05 Juin 2020
Article de : Jessica Dos Santos / Ricardo Vaz
Editorial / Solidarité en période de pandémie
Le coronavirus est une crise sans précédent pour des millions de personnes dans le monde, mais les Cubains sont habitués à relever de grands défis, qu'ils soient causés par les ravages d'un ouragan ou par le blocus financier et politique imposé par les États-Unis. Et s'il y a un domaine où ce modèle s'illustre vraiment, c'est la santé.
Le secteur de la santé cubain était une priorité pour Fidel Castro dès les premiers jours de la révolution au milieu du XXe siècle. Dans le système socialiste, tous les médecins travaillent pour l'État, et le système de santé et l'éducation sont publics et gratuits. En fait, selon la Banque mondiale elle-même, il y a 8,2 médecins pour 1 000 habitants à Cuba, l'une des proportions les plus élevées au monde.
En ce sens, l'île est connue pour sa concentration sur la prévention, les soins de santé orientés vers la communauté et la préparation à la lutte contre les épidémies. Sur l'île, les médecins font du porte-à-porte pour vérifier comment vont les gens, les conditions des maisons et travailler avec les communautés locales pour s'assurer qu'ils ont un dossier à jour des conditions sous-jacentes. Cela signifie que s'il y a une épidémie de coronavirus dans ce quartier, les médecins sauront immédiatement qui sont les patients particulièrement vulnérables.
Outre la solidité du système de santé, Cuba a également été à l'origine d'importants progrès dans la recherche médicale. C'est par exemple sur l'île que l'infection par le VIH de la mère à l'enfant a été éliminée pour la première fois. Au niveau de la pandémie actuelle, le médicament antiviral appelé Interféron Alpha-2B, qui a été utilisé dans le traitement de la dengue, des hépatites B et C, entre autres, s'est révélé efficace chez les patients Covid-19.
En conséquence, la population cubaine est bien préparée au fléau de Covid-19, avec la participation active des Comités pour la Défense de la Révolution et des médias de communication. Le virus est déjà présent sur l'île, avec des centaines de cas détectés, dont beaucoup sont « importés », de sorte que le gouvernement a fermé les frontières du pays, malgré le fait que son économie dépend largement du tourisme international.
Cependant, c'est peut-être au-delà de ses frontières, mêlées à l'internationalisme de la révolution, que les médecins, notamment les médecins cubains, ont le plus brillé. Cela a commencé par une petite mission en Algérie en 1963. Depuis, Cuba a déployé des «armées en blouse blanche» dans les coins les plus reculés où les soins médicaux faisaient défaut.
Que ce soit lors des tremblements de terre au Pakistan ou à Haïti, ou au niveau des renforcements des systèmes de santé émergents dans les pays indépendants d'Afrique, Cuba a toujours été un allié pour défendre les plus vulnérables dans leur accès à la santé. Un exemple notable plus récent est le rôle déterminant joué par les médecins cubains dans la lutte contre l'ébola en Afrique de l'Ouest.
La contribution au concept de santé en tant que droit, par opposition à celui de santé en tant que marchandise, va au-delà de l'envoi de brigades médicales. En 1998, pendant la « période spéciale », Fidel Castro a inauguré l'École Latino-américaine de Médecine (ELAM). Des milliers et des milliers d'étudiants de plus de 100 pays sont passés par l'ELAM, sans payer un sou, à qui l'on demande seulement de pratiquer la médecine là où elle est vraiment nécessaire.
Avec la pandémie de coronavirus, Cuba a une nouvelle fois démontré son internationalisme en envoyant des médecins en Europe, en particulier en Italie, pour lutter contre le coronavirus. Avant cela, le personnel médical cubain était déjà présent en Guyane, en Jamaïque, au Suriname, à Grenade et au Nicaragua, et des brigades continueront d'émerger. Actuellement, il y a plus de 2300 professionnels dans 24 pays.
