{"169030":{"id":"169030","parent":"0","time":"1581760542","url":"http:\/\/newsnet.fr\/169030","source":"http:\/\/www.legrandsoir.info\/blessures-invisibles-les-impensees-de-la-repression.html","category":"documentaires","title":"Blessures invisibles, les impens\u00e9es de la r\u00e9pression","catalog-images":"3\/\/1\/newsnet_169030_887a29.jpg","image":"http:\/\/newsnet.fr\/img\/newsnet_169030_887a29.jpg","hub":"newsnet","url-explicit":"http:\/\/newsnet.fr\/art\/blessures-invisibles-les-impensees-de-la-repression","admin":"newsnet","views":"333","priority":"3","length":"21092","lang":"fr","content":"\u003Cp\u003E\u003Cspan class=\"philum ic-img2\"\u003E\u003C\/span\u003E\u003Cbr \/\u003E\nElsa GAMBIN, L\u00e9o TIXADOR, Nicolas MAYART\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003ED'innombrables arrestations, des milliers de bless\u00e9s, et des centaines de personnes traumatis\u00e9es parmi les manifestants : la violence de la r\u00e9pression polici\u00e8re affecte les corps et les esprits. Ceux qui ne sont pas atteints dans leur chair souffrent aussi, t\u00e9tanis\u00e9s par la peur, et voient leur existence boulevers\u00e9e par les cauchemars ou la parano\u00efa.\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab La peur, quand on la per\u00e7oit, c'est fini. C'est la bo\u00eete de Pandore \u00bb, r\u00e9sume Valk, photographe \u00e0 Nantes. Depuis environ 1 an, cette habitu\u00e9e des luttes, toujours prompte \u00e0 sortir l'appareil photo, ne peut plus s'y rendre. Elle a d'abord ressenti la peur, lancinante, encore un peu floue, \u00ab \u00e0 la fa\u00e7on que j'avais de me harnacher \u00bb. Une seconde fois, elle s'est rappel\u00e9e \u00e0 elle de mani\u00e8re frontale. Une panique au milieu d'un \u00e9pais brouillard de gaz lacrymog\u00e8nes, l'impossibilit\u00e9 de bouger. \u00ab J'\u00e9tais t\u00e9tanis\u00e9e. Un militant, habill\u00e9 tout en noir, m'a mis la main sur l'\u00e9paule. Il m'a juste dit \u00ab \u00e7a va ? \u00bb. \u00c7a m'a fait revenir \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9. Ce simple geste, pr\u00e9cautionneux et aidant, m'a sortie de ma torpeur \u00bb.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELa derni\u00e8re fois, la peur l'a paralys\u00e9e. Elle l'a emp\u00each\u00e9e, entrav\u00e9e. Impossible de partir couvrir la manifestation, de franchir la porte de l'appartement. \u00ab C'\u00e9tait apr\u00e8s une semaine d'arrestations brutales dans la ville. Je me suis dit : \u00ab Ils viennent nous terroriser l\u00e0 o\u00f9 on habite \u00bb. Je ne pouvais plus retourner sur le terrain. Le rapport \u00e0 la ville s'est modifi\u00e9. On n'a plus confiance \u00bb. Vale a compris l'importance des \u00ab d\u00e9briefs \u00bb d'apr\u00e8s-manif. La n\u00e9cessit\u00e9 de parler, de ne pas ressasser seul ce que l'on a vu ou v\u00e9cu. Le sentiment de culpabilit\u00e9 s'immisce aussi, parfois : \u00ab Quand tu as peur, tu es oblig\u00e9 d'affronter qui tu es. Tu te dis : \"Qu'est-ce que je fais pour survivre ?\". C'est ni bien, ni mal. C'est juste ta survie \u00bb.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003E\"Les flics, je les hais maintenant\"\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003EC'est aussi l'instinct de survie qui a pouss\u00e9 J\u00e9r\u00e9my, 24 ans, tomb\u00e9 dans la Loire le 21 juin dernier \u00e0 Nantes \u00ab \u00e0 cause des gaz lacrymog\u00e8nes \u00bb, \u00e0 maintenir la t\u00eate hors de l'eau, \u00ab entre 15 et 25 minutes, difficile de savoir \u00bb. Le soir de la mort de Steve Maia Cani\u00e7o, pendant la f\u00eate de la musique, suite \u00e0 une violente charge polici\u00e8re. J\u00e9r\u00e9my a aid\u00e9 une autre personne, tomb\u00e9e elle aussi, qui s'\u00e9tait d\u00e9bo\u00eet\u00e9e l'\u00e9paule lors de sa chute. Des gaz lacrymog\u00e8nes, des chiens, des hurlements, de l'eau froide et de la peur, il ne dira rien aux urgentistes, qui ignorent alors tout du drame qui s'est d\u00e9roul\u00e9 sur le quai.\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EJ\u00e9r\u00e9my rentre chez lui apr\u00e8s l'h\u00f4pital, la vie reprend son cours, il porte plainte. Passe des heures enti\u00e8res sur le quai, tout l'\u00e9t\u00e9, en pleine canicule. Personne pour proposer un suivi psychologique. \u00ab Le fait d'en parler aux m\u00e9dias m'a aid\u00e9 \u00e0 ext\u00e9rioriser la chose, \u00e0 prendre un peu de recul \u00bb. Un mois apr\u00e8s cette nuit cauchemardesque, le jeune homme craque. Fond en larmes. \u00ab Je me disais alors que c'\u00e9tait moi qui aurais d\u00fb dispara\u00eetre \u00e0 la place de Steve. Je ne me sentais pas l\u00e9gitime \u00e0 \u00eatre en vie \u00bb. Un syndrome du survivant que J\u00e9r\u00e9my essaie de g\u00e9rer seul. Il ne se souvient pas avoir fait de cauchemars, et dit avoir trop de fiert\u00e9 pour se d\u00e9cider \u00ab \u00e0 aller voir quelqu'un. Je savais que j'allais r\u00e9ussir \u00e0 retrouver ma joie de vivre \u00bb. Mais il passe plusieurs mois \u00e0 fumer des p\u00e9tards et consommer trop d'alcool. \u00ab Je percevais bien le choc \u00e9motionnel, le trauma. Et ma culpabilit\u00e9 \u00bb.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003E\"L'imaginaire de la lutte, c'est un milieu viril, guerrier. Comment dire alors qu'on a besoin d'espace pour se reposer, se ressourcer ? Quand on milite, on se confronte volontairement \u00e0 la violence.\"\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ES'il va mieux aujourd'hui, \u00ab gr\u00e2ce \u00e0 une rencontre \u00bb qui lui a fait remonter la pente, les r\u00e9miniscences de cet \u00e9pisode se font sentir au quotidien. \u00ab D\u00e8s que j'entends parler de Steve, ou de violences polici\u00e8res, j'ai la boule au ventre et la larme \u00e0 l'œil \u00bb. \u003Cb\u003EJ\u00e9r\u00e9my n'a plus aucune confiance en la police. \u00ab Les flics, je les hais maintenant. Clairement. J'ai peur aussi. Peur quand je les croise. M\u00eame si j'ai fait le choix de ne pas cacher ce qui m'est arriv\u00e9 \u00bb. Le jeune homme ne comprend pas comment on a pu en arriver l\u00e0.\u003C\/b\u003E Une famille bris\u00e9e et le trauma tenace de dizaines de jeunes. Il \u00e9voque un futur tatouage en hommage \u00e0 Steve. Avec la date. Pour ne pas oublier ? \u00ab On ne peut pas oublier de toute fa\u00e7on. C'est ancr\u00e9 \u00bb.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003E\"J'ai cru qu'on \u00e9tait en guerre\"\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELors du G7, sur le camp des opposants, on trouvait un \u00ab espace de soin et de soutien \u00bb appel\u00e9 Chez Thelma. Zazou, du collectif, a remarqu\u00e9 que cette question des traumas \u00e9tait peu r\u00e9fl\u00e9chie en France. Beaucoup de ressources viennent de l'\u00e9tranger, Angleterre, Allemagne, Canada.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u00ab Chez Thelma, c'\u00e9tait une premi\u00e8re sur un contresommet. Il est encore difficile que ces espaces existent. L'imaginaire de la lutte, c'est un milieu viril, guerrier. Comment dire alors qu'on a besoin d'espace pour se reposer, se ressourcer ? Quand on milite, on se confronte volontairement \u00e0 la violence. On se surexpose m\u00eame, sans \u00eatre pr\u00e9par\u00e9s aux cons\u00e9quences \u00bb, explique la militante. Au G7, de nombreuses personnes ont fait un saut Chez Thelma. Pour se reposer, ou apr\u00e8s une crise d'angoisse. Les retours ont \u00e9t\u00e9 positifs. \u00ab Il faut faire exister cette parole en assembl\u00e9e pour pouvoir parler \u00e0 tous des risques traumatiques. Commencer par \u00eatre attentif aux autres. La peur doit \u00eatre entendable ! On doit prendre cette question en charge collectivement \u00bb.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ESi la question du trauma \u00e9tait latente chez les militants de longue date, elle a en revanche brutalement fait irruption dans la vie de Gilets Jaunes qui connaissaient peu le terrain des manifestations. Julia, 31 ans, n'avait pas manifest\u00e9 avant d'enfiler le gilet fluo. \u003Cb\u003ELa jeune femme est ressortie \u00ab choqu\u00e9e \u00bb de ses premiers samedis. \u00ab On \u00e9tait face \u00e0 des gens en armure qui nous bloquaient chaque rue. Je vois une femme palp\u00e9e devant tout le monde, qui pleurait. C'\u00e9tait humiliant. Je me suis dit : \"ces gens n'ont aucune piti\u00e9\" \u00bb.\u003C\/b\u003E Elle a v\u00e9cu une nasse qui l'a durablement marqu\u00e9e, et se souvient avoir hurl\u00e9. La nasse, technique anglosaxonne appel\u00e9e kettling (comprenez \u00ab bouilloire \u00bb), peut \u00eatre particuli\u00e8rement traumatisante.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EUn pi\u00e8ge qui s'est referm\u00e9 sur Julia d\u00e9but janvier 2019, pr\u00e8s de la Pr\u00e9fecture de Nantes. \u003Cb\u003E\u00ab J'ai cru qu'on \u00e9tait en guerre. Il faisait nuit, les gaz ne s'arr\u00eataient pas. On sautait partout pour \u00e9viter les projectiles. Je hurlais. Les gens hurlaient. L\u00e0, je me suis dit qu'ils voulaient nous faire crever \u00bb.\u003C\/b\u003E R\u00e9fugi\u00e9e dans l'arri\u00e8re-cour d'un restaurant, elle voit les gens tousser et vomir \u00e0 tour de r\u00f4le. \u00ab Le chaos complet. Et le sentiment bizarre de me dire \"j'ai \u00e9chapp\u00e9 \u00e0 la mort\" \u00bb. Une exp\u00e9rience traumatisante, qui s'ach\u00e8ve par l'arriv\u00e9e de CRS, avec de nombreux coups de matraque \u00e0 la clef. \u00ab Je ne comprenais pas. J'\u00e9tais ahurie \u00bb.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EApr\u00e8s \u00e7a, Julia a mis du temps \u00e0 retourner en manifestation. Elle a consult\u00e9 un hypnoth\u00e9rapeute, pour essayer de r\u00e9gler des soucis d'hypervigilance teint\u00e9s d'angoisse et de parano\u00efa. \u00ab Je sursautais au moindre claquement de porte. Dans le centre-ville, je regardais partout. Et paniquais d\u00e8s que j'entendais une sir\u00e8ne. Comme si on \u00e9tait tout le temps en manif, qu'il fallait tout guetter \u00bb. \u003Cb\u003EElle se surprend un soir \u00e0 courir jusqu'\u00e0 sa voiture de peur d'\u00eatre suivie par la police. S'enferme parfois chez elle. A le cœur qui bat plus fort quand elle pense qu'une voiture la suit. \u00ab Mon pire cauchemar, c'\u00e9tait qu'ils viennent toquer \u00e0 la porte de chez moi pour venir me chercher. Je l'imaginais, j'en cauchemardais \u00bb. Cette peur d'\u00eatre traqu\u00e9e, des repr\u00e9sailles, Julia le dit : \u00ab C'\u00e9tait de la parano\u00efa \u00bb. Un enfer au quotidien.\u003C\/b\u003E Depuis ces s\u00e9ances d'hypnose, elle se sent plus apais\u00e9e. Elle a pu retourner en manifestation. De loin, d'abord.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003EUn \u00e9tat de sid\u00e9ration psychique\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELes cauchemars, les angoisses, la parano\u00efa, Lauriane Perez, psychologue clinicienne en lib\u00e9ral, en voit tous les jours dans son cabinet. Elle re\u00e7oit de plus en plus de manifestants d\u00e9munis face \u00e0 la persistance de leurs sympt\u00f4mes.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003E\u00ab Dans les traumatismes, le facteur aggravant est l'intentionnalit\u00e9 de la violence. Or les Gilets Jaunes ont d'abord vu le policier comme quelqu'un du m\u00eame corps social, qui pouvait potentiellement les rejoindre. Avant qu'il ne devienne un ennemi, un oppresseur l\u00e9gitim\u00e9 par le discours de l'\u00c9tat \u00bb.\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELa psychologue constate des traumas li\u00e9s au maintien de l'ordre. \u00ab Quelque chose va arriver qui va nous confronter \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9 de la mort, au danger de notre int\u00e9grit\u00e9 physique \u00bb. Typiquement, chaque espace de la r\u00e9pression polici\u00e8re est donc un panier \u00e0 traumas. Nasse, sensation d'\u00e9touffement sous les gaz, impossibilit\u00e9 de fuir, peuvent provoquer la peur de mourir. Lauriane Perez \u00e9coute les militants parler d'un choc psychologique dont ils ont \u00e0 peine conscience avant de venir la voir.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELe choc psychologique s'apparente \u00e0 cet \u00e9pisode racont\u00e9 plus haut par la photographe Valk. \u00ab Il s'agit d'une sid\u00e9ration psychique. Tout s'arr\u00eate. La personne n'aura plus de sensation, elle est t\u00e9tanis\u00e9e \u00bb. Il faut alors esp\u00e9rer que quelqu'un vous extirpe de cette immobilit\u00e9 \u00e9motionnelle avant un drame potentiel. \u00ab La communaut\u00e9, l'entourage, peut faire \u00ab re-rentrer \u00bb la personne dans le groupe \u00bb. Pour Valk, ce fut ce militant qui lui posa la main sur l'\u00e9paule. Pour Lola, street medic de 23 ans, c'est un symbole de secouriste qui lui a fait recouvrer ses esprits alors qu'elle \u00e9tait comme glac\u00e9e. \u00ab Une fois, j'ai d\u00e9connect\u00e9. Je me suis retrouv\u00e9e coll\u00e9e au mur d'un immeuble, sous les gaz, je calculais plus rien. Je ne pouvais plus bouger malgr\u00e9 ma d\u00e9tresse respiratoire, parce que je n'avais pas eu le temps de mettre mon masque \u00bb.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003E\"Un bruit de p\u00e9tard me crispe, j'ai peur que ce soit une grenade. Ce qui est le plus ancr\u00e9, c'est la tenue vestimentaire de la BAC\". Lola, street medic.