16/10/2019 investigaction.net  12min #163049

 Amérique Latine en Résistance : Le Retour aux Armes

Amérique Latine en Résistance : Non au 'Pack' Néolibéral!

16 Oct 2019
Article de :  Jessica Dos Santos /  Ricardo Vaz

Editorial: La dernière trahison

L'Équateur traverse actuellement sa crise politique la plus aigüe de la période récente. Le président Lenín Moreno a essayé d'appliquer un « pack » néolibéral, recommandé par le Fond Monétaire International, achevant ainsi sa trahison à la gestion de Rafael Correa (que Moreno avait promis de poursuivre).

En deux ans et demi de gouvernement, Moreno est devenu de plus en plus un allié de la droite nationale et étrangère, s'attaquant à des organismes d'intégration tels que l'UNASUR et soutenant la politique étrangère des États-Unis (en remettant par exemple Julian Assange). Mais même la répression ne parvint pas à mettre fin à la vague de rejet des mesures prises, obligeant finalement Moreno à abroger le désormais tristement célèbre « décret 883 ».

La mesure qui a déclenché la crise a été l'augmentation des essences et des carburants extra-pays et éco-pays, c'est-à-dire les trois carburants les plus utilisés en Équateur, subventionnés depuis plus de 40 ans.

L'essence est passée de 1,85 USD à 2,39 USD le gallon, tandis que le diesel est passé de 1,03 USD à 2,29 USD, soit une augmentation de 123%.

Le secteur des transports a immédiatement réagi à tous les niveaux: camions, taxis, autobus, transports scolaires et institutionnels ont paralysé et bloqué toute une nation, demandant l'abrogation de la mesure.

Mais cette annonce n'était que le début de toute une série de mesures approuvées par le Fonds Monétaire International y compris une série de réformes économiques et du travail qui réduiraient considérablement les avantages de la classe ouvrière.

Par exemple, le renouvellement des contrats occasionnels avec 20% de rémunération en moins et la réduction des congés des travailleurs du secteur public (de 30 à 15 jours) lesquels devraient de toute façon contribuer avec l'équivalent d'un jour de salaire. En revanche, les taxes sur les producteurs de bananes, qui comptent parmi les plus importants groupes économiques du pays, seraient baissées.

Le secteur étudiant a rejoint les transporteurs et plus tard le mouvement autochtone, dirigé par la Confédération des Nationalités Autochtones de l'Équateur (CONAIE), la même organisation qui avait le rôle principal en 2000 lors du renversement du président Jamil Mahuad, également mis en cause pour sa politique économique. Mobilisée dans l'ensemble du pays, la CONAIE a dirigé une marche regroupant des dizaines de milliers de personnes vers Quito.

Acculé mais ferme, Moreno a déplacé le siège du gouvernement à Guayaquil, répétant sans cesse qu'il n'allait pas revenir sur ses décisions tout en cherchant à blâmer quelqu'un d'autre pour ces dernières: le mécontentement populaire face au « pack » de mesures serait soi-disant un projet machiavélique de Rafael Correa et Nicolás Maduro avec l'aide des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC)!

Toutefois, les Équatoriens ne sont pas tombés dans le piège et ont continué à se battre dans les rues de leur pays.

Face à cela, l'exécutif a déclaré l »état d'urgence » sur tout le territoire pendant au moins 30 jours. Cette annonce a permis aux autorités d'accroître la présence policière et militaire (24.000 militaires et 5.000 réservistes), ce qui s'est traduit par une répression démesurée.

La réponse des forces de sécurité a fait 7 morts, 1340 blessés, 1152 détenus ainsi que la fermeture de médias. Mais la communauté internationale a décidé de garder le silence voire même de soutenir Moreno. Les ambassadeurs des États-Unis, du Canada et de plusieurs pays d'Amérique latine ont par exemple souligné la « prudence » avec laquelle la force publique a été gérée.

Pendant ce temps, les principaux médias ont choisi d'ignorer les manifestations ou de les criminaliser en traitant les manifestants de « parasites » ou de « criminels ».

Cependant, la violence croissante de l'État n'a pas réussi à arrêter les mobilisations. Le gouvernement a été obligé de s'asseoir à la même table que la CONAIE avec la médiation de l'ONU et de l'église, pour finalement abroger les mesures et les réviser. Les prochains jours seront décisifs pour déterminer l'issue de la crise, alors que Moreno voit sa position de plus en plus délégitimée.

Bien que l'Équateur soit l'un des pays les plus petits du continent, plusieurs enseignements peuvent être tirés des événements récents. Tout d'abord, ils montrent qu'une lutte organisée et déterminée aboutit à des résultats.

Ils viennent également démentir le mythe de la supposée fin du cycle progressif en Amérique latine. Les projets dans plusieurs pays ont été épuisés à cause de leurs propres contradictions et, dans le cas de l'Équateur, il faut rajouter la trahison de Moreno.

Cependant, les tentatives visant à ramener les peuples à l'obscurité néolibérale ont mis le feu dans la rue et ont été rejetées. En quelques années, les gouvernements qui ont viré à droite (Argentine, Brésil, Équateur) ont épuisé leur crédibilité. Il appartient aux peuples de maintenir l'unité dans la lutte et aux nouveaux dirigeants (ou ceux qui vont revenir) de dessiner un horizon plus audacieux.

Brèves

Bolivie / Vers la victoire?

Evo Morales cherche à être réélu le 20 octobre (ABI).

D'après l'enquête la plus récente du CELAG, l'actuel chef d'État Bolivien, Evo Morales, obtient 38,8% d'intentions de vote pour les présidentielles du 20 octobre prochain.

Evo dépasse de 13 points son principal rival, le candidat de droite et ancien président Carlos Meza.

Pour obtenir la victoire dès le premier tour, le candidat du MAS aurait besoin d'obtenir 50% plus une voix ou, de façon plus réaliste, 40% et un avantage de 10 points sur Meza.

La campagne entre dans sa phase décisive. Le duo Evo-García Linera cherche à approfondir le processus de changement des dernières 13 années tandis que la droite souhaite reconquérir un des bastions progressistes d'Amérique latine. Le vote en décidera.

Honduras / JOH et le trafic de drogues

Le président hondurien Juan Orlando Hernández (JOH) a été accusé de « lien avec le trafic de drogues » après qu'Alexander Ardon, trafiquant et ancien maire, ait confessé devant un tribunal qu'il avait financé sa campagne en 2013 avec 1.6 millions de dollars provenant du trafic de drogues.

Entre-temps, Tony Hernández, frère du président, a également été accusé de diriger une opération de trafic de stupéfiants puisque le fameux "Chapo" Guzmán avait payé un million de dollars à JOH, par le biais de Tony, en échange de sa protection.

Tout cela avec la bénédiction des pouvoirs américains qui prétendent se soucier des droit humains et de la lutte contre le trafic de drogues tout en faisant du Honduras leur bastion de domination sur l'ensemble de l'Amérique Centrale.

Colombie / Uribe Vélez accusé de fraude et de corruption

L'ancien président Álvaro Uribe a été accusé d'interférer dans la justice colombienne (El País Cali).

La Cours Suprême de Justice de Colombie a "formellement" associé l'ancien chef de gouvernement Álvaro Uribe Vélez à des délits de "fraude procédurale" et "pots de vin en concuours homogène et successif".

Uribe, qui a occupé le poste de chef d'état en Colombie entre 2002 et 2010 et qui dirige également le parti qui a mené Iván Duque à la présidence, fait l'objet d'une enquête pour manipulation de témoignages contre le sénateur de gauche Iván Cepeda et tentatives de modification de témoignages l'impliquant dans le paramilitarisme.

Face à cela, le président de la Cour de Justice, le juge Álvaro García, a demandé au peuple de « faire confiance à la justice ». Cependant, les colombiens doutent de la véracité du processus à cause de la grande influence qu'Uribe exerce encore sur l'actuel gouvernement.

Brésil / Bolsonaro réprime dans la rue... et dans les prisons!

« Vous posez des questions merdiques tout le temps «. C'est ainsi que s'est exprimé le président du Brésil, Jair Bolsonaro, lorsque la presse l'a interrogé sur les plaintes contre « les nouvelles routines quotidiennes de torture dans les prisons" de son pays.

Toutefois, 17 des 28 procureurs du Ministère Public de l'État de Pará révèlent que des agents fédéraux de la Force de Mission d'Intervention Pénitentiaire (Fuerza de Tarea de Intervención Penitenciaria - FTIP) abusent de leur pouvoirs dans les enceintes pénitentiaires de la nation.

Les FTIP sont formées par des agents fédéraux et pénitentiaires. L'organisation a été créée fin juillet par le ministre de la Justice. Depuis lors, les dénonciations ne se sont pas faites attendre.

Venezuela / 100 millions de dollars pour le coup d'État

Le représentant de Guaidó, Carlos Vecchio, a reçu le "don" de l'USAID à Washington (AP).

Le gouvernement des Etats-Unis va apporter une aide de 98 milions de dollars à l'opposition putschiste du Vénézuela « pour appuyer la lutte pour la liberté ».

Le « don » a été octroyé par l'administrateur de l'USAID, Mark Green, au représentant de Guaidó à Washington DC, Carlos Vecchio.

Green a indiqué que l'argent sera destiné aux ONG qui se trouvent à l'intérieur du pays mais il n'a pas détaillé la manière avec laquelle ce sera fait ni à quelle fin.

Depuis que l'opposant vénézuélien s'était autoproclamé président intérimaire du Vénézuela en janvier, l'exécutif de Trump a proposé son appui financier et diplomatique en même temps qu'il imposait des sanctions de plus en plus dures contre le peuple vénézuélien.

Interview

Crise au Pérou / Paucar : « Le fujimorisme et le Parti Apriste recueilleront très peu de suffrages aux élections de janvier 2020 ».

Le président du Pérou, Martin Vizcarra, a dissous l'Assemblée de son pays en arguant qu'il s'agit d'un processus « inédit » qui servira pour « écrire une nouvelle page vierge dans le respect de la Constitution ». A la suite de quoi le paysage politique péruvien n'a été qu'une suite ininterrompue de convulsions avec, au final, de nouvelles élections programmées pour le 26 janvier 2020. Jorge Paucar Albino, rédacteur et éditeur du média La Mula, nous explique brièvement le paysage.

Comment est née la présente crise politique au Pérou ? Quelles pourraient en être les prochaines étapes ?

Pour comprendre la crise politique que le Pérou vit en ce moment, il nous faut remonter à 2016, quand Keiko Fujimori (le parti Force Populaire) a perdu les élections présidentielles, mais a obtenu une majorité à l'Assemblée Nationale. Les fujimoristes n'ont jamais accepté leur défaite et ont essayé de gouverner à partir du Parlement. Dans ce contexte, et grandement aidés par les néfastes pratiques de l'ex président Pedro Pablo Kuczynski, (PPK), les fujimoristes ont obtenu la démission de PPK. Par la suite, la mise en détention préventive de Keiko Fujimori a conduit à la radicalisation des fujimoristes qui ont saboté les réformes mises en œuvre par l'Exécutif. Dans cette situation, Vizcarra a décidé de dissoudre l'Assemblée Nationale, non sans avoir laissé au préalable plusieurs chances à la majorité parlementaire. Il est bien difficile de prévoir quelle seront les suites possibles. La seule chose qui semble assurée c'est que le fujimorisme et le parti Aprista recueilleront très peu de voix aux élections de janvier 2020.

Pendant ce temps, avec la dissolution du Parlement, le gouvernement de Vizcarra aura le champ libre pour appliquer ses mesures y compris une réforme du Droit du Travail mise au point sans la participation des centrales syndicales.

Quelle doit être la conduite des partis de gauche et/ou des organisations populaires dans la situation actuelle ?

Depuis les dernières élections, la gauche (Frente Amplio [Front Elargi] et Nuevo Perú [Pérou Renouveau], qui étaient représentés dans le Parlement dissous) pose comme base que la crise morale et politique que connaît le Pérou est la conséquence du modèle économique en vigueur et que, par conséquent, insiste-elle, une nouvelle Constitution est nécessaire. Mais, en attendant, les organisations populaires et associations de gauche doivent rester vigilantes devant toute mesure susceptible de porter atteinte aux droits des travailleurs ainsi qu' à la résolution des conflits sociaux-environnementaux soulevés par les projets de l'industrie minière : Tia Maria (Arequipa, Southern Copper) Las Bambas (Apurimac, MMG Limited), entre autres...

Outre la croissante xénophobie que nous observons, dans quelle mesure la question du Venezuela a influencé le débat politique actuel que connaît le Pérou ?

Malheureusement l'immigration a été exploitée par quelques politiciens fujimoristes pour attaquer l'Exécutif. Par exemple, la députée Esther Saavedra a exigé du président Vizcarra qu'il ferme les frontières soit disant parce que « les Vénézuéliens viennent voler le travail des Péruviens ». Ces politiciens oublient qu'émigrer est un Droit de l'Homme et que plus de 3 millions de Péruviens vivent actuellement hors du Pérou.

Monument aux victimes de l'atentat contre le vol 455 de Cubana de Aviación, à la Barbade. (Wikipedia)

Veines Ouvertes : Terrorisme d'Etat

Le 6 octobre 1975, le vol 455 de la Cubana de Aviacion, de la Barbade à la Jamaïque, fut victime d'un attentat terroriste qui coûta la vie aux 73 personnes qui étaient à bord.

Cet attentat, perpétré au moyen de deux bombes, avait été orchestré par Luis Posada Carriles et Orlando Bosch, deux terroristes confirmés, contre révolutionnaires cubains et agents de la CIA.

Posada et Bosch travaillaient pour les services secrets du Venezuela. Tous les deux furent arrêtés et « jugés » : Orlando Bosch fut remis en liberté par la « Justice » du Venezuela et Posada Carriles s'évada de sa prison en 1985.

Et c'est ainsi que tous les deux ont pu jouir d'une longue carrière de terroristes et couler des jours paisibles en Floride sans jamais payer pour leurs crimes grâce à l'appui du gouvernement des États-Unis.

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Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne correspondent pas forcément à celle des membres de l'équipe de rédaction d'Investig'Action.

Traduit par Manuel Collinas et Ines Mahjoubi. Relecture par Ines Mahjoubi.

Source : Investig'Action

 investigaction.net