Grégoire Lalieu
Ce dimanche, les Belges se rendaient aux urnes pour les élections européennes. Mais aussi pour choisir leurs représentants au parlement fédéral et dans les régions. Un grand scrutin donc, qui a été marqué côté francophone par une victoire du Mouvement réformateur (droite) et des Engagés (centre-droit). Au nord du pays, les fascistes du Vlaams Belang poursuivent leur percée sans parvenir à ravir la première place du podium aux nationalistes flamands de la N-VA. La Belgique a viré à droite. Analyse avec Michel Collon.
Comment expliques-tu le mouvement général vers la droite et l'extrême droite ? En Wallonie, traditionnellement socialiste, forte progression du MR et Engagés qui pourront former un gouvernement à eux deux, c'est très rare. Oui, depuis des années, le PS social-démocrate a cogéré l'austérité néolibérale. Si bien qu'il n'est plus très crédible comme défenseur du pouvoir d'achat, des retraites, du logement social public. Critiqué et débordé sur sa gauche par le PTB, il entend rester un parti de gouvernement accepté par les milliardaires et les multinationales, et donc il ne peut se lancer dans une véritable résistance au néolibéralisme. Quelques beaux discours le 1er Mai et lors des deux mois de campagne électorale n'effacent pas la déception. Sentiment aggravé par des scandales de corruption entachent régulièrement le PS. Une image de nouveau bourgeois profiteur s'est installée depuis des années...
Ecolo, un autre parti classé à gauche, s'effondre. Des ministres qui gèrent mal leurs dossiers et se font piéger par leurs adversaires. Mais surtout, un programme de « mesurettes » qui ne s'en prennent pas sérieusement aux véritables causes du changement climatique, aux multinationales et à leur gaspillage. Donc déception du mouvement de masse.
Si elle veut retrouver un soutien populaire, cette gauche aura besoin d'un fameux examen de conscience.
En Flandre, la droite radicale nationaliste (NVA) se maintient et le Vlaams Belang fasciste progresse à 22 % (même s'il échoue de justesse à devenir le numéro 1 comme on l'avait craint). Explication ?
En Flandre, les médias - privés et publics - ont depuis longtemps jeté à la poubelle le « cordon sanitaire » qui bloquait les discours de haine et de manipulation des partis d'extrême droite. Toutes sortes d'émissions, mélangeant un peu de politique et beaucoup de show « divertissant » présentent le parti fasciste comme un choix parmi d'autres. Banalisé.
Plus fondamental. Ces médias n'expliquent jamais et même bloquent tout débat sur les causes des migrations forcées : les guerres provoquées par l'Occident, le vol des ressources naturelles, le contrôle via la corruption ou le chantage des économies locales du Sud qui ne peuvent donc pas nourrir les bouches...
Or, quand cette explication fait défaut, il devient facile pour l'extrême droite (mais aussi la droite classique) de présenter les réfugiés (politiques ou économiques, peu importe), comme des profiteurs qu'il faut réprimer pour « défendre le pain des Belges (ou des Français) » et pour déverser le racisme diviseur. Du coup, on pousse les gens appauvris et angoissés par l'avenir financier à s'attaquer à l'immigré plutôt qu'au banquier qui accapare la richesse produite par les travailleurs.
D'ailleurs, en Wallonie aussi, Jeholet, un ténor du MR libéral, s'est permis une apostrophe hyper-raciste contre Nabil Boukili, député PTB (qui s'était notamment signalé par sa défense des Palestiniens contre le génocide) : « Si ça ne vous plaît pas, vous n'êtes pas obligé de rester en Belgique ! ». Tollé, mais refus d'excuses. Pour moi, c'était un dérapage calculé, un racolage de l'électorat influencé par le racisme. Du Macron à la belge. Ça annonce de futures alliances droite et extrême droite...
Mais bon, les gens votent, nous dit-on, sur l'économique et le social, pas sur l'international. Tout ceci a vraiment eu de l'influence ?
Je suis convaincu que oui. Dès que la gauche radicale (PTB en Belgique ou LFI en France) grimpe un peu trop dans les sondages, les politiques traditionnels ou certains journalistes leur balancent dans les gencives : « Alors, vous êtes pro-Poutine ?! » (Bien sûr, ils se garderont bien d'ouvrir un débat sur la complexité des antécédents de la guerre en Ukraine). Ou « Alors, vous êtes pro-Hamas ?! » (En évitant soigneusement toute enquête ou réflexion sur les faits réels du 7 octobre, et en évitant de rappeler 75 années d'oppression ultra-violente par Israël).
Ça sert juste à diaboliser, pas à ouvrir un débat de fond sur NOTRE responsabilité à nous, Belgique ou France, dans l'installation et le maintien d'un colonialisme d'apartheid devenu génocidaire. Ou dans le sabotage occidental de toute négociation en Ukraine qui aurait sauvé la vie de centaines de milliers de soldats ukrainiens sacrifiés pour rien.
Dix ans plus tôt, les mêmes lançaient : « Vous êtes pro-Kadhafi ?! » Vingt ans plus tôt : « Vous êtes pro-Saddam Hussein ?! » Oubliant chaque fois d'expliquer les véritables objectifs impérialistes de ces guerres, oubliant de rappeler que, dans chacun de ces cas, les médiamensonges du style « armes de destruction massive » ont été démentis, plus personne n'ose invoquer ça.
Mais à chaque fois, ils insinuent que le PTB ou LFI sont « pro-dictature » sans leur laisser le temps d'expliquer que « anti-guerre » et « pro-dictature » ce n'est pas du tout la même chose. Sans prendre le temps, ce qui devrait être élémentaire pour un journaliste, de vérifier les faits. Et jamais ils ne demanderont aux partis pro-guerre : « Alors, vous êtes pro-génocide ?! » Ou « Peu vous importe le nombre de victimes des deux côtés ?! » Ni « Que ferez-vous pour soutenir Assange, lanceur d'alerte injustement persécuté ?! » Les questions dérangeantes, c'est toujours du même côté.
Voilà, à mon avis, un sérieux problème tactique qui se pose à la gauche radicale. Clairement, ces partis n'osent plus lancer cette discussion dans les médias de peur de se faire étiqueter « pro-ceci » ou « pro-cela ». Dès lors, dans toute campagne électorale, ils partent avec le même handicap qu'un athlète qui porterait un sac à dos de dix kilos pour effectuer sa course. Perdue d'avance.
Pourtant, ils ont tout intérêt à ce que se développe dans la société un large débat, commençant par des formations, sur le thème « Que vaut notre info ? ». Et « Comment ces guerres nuisent-elles à nos budgets sociaux ici en Europe ? » Sinon, ils se feront indéfiniment piéger et diaboliser.
Élections ou pas, pour défendre Gaza, il va falloir que chacun de nous se mobilise. Car ce sont les pires listes pro-sionistes qui ont gagné en France comme en Belgique. Le travail de contre-information va devoir se renforcer. À la base puisqu'à la télé, c'est bloqué.
Pour approfondir le débat: