00e9conomique est v\u00e9hicul\u00e9 dans cette pens\u00e9e. L'ironie, bien s\u00fbr, c'est que cette id\u00e9ologie contient la preuve de son mensonge : m\u00eame si tout le monde \u00e9tait tr\u00e8s dou\u00e9 et travaillait tr\u00e8s dur, par d\u00e9finition, il ne peut y avoir que tr\u00e8s peu de gens en haut de la pyramide.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003EEt c'est une id\u00e9ologie que vous voyez victorieuse pour notre futur ?\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EOui, tout \u00e0 fait. Mais encore une fois, il ne faut pas confondre le fait qu'individuellement elle peut soulager. Les psychologues, \u00e7a marche ! Voir un psychologue pour parler de ses probl\u00e8mes aide beaucoup de gens. Je ne dis pas que le d\u00e9veloppement personnel n'aide pas. C'est pr\u00e9cis\u00e9ment parce que ce discours a une efficacit\u00e9 redoutable qu'il faut se poser des questions sur ses effets politiques et sociaux.\u003C\/p\u003E\u003Cfigure\u003E\u003Cimg src=\"http:\/\/newsnet.fr\/img\/newsnet_162915_280939.jpg\" \/\u003E\u003Cfigcaption\u003EHappycratie, Eva Illouz et Edgar Cabanas, ao\u00fbt 2018.\u003C\/figcaption\u003E\u003C\/figure\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003ECertains \u003Ca href=\"https:\/\/usbeketrica.com\/article\/homo-drogus-cri-alarme-ritaline-societe-controle\"\u003Efustigent\u003C\/a\u003E une soci\u00e9t\u00e9 occidentale qui, \u00e0 coups d'antid\u00e9presseurs, somnif\u00e8res, excitants et drogues diverses tend \u00e0 \u00ab mettre sous contr\u00f4le nos affects \u00bb, pour citer le philosophe Laurent de Sutter, voire se rapproche du contr\u00f4le social exerc\u00e9 dans \u003Ci\u003ELe Meilleur des mondes\u003C\/i\u003E d'Aldous Huxley. Qu'en pensez-vous ?\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EMichel Foucault disait dans les ann\u00e9es 1980 que l'id\u00e9e m\u00eame de la normalit\u00e9 g\u00e9r\u00e9e par toutes les sciences psy - psychiatriques, psychanalytiques, psychologiques - cr\u00e9e des normes de comportement de plus en plus \u00e9troites et rigides. La \u00ab normalisation \u00bb est tr\u00e8s paradoxale parce qu'on a aussi le sentiment d'une lib\u00e9ration des mœurs, d'une plus grande tol\u00e9rance des styles de vie. Je pense que ces deux processus avancent en parall\u00e8le. On va laisser d'un c\u00f4t\u00e9 les gens faire ce qu'ils veulent, comme dans la sph\u00e8re sexuelle, et de l'autre les comportements qu'on va consid\u00e9rer comme anormaux vont consid\u00e9rablement augmenter.\u003C\/p\u003E\u003Cblockquote\u003E\u00ab On pathologise la tristesse, la honte, la timidit\u00e9 parce que les int\u00e9r\u00eats professionnels et les b\u00e9n\u00e9fices \u00e9conomiques \u00e0 en retirer sont \u00e9normes \u00bb\u003C\/blockquote\u003E\u003Cp\u003ELa pression sur la normativit\u00e9 est tr\u00e8s forte dans de plus en plus de sph\u00e8res, comme dans le travail o\u00f9 l'expression de la col\u00e8re ou de la rage est de plus en plus interdite, et il y a en parall\u00e8le un d\u00e9foulement dans la m\u00e9ditation, le tourisme, le jogging, la drogue... Les deux mouvements vont ensemble. Mais il y a une recrudescence extraordinaire de pathologies psychiques en tout genre - on pathologise la tristesse, la honte, la timidit\u00e9... - parce que les int\u00e9r\u00eats professionnels et les b\u00e9n\u00e9fices \u00e9conomiques \u00e0 en retirer sont \u00e9normes.