Reporterre - Dans quel contexte s'inscrivait l'action d'hier ?
Clément - C'est notre première action de désobéissance civile de l'année. On la préparait depuis un mois. Elle a été lancée par Youth for Climate et d'autres collectifs, des Gilets jaunes, Cerveau non disponible, Désobéissance écolo Paris. L'idée était de tester un nouveau type de blocage avec un consensus d'action plus radical. On a accepté les dégradations de biens matériels tout en refusant les violences morales ou physiques contre des personnes. On avait pour objectif de mettre hors de service le plus longtemps possible le lieu qu'on allait attaquer, en empêchant l'entreprise de fonctionner. On voulait expérimenter des tactiques d'action plus musclées et ne pas se contenter d'un blocage symbolique, comme on avait l'habitude de le faire l'année dernière. Nous, on est sûrs que le changement ne viendra pas du haut. Le gouvernement ne fera rien contre le dérèglement climatique. L'action, on doit la mener nous-même pour mettre hors d'état de nuire les plus grands pollueurs de la planète.
Comment a débuté l'action ?
Pendant la matinée, on a joué au chat et à la souris avec les forces de l'ordre. On avait plusieurs cibles, toutes aussi importantes à nos yeux. On a d'abord voulu bloquer le siège de la Société générale à La Défense. Mais sa tour était déjà fermée avec une forte présence policière. L'info avait dû fuiter. On a donc décidé de se rabattre sur le plan B, le siège de BlackRock, en disant aux militants de se rendre au métro Auber dans le 9e arrondissement de Paris. Les policiers ont intercepté nos messages et ont cru qu'on allait attaquer les Galeries Lafayette juste à côté. Une compagnie de CRS les a occupées pendant plus d'une heure.
Au métro Auber, plusieurs militants ont aussi été poursuivis par des policiers en voiture, qui ont essayé de nous arrêter. Une militante a été violemment plaquée au sol. Les différents groupes d'action ont quand même réussi à se rendre au siège de BlackRock et ils l'ont envahi. En quelques minutes, on était 150 à l'intérieur. Une centaine d'autres personnes n'ont pas pu entrer, car la police a vite fermé les accès. Les militants se sont ensuite barricadés.
Que s'est-il passé alors ?
On a utilisé tout ce que l'on trouvait, des poteaux, des canapés, pour bloquer les portes, qu'on a ensuite enchaînées. Les employés ont quitté les lieux par les issues de secours. Pendant plus deux heures, on a occupé les bureaux. On s'est installés et on a agrémenté les lieux de slogans écrits sur les murs. On a voulu marquer notre présence. Ça a été très spontané. Des tables et des chaises ont aussi été renversées, des dossiers dispersés. Les portails ont été tagués pour qu'ils ne soient plus utilisables. On assume totalement ces petites dégradations matérielles. C'est un moyen d'empêcher BlackRock de fonctionner.
On a fait une assemblée pour en discuter et voir si l'on négociait avec les gendarmes. Une brigade d'intervention de la préfecture de police venait d'arriver avec tout l'équipement nécessaire pour nous déloger. On a donc décidé de partir de nous-mêmes avant l'assaut pour éviter les problèmes. Vu la taille des locaux, on s'est rendu compte qu'on était incapables de bloquer physiquement toutes les entrées. On est sorti par la porte principale. Dehors, il y avait un rassemblement de 200 militants. On a été nassés. Puis on a subi des fouilles. Sept personnes ont été placées en garde à vue. Il y a aussi eu treize contrôles d'identité sur mineurs. Ils ont été privés de liberté en attendant que leurs parents viennent les chercher au commissariat.
Quel bilan faites-vous de cette action ?
On est satisfait. D'un point de vue technique, malgré la répression policière, on a réussi à envahir un lieu emblématique. Cela nous a permis aussi de faire écho à la lutte contre la réforme des retraites. C'est un message fort envoyé à tous ceux qui se battent et qui font grève contre le projet du gouvernement. C'est un signe de convergence. Nous devons comprendre que les luttes sociales sont indispensables et que nos combats sont indissociablement liés. On s'attaque au même système. On ne veut pas d'un monde écolo où les inégalités demeurent. Ça n'aurait aucun sens.
Pourquoi avez-vous ciblé BlackRock ?
C'est le premier investisseur de Total. D'un point de vue climatique, c'est la pièce maîtresse d'un système capitaliste que l'on combat à Youth for Climate Ile-de-France. On considère que le système capitaliste n'est pas viable. Il pousse à consommer toujours plus de ressources et d'énergie. En ciblant BlackRock, on vise l'un des principaux financiers mondiaux qui alimente des entreprises très polluantes. BlackRock fait aussi énormément de greenwashing, on peut le voir sur son site internet. Elle dit qu'elle prône la finance verte et que la croissance verte serait la solution. Nous, on ne le croit pas.
Certains médias parlent de « saccage » et de « dévastation » des bureaux de BlackRock, que répondez-vous à ces accusations ?
Il y a de la colère chez les jeunes. Sur le plan climatique, on le voit, le dérèglement avance, le mois de janvier a été terrible. Il reste quelques années pour agir mais rien n'est fait. On doit s'attaquer nous-mêmes à la racine du problème et au capitalisme. On ne s'attendait pas à ce que notre action fasse l'unanimité. C'était prévu de déranger, de montrer que les jeunes sont prêts à prendre des risques pour sauver leur avenir. Qui est véritablement violent ? BlackRock, qui participe à une système capitaliste mortifère, ou des jeunes qui renversent une chaise et écrivent un tag ?
Est-ce la première fois que vous êtes confrontés à la répression ?
Dans le mouvement climatique, la répression est apparue sur le tard mais les policiers sont désormais de plus en plus virulents. On l'a vu le 29 novembre dernier avec les blocages d'Amazon, où les militants se sont fait déloger violemment. Cela n'existait pas auparavant dans les marches climat. C'est aussi lié au changement de nos modes d'action et au fait qu'on tende de plus en plus vers la désobéissance civile.
À Youth for Climate, on n'avait jamais eu de garde à vue ni de véritable problème avec la justice. Juste deux contrôles d'identité lors d'une précédente action. Aujourd'hui, on entre dans le dur. Mais c'est aussi peut-être parce qu'on commence à gêner.
Quelle sera la suite de cette action ?
Il faut montrer que nos luttes sont communes. Le 13 mars est prévue une grève mondiale des jeunes où on espère être rejoints par le plus grand nombre. Le 14 mars, on aimerait que tous les événements prévus ce jours là - une marche climat, une manifestation des Gilets jaunes et une autre contre les violences policières - se rejoignent, que l'on soit tous unis dans un même cortège.
- Propos recueillis pas Gaspard d'Allens