{"167636":{"id":"167636","parent":"0","time":"1579347418","url":"http:\/\/newsnet.fr\/167636","source":"http:\/\/mrmondialisation.org\/dictature-en-argentine-le-recit-vibrant-dun-exile-survivant\/","category":"Latina","title":"Dictature en Argentine : le r\u00e9cit vibrant d'un exil\u00e9 survivant","catalog-images":"3\/\/1\/newsnet_167636_bc8e11.jpg\/newsnet_167636_f7749d.jpg\/newsnet_167636_c55484.jpg\/newsnet_167636_7b78fd.jpg","image":"http:\/\/newsnet.fr\/img\/newsnet_167636_bc8e11.jpg","hub":"newsnet","url-explicit":"http:\/\/newsnet.fr\/art\/dictature-en-argentine-le-recit-vibrant-d-un-exile-survivant","admin":"newsnet","views":"339","priority":"3","length":"19411","lang":"fr","content":"\u003Cp\u003E\u003Cimg style=\"max-width:100%\" src=\"http:\/\/newsnet.fr\/img\/newsnet_167636_bc8e11.jpg\" \/\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELes veines de l'Am\u00e9rique Latine se sont ouvertes plusieurs fois durant la seconde partie du XXe si\u00e8cle. De Pinochet au Chili \u00e0 Somoza au Nicaragua, le continent Latin a connu des heures funestes et tragiques, marquant ainsi \u00e0 jamais son Histoire. Plus que jamais cette histoire semble ressurgir depuis la deuxi\u00e8me d\u00e9cennie du XXI si\u00e8cle. Alors que la fin du XX si\u00e8cle marquait le d\u00e9but de l'\u00e8re progressiste, nous assistons incr\u00e9dules et de fa\u00e7on schizophr\u00e9nique, au retour de ces pouvoirs autoritaires. Pour en comprendre la teneur de ces r\u00e9gimes en Am\u00e9rique latine, nous vous invitons \u00e0 d\u00e9couvrir la vie d'Oscar Perales, un r\u00e9fugi\u00e9 argentin vivant maintenant pr\u00e8s de Bordeaux. Interview intimiste.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EEn 1976, un \u00e9ni\u00e8me coup d'\u00c9tat a lieu sur le continent. Apr\u00e8s Allende, Torrijos, Roldos, c'est au tour d'Isabel Peron et de l'Argentine de conna\u00eetre un terrible coup d'Etat militaire. Jorge Rafael Videla se retrouve \u00e0 la t\u00eate de la junte militaire qui a organis\u00e9, en mars 1976, le coup d'Etat nomm\u00e9 \u003Ci\u003E\u00ab Proceso de Reogarnizaci\u00f3n Nacional \u00bb.\u003C\/i\u003E V\u00e9ritable r\u00e9gime de terreur o\u00f9 des milliers de personnes ont \u00e9t\u00e9 assassin\u00e9es, port\u00e9es disparues, pour des raisons politiques. Parmi eux, beaucoup d'\u00e9tudiants, de syndicalistes, de journalistes, d'intellectuels, la r\u00e9pression \u00e9tait telle qu'un grand nombre d'argentins se sont exil\u00e9s. Oscar Perales est l'un d'eux.\u003C\/p\u003E\u003Cfigure\u003E\u003Cimg src=\"http:\/\/newsnet.fr\/img\/newsnet_167636_f7749d.jpg\" \/\u003E\u003Cfigcaption\u003EOscar Perales\u003C\/figcaption\u003E\u003C\/figure\u003E\u003Cp\u003EBonjour Oscar Perales, je suis ravi de vous avoir dans le cadre de cet interview. Vous avez donc fui la dictature argentine qui a eu lieu de 1976 \u00e0 1983, mise en place par le g\u00e9n\u00e9ral Videla. Un r\u00e9gime qui fut responsable de la disparition de plus de 30 000 personnes, de la mort de 15 000 argentins, ainsi que de nombreux exil\u00e9s et d'enl\u00e8vements d'enfants. Vous avez aujourd'hui 63 ans et vous vivez en France, j'aimerais donc revenir avec vous sur cette partie de l'Histoire de l'Argentine. Je vous laisse donc vous pr\u00e9senter et parler un peu de votre enfance, de vos parents, du milieu social dans lequel vous grandissez, pour que l'on puisse comprendre un peu mieux le contexte de l'\u00e9poque.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EOscar Perales : Je viens d'une famille de classe moyenne, mon p\u00e8re \u00e9tait un fonctionnaire travaillant dans le p\u00e9trole. Je suis originaire du sud de l'Argentine, dans la Patagonie, l\u00e0 o\u00f9 on exploite le p\u00e9trole. Je vivais dans des villages campements, des lieux qui suivaient l'avanc\u00e9e des exploitations p\u00e9troli\u00e8res. De nos jours, ils ont disparu car l'\u00e9pop\u00e9e du p\u00e9trole s'est d\u00e9plac\u00e9e dans d'autres r\u00e9gions. Donc mon quartier, mon enfance, mon village \u00e9ph\u00e9m\u00e8re o\u00f9 j'ai pass\u00e9 mes 12 premi\u00e8res ann\u00e9es n'est plus. Mon p\u00e8re travaillait pour une entreprise d'Etat du p\u00e9trole. Il avait un bon poste, je n'ai jamais manqu\u00e9 de rien. Mon \u00e9ducation a \u00e9t\u00e9 bonne ainsi que mon cadre de vie. De ce c\u00f4t\u00e9-l\u00e0, tout \u00e9tait parfait et puis ma famille \u00e9tait tr\u00e8s aimante. Mais c'est vrai que ce sont des moments forts de vivre dans cette esp\u00e8ce d'ambiance p\u00e9troli\u00e8re, \u00e9loign\u00e9e des grandes villes o\u00f9 la condition g\u00e9ographique est difficile. C'est la Patagonie hein... Mais en m\u00eame temps, on \u00e9tait tr\u00e8s prot\u00e9g\u00e9s car l'entreprise d'Etat donnait bien plus que le n\u00e9cessaire \u00e0 ses ouvriers. Il y avait une vie culturelle, des spectacles, des cin\u00e9mas, il y avait tout et c'\u00e9tait fourni et mis en place par l'entreprise d'Etat \u00ab YPF \u00bb, gisement p\u00e9trolif\u00e8re fiscal qui n'existe plus de nos jours que sous la forme financi\u00e8re, \u00e0 la suite de diff\u00e9rents accords, conventions politiques et \u00e9conomiques o\u00f9 l'Etat a c\u00e9d\u00e9 la gestion \u00e0 des entreprises priv\u00e9es. Durant cette p\u00e9riode, dans les ann\u00e9es 50-60, il faut savoir et c'est important, que l'on vivait dans une argentine tr\u00e8s prosp\u00e8re m\u00eame si on \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 gouvern\u00e9s par des politiques civiquo-militaires, des dictatures plus ou moins voil\u00e9es. Quelquefois on pouvait voter mais il n'y avait qu'un candidat et d'autres fois cela \u00e9tait impos\u00e9. Mais en Patagonie on ne ressentait pas cela, ma famille et l'entreprise d'Etat se trouvaient assez \u00e9loign\u00e9es. Je te rappelle qu'on \u00e9tait \u00e0 2200 km de Buenos Aires donc on a v\u00e9cu \u00e7a de tr\u00e8s loin. Mais non, \u00e0 l'\u00e9poque il n'y avait pas de contestations particuli\u00e8res dans mon entourage, m\u00eame si, dans les ann\u00e9es 45-50 il y a eu des contestations ouvri\u00e8res dans le nord aux alentours de Buenos Aires donnant naissance au mouvement P\u00e9roniste. C'est de l\u00e0 que P\u00e9ron a commenc\u00e9 \u00e0 appara\u00eetre dans le champ politique. Le mouvement P\u00e9roniste \u00e9tait un mouvement social-nationaliste si on peut dire, donc beaucoup de patrie, beaucoup de social \u00e0 une \u00e9poque o\u00f9 il n'y en avait pas, sauf dans les entreprises d'Etat bien s\u00fbr o\u00f9 on avait tout.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EVous avez fui la dictature 1976-1983, qui portait le nom de processus de r\u00e9organisation nationale, pouvez-vous nous raconter comment cette dictature a pu s'installer et que voulait dire processus de r\u00e9organisation nationale ?\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EOscar Perales : En 1976 je devais avoir 20 ans par-l\u00e0, j'\u00e9tudiais dans une universit\u00e9 pr\u00e8s de chez moi, dans la Patagonie loin de Buenos Aires. Avec mes amis d'\u00e9tudes, je faisais mes premi\u00e8res armes de construction politique et me forgeait une culture g\u00e9n\u00e9rale, civique et politique dans les mouvements de gauche de la jeunesse socialiste. Il n'y avait pas trop le choix \u00e0 dire vrai \u00e0 l'\u00e9poque, soit on \u00e9tait p\u00e9roniste, radical ou de droite. Cette dictature est arriv\u00e9e de fa\u00e7on brutale, comme un \u00e9clair qui nous foudroie sur place. \u00ab C'\u00e9tait un jour de mars 1976, le 24 pour \u00eatre pr\u00e9cis. Ce matin-l\u00e0, tu te l\u00e8ves \u00e0 sept heures du matin, comme chaque matin, pour pr\u00e9parer ta journ\u00e9e calmement, et l\u00e0, tu entends \u00e0 la radio qu'une marche militaire a lieu. Au d\u00e9but tu n'y crois pas, tu refuses. Tu te dis que ton gouvernement en place et \u00e9lu d\u00e9mocratiquement ne peut pas tomber aussi facilement, mais plus les minutes avancent et plus tu comprends que la notion de d\u00e9mocratie n'est plus vraiment la bienvenue. Ensuite, tu entends un communiqu\u00e9 au ton tr\u00e8s martial, dans lequel on dit que les forces arm\u00e9es ont d\u00e9cid\u00e9 de prendre le pouvoir pour commencer ce processus de r\u00e9organisation nationale qui doit remettre en ordre le pays. Donc voil\u00e0, \u00e7a commence comme \u00e7a pour moi, un matin de mars 1976 \u00e0 sept heures. A ce moment-l\u00e0, tu as ton dos qui se glace, tu te dis que cela n'est pas possible et tu n'as qu'une envie, celle de revenir \u00e0 hier. Puis tu commences \u00e0 connecter les \u00e9v\u00e8nements qui se passent dans les pays voisins, Chili, Uruguay... et l\u00e0, tu comprends que ton pays ne sera pas \u00e9pargn\u00e9. Que le d\u00e9but de d\u00e9mocratisation commenc\u00e9 en 1973 par le biais de la victoire des p\u00e9ronistes n'est d\u00e9j\u00e0 plus qu'un mirage.\u003C\/p\u003E\u003Cfigure\u003E\u003Cimg src=\"http:\/\/newsnet.fr\/img\/newsnet_167636_c55484.jpg\" \/\u003E\u003Cfigcaption\u003ETableau de Mathieu Renault\u003C\/figcaption\u003E\u003C\/figure\u003E\u003Cp\u003EIl me semble important d'\u00e9voquer la p\u00e9riode juste avant le coup d'\u00c9tat, celle qui a vu l'arriv\u00e9e de la d\u00e9mocratie par les P\u00e9ronistes en pleine p\u00e9riode de guerre froide. Contexte de tension dans le continent latin o\u00f9 les d\u00e9mocraties naissantes font miroiter la peur du rouge chez le voisin am\u00e9ricain.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EOscar Perales : Ceci est important pour comprendre la suite en effet. En 1973 l'arm\u00e9e d\u00e9cide de mettre en place des \u00e9lections, le mouvement p\u00e9roniste est tr\u00e8s grand dans le pays malgr\u00e9 l'exil de Juan Per\u00f3n en Europe. Le mouvement p\u00e9roniste commence alors les \u00e9lections sans Per\u00f3n avec un candidat X, je crois qu'il s'appelait H\u00e9ctor Jos\u00e9 Campora. Une fois l'\u00e9lection gagn\u00e9e, il a fait revenir Per\u00f3n et lui a c\u00e9d\u00e9 sa place de Pr\u00e9sident. Bien s\u00fbr on le savait et on le voulait ce retour de P\u00e9ron. Cette d\u00e9mocratie-l\u00e0 a pos\u00e9 le d\u00e9but de certaines lignes sociales et surtout une d\u00e9mocratisation de la vie politique avec la cr\u00e9ation de nouveaux partis, dont le parti socialiste, le parti communiste et tous les \u00ab istes \u00bb qu'on puisse imaginer. Et donc l\u00e0, on s'est tous dangereusement d\u00e9couvert car on participait \u00e0 la vie politique, on allait dans diff\u00e9rentes r\u00e9unions, cercles de pens\u00e9es o\u00f9 nos id\u00e9aux semblaient pouvoir s'exprimer librement. Le probl\u00e8me c'est que tout cela, ces revendications, ces visions politiques n'ont pas plu \u00e0 tout le monde, notamment aux militaires toujours en place mais aussi \u00e0 la classe ais\u00e9e du pays, la classe financi\u00e8re, les grands propri\u00e9taires terriens \u00e9paul\u00e9s et clients des USA. Ceux-ci regardaient d'un tr\u00e8s mauvais œil la soci\u00e9t\u00e9 se d\u00e9velopper de fa\u00e7on trop sociale et commen\u00e7aient \u00e0 revendiquer la fin des possessions, des privatisations et des int\u00e9r\u00eats \u00e9trangers, notamment ceux des Am\u00e9ricains. Petit \u00e0 petit, la col\u00e8re envers cette d\u00e9mocratisation-l\u00e0 est mont\u00e9e dans la frange bourgeoise de la population et \u00e9galement dans les hautes sph\u00e8res des \u00c9tats-Unis o\u00f9 la peur du rouge \u00e9tait omnipr\u00e9sente. D'ailleurs on avait d\u00e9j\u00e0 pu constater des ing\u00e9rences dans des pays similaires au n\u00f4tre des ann\u00e9es avant comme avec le Chili, le Panama, l'Equateur. Ensuite, le parti p\u00e9roniste a commenc\u00e9 \u00e0 aller mal, des groupes arm\u00e9s d'extr\u00eame-gauche se form\u00e8rent pour d\u00e9fendre soi-disant les paysans et le peuple. De plus Per\u00f3n d\u00e9c\u00e9da, laissant la place \u00e0 sa troisi\u00e8me femme Isabel qui n'\u00e9tait pas tr\u00e8s brillante. Elle \u00e9tait peu instruite et surtout elle \u00e9tait t\u00e9l\u00e9command\u00e9e par un groupuscule de p\u00e9ronistes qui commen\u00e7ait d\u00e9j\u00e0 \u00e0 r\u00e9primer l'extr\u00eame-gauche de son parti m\u00eame. Et donc l\u00e0, il y a eu le d\u00e9but des r\u00e9pressions et la cr\u00e9ation des trois A, qui voulait dire alliance anti-communiste Argentine, des groupes paramilitaires qui faisaient des attentats. Et cette ambiance d\u00e9l\u00e9t\u00e8re, le monde de la finance et de la grande bourgeoisie l'a ressentie \u00e9galement. C'\u00e9tait le moment id\u00e9al pour ramener les militaires aux pouvoirs \u00ab il faut que les bottes reviennent \u00bb appuy\u00e9s par la grande finance du pays et par Washington mais pas seulement. Pour une grande partie du peuple, les militaires repr\u00e9sentaient l'ordre, tandis que la d\u00e9mocratie repr\u00e9sentait le bordel si je peux dire. M\u00eame le mouvement syndical, qui \u00e9tait p\u00e9roniste, n'\u00e9tait pas net, j'avais quelques doutes sur eux. Des doutes sur les dirigeants bien s\u00fbr, pas la base. C'est donc dans ce panorama-l\u00e0 que le 24 mars 1976 la dictature arrive avec les trois forces arm\u00e9es (terre, mer, air) qui se mettent d'accord et nomment Videla comme le repr\u00e9sentant de cette r\u00e9organisation nationale, dont finalement rien n'\u00e9tait dit dessus les premiers jours. Mais tr\u00e8s vite il y a eu une campagne macabre d'assassinats qui visait l'engag\u00e9 politique, l'ami de l'engag\u00e9 politique, la famille de l'engag\u00e9 politique... L'arm\u00e9e voulait marquer, dans les g\u00e9n\u00e9rations, leur forme de g\u00e9nocide et cette terreur de la fa\u00e7on la plus brutale possible et surtout faire peur, tr\u00e8s peur. Et en plus, bon on n'a pas le monopole du massacre en Argentine avec les militaires car il y a des choses horribles qui se sont pass\u00e9es dans le monde et qui se passent encore, mais ils ont cr\u00e9\u00e9 la notion de disparu. Tu sais la notion