Tout cela malgré un blocus génocidaire de la part des États-Unis, qui refusent d'accepter la « menace » d'un modèle différent si proche de ses côtes. Dans les circonstances les plus difficiles, Cuba est restée ferme dans ses principes et a démontré à maintes reprises le modèle d'un monde différent, humain et solidaire.
Brèves
Venezuela / Cargaison de carburant iranien et nouveaux prix
Venezuela a reçu une cargaison de carburant d'Iran (Alba Ciudad)
Cette semaine, le Venezuela a reçu cinq pétroliers iraniens (Fortune, Forest, Petunia, Faxon et Clavel) pour faire face à la pénurie de carburant, pénurie exacerbée par les sanctions que les États-Unis imposent à l'industrie pétrolière nationale.
La totalité du carburant livré par les cinq pétroliers s'élève à 1,53 million de barils d'essence et d'alkylate. À ce sujet, le président Nicolás Maduro a déclaré qu'un plan « en plusieurs étapes » sera mis en œuvre pour rétablir progressivement l'approvisionnement du pays en carburant.
Quelques jours plus tard, le gouvernement a annoncé une nouvelle organisation de la distribution du carburant dans le pays, avec un circuit subventionné qui fonctionnera en parallèle avec des stations-services privées où l'essence coûtera 0,50 $ le litre.
Bolivie / Corruption pandémique
Le procureur général de Bolivie, Juan Lanchipa, a annoncé que l'information judiciaire ouverte pour l'achat, avec surfacturation, par le gouvernement auto-proclamé, de 170 respirateurs à la société espagnole GPA Innova, respirateurs destinés à des patients gravement atteints du coronavirus, était en « attente ».
Selon Lanchipa, cette disposition - qui signifie que seuls les responsables gouvernementaux auront connaissance des résultats de l'enquête - est prise dans le but que l'affaire ne soit pas « politisée ».
C'est une affaire qui semble révéler que l'on a payé plus de 27 000 $ US chacun des appareils respiratoires alors que leur coût réel était de 7 000 $ US l'unité. Elle est considérée comme le plus grand scandale de corruption connu en Bolivie.
Par mesure préventive, on a déjà procédé à l'arrestation de l'ancien ministre intérimaire de la santé, Marcelo Navajas. En outre, c'est une commission parlementaire qui sera chargée de mener l'enquête.
Colombie / Expulsions au milieu d'une pandémie
Les expulsions dans les secteurs les plus pauvres de Bogotá ont été critiquées. (El Espectador)
Les occupants de 350 « habitations précaires » du bidonville Los Altos de la Estancia, situé au sud de Bogotá, rendent public avec de vives protestations le fait que depuis le 2 mai ils soient chassés avec brutalité de leurs logements précaires, et cela en pleine quarantaine décrétée par le gouvernement colombien pour contenir l'expansion du coronavirus.
Le directeur de l'Institut du District pour la Gestion des Risques et le Changement Climatique (INDIGER), Guillermo Escobar, considère cette mesure comme la meilleure option, car au moins 15 glissements de terrain se sont produits sur les lieux depuis 1997.
Néanmoins, les méthodes employées par les autorités, et par les forces de police, sont vivement critiquées par divers secteurs politiques et sociaux du pays.
Colombie / Les FARC portent plainte devant la CIDH
Le parti politique Fuerza Alternativa Revolucionaria del Común (FARC) demandera à la Commission Inter-américaine des Droits de l'Homme (CIDH) que des mesures conservatoires soient prises en faveur des signataires des accords de paix de 2016, étant donné qu'ils sont incontestablement l'objet d'une « élimination systématique ».
Selon la déclaration des FARC, on comptabilise à ce jour 197 assassinats de personnes impliquées dans la mise en place des négociations qui aboutirent aux accords signés à La Havane (Cuba).
La plainte, qui sera déposée virtuellement, exposera les raisons qui justifient que, par le biais de cet organisme international, l'État colombien soit contraint d'adopter des mesures de protection envers les plus de 12 000 signataires de l'accord de paix.
