{"165162":{"id":"165162","parent":"164435","time":"1574932275","url":"http:\/\/newsnet.fr\/165162","source":"http:\/\/www.legrandsoir.info\/autocritique-d-une-participation-militante-aux-gilets-jaunes.html","category":"documentaires","title":"Autocritique d'une participation \u00ab militante \u00bb aux Gilets jaunes","catalog-images":"3\/\/1\/newsnet_165162_eae801.jpg\/newsnet_165162_fc8f0a.jpg","image":"http:\/\/newsnet.fr\/img\/newsnet_165162_eae801.jpg","hub":"newsnet","url-explicit":"http:\/\/newsnet.fr\/art\/autocritique-d-une-participation-militante-aux-gilets-jaunes","admin":"newsnet","views":"636","priority":"3","length":"39831","lang":"fr","content":"\u003Cp\u003E\u003Cspan class=\"philum ic-img2\"\u003E\u003C\/span\u003E\u003Cbr \/\u003E\nDe jeunes gilets jaunes provinciaux, plus ou moins \u00ab militants \u00bb depuis quelques ann\u00e9es...\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EL'explosion Gilet jaune entre le 17 novembre et la fin de l'ann\u00e9e 2018 a plac\u00e9 l'ensemble de nos luttes quotidiennes dans une perspective renouvel\u00e9e. Pr\u00e8s d'un an apr\u00e8s le d\u00e9but du mouvement, il nous para\u00eet l'heure de faire un bilan. Pour rendre intelligible ce qui s'est produit, certes, mais sans se lancer dans une analyse exhaustive ou d\u00e9taill\u00e9e de \u00e9v\u00e9nement, qui serait bien trop longue. Surtout, ce texte se donne pour objectif de comprendre tant nos manques ou nos rat\u00e9s, que nos illusions et nos aveuglements, pour essayer d'envisager la suite avec clairvoyance. Autant d'ambitions que nous ne tiendrons s\u00fbrement pas, mais qui am\u00e8neront, nous l'esp\u00e9rons, de nombreuses discussions.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003EUne sortie du marasme ?\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab Si des r\u00e9volutionnaires arrivent ainsi \u00e0 garder en leurs mains les principes du communisme quand tout concourt \u00e0 son oubli par les hommes, si ces r\u00e9volutionnaires le font contre vents et mar\u00e9es, tout en les d\u00e9formant et les livrant d\u00e9form\u00e9s aux g\u00e9n\u00e9rations suivantes, en leur livrant que des principes, en tissant de cette fa\u00e7on le fil du temps, il ne faut pas se faire d'illusions. Outre que ce fil est rouge, mais rouge d'un nombre consid\u00e9rable de souffrances endur\u00e9es pour le tisser, de d\u00e9fections, de suicides, de chutes dans la folie, ce qui correspond \u00e0 la trag\u00e9die du communisme (son impossible r\u00e9alisation, son absence de base sociale r\u00e9elle) dans cette p\u00e9riode, il faut se rendre compte que les r\u00e9volutionnaires subsistant ainsi n'existent pas incarn\u00e9s par leur propre volont\u00e9, mais produits \u00e9galement par l'Histoire. Il n'y a pas de contre-r\u00e9volution si totale qu'elle ne doive lutter continuellement contre des r\u00e9voltes (sans avenir), des r\u00e9sistances (\u00e0 la rationalisation du capital), des luttes prol\u00e9tariennes (sans direction organique). De plus, des zones g\u00e9ographiques vivent en retard le d\u00e9veloppement du processus r\u00e9volutionnaire, ou au contraire sont en avance sur la reprise, etc. C'est m\u00eame \u00e0 ce prix que subsistent des r\u00e9volutionnaires. Il n'existe vraiment aucune \u00e9chappatoire. \u00bb Citation de \u003Ca href=\"https:\/\/pierre-mainard-editions.com\/authors\/beriou-jean-yves\"\u003EJean Yves B\u00e9riou\u003C\/a\u003E.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EIl nous para\u00eet \u00e9vident que l'\u00e9v\u00e8nement Gilet jaune a marqu\u00e9 un rebond qualitatif dans les luttes des classes en France. Il y a eu relative propagation d'un certain \u00e9cart par rapport aux luttes quotidiennes que produit le rapport d'exploitation capital\/travail dans la dynamique de son existence. Cet \u00e9cart produit une certaine ext\u00e9riorit\u00e9 \u00e0 la condition prol\u00e9taire elle-m\u00eame, \u00e0 la citoyennet\u00e9, \u00e0 l'encadrement r\u00e9publicain, aux normes et \u00e0 la logique ordinaire de la contestation ; mais il ne la produit que temporairement, de mani\u00e8re fragile, toujours instable, et surtout sous une forme diff\u00e9renci\u00e9e et singuli\u00e8re chez chacun des sujets - sujets qui sont par essence \u00e0 la fois d\u00e9termin\u00e9s, embarqu\u00e9s et donc d'une certaine mani\u00e8re impliqu\u00e9s, \u00ab personnalis\u00e9s \u00bb par et dans leur propre reproduction.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ENous ne fournirons pas ici le travail analytique permettant d'affirmer plus que \u00e7a ce que serait r\u00e9ellement cet \u00e9cart qualitatif (que ce soit dans ses pratiques ou ses discours : nous serons forc\u00e9ment partiels), mais il dit \u00e0 peu pr\u00e8s tout ce qu'il faut savoir de la p\u00e9riode actuelle, et il en porte, malheureusement ou pas, toutes ses contradictions propres.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EPour fournir un tel travail, il faudrait d'abord effectuer un retour historien sur la s\u00e9quence, en commen\u00e7ant par \u00e9plucher les dizaines de br\u00e8ves de journaux locaux : combien de personnes dehors le 17 novembre (a-t-on pass\u00e9 le million, si tant est que ce \"passage\" soit significatif de quelque chose) ? Combien pour l'Acte II, III, IV ?\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EQuel panel de formes de luttes, et dans quelles proportions (occupations de ronds-points, blocages de la circulation, blocages filtrants, occupations sauvages de p\u00e9ages, blocages de lieux de productions strat\u00e9giques, de ports, de lyc\u00e9es, constructions de cabanes, manifestations sauvages, attaques de locaux institutionnels, voire de pr\u00e9fectures, tentative de \"prise de Paris\", etc.). Les \u00e9v\u00e8nements se sont encha\u00een\u00e9s \u00e0 une vitesse folle. Chaque semaine, pendant un mois, se d\u00e9roulaient des dizaines et des dizaines d'actions que le brouillard m\u00e9diatique avait t\u00f4t fait de dissiper, aux quatre coins du territoire national, impliquant des cat\u00e9gories de populations tr\u00e8s diverses. Une \u00e9tude d\u00e9taill\u00e9e d'un rond-point ne fait pas une \u00e9tude du mouvement : il y en avait alors des centaines. Chaque situation locale proposait sa configuration complexe. Dans cette diversit\u00e9 de configurations r\u00e9side peut-\u00eatre une mise en ab\u00eeme de notre conjoncture. il faudrait y revenir.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EQu'importe ce travail : la p\u00e9riode contre-r\u00e9volutionnaire dans laquelle nous \u00e9tions semble depuis une dizaine d'ann\u00e9es se contracter sur elle-m\u00eame, et le mouvement des Gilets jaunes fut un r\u00e9v\u00e9lateur symptomatique de lignes de fractures profondes traversant le rapport de classe national, au niveau id\u00e9ologique d'abord.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELes \u00e9meutes de banlieues de 2005 avaient amorc\u00e9 le mouvement, sur un autre th\u00e8me cependant. \u00c9v\u00e8nement significatif majeur, ces \u00e9meutes repr\u00e9sentaient la r\u00e9volte la plus d\u00e9termin\u00e9e qu'ait connue la soci\u00e9t\u00e9 fran\u00e7aise depuis 1968. Dans ses formes \u00e9meuti\u00e8res attaquant frontalement l'appareil d'\u00c9tat, aux diffusions tant massives que diffuses, elles semblaient pr\u00e9figurer ce que porte notre p\u00e9riode. La m\u00e9moire qu'elle a produite dans les quartiers est encore vivace, mais constamment travaill\u00e9e par les techniques de contre-insurrection d\u00e9velopp\u00e9es depuis par l'appareil d'\u00c9tat fran\u00e7ais, tant m\u00e9diatiques et id\u00e9ologiques que polici\u00e8res qui, pour le moment du moins, semblent \u00e9touffer toute potentielle r\u00e9cidive.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EEntre-temps, des luttes militantes importantes : CPE, retraites, Notre-Dame-des-Landes, loi Travail de 2016. Une dynamique se lit entre les lignes rien qu'\u00e0 la lecture de l'encha\u00eenement de ces luttes qui, chacune \u00e0 leur mani\u00e8re, ont aussi \u00e9t\u00e9 des victoires. Mais il ne faudrait pas les surestimer : le milieu militant reste un microcosme \u00e0 l'\u00e9chelle de la population fran\u00e7aise.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EEt puis les Gilets jaunes, au sein desquels ont aussi particip\u00e9 \u00e9norm\u00e9ment d'habitants des quartiers populaires, mais dont la composition \u00e9tait s\u00fbrement la plus h\u00e9t\u00e9rog\u00e8ne de toutes ces luttes.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EC'est ce bouillonnement-l\u00e0 sur lequel nous reviendrons ici. Il s'inscrit dans la s\u00e9quence de radicalisation des luttes de la crise de 2008, entendu comme moment, o\u00f9 les classes moyennes salari\u00e9es ont \u00e9t\u00e9 rejointes par des franges d\u00e9class\u00e9es, plus ou moins prol\u00e9taris\u00e9es. Cette reconfiguration est \u00e0 l'œuvre dans toutes les r\u00e9gions du monde, sous des formes \u00e0 sp\u00e9cifier. \u00c0 l'image des \u00e9meutes des banlieues de 2005, le mouvement des Gilets jaunes f\u00fbt particuli\u00e8rement arch\u00e9typal de ce que peut vouloir dire \u00ab imm\u00e9diatet\u00e9 sociale des classes \u00bb (C. Charrier) dans notre cycle de luttes.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003ENous sommes d'avis de s\u00e9quencer le mouvement en trois moments.\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELe premier moment, le plus intense, le plus extatique, celui o\u00f9 beaucoup de possibles (sans les exag\u00e9rer) semblaient s'ouvrir, s'\u00e9tend du 17 novembre aux vacances scolaires de No\u00ebl.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELe deuxi\u00e8me moment, celui o\u00f9 le militantisme traditionnel a le plus particip\u00e9, s'\u00e9tend du 5 janvier reprise des hostilit\u00e9s, mais aussi destruction syst\u00e9matique de la plupart des lieux occup\u00e9s d'organisations, largement entam\u00e9e d\u00e8s la deuxi\u00e8me semaine de d\u00e9cembre, et r\u00e9pression cibl\u00e9e des occupants qu'il reste largement \u00e0 documenter au 16 mars.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EUn troisi\u00e8me moment, de d\u00e9composition du mouvement, s'\u00e9tend du 16 aux vacances d'\u00e9t\u00e9. Ensuite, nous consid\u00e9rons qu'il n'y a plus que des braises, que la date d'anniversaire du week-end du 16-17 novembre vient timidement raviver.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003EChronologie, \u00ab mouvement \u00bb et gauchisme fossilis\u00e9\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EOn pourrait nous r\u00e9torquer que nous participons, par ce d\u00e9coupage, \u00e0 propager la version de BFM-TV. Soyons honn\u00eates envers nous-m\u00eames deux secondes : d'une part, la composition du mouvement a bien chang\u00e9 depuis les vacances restent les groupes les plus politis\u00e9s et id\u00e9ologiques, ainsi qu'une partie des \u00ab Gilets jaunes du 17 novembre \u00bb les plus radicalis\u00e9s (nous ne l'entendons pas au mauvais sens du terme) ; d'autre part, les manifestations ne marchent plus sauf quand elles sont pr\u00e9tendument des \u00ab appels nationaux \u00bb, ou bien lorsqu'elles sont \u00e0 Paris o\u00f9 elles r\u00e9unissent encore quelques milliers, voire dizaine(s) de milliers de participants (lesquels ? c'est une autre question).\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELe chiffre jaune peine \u00e0 totaliser 10 000 participants nationaux. Certains contextes locaux t\u00e9moignent encore d'une envie, mais la fatigue est pr\u00e9sente partout, la r\u00e9pression, juridique comme physique, a laiss\u00e9 des traces encore vivaces, et l'acharnement policier sur n'importe quel cort\u00e8ge mobile d\u00e9courage rapidement.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EPour aller encore plus loin, on pourrait dire que, depuis avril, il ne reste que la frange la plus \u00ab radicalis\u00e9e \u00bb, \u00ab militante \u00bb de fait. M\u00eame si c'\u00e9tait pour beaucoup des primomanifestants le 17, aujourd'hui les Gilets jaunes restants sont pour beaucoup devenus militants au m\u00eame titre que n'importe quel autre (sinon qu'ils n'ont pas le \"background\" contre-culturel et l'initiation \u00e0 la d\u00e9construction, parce qu'ils ne sont pas arriv\u00e9s ici par \"le gauchisme\").\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EIl nous semble d'ailleurs que ceux qui \u00e9taient le plus propices \u00e0 tourner ainsi \u00e9taient ceux qui \u00e9taient d\u00e9j\u00e0 le plus \u00ab politis\u00e9s \u00bb le 17. Plusieurs trajectoires possibles alors : se \u00ab gauchiser \u00bb, voire \u00ab s'anarchiser \u00bb ; d\u00e9velopper une sorte de rh\u00e9torique \u00ab populaire \u00bb et \u00ab d\u00e9mocratique radicale \u00bb, m\u00ealant des symboles parfois contradictoires, mais r\u00e9currents dans le mouvement (Anonymous et imagerie \u00ab Black Bloc \u00bb, RIC et ACAB, drapeau fran\u00e7ais et \u00ab Tous ensemble \u00bb, etc.) ; ou aller plus loin dans la confusion : des groupes affinitaires d'extr\u00eame droite \u00ab confus \u00bb, ou fortement \u00ab populistes \u00bb se sont form\u00e9s ils n'existaient pas avant la fin du mouvement.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELe mouvement \u00ab populaire \u00bb a donc bien permis des rencontres et des regroupements de deux sortes : prol\u00e9tariens et pr\u00e9fascistes. On le voit \u00e0 Lille, mais aussi dans des localit\u00e9s beaucoup plus gauchistes comme Al\u00e8s, o\u00f9 il y a bien deux groupes de GJ qui \u00e9voluent en parall\u00e8le idem \u00e0 Lorient. Les dissensions id\u00e9ologiques entre GJ ont certes d'abord \u00e9t\u00e9 masqu\u00e9es par le discours g\u00e9n\u00e9ral du mouvement (clairement anti-id\u00e9ologique), elles ont dans la dur\u00e9e fini par se cristalliser voire se confronter directement, avec des destructions de cabanes entre groupes oppos\u00e9s (notamment lors de la pr\u00e9sence de groupes se revendiquant anti-immigration ou carr\u00e9ment fachos).\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EDans beaucoup de localit\u00e9s, ceux qui restent tr\u00e8s actifs au niveau organisationnel \u00e9taient d\u00e9j\u00e0 impliqu\u00e9s dans des groupes militants. Une certaine extr\u00eame gauche s'est r\u00e9activ\u00e9e sur le terreau fertile du mouvement : groupes locaux proches du Front de gauche (Ensemble notamment), Fakir, D\u00e9sob\u00e9issants, syndiqu\u00e9s en manque de luttes dans leur secteur, groupes anarchistes organis\u00e9s ou militants de l'ex-Nuit debout. Les militants \u00e9cologistes, qui ont mis leur temps avant de rentrer dans la danse, ont parfois aussi particip\u00e9 \u00e0 \u00ab la rel\u00e8ve \u00bb...\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ED'ailleurs, cette rel\u00e8ve n'en a pas simplement \u00e9t\u00e9 une - et c'est l\u00e0 aussi un de nos grands impens\u00e9s. Nous avons pu constater, en de nombreux endroits, des d\u00e9bats parfois tr\u00e8s virulents entre \u00ab GJ du 17 novembre \u00bb et gauchistes locaux. Ces accrochages survenaient souvent lorsque les seconds tentaient d'imposer leurs tactiques de luttes aux premiers. D'une part, les gauchistes ont souvent (parfois jusqu'\u00e0 encore aujourd'hui) m\u00e9pris\u00e9 les occupations de ronds-points initiales (jug\u00e9es inoffensives), d'autre part ils ont lourdement insist\u00e9 pour organiser de grandes \"assembl\u00e9es g\u00e9n\u00e9rales\", formaliser et centraliser syst\u00e9matiquement les prises de d\u00e9cisions, et ce en ramenant tout leur arsenal organisationnel qui, \u00e0 terme (dans la phase de d\u00e9composition), s'est finalement r\u00e9v\u00e9l\u00e9 bien pratique pour \u00ab continuer la lutte \u00bb.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ENous pensons personnellement que le passage des ronds-points aux assembl\u00e9es g\u00e9n\u00e9rales est le premier glissement \u00ab gauchiste \u00bb du mouvement - et c'est ici un jugement de valeur. Les ronds-points, p\u00e9ages et parkings se concevaient comme autant de \"comit\u00e9s d'action\" en mouvement, o\u00f9 l'on partageait des biens (de la bouffe, des \u00e9quipements pour les manifestations, des tracts voire des livres, des boissons, etc.) et des moments (de f\u00eate, de partage sportif, de r\u00e9appropriation du mobilier urbain d\u00e9coration, destruction, etc. -, de banquet...), mais aussi des informations et des discussions th\u00e9oriques, strat\u00e9giques et tactiques. Personnellement, nous n'avons v\u00e9cu que peu de moments aussi intenses qu'entre l'Acte II et l'Acte IV sur les ronds-points\/p\u00e9ages occup\u00e9s, o\u00f9 l'on sentait que, si ces occupations perduraient, il pouvait vraiment se passer quelque chose. La d\u00e9termination de certains \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 bien pr\u00e9sente, le d\u00e9bat violence\/non-violence prenait germe alors que la r\u00e9pression n'en \u00e9tait qu'\u00e0 ses pr\u00e9misses, et surtout, plus que jamais, la prise de d\u00e9cisions n'\u00e9tait pas entrav\u00e9e par l'id\u00e9ologie d\u00e9mocratique, elle \u00e9tait fluide, plurielle, informelle, organique m\u00eame si contradictoire, et pouvait alors ouvrir un tas de possibles que les AG refluent toujours. Il est temps que le gauchisme se lib\u00e8re enfin de son f\u00e9tichisme organisationnel.