\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ESouvent, le choc psychologique passe inaper\u00e7u, explique Lauriane Perez. La personne rentre chez elle, \u00e9puis\u00e9e, sans en parler. \u00ab Ce n'est pas la bonne option. Il faut aller boire un caf\u00e9, poser des mots, \u00eatre entour\u00e9 \u00bb. Ce que l'on remarque, en revanche, ce sont les sympt\u00f4mes de stress post-traumatique (SPT). Flash-back, cauchemars, troubles de la m\u00e9moire, hypervigilance, \u00e9vitement, dissociation (d\u00e9tachement \u00e9motionnel), hypermn\u00e9sie...\u00ab Les sensations d'\u00e9touffement reviennent souvent, observe la psychologue. Pour les cas les plus s\u00e9v\u00e8res, il y a des difficult\u00e9s \u00e0 travailler, des cons\u00e9quences sur la vie de famille... La moindre sensation peut faire \u00e9cho au trauma. Les personnes vont d\u00e9velopper des phobies de lieu ou de v\u00eatements... \u00bb.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EComme Lola, apr\u00e8s \u00ab seulement \u00bb quelques mois au sein des \u003Ci\u003Estreet medics\u003C\/i\u003E. \u00ab Un bruit de p\u00e9tard me crispe, j'ai peur que ce soit une grenade. Ce qui est le plus ancr\u00e9, c'est la tenue vestimentaire de la BAC. Si je croise un motard habill\u00e9 de mani\u00e8re similaire, je ne vais pas \u00eatre bien, je serai sur la d\u00e9fensive... \u00bb La jeune fille \u00e9gr\u00e8ne une symptomatologie \u00e0 faire fr\u00e9mir. Les oiseaux qui volent et elle l\u00e8ve la t\u00eate par peur qu'un projectile ne lui tombe dessus. La fum\u00e9e d'une cigarette \u00e9lectronique la plonge en apn\u00e9e. Elle se retourne en panique au son des sir\u00e8nes, soulag\u00e9e quand ce sont les pompiers. Lola a v\u00e9cu une nasse de plus de deux heures dans une minuscule impasse, cern\u00e9e par la BAC et les gaz lacrymog\u00e8nes. Contr\u00f4le, confiscation de mat\u00e9riel. Le confinement a d\u00e9clench\u00e9 une importante crise d'angoisse. En rage \u00e0 la fin de la nasse, elle hurle sur un \u00ab baqueux qui collera son front au mien de mani\u00e8re agressive \u00bb.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003E\"Il est temps de reconna\u00eetre le caract\u00e8re traumatique des violences en manifestation\"\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EPour Lauriane Perez, ceux qui retournent en manifestation \u00ab r\u00e9activent le trauma, au risque du burn-out. Ils culpabilisent de ne pas pouvoir y retourner. Ils ne s'\u00e9coutent pas tout de suite. J'entends beaucoup \u00ab j'ai cru que c'\u00e9tait la guerre \u00bb. Le bruit et les d\u00e9tonations symbolisent dans notre imaginaire quelque chose de meurtrier \u00bb. Ces personnes d\u00e9j\u00e0 fragilis\u00e9es vont se mettre en \u00e9tat de vuln\u00e9rabilit\u00e9 psychique, \u00ab mais le trauma finira par prendre toute sa place. Il est temps de reconna\u00eetre le caract\u00e8re potentiellement traumatique des violences en manifestation \u00bb.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELa professionnelle observe la difficult\u00e9 pour les militants d'assumer \u00ab une forme de vuln\u00e9rabilit\u00e9 alors qu'on est dans un contexte de lutte \u00bb. \u003Cb\u003ELa question de la souffrance psychique insuffisamment pens\u00e9e risque donc \u00e0 terme de desservir les mouvements sociaux, affaiblissant le caract\u00e8re collectif de la contestation en isolant les individus.\u003C\/b\u003E Lauriane Perez invite \u00e0 la spontan\u00e9it\u00e9 et la solidarit\u00e9 manifestants d'un jour et militants de toujours, qui peuvent cr\u00e9er des \u00ab petites cellules psychologiques d'urgence d'apr\u00e8s-manif... Ce qui manque, c'est ce moment o\u00f9, en groupe, on se r\u00e9-humanise \u00bb. Et les hommes ne doivent pas \u00eatre en reste, souligne celle qui re\u00e7oit plus de femmes que d'hommes pour parler de ces traumas. Pour ceux qui souffrent de sympt\u00f4mes de stress post-traumatique, en revanche, il convient d'aller voir un professionnel. \u00ab Pour un SPT, il faut consulter, insiste la psychologue. On ne s'en sort pas miraculeusement. En plus, il peut y avoir des effets sur le cerveau \u00e0 long terme \u00bb.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELola, la \u003Ci\u003Estreet medic\u003C\/i\u003E, a fait le choix de continuer. Malgr\u00e9 les signaux, dont elle est consciente. \u00ab Les uniformes d\u00e9clenchent chez moi une forme d'agressivit\u00e9. Tout \u00e7a laisse des marques de fou, surtout de voir des blessures de guerre. Quand l'adr\u00e9naline redescend, tout t'atteint, tu te sens faible \u00bb. La jeune femme, fille de gendarme, ne se voit pas arr\u00eater. \u00ab Je veux continuer. Je ne me verrais pas ne plus \u00eatre \u003Ci\u003Estreet medic\u003C\/i\u003E \u00bb. Elle se souvient de chaque d\u00e9tail. De la premi\u00e8re GLI-F4 qui p\u00e8te \u00e0 c\u00f4t\u00e9 d'elle - \u00ab j'\u00e9tais sonn\u00e9e \u00bb -. Du bruit de la t\u00eate d'un homme cognant sur le bitume, alors qu'un policier le maintient.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EDe la violence verbale, \u00ab qui laisse aussi des marques \u00bb. De la sienne, quand elle a hurl\u00e9 \u00e0 un gendarme : \u00ab Vous allez attendre qu'il y ait combien de morts ? \u00bb. \u003Cb\u003ELa jeune soignante soul\u00e8ve un autre probl\u00e8me, qui tend \u00e0 occuper l'esprit des militants : l'impact sur la vie priv\u00e9e et l'entourage. La peur de la perquisition, de la filature, la perte de son anonymat aupr\u00e8s d'une partie des forces de l'ordre. Une situation qui peut jouer sur le moral. \u00ab On perd son innocence. Ta vie devient beaucoup moins simple. Je ne suis plus la m\u00eame. Tout \u00e7a me touche de plein fouet et il faut apprendre \u00e0 le g\u00e9rer. \u00c7a change une vie \u00bb.\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003E\"Les gens sont encore plus r\u00e9volt\u00e9s\"\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELa vie de Swann, militante de 23 ans, a elle aussi \u00e9t\u00e9 boulevers\u00e9e apr\u00e8s une nasse en d\u00e9but d'ann\u00e9e. R\u00e9fugi\u00e9e dans un commerce o\u00f9 rentraient les palets de lacrymog\u00e8ne, elle grimpe les escaliers d'un immeuble pour \u00e9chapper \u00e0 \u00ab un matraquage collectif de la CDI [Compagnie D\u00e9partementale d'Intervention, NDLR]. On entendait les coups, les cris. Les hurlements : \"Tous \u00e0 terre, fermez vos gueules !\" \u00bb. La jeune femme, avec d'autres, finira dans une cour, sous escorte polici\u00e8re. Elle aper\u00e7oit tous les manifestants allong\u00e9s par terre, mains sur la t\u00eate. Assise dans un coin, au milieu de policiers cagoul\u00e9s, elle voit une amie \u00eatre fouill\u00e9e. \u00ab Un flic passe alors une matraque sur nos \u00e9paules en disant \u00ab ouvre ton col ! \u00bb. Puis un autre m'a pris \u00e0 part, derri\u00e8re une voiture \u00bb.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003ELa jeune militante doit mettre les mains sur le mur. \u00ab Il m'a palp\u00e9. Les cuisses, tout. \u00c0 ce moment l\u00e0 je me dis : \u00ab C'est ill\u00e9gal, c'est pas un homme qui doit faire \u00e7a \u00bb. J'ai pas pu lui dire \u00bb. Swann se rappelle \u00ab s'\u00eatre dissoci\u00e9e. J'ai eu l'impression de voir la sc\u00e8ne de l'ext\u00e9rieur, de ne pas \u00eatre dans mon corps \u00bb. Elle portera plainte pour agression sexuelle. Depuis, elle se repasse la sc\u00e8ne en boucle, angoisse qu'on vienne la chercher \u00e0 son travail, craint d'\u00eatre suivie par la BAC. \u00ab Je ne dormais plus, je faisais des cauchemars. Quand je rentre dans un bar, je v\u00e9rifie qu'il y a une sortie de secours \u00bb\u003C\/b\u003E. Elle s'est rendue \u00e0 un groupe de parole, anim\u00e9 par une psychologue \u00ab qui ne jugeait pas \u00bb. Mais elle ne peut plus se mouvoir dans un cort\u00e8ge : les angoisses sont trop fortes. \u00ab Ce qu'ils [les policiers] font, \u00e7a ne change rien au niveau des luttes. Les gens sont au contraire encore plus r\u00e9volt\u00e9s \u00bb.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ECes plaies psychologiques qui s'ancrent parfois dans le sommeil, Salom\u00e9 en a fait un compte Twitter, \"Pav\u00e9 de subconscient\", sur lequel elle partage des cauchemars de manifestants. \u003Cb\u003E\u00ab J'ai vu deux personnes se faire \u00e9borgner... depuis je n'arr\u00eate plus de revoir la sc\u00e8ne \u00bb, raconte-t-elle. \u00ab Dans mes r\u00eaves, je vois les corps tomber, comme quelqu'un qui se prend un tir de LBD \u00bb. Gilet Jaune depuis le troisi\u00e8me acte, Salom\u00e9 explique avoir commenc\u00e9 \u00e0 faire des cauchemars d\u00e8s le mois de d\u00e9cembre. \u00ab C'est toujours un peu la m\u00eame chose, la police me poursuit et en g\u00e9n\u00e9ral je cherche une \u00e9chappatoire. Tous ces hommes ont le visage masqu\u00e9 et cagoul\u00e9 \u00bb\u003C\/b\u003E. Avant de partir en Erasmus en Italie, ce genre de cauchemars revenait r\u00e9guli\u00e8rement. Son d\u00e9part lui a permis de retrouver des nuits plus calmes. \u00ab Je n'en fais plus qu'une fois par semaine \u00bb. M\u00eame \u00e0 plusieurs kilom\u00e8tres de la France et de son agitation, Salom\u00e9 continue d'alimenter le compte, \u00ab parce que le premier impact psychologique qu'on peut d\u00e9celer, ce sont les r\u00eaves. Il faut parler de ces violences qui restent durablement \u00bb.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003ELes violences polici\u00e8res - dont l'exposition au LBD - augmenteraient les risques de d\u00e9pression\u003C\/b\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EPour Jais Adam-Tro\u00efan, docteur en psychologie sociale, lui-m\u00eame manifestant contre la loi Travail en 2016, il existe \u00e9galement \u00ab un lien tr\u00e8s clair entre exposition aux violences polici\u00e8res et sympt\u00f4mes de stress post-traumatique et de d\u00e9pression \u00bb. Avec deux autres coll\u00e8gues, Elif Celebi (professeure de psychologie clinique \u00e0 l'universit\u00e9 Sehir d'Istanbul) et Yara Mahfud (ma\u00eetresse de conf\u00e9rences \u00e0 l'universit\u00e9 Paris Descartes), il vient de finir une \u00e9tude, encore au stade de la relecture, consacr\u00e9e \u00e0 l'impact des violences polici\u00e8res - dont l'exposition au LBD - sur la sant\u00e9 mentale des Gilets Jaunes.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EL'enqu\u00eate repose sur un questionnaire auquel ont particip\u00e9 pr\u00e8s de 523 militants l'\u00e9t\u00e9 dernier (de mi-juillet \u00e0 fin ao\u00fbt). \u00ab Notre \u00e9chantillon n'est pas repr\u00e9sentatif des Gilets Jaunes, pr\u00e9vient-il. Il s'agit de Gilets Jaunes ayant particip\u00e9 en moyenne \u00e0 18 manifestations, et tr\u00e8s motiv\u00e9s pour r\u00e9pondre \u00e0 l'enqu\u00eate, avec un salaire m\u00e9dian au SMIC ou en dessous. On a affaire \u00e0 un \u00e9chantillon de Gilets Jaunes dans des situations \u00e9conomiques et sociales tr\u00e8s pr\u00e9caires, qui ont donc de fait une pr\u00e9valence de troubles psychologiques beaucoup plus \u00e9lev\u00e9e que la population g\u00e9n\u00e9rale \u00bb.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cb\u003ECette \u00e9tude traduit cependant une r\u00e9alit\u00e9 effrayante : les violences polici\u00e8res - dont l'exposition au LBD - \u00ab semblent augmenter de deux tiers le risque de syndrome post-traumatique et quasiment tripler (184%) le risque de d\u00e9pression chez les personnes bless\u00e9es \u00bb.\u003C\/b\u003E Pour aller plus loin et prouver la causalit\u00e9, il faudrait \u00ab effectuer des \u00e9tudes observationnelles plus pouss\u00e9es \u00bb, en suivant des Gilets Jaunes sur le long terme. \u00ab Mais nous n'avons actuellement pas les moyens de mener une telle \u00e9tude \u00bb, conc\u00e8de Jais Adam-Tro\u00efan. En attendant, cette enqu\u00eate serait pourtant la premi\u00e8re \u00e0 s'int\u00e9resser aux cons\u00e9quences psychopathologiques de l'exposition \u00e0 la violence polici\u00e8re.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EDe son c\u00f4t\u00e9, Swann, la jeune militante, attend une issue positive \u00e0 sa plainte. Une r\u00e9ponse, un soutien de la justice face \u00e0 son trauma, face \u00e0 cette blessure qui l'a laiss\u00e9e KO. Sans doute n'a-t-elle rien \u00e0 attendre concernant ses cauchemars et insomnies. Elle doit s'occuper seule de les g\u00e9rer, de les \u00e9touffer. Vivre avec cette sc\u00e8ne, inscrite au fer rouge dans son subconscient. Les blessures \u00ab invisibles \u00bb sont aujourd'hui les impens\u00e9es - et les impans\u00e9es - des cons\u00e9quences du maintien de l'ordre. \u00ab \u00c7a me laissera des s\u00e9quelles psychologiques, peut-\u00eatre physiques, disait Lola, la jeune street medic. Mais je suis pr\u00eate \u00e0 \u00e7a \u00bb.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELE MEDIA \/ 12 f\u00e9vrier 2020\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EPar Elsa Gambin, L\u00e9o Tixador et Nicolas Mayart\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Ca href=\"https:\/\/www.lemediatv.fr\/articles\/enquetes\/blessures-invisibles-les-impensees-de-la-repression-1d50ABMoRdSbuJTotFd9Pw\"\u003Elemediatv.fr\u003C\/a\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Ca href=\"http:\/\/www.legrandsoir.info\/blessures-invisibles-les-impensees-de-la-repression.html\"\u003Elegrandsoir.info\u003C\/a\u003E\u003C\/p\u003E","_links":[]}}