L'explosion de violence à l'encontre des Palestiniens, y compris le déchaînement des milices à Huwara, en Cisjordanie, le mois dernier, est une démonstration terrifiante de ce à quoi ressemble l'apartheid.
Source : Jacobin Mag, Seraj Assi
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Soldats israéliens à Huwara, le 17 juin 2022. Le mois dernier, une foule de centaines de colons israéliens s'est déchaînée dans ce village de Cisjordanie. (Wikimedia Commons)
Le 26 février, une foule de centaines de colons israéliens a envahi le village de Huwara, en Cisjordanie, où vivent environ sept mille Palestiniens, semant la terreur et la désolation. Ils ont poursuivi les habitants avec des mitraillettes et en ont poignardé et agressé d'autres avec des tiges métalliques et des pierres. Ils ont mis le feu à des maisons, cassé des portes et brisé des fenêtres, incendié des voitures et des magasins, mis le feu à des cultures et à des arbres et tué des moutons.
Les soldats israéliens se tenaient à l'écart et observaient la scène. Des témoins oculaires ont raconté que l'armée était là pour protéger et soutenir les colons. Les parents d'un Palestinien tué au cours de l'émeute ont déclaré qu'il avait été abattu par des soldats israéliens alors que la famille luttait pour se défendre contre les émeutiers.
Après dix-sept heures de violence incessante, le village ressemblait à un champ de bataille abandonné, envahi par la fumée. Des centaines de Palestiniens sont blessés.
Ghassan Daghlas, un responsable palestinien qui surveille les violences commises par les colons en Cisjordanie, a décrit les colons d'une manière assez glaçante : « C'était des monstres. » Même les hauts fonctionnaires israéliens ont été choqués par l'intensité de la violence. Yehuda Fuchs, un général israélien de haut rang qui supervise la Cisjordanie, a qualifié ce déchaînement de « pogrom ».
L'émeute de Huwara est un exemple brutal de l'autodéfense des colons : les auteurs ont cherché à venger la mort de deux colons israéliens qui avaient été abattus par un tireur palestinien en Cisjordanie occupée quelques jours avant l'attaque.
Au lendemain de l'émeute de Huwara, les représentants du gouvernement israélien ont refusé de condamner les violences. Certains sont même allés jusqu'à faire l'éloge des attaquants de Huwara, réclamant une nouvelle punition collective des Palestiniens. Itamar Ben-Gvir, ministre israélien de la Sécurité nationale, a promis « d'écraser les ennemis » déclarant à un rassemblement de colons armés dans l'avant-poste illégal d'Evyatar : « Nos ennemis doivent entendre un message de colonisation, mais aussi un message d'écrasement un par un. »
Le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, un fasciste autoproclamé qui s'occupe également de l'administration civile en Cisjordanie occupée, a demandé que le village soit « anéanti », ajoutant : « Je pense que l'État d'Israël devrait le faire. » (Le porte-parole du département d'État américain a condamné les propos de Smotrich, les qualifiant de « répugnants, irresponsables et dégoûtants »).
Le crime lui-même est resté impuni et les colons qui ont orchestré les attaques sont toujours en liberté. (Les huit colons arrêtés par la police ont été rapidement libérés par un tribunal israélien). Pendant ce temps, les Palestiniens soupçonnés d'avoir tué des Israéliens ont été pourchassés et tués par les troupes israéliennes, leurs familles expulsées de force et leurs maisons démolies par les bulldozers israéliens.
L'attaque de Huwara n'était pas un épisode isolé. Elle s'est produite quelques jours après que les forces israéliennes ont envahi la ville de Naplouse, en Cisjordanie, tuant une douzaine de Palestiniens et en blessant plus d'une centaine d'autres. En février, les forces militaires israéliennes ont fait une incursion dans la ville de Jéricho, l'ont assiégée et ont tué cinq Palestiniens. En janvier, les forces israéliennes ont pénétré dans le camp de réfugiés de Jénine et ont massacré dix Palestiniens. Depuis le début de l'année, la police, les soldats et les colons israéliens ont tué 68 Palestiniens.