Brésil / Manifeste « Nous sommes ensemble »
Bolsonaro est au milieu d'une crise politique (AP)
Différentes personnalités politiques brésiliennes et plus de 150 000 citoyens ont déjà signé un manifeste avec pour titre : « Nous sommes ensemble ».
La nation sud-américaine comptabilise désormais le deuxième plus grand nombre de cas de coronavirus, juste derrière les États-Unis.
Ce manifeste critique la conduite du gouvernement face à la pandémie ainsi que les tendances de plus en plus autoritaires de son leader de droite.
Des personnalités politiques, de gauche et de droite, ainsi que des représentants éminents du monde de la culture, ont lancé un appel à la mobilisation pour la défense de « la vie, de la liberté et de la démocratie ». Le mandat du président Bolsonaro se termine en 2022.
Interview
Haïti / Lautaro Rivara : « La population de Haïti ne peut se passer de travailler »
Haïti compte plus de 1 000 cas de personnes infectées par le coronavirus et 30 décès, et ce sont là des chiffres qui augmentent rapidement. Lautaro Rivara, journaliste et sociologue argentin, membre de la brigade internationale ALBA Movimientos en Haïti et correspondant de TeleSUR, nous explique comment la pandémie est vécue dans ce pays pauvre des Caraïbes.
Haïti a été l'un des derniers pays de l'hémisphère Sud qui a officiellement informé sur le nombre de cas de coronavirus. Comment a évolué la pandémie et à quoi doit-on s'attendre dans les semaines à venir ?
Oui, en effet, Haïti a mis du temps à informer sur le nombre des infections et des décès et cela est dû au fait que ses relations avec d'autres pays soient peu nombreuses. Ces relations ont lieu par le biais du personnel international d'ONG, or il se trouve que de nombreux responsables de ces fondations, ces agences, voire ces églises, avaient déjà quitté le pays en raison de la crise politique, sociale et économique que connaît Haïti au moins depuis le milieu de l'année 2018.
Toutefois, après le début de la pandémie dans le contexte haïtien, des cas de contagion intracommunautaire se sont multipliés et, dans ce cadre, le système de santé haïtien est extrêmement fragile, souffrant d'une pénurie de moyens matériels pour faire face à une pandémie de cet ordre. On a découvert notamment que l'État ne disposait que de 20 lits pour accueillir des patients en soins intensifs et qu'il ne disposait pas de fournitures de base pour le nettoyage et la désinfection, sans parler d'appareils plus complexes tels que des respirateurs. Il est donc très difficile dans ces conditions de savoir le nombre exact des personnes infectées et des personnes décédées à cause du coronavirus étant donné que les statistiques de l'État ne sont pas très crédibles. En outre, tout dernièrement, alors que le nombre des infections augmentait, le gouvernement national de Jovenel Moise a tout simplement décidé d'arrêter les tests pour occulter les informations et minimiser les effets de la pandémie. Ce que nous savons, c'est que l'épicentre de la pandémie le plus évident ce sont les vastes quartiers populaires, notamment dans la capitale Port-au-Prince. Nous parlons là de masses de gens entassés dans des espaces réduits et avec des conditions d'accès à l'eau potable et à l'hygiène vraiment très mauvaises. On doit donc s'attendre à ce que l'impact de la pandémie continue de croître de plus en plus.
Le rôle de la communauté internationale, à Haïti, est très discutable, par exemple après le tremblement de terre de 2010. Quel rôle jouent ces agences internationales face à cette nouvelle pandémie ?
A Haïti, les intérêts géopolitiques et économiques de toute une série de puissances occidentales sont représentés par le dénommé Core Group qui regroupe les principales ambassades et organisations internationales telles que l'OEA ou l'ONU elle-même. Par égard à ce conglomérat de nations occidentales et dominantes, le gouvernement haïtien a pris une série de mesures qui tendent bien plus à répondre aux standards de ces nations-là qu'à satisfaire les besoins de sa propre population. Son seul objectif est de capter des subsides.
