16/01/2020 cadtm.org  6 min #167558

Actions judiciaires concernant le génocide des tutsi au Rwanda

(CC - Wikimedia)

L'association Survie est actuellement partie civile dans quatre actions judiciaires différentes concernant le génocide des Tutsi au Rwanda.

1. En juin 2013, Survie a déposé plainte contre Paul Barril pour complicité de génocide au Rwanda avec la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH) et la Ligue des droits de l'Homme (LDH). L'instruction avance lentement, alors que Barril est aujourd'hui âgé et malade. Cela fait pourtant déjà 4 ans et demi que l'instruction est ouverte. Pour en savoir plus sur cette affaire et sur Paul Barril, voir cet article publié dans Billets d'Afrique (n°226, juillet-août 2013) : Paul Barril face à la justice française,  survie.org.

Pour cette plainte, l'avocat de Survie est Me Plouvier.

2. Six plaintes ont été déposées par des plaignants rwandais en 2005 contre des militaires français, sur des faits commis dans un camp de réfugiés et sur les collines de Bisesero, où des centaines de Tutsis avaient été massacrés, abandonnés aux tueurs des milices Interahamwe par l'armée française, pourtant informée et positionnée à quelques kilomètres. Depuis janvier 2012 ces plaintes sont instruites par le Pôle d'instruction contre les crimes contre l'humanité et les crimes de génocide (le Tribunal aux Armées de Paris ayant été supprimé). Le Pôle a été doté de plusieurs postes de juges, d'enquêteurs, de greffiers, des commissions rogatoires se sont multipliées pour entendre les témoins au Rwanda et dans d'autres pays. Survie est partie civile (aux côtés de la FIDH et la LDH) et représentée par Me Foks et Me Plouvier. Les plaignants ont été entendus par les juges, à Paris et au Rwanda lors d'un déplacement des juges, en présence de leurs avocats. Des militant-e-s de Survie suivent ce dossier avec les avocats, mais ont désormais clairement l'impression que les juges cherchent à dédouaner les responsabilités politiques et militaires françaises. Notre dossier de synthèse, publié le 31 octobre 2018 liste les différents blocages observés au cours de l'instruction et sur la contre-attaque engagée sur le plan judiciaire pour empêcher un enterrement de l'affaire et un déni de justice pour les victimes et les citoyens français.

3. Survie est également partie civile aux cotés de victimes individuelles, du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), de la FIDH, de la LDH, de la communauté rwandaise de France, de la LICRA, contre des présumés génocidaires réfugiés en France. Nous sommes partie civile dans 7 plaintes, la 8e (Fabien Nereste) ayant été transférée à la justice belge :

  • Pascal Simbikangwa, condamné à 25 ans de détention pour « génocide » en première instance en mars 2014, jugement confirmé en appel en 2016. Pascal Simbikangwa s'est pourvu en cassation, mais la Cour de cassation a rejeté son pourvoi le 24 mai. Dans cette condamnation désormais définitive, la justice française affirme qu'il y a bien eu préméditation des massacres, battant en brèche différentes thèses négationnistes suggérant un « génocide spontané ».
  • Octavien Ngenzi, dossier joint à Tito Barahira : en 2016, tous deux ont été condamnés en première instance à la perpétuité (voir l'article publié dans Billets d'Afrique en juillet 2016), un verdict confirmé en appel le 6 juillet 2018 (voir l'article publié dans Billets d'Afrique en juillet 2018).
  • Wenceslas Munyeshyaka, dossier renvoyé par le TPIR vers la France : le juge d'instruction a finalement rendu une ordonnance de mise en liberté, les éléments à charge étant estimés insuffisants depuis la rétractation de témoins. Nous avons introduit un recours contre cette décision.
  • Sosthène Munyemana, Laurent Serubuga et Laurent Bucyibaruta (dossier renvoyé par le TPIR vers la France) : pour ces trois plaintes, l'instruction vient de se terminer, on attend d'ici quelques mois la décision du juge d'instruction (ordonnance de mise en accusation ou ordonnance de mise en liberté)
  • Cyprien Kayumba

Me Simon et Me Akorri sont nos avocats pour ces procédures, à l'exception du procès en Cassation de Pascal Simbikangwa pour lequel Me Bertrand Perrier, avocat près la Cour de Cassation, a accepté de représenter conjointement Survie et le CPCR.

4. En novembre 2015, Survie a déposé une plainte contre X, visant des responsables politiques et militaires français de 1994, pour complicité de génocide concernant des livraisons d'armes de janvier à juillet 1994 aux génocidaires. Elle fut classée sans suite en septembre 2016 au prétexte que la responsabilité pénale du Président de la République (au demeurant décédé depuis) ne pouvait être engagée et que celle des ministres relevait de la Cour de Justice de la République (et non du droit commun). Avec Me Akorri pour avocate, Survie a donc déposé le 28 juin 2017 une nouvelle plainte pour les mêmes faits mais en se constituant partie civile (pour obtenir la désignation d'un juge d'instruction) et en rappelant que cette plainte contre X vise également des membres des cabinets ministériels, des conseillers de l'Élysée et des haut-gradés français pour lesquels le Tribunal de grande instance de Paris est bel et bien compétent. La plainte est apparemment restée bloquée de septembre 2017 à janvier 2018 par le silence de la direction des affaires judiciaires du ministère des Armées, qui avait un mois pour transmettre son avis au parquet. Un juge d'instruction a finalement été nommé en février 2018.

Enfin, il convient également de signaler :

  • six plaintes contre X pour viol, déposées par des rescapées rwandaises (3 en 2004, 1 en septembre 2012, 2 en juin 2014) et visant des soldats de l'opération Turquoise. L'instruction est en cours, les plaignantes ont été auditionnées en 2016 à Paris ;
  • la plainte déposée le 29 juin 2017 avec constitution de parties civiles par Sherpa, le CPCR et Ibuka France contre BNP Paribas pour complicité de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre, basée sur une autorisation de transfert de fonds opéré par la banque qui servit à l'achat d'armes par le régime génocidaire en juin 1994, alors même qu'un embargo avait été adopté par l'ONU.

La décennie qui vient va voir des procès importants en France, il y aura donc un gros enjeu pédagogique afin d'ancrer le génocide des Tutsis du Rwanda dans les consciences (comme le procès Barbie, etc.). Faire en sorte que ces procès aient lieu même plus de 24 ans après le génocide est essentiel pour les Rwandais (rescapés et famille des victimes, mais aussi pour toute la nouvelle génération) et pour les Français, pour notre histoire commune, l'histoire de la politique africaine de la France.


Cet article est tiré du magazine semestriel AVP (Les autres voix de la planète) du CADTM, n°76, « Dettes coloniales et réparations » disponible à cette adresse :  https://www.cadtm.org/Dettes-coloniales-et-reparations-17397

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