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ENous pouvons au moins citer Montpellier en exemple, o\u00f9 l'AG du dimanche reste controvers\u00e9e jusqu'\u00e0 encore aujourd'hui dans le mouvement local, et o\u00f9 les AG postmanif propos\u00e9es au d\u00e9but ont directement \u00e9t\u00e9 critiqu\u00e9es. Certains ont aussi d\u00e9not\u00e9 une m\u00e9compr\u00e9hension des militants vis-\u00e0-vis de ces GJ qui ne voulaient pas s'organiser, pas se repr\u00e9senter, ni m\u00eame forc\u00e9ment pr\u00e9senter une liste de revendications claires et pr\u00e9cises. De mani\u00e8re plus g\u00e9n\u00e9rale, le mouvement des \u00ab assembl\u00e9es des assembl\u00e9es \u00bb n'a pas convaincu tout le monde, et est m\u00eame rest\u00e9 au d\u00e9but un peu en marge malgr\u00e9 l'envoi de nombreuses d\u00e9l\u00e9gations de base. Si l'on peut dire qu'il est significatif de certaines tendances \u00ab Gilets jaunes \u00bb, il est aussi et surtout d'abord une r\u00e9ponse \u00e0 une demande de clarifications et de revendications, demande en provenance \u00e0 la fois du milieu militant et des instances institutionnelles gouvernementales qui, ensemble, ont besoin de poser des mots et des id\u00e9es sur un prol\u00e9tariat qu'ils ne comprennent plus si facilement, maintenant que l'identit\u00e9 ouvri\u00e8re structur\u00e9e par la grammaire du vieux mouvement ouvrier est morte, et que le prol\u00e9taire n'est plus que ce qu'il a toujours \u00e9t\u00e9, mais d'une mani\u00e8re plus imm\u00e9diate et \u00e9vidente - donc d\u00e9concertante - que jamais : un individu du mode de production capitaliste comme un autre, \u00ab embarqu\u00e9 \u00bb dans le cycle actuel du capitalisme et tout ce qu'il comporte comme contradictions (en termes de rapports aux id\u00e9ologies, appareils d'\u00c9tats, formes d'organisations du travail, etc.).\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EDans les deux cas, chez les gauchistes comme chez les instances institutionnelles gouvernementales, il s'agissait de clarifier et revendiquer pour mieux contr\u00f4ler. Preuve, si besoin en \u00e9tait encore, que le \u00ab milieu autonome \u00bb est une r\u00e9union de groupes h\u00e9t\u00e9roclites cristallis\u00e9e par une m\u00eame racine (bien souvent refoul\u00e9e) : le n\u00e9o-l\u00e9ninisme.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003EAntifascisme et confusion\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EMais les interventions gauchistes n'ont pas forc\u00e9ment \u00e9t\u00e9 synonymes de prises de pouvoir et de m\u00e9pris, ou toujours productrices de conflits id\u00e9ologiques. Force est de constater que c'est bien l'alliance entre le militantisme traditionnel et les GJ les plus d\u00e9termin\u00e9s qui a pu faire autant durer le mouvement (m\u00eame si la dur\u00e9e en soi n'est pas gage de qualit\u00e9, comme nous y sommes revenus \u00e0 plusieurs reprises). Force aussi de constater que l'intervention antifasciste f\u00fbt globalement une grande r\u00e9ussite, qui a tr\u00e8s certainement inqui\u00e9t\u00e9 le pouvoir. D'abord les rixes lors des manifestations pour expulser des figures fascistes notables ou des groupes organis\u00e9s, ont particip\u00e9 \u00e0 r\u00e9duire leur potentielle influence (m\u00eame si cela se faisait souvent aussi de mani\u00e8re organique \u00e0 un \u00e9chelon plus fin, ce n'\u00e9tait absolument pas toujours le cas) ; ensuite la popularisation progressive de la figure du \u00ab Black Bloc \u00bb dans le mouvement, notamment \u00e0 partir de la manifestation du 16 mars et de l'\u00e9pisode du Fouquet's en flamme. On se souvient par exemple de cette vid\u00e9o qui quelques mois avant aurait sembl\u00e9 hautement improbable o\u00f9 un ex-militaire vante le Black Bloc sous des qualificatifs h\u00e9ro\u00efques, qu'il voit en protecteur du peuple.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ECela dit, la pr\u00e9sence de l'extr\u00eame droite organis\u00e9e que l'on conna\u00eet bien (G\u00e9n\u00e9ration identitaire, Zouaves, Dissidence fran\u00e7aise, Bastion social, Action fran\u00e7aise, Civitas, Parti de la France, et quelques autres) a le plus souvent \u00e9t\u00e9 exag\u00e9r\u00e9e. Disons pour faire vite qu'elle a largement tent\u00e9 de prendre part au mouvement \u00e0 ses d\u00e9buts, mais qu'elle s'est vite r\u00e9tract\u00e9e faute de parvenir \u00e0 imposer ses mots d'ordre.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELes militants se revendiquant \u00ab apolitiques \u00bb, le d\u00e9bat sur l'immigration a le plus souvent \u00e9t\u00e9 refus\u00e9 de fait. On a vu quelques groupes organis\u00e9s venir se prendre en photo, banderole \u00e0 la main contre le fumeux Pacte de Marrakech aux abords d'un p\u00e9age ou d'un rond-point, mais des quelques retours que l'on a, ils n'ont pu le faire qu'\u00e0 une bonne centaine de m\u00e8tres du lieu occup\u00e9 (par peur des repr\u00e9sailles ou qu'on les jette du lieu). On note tout de m\u00eame une t\u00eate de manifestation \u00e0 Lyon le 8 d\u00e9cembre (alors que la plupart du mouvement s'\u00e9tait organis\u00e9 pour monter sur la capitale, \u00e9tant donn\u00e9 l'ampleur in\u00e9dite de l'assaut du 1er...), et une \u00e0 Chamb\u00e9ry le 15 d\u00e9cembre... Quelques figures locales de l'extr\u00eame droite ont tent\u00e9 ci-ou-l\u00e0 de se faire porte-parole d'un rond-point ou d'une r\u00e9gion gr\u00e2ce \u00e0 un discours national-populiste socialisant, mais d\u00e8s qu'ils \u00e9taient d\u00e9masqu\u00e9s ils se voyaient directement d\u00e9savou\u00e9s. Il semblerait toutefois qu'\u00e0 Lille, dans la d\u00e9composition, ne reste qu'un important groupe de racistes (une femme voil\u00e9e et sa famille expuls\u00e9e de la manifestation il y a un mois, des petits chefs proches de la police locale, permanence d'une esp\u00e8ce de SO en habits paramilitaires).\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EOn peut aussi \u00e9voquer l'UPR, qui, s'il n'est pas r\u00e9ellement \u00ab d'extr\u00eame droite \u00bb est pour autant clairement nationaliste et \u00e0 tendance confuse, et qui s'est clairement cass\u00e9 les dents sur le mouvement malgr\u00e9 une tentative de pros\u00e9lytisme tous azimuts.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EPlus grave et diffuse \u00e9tait l'influence de complotistes ou dit \u00ab confus \u00bb, parfois dieudonnistes et soraliens sans qu'ils n'appartiennent pour autant \u00e0 des groupes organis\u00e9s. Comme on l'a \u00e9voqu\u00e9 plus haut, notre hypoth\u00e8se est que ces GJ-l\u00e0 se sont soit r\u00e9tract\u00e9s au fur et \u00e0 mesure de l'avanc\u00e9e du mouvement, soit se sont renforc\u00e9s en tant que groupe affinitaire (alors m\u00eame que souvent ce groupe en question n'existait pas en tant que tel), soit ont pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 se taire et se travestir au profit du renforcement de la lutte \u00ab apolitique \u00bb anti-Macron.