Par exemple, les dispositions d'isolement social ne sont pas du tout adéquates dans un pays dont l'économie est absolument informelle à cause de l'impact de décennies de politiques néolibérales. Pour les couches de la population les plus précarisées, l'économie est une urgence à résoudre au jour le jour, et l'immense majorité de la population ne peut pas passer un, cinq, dix, trente jours sans travailler, car elle n'a pas la moindre épargne ni aucun autre type de ressources pour affronter une crise telle que celle-ci. Dans ces conditions, décréter une quarantaine sans aucun soutien pour les populations les plus vulnérables c'est décréter lettre morte. Dès le début, les gens ont commencé à se mobiliser dans les quartiers populaires avec le slogan « Plutôt mourir du coronavirus que de faim«.
Quel est le contexte politique actuel ? Depuis le milieu de l'année 2018, le pays était en pleine ébullition, connaissant sans cesse des manifestations de masse contre la hausse du prix du carburant, l'état pitoyable des services publics, la corruption du gouvernement. Quelles sont les effets du Covid-19 sur cette situation ?
La situation est actuellement tendue à Haïti à cause des circonstances exceptionnelles qu'impose la présence de la pandémie dans le pays, mais aussi à cause d'une crise politique, sociale et économique de longue date. Si nous examinons l'histoire récente du pays, nous voyons l'expression, au cours des deux dernières années, d'une énorme demande sociale qui exige la fin des politiques néolibérales dans le pays, la fin de l'ingérence des États-Unis et des autres puissances occidentales dans la souveraineté de la nation et qui réclame aussi la solution de la crise économique qui ne cesse de s'aggraver.
La pandémie amène d'autres questions à l'ordre du jour, mais la situation dans le pays, avec ou sans coronavirus, n'a cessé d'empirer. Dans ce cadre, il est important de souligner que le gouvernement de Jovenel Moise est, à ce jour, un gouvernement anticonstitutionnel, puisqu'il n'a pas de Premier Ministre et qu'il gouverne sans le moindre type de budget approuvé par les assemblées législatives. Les élections législatives prévues en janvier de cette année n'ont pas eu lieu non plus. Et ce qui aggrave encore la situation politique et démocratique dans le pays c'est le fait que le gouvernement ait proposé de prolonger d'un an le mandat du président, jusqu'en 2022, et il a immédiatement reçu le soutien de l'OEA. Cela tend à nous faire suspecter d'une intervention des États-Unis et de l'OEA dans la formulation de cette proposition avancée sous prétexte du caractère exceptionnel de la situation, mais pour faire en sorte que le gouvernement actuel reste au pouvoir.
Illustration de la « Triste Nuit » (Utopix)
Veines ouvertes : La Triste Nuit
Il y a 500 ans, Hernan Cortes et l'Empire espagnol subirent la première défaite importante dans leur "conquête" du nouveau monde, ce fut ce que l'on connaît comme la "Triste Nuit".
Un massacre commis contre le peuple de Tenochtitlan (aujourd'hui ville de Mexico) provoqua une rébellion que même l'empereur aztèque Moctezuma, pris en otage par Cortes, ne parvint pas à apaiser.
Ce sanguinaire conquistador tenta de battre en retraite dans le silence de la nuit sur un pont improvisé au dessus de la lagune qui entourait la ville. Mais les espagnols et leurs alliés furent repérés, déchaînant alors une terrible attaque des forces aztèques. De nombreux soldats espagnols, sous le poids de leur armure, de l'or et des bijoux qu'ils portaient, tombèrent à l'eau et moururent noyés.
Ce revers infligé à Cortes ne fut que temporaire, car une année plus tard il allait conquérir définitivement Tenochtitlan. Cependant, cette "Triste Nuit" demeura comme une étincelle de rébellion qui viendrait s'ajouter à de nombreuses autres, jusqu'à l'incendie qui mettra fin à l'empire espagnol trois siècles plus tard.
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Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne correspondent pas forcément à celle des membres de l'équipe de rédaction d'Investig'Action.
Traduit par Ines Mahjoubi, Manuel Colinas Balbona et Sylvie Carrasco. Relecture par Ines Mahjoubi.
Source : Investig'Action