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003ENos \u00e9motions int\u00e9ressent de plus en plus les chercheurs en intelligence artificielle, qui les analysent et tentent de les mimer. On parle m\u00eame de feel data. Et certains humains s'attachent \u00e0 des machines programm\u00e9es pour mimer l'affection, l'empathie. Cela vous inqui\u00e8te ?\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EIl ne faut pas non plus sombrer dans une vision romantique des \u00e9motions, qui seraient de l'ordre de l'ineffable et \u00e9chapperaient \u00e0 la technologie. Elles ne le sont pas. L'int\u00e9riorit\u00e9 du sujet est plus limit\u00e9e et pr\u00e9visible qu'on ne le dit m\u00eame si on ne comprend pas les m\u00e9canismes. Internet et ses algorithmes le prouvent puisque apr\u00e8s un achat les algorithmes peuvent deviner votre deuxi\u00e8me achat. Avec les robots et l'intelligence artificielle, on aboutit au sentiment que ce qui semble le plus indicible chez l'homme peut finalement \u00eatre non pas compris, mais saisi par la logique de l'algorithme... qui peut, sans expliquer toutes les composantes, pr\u00e9voir comment vous allez vous comporter. On comprend en fait que notre complexit\u00e9 est r\u00e9ductible \u00e0 un certain nombre de variables. Donc je pense qu'on va vers une red\u00e9finition de l'authenticit\u00e9 \u00e9motionnelle, qui n'exclurait pas du tout le robot et la machine. On est d\u00e9j\u00e0 dans cette \u00e8re, puisque l'interaction avec les machines ou Internet remet compl\u00e8tement en question ce qu'on appelle l'imm\u00e9diatet\u00e9 de l'interaction et du face-\u00e0-face. L'anonymat sur Internet, par exemple, fait qu'on est beaucoup plus sauvage, violent, haineux, beaucoup plus soi-m\u00eame. Les gens qui interagissent par Internet peuvent \u00eatre sous certains aspects plus authentiques. On est en train de remettre en question notre vision de l'authenticit\u00e9.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003EAu sujet de la r\u00e9volution sexuelle des ann\u00e9es 1960, vous estimez qu'elle a lib\u00e9r\u00e9 la femme, mais que les hommes ont conserv\u00e9 leur domination ailleurs. En est-on encore l\u00e0 ? N'a-t-on pas fait des progr\u00e8s rapides \u00e0 l'\u00e9chelle de l'histoire ?\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EIl est difficile de dresser un constat tr\u00e8s clair. Je maintiens mon opinion selon laquelle il y a eu tr\u00e8s peu de changements dans l'infrastructure du pouvoir. Sur le plan \u00e9conomique, le pouvoir des hommes n'a pas chang\u00e9 et s'est peut-\u00eatre m\u00eame renforc\u00e9 depuis l'av\u00e8nement de l'\u00e9conomie technologique, dont toutes les grandes bo\u00eetes sont masculines. Il faudrait examiner cela. Pour le pouvoir militaire, les hommes gardent la mainmise absolue. Politiquement, regardez la vague de populisme qui traverse le monde : elle n'est pas seulement populiste, elle est aussi et peut-\u00eatre avant tout extr\u00eamement masculiniste. Trump, Bolsonaro, Salvini, le PiS (Pologne), ce n'est pas n'importe qui... Ce sont des gens qui veulent contr\u00f4ler le corps de la femme, reconstruire la famille traditionnelle, d\u00e9truite par le f\u00e9minisme.