de disparition c'est une double peine. Qu'une famille sache qu'un des leurs, militant ou pas militant d'ailleurs, a \u00e9t\u00e9 tu\u00e9 par l'arm\u00e9e dans le cadre d'une dictature, c'est tr\u00e8s douloureux mais il y a un tombeau, une s\u00e9pulture, le deuil est possible. Mais quand les familles commencent \u00e0 chercher et qu'elles ne trouvent pas leurs parents, leurs enfants ou autre, le deuil n'est plus possible et cela n'est pas pareil. Tu vis toujours avec cette incertitude entre espoir et cauchemar. La disparation c'est quelque chose qui est entre la vie et la mort, et \u00e7a c'est une notion qu'on ne ma\u00eetrise pas car on se pose la question \u00ab et s'il \u00e9tait encore vivant...\u00bb.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EQuand la dictature est venue, comment vos proches ont-ils r\u00e9agi ?\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EOscar Perales : Bon d\u00e9j\u00e0, aucun membre de ma famille n'est mort pendant la dictature, par contre j'ai des amis proches qui sont morts en effet. Ma famille, comme beaucoup d'argentins, n'\u00e9tait pas beaucoup engag\u00e9e, elle \u00e9tait engag\u00e9e dans la vie de tous les jours pour nous construire un avenir meilleur, mais ils n'\u00e9taient pas engag\u00e9s politiquement comme je pouvais l'\u00eatre avec mes amis \u00e9tudiants. Dans le cadre \u00e9tudiant, on \u00e9tait plus engag\u00e9s que le reste de la population et c'est d'ailleurs sur les \u00e9tudiants que le gros de la r\u00e9pression est pass\u00e9e. D'un c\u00f4t\u00e9 comme de l'autre, on ne se posait pas la question. Les militaires r\u00e9prim\u00e9s, les contestations et nous, \u00e9tudiants de l'\u00e9poque, on suivait nos passions et nos id\u00e9aux qui avaient souvent commenc\u00e9 par l'effet de groupe. Donc oui, beaucoup de mes amis sont tomb\u00e9s. La r\u00e9pression \u00e9tait m\u00e9connue de la grande partie du peuple, seuls les militants le savaient et se pr\u00e9paraient \u00e0 cela en br\u00fblant les lettres politiques ou tous biens pouvant les rattacher \u00e0 la contestation. Mes parents, mes grands-parents, comme le reste de la population \u00e9taient ignares des actions de la dictature militaire, ils n'en savaient rien ou que tr\u00e8s peu. Donc, mon entourage r\u00e9agissait na\u00efvement en se disant qu'il allait y avoir enfin de l'ordre. Qu'ils vont enfin nous sortir tous ces communistes, ce subversif. Et beaucoup de gens disaient \u00e7a, des proches familiaux tenaient ce discours, donc forc\u00e9ment tu as un peu du mal \u00e0 le dig\u00e9rer quoi et tu te sens impuissant. Mais cela est toujours visible dans notre monde, tu peux trouver ce genre de pression et de sentiment \u00e9galement en France de nos jours, alors qu'on est beaucoup plus inform\u00e9s qu'\u00e0 l'\u00e9poque. En Argentine, \u00e0 cette p\u00e9riode, il n'y avait aucune information, les militaires censuraient toutes les infos, surtout que le gros de la r\u00e9pression \u00e9tait \u00e0 Buenos Aires et donc dans un pays aussi massif que l'Argentine, tu te doutes bien que l'information ne circule pas comme dans un pays semblable \u00e0 la France. Nous qui \u00e9tions en Patagonie on \u00e9tait en quelque sorte \u00e9pargn\u00e9s si je peux dire. Mais avec mes parents nous avons parl\u00e9 tr\u00e8s longuement de cette p\u00e9riode-l\u00e0, apr\u00e8s la fin de la dictature. J'avais offert \u00e0 ma m\u00e8re un livre \u00ab Plus jamais \u00e7a \u00bb et ma m\u00e8re est tomb\u00e9e des nus en lisant cela, elle ne pensait pas que c'\u00e9tait \u00e0 ce point \u00bb.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EQu'est-ce que cela a chang\u00e9 pour vous ?\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EOscar Perales : \u00ab Tout. La fa\u00e7on dont tu vois ton quotidien. En ce qui me concerne, mon quotidien n'\u00e9tait plus le m\u00eame, mais \u00e0 l'\u00e9poque on avait cet espoir d'alternative, l'espoir d'autre chose. Aujourd'hui je pense qu'on peut plus parler de la m\u00eame chose, il y a un espoir aussi mais ce n'est plus le m\u00eame. Nous ne pouvons plus dire \u00ab on va faire comme en Russie ou Cuba \u00bb, non je ne pense pas que les gens aient envie de faire cela. Et le jour o\u00f9 la dictature arrive tout cela n'existe plus. Tes espoirs, tu as int\u00e9r\u00eat \u00e0 les garder profond\u00e9ment en toi, surtout \u00e0 ne pas en parler, \u00e0 ne pas penser. Tes utopies, tes r\u00eaves politiques, tout cela tu le gardes bien pour toi et tu fais le mort. Du jour au lendemain, il n'y a plus aucun moyen de se r\u00e9unir pour penser, de continuer l'action militante, tout cela tu oublis sous peine de dispara\u00eetre d'une fa\u00e7on ou d'une autre. Oui \u00e7a change une vie mais tu ne t'en rends pas compte tout de suite. Aujourd'hui j'ai 63 ans donc j'en suis conscient, mais \u00e0 l'\u00e9poque j'avais 20 ans et tu n'en as pas forc\u00e9ment conscience. Tu suis le mouvement de survie en quelque sorte. Tu arr\u00eates ce que tu fais, tu te ne r\u00e9unis plus avec tes amis pour discuter ou militer. Tu ne parles plus politique, tu changes de boulot, de r\u00e9gion, tu te prives de toutes choses intellectuelles. A partir du moment o\u00f9 tu sens le danger arriver tu ne peux plus te comporter comme avant. Alors moi, en tant que militant de la jeunesse socialiste, je suis parti loin. Tu sais, tu as des choses quelquefois qui tombent mal ou qui tombent bien et qui vont d\u00e9finir ton chemin.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EVous avez ensuite fui cette dictature pour trouver une nouvelle vie ailleurs. Pouvez-vous nous raconter le d\u00e9roulement de cette fuite ? La sensation que l'on ressent, et que signifie r\u00e9ellement s'exiler de son pays ?\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EOscar Perales : J'ai cherch\u00e9 par tous les moyens \u00e0 partir, et le hasard fait bien les choses parfois. A l'\u00e9poque, j'\u00e9tais avec une fille qui avait des connaissances au Sahel en Afrique et donc on a parl\u00e9 de cette possibilit\u00e9. Cependant, il fallait un passeport et donc aller dans la gueule du loup... \u00e0 la police f\u00e9d\u00e9rale. Il fallait un passeport pour sortir, nous n'\u00e9tions pas partis clandestinement. Ma copine avait une sœur qui \u00e9tait mari\u00e9e \u00e0 un g\u00e9n\u00e9ral de l'\u00e9poque et donc par ce biais-l\u00e0, on a r\u00e9ussi \u00e0 avoir du piston. Donc nous allons \u00e0 la police f\u00e9d\u00e9rale avec la peur au ventre pour obtenir le passeport gr\u00e2ce au petit mot du g\u00e9n\u00e9ral mari\u00e9 \u00e0 la sœur de ma copine. Cependant on avait peur, m\u00eame avec ce mot, cela restait un simple mot. Mais on n'avait pas le choix, c'\u00e9tait un coup de poker et par chance on a pu r\u00e9ussir \u00e0 sortir et \u00e0 obtenir nos passeports. La p\u00e9riode d'exil est tr\u00e8s difficile moralement car tu es parano de tout, tu as la peur de la moindre chose. Et puis tu quittes ton quotidien. Nous sommes rest\u00e9s un an en Afrique quelques mois et on a eu le d\u00e9sir de partir en Europe assez vite. Je ne voulais pas aller en Espagne m\u00eame si cela aurait \u00e9t\u00e9 logique, alors nous sommes all\u00e9s \u00e0 Paris avant de descendre sur Limoges puis sur l'\u00eele de R\u00e9, o\u00f9 j'ai commenc\u00e9 \u00e0 m'occuper d'un bateau car j'\u00e9tais marin de formation en Argentine. Cependant, j'\u00e9tais dans une situation d\u00e9licate, j'\u00e9tais en touriste, mais gr\u00e2ce aux diff\u00e9rentes associations humanitaires, j'ai pu faire les d\u00e9marches car sinon j'allais me retrouver sans papiers, sans pouvoir travailler, \u00e9tudier, vivre tout simplement. Ensuite, j'ai pu \u00e9tudier \u00e0 l'universit\u00e9 de Poitiers qui m'a fortement aid\u00e9 lors de l'inscription, car normalement, si tu veux \u00e9tudier en France tu dois demander \u00e0 l'Ambassade fran\u00e7aise \u00e0 Buenos Aires ce qui \u00e9tait fortement impossible pour moi. Tu imagines, retourner \u00e0 Buenos Aires en pleine dictature et demander des papiers pour pouvoir \u00e9tudier en France? Non, ce n'\u00e9tait tout simplement pas possible, et donc le recteur de l'universit\u00e9 m'a fortement aid\u00e9 en comprenant la situation. Je me suis inscrit en fac de droit. J'\u00e9tais motiv\u00e9 pour comprendre le pays et m'instruire sur le pays o\u00f9 j'\u00e9tais. Je suis m\u00eame devenu d\u00e9l\u00e9gu\u00e9, c'\u00e9tait assez dr\u00f4le. C'\u00e9tait sous Mitterrand je me souviens. J'ai donc recommenc\u00e9 la vie militante par ce biais en me disant que ma vie se refaisait ailleurs et que la dictature commen\u00e7ait \u00e0 \u00eatre loin de moi. Je suis arriv\u00e9 dans les ann\u00e9es Mitterrand, donc c'\u00e9tait une p\u00e9riode int\u00e9ressante culturellement et j'ai appris \u00e9norm\u00e9ment de choses \u00e0 cette \u00e9poque-l\u00e0. Ensuite je suis rest\u00e9 ici, poursuivant mon histoire. Je le dis toujours, et d'ailleurs je le r\u00e9p\u00e8te \u00e0 ma fille, il faut rester ouvert, savoir saisir les opportunit\u00e9s de la vie et tisser des liens avec les gens. Pour ma part, ma vie a \u00e9t\u00e9 improvis\u00e9e et je suis arriv\u00e9 ici gr\u00e2ce aux relations que j'ai tiss\u00e9 \u00e0 un moment donn\u00e9. Si tu n'as pas de relationnel, tu restes enferm\u00e9 dans toi-m\u00eame et tout d\u00e9p\u00e9rit.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Ci\u003EUn r\u00e9cit fort, t\u00e9moin d'un pass\u00e9 sans autel. La vie d'Oscar Perales est singuli\u00e8re et pourtant des millions de personnes connaissent encore cette fatalit\u00e9. Se rappeler l'histoire, \u00e9couter les r\u00e9cits pour en comprendre l'importance. La p\u00e9riode de guerre froide a engendr\u00e9 de nombreuses horreurs en Europe, au Moyen-Orient et surtout en Am\u00e9rique Latine. \u00c0 l'heure des r\u00e9surgences historiques, gardons en t\u00eate les r\u00e9cits de ces millions de visages sans noms.\u003C\/i\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cfigure\u003E\u003Cimg src=\"http:\/\/newsnet.fr\/img\/newsnet_167636_7b78fd.jpg\" \/\u003E\u003Cfigcaption\u003EOscar Perales chez lui\u003C\/figcaption\u003E\u003C\/figure\u003E\u003Cp\u003E\u003Ci\u003EBaptiste Teychon\u003C\/i\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Ca href=\"http:\/\/mrmondialisation.org\/dictature-en-argentine-le-recit-vibrant-dun-exile-survivant\/\"\u003Emrmondialisation.org\u003C\/a\u003E\u003C\/p\u003E","_links":[]}}