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EOn remarque aussi que, dans certains groupes Facebook locaux, la parole confuse et\/ou d'extr\u00eame droite revient en force. Au d\u00e9but, tout le monde leur disait de se taire. Ensuite, les gauchistes ont assum\u00e9 le r\u00f4le, avec certains militants tendance France Insoumise, et d'autres \u00ab humanistes \u00bb de tout bord. Mais il faut du courage pour contredire des posts hebdomadaires pendant plus d'un an. Avec l'effritement du mouvement, cette parole est de moins en moins d\u00e9savou\u00e9e et l'on peut simplement l'expliquer par la flemme des participants aux groupes qui n'y participent absolument plus comme il y a un an de \u00e7a (d'ailleurs, la fr\u00e9quentation de certains groupes a m\u00eame baiss\u00e9).\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cspan class=\"philum ic-img2\"\u003E\u003C\/span\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ECertains m\u00e9dias align\u00e9s sur cette ligne confuse ont quant \u00e0 eux largement profit\u00e9 du mouvement en le couvrant de mani\u00e8re pseudo - \u00ab neutre \u00bb et sympathisante (m\u00eame si bien souvent les gens interview\u00e9s sont des gens proches de ces courants plus ou moins confus), et ont fini par gagner des vues : Vincent Lapierre avec son M\u00e9dias pour tous en est le principal exemple, mais ce n'est pas le seul (on pense aussi \u00e0 des pages Facebook, notamment en faveur d'une \u00ab nouvelle Constitution \u00bb).\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EConcernant la bataille informative et culturelle, les m\u00e9dias issus du milieu autonome type \u00ab Rouen dans la rue \u00bb, \u00ab Cerveaux non disponibles \u00bb, \u00ab Nantes R\u00e9volt\u00e9e \u00bb, \u00ab Montpellier poing infos \u00bb et d'autres ont, semble-t-il, tout de m\u00eame un peu plus profit\u00e9 de l'\u00e9tirement temporel du mouvement. M\u00eame s'il para\u00eet \u00e9vident que, d\u00e8s le d\u00e9but, une rupture avec beaucoup de GJ du 17 novembre s'est effectu\u00e9e quand le gauchisme a voulu s'imposer dans ses formes d'organisations. Quoi qu'il en soit, c'est bien la grammaire du \u00ab 99 % \u00bb et de l'antimondialisation qui en sort vainqueur, assorti d'un discours anti flics parfois limit\u00e9, parfois ouvert aux probl\u00e9matiques des quartiers populaires.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EDeux autres \u00e9l\u00e9ments positifs doivent \u00eatre soulign\u00e9s : l'implication de franges importantes, quoi qu'on veuille bien en dire, d'habitants des quartiers populaires des p\u00e9riph\u00e9ries urbaines dans les moments \u00e9meutiers et sur certains lieux occup\u00e9s, venus en tant que partie du \u00ab peuple \u00bb (ouvrier, ch\u00f4meur, gens du voyage, en bande, seul, en famille, etc.) ; l'implication en premi\u00e8re ligne, comme partout dans les r\u00e9voltes actuelles, des femmes. Mais le sp\u00e9cifique \u00e9tait rejet\u00e9 par le principe unitaire m\u00eame du mouvement, qui faisait sens au d\u00e9but au moins.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EEst-ce qu'on n'aurait pas pris assez le temps de discuter et de construire, au profit de l'organisation r\u00e9p\u00e9t\u00e9e d'un assaut des m\u00e9tropoles et de la capitale pendant 6 mois ? Est-ce qu'on s'est battu ensemble, sans se parler ? Est-ce qu'on aurait d\u00fb construire plus de lieux d'organisations ? Nous n'avons pas de r\u00e9ponses d\u00e9finitives, mais quelques pistes certaines :\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELe mouvement a, dans la dur\u00e9e, tent\u00e9 de r\u00e9activer la possibilit\u00e9 du \u00ab lieu d'organisation \u00bb (d\u00e9truite depuis la r\u00e9pression-d\u00e9sertion des ronds-points, p\u00e9ages et parkings occup\u00e9s) avec les \u00ab maisons du peuple \u00bb et les tentatives non spontan\u00e9es de reprises des ronds-points, mais il s'est syst\u00e9matiquement fait r\u00e9primer au-del\u00e0 m\u00eame des interstices du droit bourgeois. La justice d'exception a de toute fa\u00e7on \u00e9t\u00e9 la norme dans la gestion de tout le mouvement, caract\u00e9ristique de l'\u00e9tatisme autoritaire engendr\u00e9 par la s\u00e9quence.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EEn de nombreux endroits, les gens ont fini par se parler, car la composition \u00ab r\u00e9tr\u00e9cissait \u00bb clairement et que de nouveaux groupes ne pouvaient que se rapprocher. Dans cette optique, souvent, on a pu assister \u00e0 une \u00ab gauchisation \u00bb des discours, notamment quand le rapprochement s'op\u00e9rait au travers de la logique antir\u00e9pressive (\u00e9v\u00e8nements de soutiens, fr\u00e9quentation des tribunaux).\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EEnfin, il n'y a plus grand-chose \u00e0 \u00ab discuter \u00bb ou \u00e0 \u00ab construire \u00bb quand le moment d'intensit\u00e9 extr\u00eame caract\u00e9risant d\u00e9cembre est pass\u00e9 et que, partout localement, les gens d\u00e9cident de reproduire th\u00e9\u00e2tralement mais r\u00e9ellement, au prix bien souvent de leur libert\u00e9 ou de leurs corps l'assaut sur les lieux de pouvoir dans une mise en sc\u00e8ne d'une esp\u00e8ce de \u00ab face-\u00e0-face \u00bb \u00e0 mort avec Macron et son gouvernement : ce n'est que quand nous n'\u00e9tions m\u00eame plus 100 000 chaque week-end que le slogan \u00ab Macron d\u00e9mission \u00bb a fini par beaucoup moins appara\u00eetre et que la motivation de beaucoup s'est progressivement estomp\u00e9e.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EAujourd'hui que la r\u00e9pression finit de d\u00e9courager les plus r\u00e9calcitrants d'entre nous, arr\u00eatons un peu de regarder notre nombril \u00ab On est le pays des Droits de l'homme et on a peur de manifester, c'est normal \u00e7a ?? \u00bb - et, pourquoi pas, apprenons \u00e0 nous r\u00e9signer quant \u00e0 certaines r\u00e9currences historiques : l'\u00c9tat est un monstre froid, il se d\u00e9voile quand il r\u00e9prime, qu'il mutile et tue sans vergogne pour la d\u00e9fense de ses int\u00e9r\u00eats et ceux de sa bourgeoisie (\u00e9lites politiques et \u00e9conomiques \u00e9tant intimement nou\u00e9es), qu'il emprisonne ou r\u00e9duit les libert\u00e9s, et si l'assaut de la masse n'a pas fait vivre assez intens\u00e9ment la r\u00e9volte au moment o\u00f9 elle le pouvait pour la faire s'\u00e9tendre, l'\u00c9tat l'\u00e9teindra dans son coin, maintenant le reste de la population dans la peur (les d\u00e9monstrations de force hebdomadaires sont publiques et en plein centres villes) ou l'id\u00e9ologie contre-r\u00e9volutionnaire (encadrement m\u00e9diatique et politique).\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003E\u00ab Se r\u00e9signer \u00bb ?\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ENon, mais au moins faire constat. Ce que les diff\u00e9rentes pages Facebook appuyant le mouvement, et les diff\u00e9rents participants encore actifs sur les r\u00e9seaux, semblent se refuser : on serait toujours aussi nombreux, voire plus nombreux qu'avant ; nos \u00e9checs ne seraient le fait que de l'ampleur de la r\u00e9pression (comme si entre le 1er d\u00e9cembre et le 17 d\u00e9cembre une r\u00e9pression hors-norme d\u00e9mesur\u00e9e n'avait pas d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 mise en place, et pourtant l'air sentait quand m\u00eame meilleur, non ?) ; il faudrait persister dans les actes et les \u00e9v\u00e8nements de soutiens, faire durer la flamme, ne serait-ce que par \u00e9thique pour ne pas que le gouvernement \"gagne\" (en r\u00e9alit\u00e9, il a d\u00e9j\u00e0 gagn\u00e9... la bataille).\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EFaire constat, ce serait admettre que le mouvement s'est bloqu\u00e9 dans sa contestation national-populiste, au caract\u00e8re \u00e9minemment social.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EFaire constat, ce serait admettre que le mouvement n'en est plus qu'\u00e0 un stade de d\u00e9composition avanc\u00e9e, ne mobilisant plus que les GJ et militants les plus id\u00e9ologiques.\u003Cbr \/\u003E\nFaire constat, ce serait admettre qu'\u00e0 un moment nous avons mal estim\u00e9 le rapport de forces en pr\u00e9sence, mais aussi qu'en d\u00e9cembre, beaucoup de gens n'ont pas rejoint le mouvement par r\u00e9flexe frileux, alors que c'est l\u00e0 que tout se jouait.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EFaire constat, ce serait prendre conscience que la composition a beaucoup \u00e9volu\u00e9 entre fin novembre et aujourd'hui que le gilet jaune n'a pu \u00eatre un signifiant vide que parce que tout le milieu militant de la \u00ab convergence des luttes \u00bb (celui qui reste herm\u00e9tique en luttant ensemble, qui cherche toujours \u00e0 instrumentaliser, qui reste malheureusement trop dans le registre corporatiste) se l'est r\u00e9appropri\u00e9, parfois peut-\u00eatre m\u00eame souvent \u00e0 l'encontre m\u00eame des r\u00e9flexes majoritaires d'une grande partie de ses initiateurs.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EFaire constat, c'est aussi, sans jouer au proph\u00e8te, ne pas trop en faire sur la gr\u00e8ve du 5 d\u00e9cembre et toutes les autres \u00e9ch\u00e9ances militantes-syndicales qui arrivent apr\u00e8s : sauf \u00e9tincelle, que personne ne peut pr\u00e9voir ni organiser dans nos milieux de sociabilit\u00e9s (qui sont d\u00e9j\u00e0 pouss\u00e9s dans leur retranchement depuis 3 ans), les gens ne sortiront pas en masse pour la renforcer, tout comme les gens ne sont pas sortis en masse en d\u00e9cembre pour accompagner la premi\u00e8re s\u00e9quence GJ.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EFaire constat, c'est prendre conscience du fait que les \u00ab Gilets jaunes \u00bb ne forment plus un r\u00e9ceptacle significatif, et que le corps collectif du d\u00e9part (qui \u00ab palliait son h\u00e9t\u00e9rog\u00e9n\u00e9it\u00e9 en s'appuyant sur une d\u00e9termination sans faille... marqu\u00e9e d'une forme de radicalit\u00e9 quant \u00e0 ses exigences imm\u00e9diates \u00bb) n'existe plus en tant que tel. Aujourd'hui, les GJ veulent se joindre aux luttes cat\u00e9gorielles, aux luttes cibl\u00e9es, locales, rejoindre les militants, mais ils ne viennent plus d\u00e9loger les ministres au Fenwick ni crier sur les Champs en \u00e9tant des dizaines de milliers qu'ils viennent chercher le pr\u00e9sident.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003ESi une telle base a pu se motiver et se construire spontan\u00e9ment le 17, c'est notamment gr\u00e2ce \u00e0 des r\u00e9seaux de solidarit\u00e9s ancr\u00e9s localement, qui allaient au-del\u00e0 du militantisme, dans les places de villages, dans les PMU, dans les bars, dans des groupes Facebook d'automobilistes et d'antiradars, dans les bo\u00eetes pr\u00e9caris\u00e9es, dans les associations locales (jeux, comit\u00e9s de f\u00eates, clubs sportifs, chasse, etc.), dans les lyc\u00e9es, etc. C'est essentiellement dans la sph\u00e8re informelle (du moins non militante) que l'\u00c9v\u00e8nement Gilet jaune a pris corps, \u00e0 un niveau le plus d\u00e9centralis\u00e9 et diffus qui soit, ce qui prouve que ce n'\u00e9tait pas un mouvement social, mais bien un soul\u00e8vement, embarquant avec lui tous les stigmates de son \u00e9poque.\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EAujourd'hui, dans les villes et villages qui ont vu na\u00eetre le mouvement, les GJ restants sont parfois vus comme de nouvelles figures militantes \u00e0 part enti\u00e8re. D'autres fois, ils sont retourn\u00e9s \u00e0 leur isolement initial, en fr\u00e9quentant d\u00e9sormais le milieu militant local reconfigur\u00e9 par l'\u00e9v\u00e8nement : ils ne font plus GJ-communaut\u00e9 avec leur p\u00e9age ou leur rond-point occup\u00e9. Alors quoi : se r\u00e9signer ?