Vadim KAMENKA
Il y a 10 ans, ils faisaient une entrée en scène fracassante en rendant publics une masse de données économiques et politiques inavouables. Malgré les services rendus, depuis la répression s'accroît sur les lanceurs d'alerte. Le secret des affaires et les violations des droits prospèrent.
Plus de 250 000 câbles diplomatiques ! Ce 28 novembre 2010, les radios, les chaînes de télévision ne cessent de répéter ce chiffre. WikiLeaks et son fondateur, Julian Assange, débarquent dans l'univers médiatique en piratant SIPRNet, le réseau privé du département d'État américain [erreur : Wikileaks ne pirate pas. Wikileaks publie. Note du Grand Soir]. L'Australien s'est associé à plusieurs journaux pour les diffuser au compte-gouttes afin de rendre compte des échanges de diplomates américains. Cette fuite massive nous permet de découvrir les manigances des ambassades au Moyen-Orient, les jeux oligarchiques en Afrique et brise le vernis autour de la politique étrangère de Barack Obama. La colère de Washington se comprend à travers la réaction de la secrétaire d'État Hillary Clinton, qui s'est insurgée contre « une attaque contre les intérêts diplomatiques américains » et « la communauté internationale »...
Des armes contre les abus de pouvoir
Ces divulgations marquent un tournant. Pour le journaliste Nicky Hager, qui avait révélé l'ampleur de l'espionnage étasunien à travers le réseau Échelon (1), « WikiLeaks a ancré dans l'opinion publique l'idée que faire fuiter sur la Toile des documents confidentiels constituait un moyen redoutable de contrer les excès et les abus du pouvoir (...), d'ouvrir un espace à l'action démocratique ». La possibilité de recueillir un certain nombre de données et de documents grâce aux nouvelles technologies favorise les révélations dans l'intérêt général. Les lanceurs d'alerte (lire le portrait de certains d'entre eux plus bas) s'imposent sur le devant de la scène : Chelsea Manning (documents militaires), Edward Snowden (système d'espionnage américain), Hervé Falciani ( SwissLeaks), Antoine Deltour ( LuxLeaks), l'anonyme John Doe ( Panama Papers), Stéphanie Gibaud (affaire UBS), Irène Frachon (Mediator), Li Wenliang (Covid-19)...
Un courage qui peut coûter cher
Mais la contre-attaque s'organise rapidement. Larry Goldbetter, qui dirige le syndicat des auteurs et journalistes aux États-Unis, rappelle que « l'administration Obama-Biden a poursuivi plus de journalistes accusés d'avoir fait fuiter des informations sur la sécurité du pays que tous les autres présidents américains réunis ». Les gouvernements, emmenés par les États-Unis, vont sortir un certain nombre de législations pour éviter que ce mouvement ne fasse tache d'huile, et pour que les censures perdurent. Les restrictions sont renforcées pour les fonctionnaires (devoir de réserve), les services de sécurité (police, militaires...) et le milieu des affaires (clause contractuelle). Le vote en 2016 d'une directive européenne renforçant le secret des affaires l'illustre, tout comme l'état d'urgence qui favorise les attaques aux droits, notamment syndicaux. Ces procédures d'intimidation se multiplient. Si le courage des lanceurs d'alerte est mis en avant, le prix de leur engagement est lourd, jusqu'à la prison. Des premiers pas ont été faits vers une meilleure protection, comme, en France, la création de la Maison des lanceurs d'alerte. Reste le combat pour une législation qui les défende réellement.
(1) « Espionnage électronique, quinze ans d'inertie », Le Monde diplomatique, septembre 2013.
DOSSIER : LE PISTOLET TOUJOURS SUR LA TEMPE
Ils ont émergé pendant la crise. Révélant les violations de l'intérêt général dont ils étaient témoins, ces citoyens, pour beaucoup des salariés, se retrouvent aujourd'hui en exil, en prison, au chômage ou au placard.
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Source : L'Humanité Dimanche
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