\u003C\/p\u003E\u003Cblockquote\u003E\u00ab Les femmes sont le semi-prol\u00e9tariat du capitalisme \u00bb\u003C\/blockquote\u003E\u003Cp\u003EL'\u00e9volution est beaucoup plus trouble dans le domaine culturel et dans celui des id\u00e9es. Les th\u00e9ories f\u00e9ministes sont enseign\u00e9es dans les universit\u00e9s depuis quarante ans, la sph\u00e8re juridique change puisque la loi a commenc\u00e9 \u00e0 reconna\u00eetre des cat\u00e9gories de crime comme le viol domestique, on essaie de culpabiliser un petit peu moins les victimes... Les femmes sont entr\u00e9es dans la sph\u00e8re du travail mais l'ont fait massivement soit dans des professions de \u00ab cols roses \u00bb (le \u00ab care \u00bb : infirmi\u00e8res, aides \u00e0 domicile, etc., ndlr), soit de \u00ab cols blancs \u00bb, et c'est \u00e0 peu pr\u00e8s tout. Les femmes ne doivent pas constituer plus de 10-15 % des \u00e9chelons sup\u00e9rieurs des grandes entreprises (et ce chiffre est sans doute exag\u00e9r\u00e9). Elles sont donc le semi-prol\u00e9tariat du capitalisme. Elles sont en comp\u00e9tition avec les hommes dans les professions de classe moyenne o\u00f9 elles sont entr\u00e9es, ce qui donne le sentiment qu'il y a eu un changement, qu'elles sont leurs \u00e9gales, or elles ne le sont pas du tout. C'est en revanche suffisant pour que cela ait un impact important sur la famille. Les femmes ne veulent plus forc\u00e9ment faire des enfants ou s'en occuper comme avant, donc il y a l\u00e0 un probl\u00e8me pour le capitalisme, qui a besoin de main-d'œuvre. Il existe une disjonction entre la production \u00e9conomique, qui est l'objectif principal du capitalisme et reste domin\u00e9e par les hommes, et la reproduction, dont les femmes sont les responsables. On n'a pas recr\u00e9\u00e9 d'autres structures qui feraient que la famille traditionnelle, qui \u00e9tait contr\u00f4l\u00e9e par les hommes, devienne plus vivable pour les femmes.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003EEt quel regard portez-vous sur le mouvement #MeToo ?\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EMeToo a \u00e9t\u00e9 un \u00e9v\u00e9nement passionnant, mais il ne faut absolument pas penser que c'est le signe que tout va bien et que le progr\u00e8s est l\u00e0 pour rester. Regardez ce qui se passe aux \u00c9tats-Unis, o\u00f9 des lois inou\u00efes contre l'avortement ont \u00e9t\u00e9 vot\u00e9es par les Parlements en Alabama ou en G\u00e9orgie. Ce sont des lois plus anti-f\u00e9ministes que celles en vigueur dans beaucoup de pays officiellement musulmans. Comme l'\u00e9crivait quelqu'une, de quoi s'agit-il dans #MeToo ? Il s'agit de dire : \u00ab J'aimerais bien travailler dans un endroit o\u00f9 mon patron ne sort pas son p\u00e9nis au milieu d'une journ\u00e9e de travail. \u00bb Cela fait quarante ans que les f\u00e9ministes se battent avec \u00e9norm\u00e9ment d'intelligence et d'intensit\u00e9, et finalement pour quoi ? Pour le droit \u00e0 pouvoir travailler sans qu'on nous mette une main aux fesses, aux seins, ou que le patron sorte son p\u00e9nis. Cela fait plus de trente ans que la loi sur le harc\u00e8lement sexuel existe aux \u00c9tats-Unis, mais elle n'a jamais \u00e9t\u00e9 vraiment mise en vigueur puisque beaucoup d'actes sont rest\u00e9s impunis. Les jeunes femmes sont en train de changer tout cela. #MeToo n'est pas une \u00e9norme victoire, c'est une petite victoire contre une machine masculiniste extr\u00eamement puissante. C'est la victoire de celles qui ne veulent plus les compromis.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Ca href=\"https:\/\/usbeketrica.com\/article\/eva-illouz-le-developpement-personnel-c-est-l-ideologie-revee-du-neoliberalisme\"\u003Eusbeketrica.com\u003C\/a\u003E\u003C\/p\u003E","_links":[]}}