\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ENon, mais arr\u00eater de s'\u00e9puiser pour rien et de nourrir des espoirs en vain. Arr\u00eater de faire ce que le milieu militant faisait avant : faire croire \u00e0 la r\u00e9volution d\u00e8s que quelque chose bouge. R\u00e9activer des hypoth\u00e8ses s\u00e9rieuses, historiques, communistes, que l'\u00e9v\u00e8nement a d\u00e9finitivement rouvert... sans pour autant les assurer pour demain en nourrissant sa petite entreprise mill\u00e9nariste.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003EMilitantisme pas mort\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ESous un nom collectif, Maresia Dalua, plusieurs personnes ont dress\u00e9 le bilan de leur exp\u00e9rience militante entre 1980 et les ann\u00e9es 2000. Ce bilan est publi\u00e9 dans l'opuscule \u003Ci\u003EContre la politique. Pas un cheveu blanc n'a pouss\u00e9 sur nos r\u00eaves\u003C\/i\u003E (S\u00e9l\u00e9n\u00e9, 2016, 73 p.). Le blog Douter de tout 21 en fait un court compte-rendu. C'est au sein de celui-ci que nous trouvons un paragraphe particuli\u00e8rement clair pour exprimer ce que nous essayons de sous-tendre \u00e0 travers notre texte :\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\"Le mouvement social subit un ph\u00e9nom\u00e8ne analogue quand il d\u00e9cline et s'\u00e9tiole en organisations ne vivant plus que pour se perp\u00e9tuer. Au cr\u00e9puscule des luttes, certains se rassemblent avec la conviction que ce qui manque aux prol\u00e9taires d\u00e9faits ou d\u00e9courag\u00e9s, ce sont des informations, des liens, heureusement le groupe r\u00e9volutionnaire va les aider \u00e0 (re)trouver ces informations et \u00e0 (re)cr\u00e9er ces liens. Mais souvent, les militants manquent de capacit\u00e9, et surtout de volont\u00e9. Alors, pour les stimuler, interviennent les \u00ab cadres \u00bb, v\u00e9ritables instructeurs, animateurs et \u00e9purateurs d'un groupe qui bient\u00f4t passe son temps \u00e0 recruter, \u00e0 exclure, \u00e0 recruter... Les id\u00e9es virent \u00e0 l'id\u00e9ologie, et la th\u00e9orie se st\u00e9rilise. On s'\u00e9tait organis\u00e9 pour agir, on \u00e9tait un effet de luttes r\u00e9elles dans la soci\u00e9t\u00e9, mais quand elles d\u00e9p\u00e9rissent, l'organisation se replie, s'autonomise, a plus de rapport avec elle-m\u00eame qu'avec le monde, et l'exhortation remplace l'\u00e9nergie. Enfin, lorsque surgissent de nouvelles luttes, l'organisation est incapable de les reconna\u00eetre pour ce qu'elles portent de nouveau. Celui qui se voulait d\u00e9positaire du pass\u00e9 le plus r\u00e9volutionnaire se retrouve hors-temps. Celui qui se croyait enracin\u00e9 dans \u00ab la classe \u00bb se retrouve hors-sol.\"\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EBien entendu, l'\u00e9poque est radicalement diff\u00e9rente (et nous devons le comprendre pour comprendre l' Ev\u00e8nement GJ, autant que l' Ev\u00e8nement GJ peut nous aider \u00e0 comprendre ces diff\u00e9rences). Mais tout de m\u00eame : on peut percevoir des similarit\u00e9s dans nos situations, \u00e9tant dans des p\u00e9riodes de reflux d'une lutte de masse (tout de m\u00eame moins massive que dans les mois de mai-juin 68). Il s'agirait tout de m\u00eame de risques consid\u00e9rables, que ce soit pour l'image du mouvement et pour nos propres consciences (se bureaucratiser, s'enliser, s'enkyster).\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ECes risques d'enkystement, selon nous, prennent trois formes g\u00e9n\u00e9rales, qui ont fait peu \u00e0 peu place \u00e0 l'\u00e9nergie bouillonnante et radicale des d\u00e9buts :\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003ELes communalistes libertaires.\u003C\/b\u003E Ce sont les plus gauchistes, qui font perdurer le mouvement des assembl\u00e9es des assembl\u00e9es en-dehors de tout rapport de force, pour \u00ab organiser la suite \u00bb et \u00ab faire durer \u00bb ce qui n'est manifestement plus un mouvement. Ils r\u00eavent d'une \u00e9tincelle organis\u00e9e qui pourrait reprendre \u00e0 tout moment ; ils ne comprennent pas pourquoi le peuple s'est d\u00e9courag\u00e9 ou a \u00e9t\u00e9 d\u00e9fait, malgr\u00e9 leur forte implication dans l'anti-r\u00e9pression.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003ELes syndicalistes.\u003C\/b\u003E Ils se rapprochent des communalistes dans leurs vell\u00e9it\u00e9s, mais s'organisent traditionnellement dans leur syndicat. Pour tenter d'enrayer le d\u00e9clin de leurs centrales, ils jouent le jeu de \u00ab la base contre la direction \u00bb \u00e0 travers l'appel \u00e0 la fameuse \u00ab convergence des luttes \u00bb. Il y a beaucoup de travailleurs sinc\u00e8res ici, beaucoup aussi qui s'organisent en ce sens depuis 2016 ou avant, puis \u00e0 travers le Front social. Ils ont un peu plus conscience que les premiers du passage d'une temporalit\u00e9 de l'\u00e8v\u00e8nement \u00e0 une temporalit\u00e9 du cours quotidien de la lutte des classes, mais pensent que c'est par la gr\u00e8ve g\u00e9n\u00e9rale que tout reprendra, sans comprendre que la composition initiale des GJ n'a justement pas la gr\u00e8ve g\u00e9n\u00e9rale dans sa grammaire (combien d'appels incantatoires sur tout le mouvement ? Rappelez-vous l'\u00e9chec du sondage de Drouet).\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003ELes municipalistes citoyens.\u003C\/b\u003E Pour certains, leurs luttes doivent s'axer autour de la promotion du fameux RIC, pour d'autres il s'agit de former des listes aux municipales. Dans les deux cas, il s'agit de \u00ab constituer \u00bb un projet, voire de r\u00e9diger une nouvelle Constitution (r\u00e9miniscence chouardienne). La politique n\u00e9gative du geste destituant initial, plus en phase avec le \u00ab On veut la chute du r\u00e9gime \u00bb international, semble bien loin.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELes occupants de ronds-points, p\u00e9ages et parkings encore pr\u00e9sents se r\u00e9partissent dans les trois cat\u00e9gories, m\u00eame si le RIC reste souvent un objectif principal et qu'on peut donc presque tous les rattacher \u00e0 la troisi\u00e8me. Les gauchistes se r\u00e9partissent dans les deux premi\u00e8res, les plus lucides sur le mouvement dans la premi\u00e8re, mais gardent espoir dans la seconde cat\u00e9gorie pour cr\u00e9er la nouvelle \u00e9tincelle. Dans chacun des cas, ils souhaitent capitaliser et faire durer le mouvement, en se bouchant les oreilles quant \u00e0 son d\u00e9litement et son processus de recomposition-d\u00e9composition, ou aux risques d'enkystement interne \u00e0 leur d\u00e9marche.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ES'agit-il alors de reprendre du souffle en attendant le prochain assaut les bras crois\u00e9s, par une croyance messianique en l'avenir ? Nous n'avons de directives \u00e0 donner \u00e0 personne. Faire de l'agitation et de la propagande est une bonne option, mais elle prend de l'\u00e9nergie ; surtout, cette option devrait selon nous essayer \u00e0 tout prix de ne pas \u00eatre mensong\u00e8re, de ne pas faire croire ind\u00e9finiment en un sursaut imminent. Les \u00e9tincelles ne s'organisent plus : le mouvement ouvrier historique est bel et bien mort, les mouvements sociaux ne sont pas des soul\u00e8vements et vice-versa, ce qu'il s'est pass\u00e9 (et se passe encore) dans une vingtaine de pays du monde (au bas mot) nous le montre largement.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EFaire vivre des luttes de terrain, que ce soit en ville (en soutien aux oppositions syndicales ou parasyndicales, ou par un travail contre les violences polici\u00e8res, les violences sexistes, les violences racistes, la chasse aux migrants, etc.) ou en campagne (contre les grands projets inutiles et impos\u00e9s, l'industrialisation des campagnes qui s'approfondit encore et encore, le nucl\u00e9aire et le r\u00e9seau \u00e9lectrique plus ou moins \"vert\", etc.), peut \u00eatre \u00e0 la fois l'occasion de reprendre du souffle en regagnant une temporalit\u00e9 parfois moins urgentiste et imm\u00e9diate, \u00e0 la fois l'occasion de faire vivre des points d'ancrage et de luttes locaux.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EDe toute mani\u00e8re, notre \u00e9poque bouge. Les insurrections aux quatre coins du monde, qui \u00e9mergent chacune dans des contextes particuliers, mais se retrouvent sur l'essentiel (lutte contre le d\u00e9ficit d\u00e9mocratique, la corruption, et surtout les in\u00e9galit\u00e9s persistantes et montantes), nous le prouvent assez. Le si\u00e8cle de profonds troubles qui s'annonce ne sera pas forc\u00e9ment joli... Il s'agira de tenter de participer aux activit\u00e9s de crises insurrectionnelles et conflictuelles qui s'annoncent, en tant que prol\u00e9taires parmi les prol\u00e9taires, avec, pour notre part, l'objectif d'en faire des moments o\u00f9 l'anarchie\/le communisme se construit. Non pas comme projet \u00e0 mettre en place apr\u00e8s avoir convaincu la majorit\u00e9 de la population, mais plut\u00f4t comme une des r\u00e9actions, subie, mais \u00ab saine \u00bb celle-l\u00e0, de la part de populations confront\u00e9es \u00e0 des catastrophes, des r\u00e9pressions d'\u00c9tat, des paup\u00e9risations croissantes et persistantes... en bloquant la circulation de marchandises et en s'accaparant des \u00e9l\u00e9ments du capital pour en faire autre chose au service de la lutte : produire sans productivit\u00e9, r\u00e9agencer les circuits de distribution, abolir la division du travail existante, m\u00e9langer les mondes sociaux et en finir avec nos s\u00e9parations respectives, mettre en communs les savoirs et les pratiques en les \u00e9tendant un maximum, etc. Cela ne peut prendre \u00e0 un niveau de masse que dans l'organicit\u00e9 d'une lutte, d'un \u00ab commun \u00bb uni \u00ab contre \u00bb quelque chose, une situation subie et partag\u00e9e, autant contrainte que d\u00e9sir\u00e9e \u00ab la r\u00e9volution comme frein d'urgence \u00bb de Benjamin. Et si cette r\u00e9action-l\u00e0 fait ses preuves, gagne du terrain, parvient \u00e0 s'autod\u00e9fendre et \u00e0 s'inscrire dans la dur\u00e9e, il n'y a pas de raison pour qu'elle ne s'\u00e9tende pas... La connexion des diff\u00e9rents espaces communis\u00e9s permettra alors de red\u00e9finir toute la logistique contemporaine, toute l'organisation capitaliste existante. Mais cela semble encore loin...\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ERien n'est gagn\u00e9, rien n'est assur\u00e9, sinon qu'une crise du r\u00e9gime d'accumulation pointe et que ces contestations de masse en sont partie int\u00e9grante. Est-ce que le prol\u00e9tariat communiera dans la crise, est-ce que le capital se restructurera jusqu'\u00e0 donner naissance \u00e0 de nouvelles luttes de masse plus tard ? On ne peut y r\u00e9pondre, nous ne sommes pas des oracles. Nous sommes m\u00eame plut\u00f4t pessimistes, mais c'est notre p\u00e9riode qui veut \u00e7a. L'acquis principal, c'est qu'entre le 17 novembre et le 17 d\u00e9cembre, nous avons ressenti quelque chose que l'histoire avait localement totalement oubli\u00e9 : tout peut basculer en peu de temps. Mais les \u00e9tincelles de ne se d\u00e9clarent pas.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EDe jeunes gilets jaunes provinciaux, plus ou moins \u00ab militants \u00bb depuis quelques ann\u00e9es...\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Ca href=\"https:\/\/paris-luttes.info\/autocritique-d-une-participation-12811\"\u003Eparis-luttes.info\u003C\/a\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Ca href=\"http:\/\/www.legrandsoir.info\/autocritique-d-une-participation-militante-aux-gilets-jaunes.html\"\u003Elegrandsoir.info\u003C\/a\u003E\u003C\/p\u003E","_links":{"parent_art":[{"title":"Un an des Gilets jaunes : malgr\u00e9 l'\u00e9puisement, les forces de l'ordre mobilis\u00e9es en nombre","url":"http:\/\/newsnet.fr\/apicom\/id:164435,json:1"}]}}}