{"169310":{"id":"169310","parent":"0","time":"1582292471","url":"http:\/\/newsnet.fr\/169310","source":"http:\/\/www.tlaxcala-int.org\/article.asp?reference=28140","category":"documentaires","title":"Lettre \u00e0 Franco : \u00ab l'impartialit\u00e9 consensuelle \u00bb d'un film r\u00e9visionniste sur l'histoire de l'Espagne","catalog-images":"3\/\/1\/newsnet_169310_ab6e8b.jpg\/newsnet_169310_y-Z22n8HCyk.jpg","image":"http:\/\/newsnet.fr\/img\/newsnet_169310_ab6e8b.jpg","hub":"newsnet","url-explicit":"http:\/\/newsnet.fr\/art\/lettre-a-franco-l-impartialite-consensuelle-d-un-film-revisionniste-sur-l-histoire-de-l-espagne","admin":"newsnet","views":"232","priority":"2","length":"11282","lang":"fr","content":"\u003Cp\u003E\u003Ca href=\"http:\/\/www.tlaxcala-int.org\/biographie.asp?ref_aut=3734&lg_pp=fr\"\u003ERosa Llorens Ρόζα Λιώρενς\u003C\/a\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELe film d'Alejandro Amen\u00e1bar \u003Cb\u003ELettre \u00e0 Franco\u003C\/b\u003E (titre original : Mientras dure la guerra) est, au point de vue divertissement, un tr\u00e8s bon film historique, sur une p\u00e9riode toujours actuelle, puisqu'en Espagne on n'a jamais tourn\u00e9 la page du fascisme. Mais il faut se demander o\u00f9 est au juste l'actualit\u00e9 du film, ce qui am\u00e8ne \u00e0 analyser la position de l'auteur sur son sujet.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Ca href=\"http:\/\/youtube.com\/watch?v=y-Z22n8HCyk\" target=\"_blank\"\u003E\u003Cspan class=\"philum ic-chain\"\u003E\u003C\/span\u003E youtube\u003C\/a\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELe film s'ouvre sur un drapeau en noir et blanc, qui semble donc bicolore (fonc\u00e9, clair, fonc\u00e9) ; puis, pendant le g\u00e9n\u00e9rique, il se colore, et on d\u00e9couvre le drapeau r\u00e9publicain espagnol tricolore : rouge, jaune, violet. On est toujours surpris de trouver, sur la p\u00e9riode 1931-36 ou 37 (avant que la guerre impose sa propre logique) une normalit\u00e9 r\u00e9publicaine, avec des drapeaux tricolores flottant sur toutes les mairies, dont, ici, celle de Salamanque. Le film concerne en effet la p\u00e9riode de transition entre R\u00e9publique et dictature, avec une sc\u00e8ne cruciale o\u00f9 le drapeau de la monarchie (qui est toujours celui de l'Espagne) remplace le drapeau r\u00e9publicain, sur une initiative de Franco. C'est aussi la p\u00e9riode des h\u00e9sitations du grand intellectuel espagnol Miguel de Unamuno, conservateur humaniste, entre appui au soul\u00e8vement militaire et d\u00e9nonciation du fascisme.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELes critiques saluent unanimement l'actualit\u00e9 du film : \u00ab un message face \u00e0 la mont\u00e9e des extr\u00eames en Europe et dans le monde \u00bb, dit un internaute de \u00ab Sens critique \u00bb ; m\u00eame son de cloche chez les critiques professionnels : \u00ab \u00e0 l'heure de la r\u00e9surgence des mouvements populistes partout en Europe \u00bb, dit \u003Ci\u003ELa Croix.\u003C\/i\u003E \u00ab Partout en Europe \u00bb, \u00ab dans le monde \u00bb : rien de mieux que ces g\u00e9n\u00e9ralit\u00e9s pour noyer le poisson, surtout quand elles restent \u00e0 l'\u00e9tat d'allusions, de mantras, comme quand on utilise les clich\u00e9s \u00ab les heures les plus sombres de notre histoire \u00bb, \u00ab une id\u00e9ologie naus\u00e9abonde \u00bb. Ces mantras sont lanc\u00e9s avant toute analyse, et tiennent lieu d'analyse : une fois prononc\u00e9s, toute analyse, toute r\u00e9flexion est superflue.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EO\u00f9 est donc l'actualit\u00e9 du film ? Certainement pas dans l'exaltation d'une figure d'intellectuel : la notion d'intellectuel est compl\u00e8tement d\u00e9valu\u00e9e et m\u00eame ridiculis\u00e9e, depuis qu'on d\u00e9signe B. Henri L\u00e9vy comme un intellectuel, qui plus est, \u00ab de gauche \u00bb. Aujourd'hui, les \u00ab intellectuels \u00bb patent\u00e9s, m\u00e9diatis\u00e9s, se contentent de r\u00e9p\u00e9ter, en termes peut-\u00eatre plus pompeux et vaseux, ce que mart\u00e8lent des m\u00e9dias au service de quelques grands groupes industriels ou financiers.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ENi dans le soul\u00e8vement et l'arriv\u00e9e au pouvoir par les armes de fascistes au bandeau sur l'œil. Aujourd'hui, les fascistes d\u00e9clar\u00e9s arrivent au pouvoir dans l'\u00e9lan d'une \u00ab r\u00e9volution \u00bb color\u00e9e, comme en Ukraine, et sous la banni\u00e8re de la \u00ab d\u00e9mocratie \u00bb (comme dans les pays baltes).\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EN\u00e9anmoins, ces deux figures, l'intellectuel Unamuno et le fasciste Millan Astray, sont au centre du film, et en constituent l'int\u00e9r\u00eat principal. On conna\u00eet la phrase lapidaire de chacun d'eux : au deuxi\u00e8me qui criait : \u00ab Viva la muerte \u00bb, le premier avait r\u00e9pliqu\u00e9 : \u00ab Vous vaincrez, mais vous ne convaincrez pas \u00bb. Mais on avait fini par consid\u00e9rer cette r\u00e9plique comme un simple jeu de mots ing\u00e9nieux ; le film restitue les circonstances dramatiques o\u00f9 elle fut prononc\u00e9e : au cours d'une c\u00e9r\u00e9monie officielle pour le Jour de la Race (12 octobre 1936), devant un public d'officiers fascistes en armes. On d\u00e9couvre alors qu'Unamuno fut sur le point de se faire lyncher pour son intervention.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EMillan Astray, lui, se r\u00e9v\u00e8le comme une sinistre brute dont la petite phrase n'est que le moindre de ses p\u00e9ch\u00e9s : c'est le fondateur de la L\u00e9gion espagnole, qui s\u00e9vit dans la colonie marocaine de l'Espagne, telle une colonne infernale massacrant des villages entiers, femmes et enfants compris.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EMais l'actualit\u00e9 du film, c'est d'abord de nous rappeler que le seul r\u00e9gime l\u00e9gal, en Espagne, c'est la R\u00e9publique, d\u00e9clar\u00e9e le 14 avril 1931, renvers\u00e9e par un putsch et abolie par une guerre gagn\u00e9e par les fascistes espagnols avec le soutien des fascistes italiens et des nazis allemands. Depuis, ce r\u00e9gime ill\u00e9gal s'est maintenu, d'abord sous la forme d'une dictature, puis sous celle d'une monarchie. On n'a jamais demand\u00e9 aux Espagnols de se prononcer sur le retour \u00e0 la R\u00e9publique.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EL'autre fait d'actualit\u00e9, c'est que les fascistes se pla\u00e7aient sous la banni\u00e8re de la d\u00e9fense de la civilisation chr\u00e9tienne occidentale, et de la lutte contre le \u00ab s\u00e9paratisme \u00bb catalan : depuis la premi\u00e8re campagne d'Aznar, en 1996, le terme de s\u00e9paratisme et la politique de guerre contre les Catalans n'a cess\u00e9 d'\u00eatre au premier plan dans la phras\u00e9ologie et les actes de la droite \u00ab d\u00e9mocratique \u00bb espagnole (PSOE inclus), le PP \u00e9tant aujourd'hui relay\u00e9 par Vox, le mouvement d'extr\u00eame-droite qui ne se cache pas, lui, d'\u00eatre fasciste. Du reste, c'est la d\u00e9nonciation du \u00ab s\u00e9paratisme \u00bb catalan (terme absolument impropre \u00e0 l'\u00e9poque, puisque l'option dominante en Catalogne \u00e9tait le f\u00e9d\u00e9ralisme), comme d'un cancer qui ronge l'Espagne, qui suscite l'intervention indign\u00e9e d'Unamuno.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELe terme m\u00eame de \u00ab s\u00e9paratisme \u00bb est d'ailleurs devenu, depuis le d\u00e9placement de Macron \u00e0 Mulhouse, particuli\u00e8rement actuel : le choix des mots, dans la rh\u00e9torique des hommes politiques, est toujours tr\u00e8s \u00e9tudi\u00e9 ; on se demande pourquoi Macron a subitement remplac\u00e9 le mot \u00ab communautarisme \u00bb par celui de \u00ab s\u00e9paratisme \u00bb : avec ce dernier mot, on met une cat\u00e9gorie de gens en dehors de la communaut\u00e9 nationale, en pr\u00e9tendant qu'eux-m\u00eames s'y mettent, on justifie donc par avance toute mesure prise contre eux, puisque ce sont des ennemis de la nation, qui veulent la casser, la diviser, l'amoindrir : \u00abl'Espagne, une, grande et libre \u00bb \u00e9tait le cri de guerre des fascistes ; Macron se pr\u00e9pare-t-il \u00e0 crier : \u00ab la France, une, grande et libre \u00bb, comme Trump crie : \u00ab l'Am\u00e9rique (du Nord) une, grande et libre \u00bb ? Derri\u00e8re cette affirmation d'unit\u00e9 nationale, c'est toujours d'unit\u00e9 des poss\u00e9dants contre les revendications sociales, c'est-\u00e0-dire la lutte des classes, qu'il s'agit.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EMais comment Amen\u00e1bar se situe-t-il lui-m\u00eame ? L'apparition du drapeau tricolore, en introduction, est-elle une d\u00e9claration d'intentions ? La r\u00e9ponse est donn\u00e9e par le g\u00e9n\u00e9rique de fin : de nouveau, nous voyons, longuement, flotter un drapeau, cette fois bicolore, mais d\u00e9color\u00e9, les bords rong\u00e9s, et on esp\u00e8re qu'il va, comme celui du g\u00e9n\u00e9rique du d\u00e9but, se modifier, et c\u00e9der la place \u00e0 un drapeau tricolore, en signe d'espoir et de promesse - en vain : la \u00ab rojigualda \u00bb (le drapeau rouge et jaune) reste l\u00e0 jusqu'au bout, et le message est : oui, le drapeau bicolore, celui de la monarchie, de l'Empire et du fascisme, a subi des vicissitudes, mais c'est notre seul vrai drapeau, et il est reparti pour de nouvelles aventures, d\u00e9mocratiques, cette fois.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Cimg style=\"max-width:100%\" src=\"http:\/\/newsnet.fr\/img\/newsnet_169310_ab6e8b.jpg\" \/\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EGoya, \u003Ci\u003EDuel au gourdin\u003C\/i\u003E ou \u003Ci\u003ELa rixe\u003C\/i\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003EOn souligne en Espagne \u00e0 quel point ce film est consensuel : il est toujours sous le signe du \u00ab en m\u00eame temps \u00bb : oui, on commet des atrocit\u00e9s du c\u00f4t\u00e9 national (c'\u00e9tait le nom officiel du camp fasciste), mais on en commet aussi du c\u00f4t\u00e9 des Rouges (autre \u00e9l\u00e9ment de phras\u00e9ologie fasciste) ; on fusille sans proc\u00e8s de notre c\u00f4t\u00e9 ? mais en face aussi. Toute une s\u00e9quence du film d\u00e9veloppe cette position de \u00ab neutralit\u00e9 \u00bb : Unamuno passe toute une apr\u00e8s-midi \u00e0 discuter avec son ami socialiste, tous deux \u00e9changeant des griefs \u00e9quivalents ; et on voit se succ\u00e9der des instantan\u00e9s marquant le passage des heures, et les montrant toujours dans la position des deux combattants dans le tableau de Goya \u003Ci\u003ELa rixe\u003C\/i\u003E (il faudrait mettre fin un jour \u00e0 la mythologie goyesque : Goya \u00e9tait un \u003Ci\u003Eafrancesado\u003C\/i\u003E, c'est-\u00e0-dire un collabo pro-fran\u00e7ais lors de l'occupation de l'Espagne par les troupes napol\u00e9oniennes. Cette r\u00e9f\u00e9rence n'est donc pas innocente). D'autres s\u00e9quences d\u00e9veloppent le clich\u00e9 de la nature espagnole, toujours occup\u00e9e \u00e0 se diviser contre elle-m\u00eame (du reste, la droite dit la m\u00eame chose en France).\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ELe film se range donc du c\u00f4t\u00e9 de la \u00ab troisi\u00e8me Espagne \u00bb, celle qui ne demande qu'\u00e0 vivre en paix, et qui trouve curieusement son porte-parole en la personne de Carmen Polo, la femme de Franco : \u00ab Mon mari ne veut que la paix \u00bb ! Cette id\u00e9ologie qui consiste \u00e0 renvoyer dos \u00e0 dos bourreaux et victimes va si loin qu'Amen\u00e1bar en vient \u00e0 r\u00e9concilier les deux figures radicalement oppos\u00e9es de Millan Astray et d' Unamuno : le premier mettant toujours en avant son courage physique et ses blessures (il est boiteux, borgne et manchot), le second r\u00e9plique que le courage ne se manifeste pas toujours sur le champ de bataille. Et, lors de la c\u00e9r\u00e9monie fatidique du 12 octobre, Millan Astray, en guerrier qu'il est, reconna\u00eet le courage d'Unamuno lorsqu'il le presse d'accepter la main que lui tend Carmen Polo en guise de sauf-conduit pour quitter la salle sans se faire lyncher par les militaires. Quant \u00e0 Franco lui-m\u00eame, le film ne fait rien de subversif en le montrant comme calculateur et sournois ; au contraire, apr\u00e8s avoir re\u00e7u des directives d'un responsable nazi, Franco d\u00e9clare \u00e0 un de ses collaborateurs : \u00ab Les Allemands, il faut les presser comme des citrons \u00bb (c'est-\u00e0-dire, profiter de leur aide, sans leur donner de gages). Il appara\u00eet donc ici comme une sorte de P\u00e9tain du \u00ab moindre mal \u00bb.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ESi le film est donc instructif, \u00e0 un niveau anecdotique (m\u00eame si les anecdotes, comme celle du 12 octobre, sont illustres), ou bien un peu malgr\u00e9 lui (le point de vue catalan est absent du film), il rentre dans une cat\u00e9gorie d\u00e9j\u00e0 bien repr\u00e9sent\u00e9e dans le cin\u00e9ma espagnol (par exemple par \u003Ci\u003EBalada triste de trompeta\u003C\/i\u003E, d'Alex de la Iglesia, 2010), celle du r\u00e9visionnisme, consistant \u00e0 banaliser le fascisme en partageant les torts sous une apparence d'impartialit\u00e9*. Il suit aussi une autre strat\u00e9gie bien connue, celle de d\u00e9noncer des abus anciens pour mieux sugg\u00e9rer qu'ils ont aujourd'hui disparu : dans le g\u00e9n\u00e9rique de fin, le drapeau fasciste est lav\u00e9, et consacr\u00e9 en tant que drapeau d\u00e9mocratique, comme l'explicite le texte qui l'accompagne : \u00ab En 1977, avaient lieu les premi\u00e8res \u00e9lections d\u00e9mocratiques \u00bb - sous le signe, comme on sait, du Pacte de la Moncloa o\u00f9 tous les partis l\u00e9galis\u00e9s s'engageaient \u00e0 respecter un syst\u00e8me o\u00f9 on changeait tout pour que rien ne change.\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E*Lire \u00e0 ce sujet\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Ca href=\"http:\/\/tlaxcala-int.org\/article.asp?reference=26969&enligne=aff\"\u003E\u00ab La r\u00e9pression franquiste a \u00e9t\u00e9 blanchie d\u00e8s ses d\u00e9buts \u00bb Entretien avec l'historien Francisco Espinosa Maestre\u003C\/a\u003E\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003ECourtesy of \u003Ca href=\"http:\/\/tlaxcala-int.org\"\u003ETlaxcala\u003C\/a\u003E\u003Cbr \/\u003E\nPublication date of original article: 21\/02\/2020\u003C\/p\u003E\u003Cp\u003E\u003Ca href=\"http:\/\/www.tlaxcala-int.org\/article.asp?reference=28140\"\u003Etlaxcala-int.org\u003C\/a\u003E\u003C\/p\u003E","_links":[]}}