Encouragés par le nouveau gouvernement ultranationaliste d'Israël, les colons violents agissent avec un sentiment d'impunité encouragé depuis longtemps par les dirigeants israéliens les plus intransigeants. Le nouveau gouvernement propose d'assouplir la législation sur les armes civiles pour les colons, tout en prodiguant au mouvement des colons des cadeaux et des concessions - de la nomination de dirigeants à des postes clés du cabinet à la légalisation d'avant-postes illégaux, en passant par la construction de nouvelles colonies - alors même qu'il accélère la démolition de centaines d'habitations palestiniennes.
Le gouvernement lui-même est composé de colons de la droite dure. Ben-Gvir, le nouveau ministre de la Sécurité nationale, est le chef du parti ultranationaliste Otzma Yehudit (Puissance juive) et un provocateur d'extrême droite qui vit dans la colonie de Kiryat Arba, près d'Hébron, où les habitants harcèlent et agressent les Palestiniens depuis des décennies. Avocat de métier, Ben Gvir s'est construit une carrière juridique en défendant des extrémistes juifs accusés de terrorisme et de crimes de haine.
Ben Gvir est un disciple de feu le rabbin Meir Kahane, fondateur du Kach, un groupe juif extrémiste qui prônait le nettoyage ethnique des Palestiniens et qui a été interdit en Israël et inscrit sur la liste des organisations terroristes des États-Unis. Lors de son premier rendez-vous avec sa future épouse, Ben Gvir s'est rendu sur la tombe de Baruch Goldstein, un colon terroriste qui a abattu vingt-neuf fidèles palestiniens à la mosquée Ibrahimi d'Hébron en 1994. Il conserve une photographie de Goldstein sur le mur de son salon.
En guise de clin d'œil à la communauté des colons, Netanyahou a nommé Ben Gvir au poste de responsable de la Sécurité nationale, avec des pouvoirs élargis qui incluent le contrôle de la police israélienne et des forces de sécurité opérant en Cisjordanie. Ben Gvir a proposé d'accorder à la police et aux soldats une plus grande marge de manœuvre pour tirer à balles réelles et une plus grande protection juridique pour tuer ou blesser des Palestiniens. On s'attend à ce qu'il profite de son nouveau poste pour renforcer le pouvoir des colons et déposséder les Palestiniens.
La réalité brutale
Pour les millions de Palestiniens qui vivent en Cisjordanie, la violence et la terreur déclenchées quotidiennement par les colons et leurs dirigeants rappellent constamment qu'Israël est bel et bien un État d'apartheid, où une minorité de colons juifs règne sur l'ensemble de la population palestinienne grâce à un mélange impitoyable de puissance militaire, de ségrégation ethnique et de violence sans foi ni loi.
La Cisjordanie compte aujourd'hui plus d'un demi-million de colons, répartis dans plus de 140 colonies juives, auxquelles s'ajoutent quelque 140 avant-postes illégaux, construits au cours des trois dernières décennies sans l'approbation du gouvernement et considérés comme illégaux, même au regard du droit israélien. À Jérusalem-Est, environ 340 000 colons juifs résident dans des colonies illégales construites par les autorités israéliennes sur des terres privées et des maisons privées prises aux Palestiniens par la force. Ces colons jouissent de tous les droits civils et privilèges juridiques qu'Israël refuse aux Palestiniens.
Pendant ce temps, quelque 3,5 millions de Palestiniens vivent en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, principalement dans des cantons isolés derrière le « Mur de l'Apartheid » israélien et la « Route de l'Apartheid » récemment construite, ainsi que dans des villes situées entre des blocs de colonies juives et derrière un réseau de routes isolées, de barrières de sécurité et d'installations militaires. Pour les Palestiniens qui y vivent, l'apartheid n'est pas seulement synonyme de ségrégation, mais aussi d'inhumanité de la vie sous occupation : coups, tirs, meurtres, assassinats, lynchages, couvre-feux, points de contrôle militaires, démolitions de maisons, expulsions et déportations forcées, séparations forcées, disparitions forcées, déracinement d'arbres, arrestations massives, emprisonnements prolongés et détentions sans jugement.
L'explosion de violence en cours est l'horrible réalité de l'apartheid israélien, l'aboutissement de décennies d'occupation d'un peuple apatride privé des droits humains et des libertés fondamentales.
Rédacteur
Seraj Assi est l'auteur de The History and Politics of the Bedouin [L'histoire et la politique des Bédouins, NdT]
Source : Jacobin Mag, Seraj Assi, 07-03-2023
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises