13/08/2023 elcorreo.eu.org  18min #232501

Argentine : Entre souveraineté et mainmise des entreprises étrangères

par  Gustavo Sarmiento*

Les richesses naturelles de l'Argentine sont vastes et variées. Il s'agit non seulement de terres, de rivières, de lacs et de réserves d'eau douce, mais aussi de minéraux, de pétrole et de gaz. Mais dans de nombreux cas, l'exploitation est entre les mains d'entreprises étrangères, qui pillent nos sols et s'approprient les bénéfices.

Le troisième élément du tableau périodique a été identifié pour la première fois en Suède par Johan August Arfwedson en 1817. C'est un peu plus d'un siècle plus tard, en Argentine, que le chimiste et géologue Luciano Catalano a attiré l'attention sur la présence de lithium dans les salines de la Puna. Le premier projet concret a vu le jour dans le Salar del Hombre Muerto au début des années 1990. Ce matériau peu exploré a fait un bond vertigineux : en 2022, le pays a produit 33 000 tonnes, soit trois mille de plus qu'en 2017. Au premier trimestre de cette année, son exportation a atteint le chiffre record de 233 millions de dollars. C'est le produit exporté qui connaît la plus forte croissance en termes de pourcentage. Mais il y a un détail : la quasi-totalité est utilisée à l'étranger comme matière première par l'entreprise australienne Allkem et l'entreprise étasunienne Livent, qui ont annoncé il y a quelques mois leur fusion. Dans un contexte mondial en manque de nourriture et d'énergie, l'avenir des ressources naturelles stratégiques d'un des pays ayant le plus grand potentiel de la planète dans ces deux domaines est confronté à cette dualité entre souveraineté et mainmise de l'étranger. Et elle est loin d'être réglée.

Ici, l'or n'est pas seulement doré. Celui qui est à la mode est blanc. Dans son ouvrage «  Historia del litio en la Puna », Ricardo Alonso (Universidad Nacional de Salta-Conicet) indique que le lithium « est un métal alcalin, argenté et mou qui peut être coupé avec un couteau. Il est si léger qu'il pèse la moitié du poids de l'eau et flotte sur l'essence. Il a la densité du bois de pin. C'est d'ailleurs le métal le moins dense de tous et il est très réactif ».

Il existe aujourd'hui trois grands gisements, deux à Jujuy et un à Catamarca, exploités par des entreprises étrangères. Mais il y a déjà 38 autres initiatives en cours. Depuis la réforme constitutionnelle de 1994, ce sont les Provinces qui décident de leurs ressources naturelles. Le problème du lithium réside dans l'absence d'une politique nationale unifiée. Alors que des juridictions comme La Rioja l'ont déclaré « ressource naturelle stratégique » et « d'intérêt public », suspendant les permis d'exploration pour les entreprises privées, d'autres, comme Jujuy, visent à créer une entreprise provinciale (dans son cas, Jujuy Energía y Minería Sociedad del Estado) qui conclut des alliances avec des entreprises étrangères avec un rôle minoritaire - participation de 8,5 % - grâce à l'exportation de carbonate de lithium, qui est ensuite utilisé pour la fabrication de batteries à l'étranger. Au milieu se trouvent les communautés [indigènes natives].

A Jujuy, le gouvernement de Gerardo Morales [Droite dure, voir très dure] a approuvé une réforme expresse de la Constitution provinciale qui lui permet de s'approprier des terres pour l'extraction de minerais et d'interdire les barrages routiers [des opposants], cautionnant la répression au nom de la « paix sociale ». Malgré les persécutions et l'état d'urgence qui régit désormais la province, une dizaine de barrages routiers restent en place.

Purmamarca est le principal barrage routier. C'est là, sur les routes 9 et 22, qu'a eu lieu la première attaque policière. C'est là que se trouve Ismael, un étudiant de Chalala. Il fait partie du troisième Malón de la Paz (manifestations pacifiques), dans la province qui compte le plus grand nombre de communautés indigènes du pays : "Nous allons continuer à résister. Morales a fait la réforme sans consulter les communautés. Tout ce qui se passe dans la province est dû au lithium".

LITHIUM ET SOUVERAINETÉ

La mainmise par l'étranger à travers l'aliénation [Transmission volontaire ou légale à autrui de la propriété d'un bien ou d'un droit] du lithium est presque totale. Toutes les salines de la Puna argentine sont couvertes juridiquement [ Commercial invoice ou Pediments]. Les capitaux viennent des États-Unis et du Canada, d'Australie, de Chine, de Corée et de France. Viennent ensuite les fonds d'investissement. Des entreprises comme BYD et Tesla ont également des parts dans les projets d'extraction comme l'explique Melisa Argento, docteur en sciences sociales (UBA-UNR-Conicet-IEALC

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Comment construire la souveraineté avec le lithium ?

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Melisa Argento : « Tout dépend de la manière dont nous considérons la souveraineté. Car il peut y avoir un État souverain qui contrôle la ressource et qui est également extractiviste, ce que je n'approuverais pas. Pour moi, la souveraineté inclut le respect des territoires et de l'autodétermination, la mise en œuvre d'une consultation libre, préalable et informée, un moratoire sur les projets étrangers et le contrôle de l'État pour protéger la nature. Réduire les impacts socio-environnementaux, étudier le comportement intégral des bassins versants afin de ne pas altérer ou détruire les écosystèmes ».

Martina Gamba, chercheuse du Conicet, au Centro de Tecnología de Recursos Minerales y Cerámica (Cetmic) de l'Université de La Plata, cite Laura Richardson du US Southern Command et son rapport pour le secrétaire d'État US, « où elle a clairement indiqué que le marché le plus avantageux pour investir dans le lithium était l'Argentine, parce que c'est le pays le plus déréglementé au monde. Le lithium y est considéré comme une ressource ordinaire. Et contrairement au Chili, où c'est l'État national qui établit les contrats avec les entreprises, ici les exigences sont quasiment nulles. De nombreuses déductions d' impôts existent pour encourager l'activité. La loi sur l'investissement minier plafonne les redevances - c'est-à-dire ce qu'elles laissent aux provinces - à 3 % de ce que les entreprises déclarent elles-mêmes à l'entrée de la mine. Au Chili, les redevances s'élèvent à 40 %.

Le Chili, la Bolivie et l'Argentine se partagent 60 % des réserves mondiales de lithium. L'Argentine est le deuxième pays disposant des plus grandes ressources nettes, derrière la Bolivie, et le quatrième producteur mondial (bien qu'il soit prévu qu'il augmente très prochainement sa production), derrière l'Australie, le Chili et la Chine. Cependant, il n'existe aujourd'hui que deux projets fermes de production de batteries lithium-ion sur notre territoire.

Le premier ouvrira ses portes en septembre dans la capitale de Buenos Aires. Il s'appelle UniLiB. Il est géréq par l'université nationale de La Plata et Y-TEC, l'entreprise technologique formée par YPF et le Conicet. La centrale produira 15 mégawatts, ce qui est suffisant pour alimenter deux mille foyers ou quatre cents véhicules électriques. L'année prochaine, l'usine de Santiago del Estero, promue par le gouvernement provincial, viendra s'ajouter à la centrale, qui quintuplera la production de La Plata.

« C'est une question de décision politique. Les pays qui progressent le plus sont ceux qui apportent de la valeur ajoutée. L'Europe n'a pas de lithium et pourtant elle construit des gigausines pour produire des batteries. L'industrialiser ici, c'est du travail, de la richesse et de la souveraineté. Sinon, nous serons toujours destinés à exporter du carbonate de lithium à un prix et à acheter des batteries jusqu'à dix fois plus chères », souligne Roberto Salvarezza, directeur d'Y-TEC.

Le secteur des véhicules électriques commence à devenir une réalité. Le constructeur automobile chinois BYD a annoncé qu'il les produirait dans l'usine Ford de Bahia, au Brésil. Au Chili, il fabriquera le matériau de la cathode de la batterie, ce qui est essentiel car il représente 30 % du coût de la voiture. Le véhicule électrique va entrer dans le Mercosur, et c'est là que l'Argentine devrait se positionner », explique M. Salvarezza. Le Brésil n'a pas de lithium et le Chili n'a pas d'industrie automobile établie sur son territoire. Nous réunissons ces deux facteurs ».

LE BOOM MINIER

Andrés Nápoli, directeur de la Fundación Ambiente y Recursos Naturales (FARN), souligne que le boom minier « pose d'énormes problèmes d'un point de vue institutionnel et juridique, d'une part parce qu'il n'existe pas de cadre juridique adéquat pour le mener à bien, et d'autre part parce qu'il n'y a pas de système institutionnel permettant de contrôler les activités qui sont menées ».

« En termes d'environnement, il y a de grands défis à relever », explique M. Salvarezza, « comme celui de pouvoir réduire la quantité d'eau utilisée dans les processus de production. La méthode d'évaporation consomme beaucoup d'eau ; il y a des propositions d'extraction directe ; c'est à l'échelle pilote. Nous devons mettre l'accent sur l'étude de la meilleure technologie. C'est également sur ce point que travaille Y-TEC. En août, YPF commencera à exploiter le Salar de Fiambalá  : 20 000 hectares à Catamarca. « Comme ce fut le cas pour le pétrole, YPF n'entrera dans aucun territoire sans licence sociale. Elle est toujours avec les communautés ».

Ignacio Sabbatella est chercheur associé au Conicet, dans le domaine des relations internationales de Flacso, et se spécialise dans les ressources stratégiques et la transition énergétique. Selon lui, l'Argentine dispose d'un énorme potentiel dans ce domaine : « La manière dont le pays en tire parti pour générer des chaînes de valeur, de sorte qu'il ne s'agisse pas d'une simple exportation de ressources primaires, sera liée à la participation publique des entreprises et au développement scientifique et technologique en collaboration avec le secteur privé ».

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Pourquoi le pétrole ne fait-il pas l'objet d'un va-et-vient entre les Provinces et la Nation, comme c'est le cas pour le lithium ?

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Sabbatella répond : « En raison de l'existence d'YPF. Lors de la reprise du contrôle de l'Etat en 2012, la nation a impliqué les provinces productrices d'hydrocarbures, qui détiennent 51 % des actions. YPF n'est pas un monopole mais le leader d'un marché avec des acteurs privés internationaux. Mais il n'y a pas d'exploitation minière d'YPF. Aujourd'hui, YPF Lithium a été créé, bien qu'il soit arrivé tardivement sur un marché équitablement réparti ».

L'exploitation minière a connu un essor au cours de la dernière décennie, avec une face B. À San Juan, les tribunaux enquêtent toujours sur la société canadienne Barrick Gold pour le déversement de cyanure dans la  rivière Potrerillos à partir de la mine Veladero, il y a plus de six ans.

Le cuivre est à la base de l'économie chilienne. L'Argentine a commencé à le produire à grande échelle en 1997 avec la mine  Bajo la Alumbrera à Catamarca. Cette mine a cessé ses activités en 2018 et aucun cuivre n'a été extrait en Argentine depuis lors. Jusqu'à cette année,où huit projets ont progressé à San Juan, Salta, Mendoza et Catamarca.

Sur le plateau central du Chubut, ils affirment détenir le deuxième plus grand gisement au monde. Pan American Silver cherche déjà à l'exploiter. Mais ce n'est pas facile pour eux. En 2020, une forte pression sociale a permis d'annuler le projet de re-zonage. Le Chubut est la province la plus fortement opposée à l'exploitation minière dans le pays : en 2003, elle a organisé un référendum historique qui a abouti à l'interdiction de l'exploitation minière.

PÉTROLE ET GAZ

Vaca Muerta est le deuxième plus grand champ de gaz non conventionnel au monde et le quatrième plus grand champ de pétrole non conventionnel. En juin, il a enregistré une production record de gaz de schiste : 11 % de plus que le mois précédent. Il y a dix ans, ce gisement était presque inconnu. La porte d'entrée a été la nationalisation d'YPF (contre laquelle a voté le bloc qui forme aujourd'hui Juntos por el Cambio) et la signature ultérieure de l'accord avec Chevron.

En 1994, la société nationale disposait de 101 puits d'exploration. En 1999, sous le nom de Repsol, elle n'en avait plus que dix. Il en a été ainsi jusqu'en 2011, lorsque le gouvernement de Cristina Fernández de Kirchner, confronté à un bilan négatif après des décennies, a décidé de nationaliser l'entreprise. Et a jeté son dévolu sur le champ situé au pied de la cordillière. Sous l'administration Macri, YPF est passée de 168 puits à Vaca Muerta à seulement 34. 31 entreprises sont actuellement présentes dans la région, dont l'épicentre se trouve à Neuquén, qui dispose de réserves pour plus de 120 ans, d'une valeur estimée à un milliard de dollars.

Le paradoxe est qu'à Añelo, la ville principale de la zone, la plupart des habitants n'ont pas le gaz de ville. Il y a une pénurie d'eau et l'enregistrement sismique dans toute la région a augmenté en raison de la fracturation  : « De 2015 à aujourd'hui, nous avons déjà compté 418 tremblements de terre induits », explique Javier Grosso, géographe à l'université de Comahue.

Sur les 503 000 barils de pétrole par jour produits par YPF, 50 % proviennent de Vaca Muerta. Les estimations officielles prévoient qu'en moins de dix ans, le gisement doublera les devises aujourd'hui générées par l'agribusiness. En mai, 58% des exportations étaient constituées de produits agricoles manufacturés et de produits primaires.

Le secteur pétrolier offshore s'est développé ces dernières années. Il existe un projet gazier de Total au large de la Terre de Feu, mais le principal gisement se situe à 300 kilomètres de Mar del Plata, où le consortium d'entreprises formé par la société norvégienne Equinor, YPF et Shell forera à une profondeur d'au moins 1 700 mètres à la recherche de pétrole. Au cours des auditions publiques, Andrea Michelson, coordinatrice du Forum pour la conservation de la mer et des zones d'influence de Patagonie, a averti que le monde traverse une « crise profonde de perte de biodiversité ; les conséquences du changement climatique mondial sont alarmantes, mais malgré la gravité de ce contexte, le projet d'acquisition sismique offshore dans le bassin du nord de l'Argentine ne respecte pas le principe de précaution et n'évalue pas les impacts synergiques et cumulatifs ».

Mais il n'y a pas que la production. Il s'agit aussi du transport. C'est là que le gazoduc Néstor Kirchner s'impose comme l'un des principaux travaux publiques de la démocratie. Construit en dix mois, il couvre plus de 500 kilomètres dans sa première étape, de Tratayén (Neuquén) à Salliqueló (Buenos Aires). Il permettra d'économiser un milliard de dollars au second semestre 2023, et avec le second tronçon jusqu'à San Jerónimo, plus de 4 milliards de dollars par an seront économisés, soit 9 % du prêt du FMI.

Julia Strada, directrice du Centro de Economía Política Argentina (CEPA) et de Banco Nación, souligne que le gazoduc (qui sera suivi par le gazoduc du Nord-Est, également interrompu pendant l'administration de Macri) « peut changer la matrice d'exportation de l'Argentine et apporter du gaz à la Bolivie et au Brésil ».

« Nous sommes un pays qui produit ce dont le monde a besoin », ajoute-t-elle. Du gaz, du lithium, de la nourriture. Mais nous avons besoin que les groupes économiques locaux deviennent des acteurs du développement ; souvent, ce sont les étrangers qui le fournissent, à un prix beaucoup plus élevé. Ils demandent des transferts de bénéfices, l'accès au marché unique et libre des devises... Cela implique de céder de la souveraineté.

Le gouvernement souligne que le gaz est un élément clé de la transition énergétique dans le monde. L'Allemagne, par exemple, dont la matrice énergétique repose encore à 20 % sur le charbon, a besoin d'une énergie accessible pour éviter la désindustrialisation après la guerre en Ukraine. L'augmentation de la production de gaz peut remplacer les combustibles fossiles, réduire les émissions de gaz à effet de serre et remplacer les importations. « La sécurité et la souveraineté énergétiques s'en trouvent renforcées », explique M. Salvarezza. « Il nous fournit également des ressources pour l'industrialisation, comme le pôle pétrochimique de Bahía Blanca, qui utilise de nombreux composants du gaz, par exemple pour les engrais ».

Aujourd'hui, dans notre matrice énergétique, 48 % de l'énergie provient du gaz et 36 % du pétrole. Près de 14 % proviennent des énergies renouvelables, de l'hydroélectricité et du nucléaire. Selon le plan national de transition énergétique 2030, le nombre d'énergies renouvelables devrait atteindre 20 % en 2025 et 30 % en 2030, auxquels s'ajouteraient 50 % d'hydroélectricité et la quasi-totalité du gaz, moins polluant que le pétrole.

Actuellement, l'énergie nucléaire occupe entre 5 et 7 %. S'y ajoute le projet Carem, un petit réacteur modulaire, conçu et fabriqué exclusivement dans le pays. « Si l'Argentine parvient à le développer à temps, elle serait à la tête du marché des petits réacteurs, qui promet d'être très stratégique au niveau mondial, en concurrence avec des acteurs majeurs tels que les États-Unis, la Chine et la Russie », affirme M. Sabbatella.

Un autre potentiel est celui de l'hydrogène vert, qui devrait être exploité d'ici la fin de la décennie. Agro de Souza, par exemple, est une entreprise circulaire qui produit du biogaz à partir des déchets des  parcs d'engraissement. Elle produit de l'électricité pour trois villages de la région de Coronel Suárez.

L'EAU ET LA TERRE

Les trois quarts de la planète sont recouverts d'eau, mais seulement 2,5 % d'eau douce. Sa présence est stratégique. Dans le nord-est de l'Argentine, il existe des propriétaires privés de terres rurales stratégiquement situées sur des réserves d'eau douce, comme la Fondation Tompkins à Corrientes, où elle a enregistré sa première entreprise (The Conservation Land Trust SA) peu avant les élections présidentielles de 1983.

Pour ce qui est du Littoral, les symboles de la lutte pour la souveraineté productive se distinguent. L'un d'entre eux est la Hidrovía. Comme l'affirme le journaliste et écrivain Mempo Giardinelli, « le fleuve Paraná est, avec le Canal de Magdalena [1] (une enclave fondamentale pour relier le fleuve et le littoral maritime), la meilleure ressource de l'Argentine pour se libérer la dette, malheureusement bloquée - en référence aux possibilités économiques qui permettraient la gestion par l'État de sa navigation et de son exploitation. Aujourd'hui, c'est un fleuve international qui n'est plus géré par l'Argentine ».

L'eau ne s'arrête pas là. Bien que l'Argentine consomme peu de poisson (en moyenne, chaque Argentin mange 7,2 kilos de poisson par an, contre 22,7 kilos pour un Espagnol), cela ne signifie pas qu'il n'y a pas d'extraction halieutique. Des organisations environnementales et sociales affirment qu'en face du Golfe de San Jorge, des navires de pêche - principalement de Chine, de Corée du Sud et d'Espagne - forment une grande ligne de 600 bateaux qui parviennent à éviter les contrôles maritimes. Une nuée de lumières dans l'obscurité de la haute mer la nuit. L'éclairage des ponts incite les calmars à se déplacer sous les navires, ce qui facilite leur capture. Le sous-secrétariat national à la pêche répond que les navires sont situés au delà du mille 201 : « Ils se trouvent donc dans les eaux libres et internationales ».

Notre histoire en tant qu'État-nation s'est écrite dans le sang et le feu à travers la terre. Un rapport préparé en 2021 par l'Institut d'études et de formation (CTA), basé sur le Registre national des terres rurales, révèle que 40 % du territoire argentin est entre les mains de 1 200 propriétaires terriens. Cela représente 65 millions d'hectares. Parmi ceux-ci, près de 12 millions sont détenus par des étrangers et 1 877 885 appartiennent à des entreprises basées dans des paradis fiscaux. Selon la loi, la propriété étrangère des terres ne peut dépasser 15 % au niveau national, provincial et départemental. Les ressortissants d'un même pays ne doivent pas posséder plus de 4,5 % des terres dans chaque juridiction. « Aujourd'hui, il existe cinquante districts hors-jeu, qui dépassent les limites imposées par la loi », indique le rapport.

Entre-temps, la frontière agricole s'étend. Les affaires ne se font plus seulement dans la Pampa Humide. En 15 ans, le Gran Chaco a perdu un quart de sa forêt à cause de la déforestation. Acte suivant : les étés les plus chauds de l'histoire.

Dans les années 1990, les Benetton, le financier américain d'origine hongroise George Soros et la compagnie pétrolière anglo-néerlandaise Shell se sont lancés dans l'agriculture et la sylviculture. Joe Lewis a lui aussi grandi en Patagonie, s'emparant des lacs publics. Dans le sud, le groupe Heilongjiang Beidahuang (Chine), Somuncurá Patagonia SA (France), le rabbin Elimeir Libersohn (États-Unis) et Ted Turner (États-Unis), entre autres, se sont joints à eux.

Salta (11,5 %), Misiones (11 %), San Juan (10,4 %), Corrientes (9,2 %) et Mendoza (8,7 %) sont les provinces où le taux de propriété étrangère est le plus élevé. Nous sommes désormais à l'ère des émirs et des magnats arabes et qataris.

Il existe d'autres alternatives à la base. L'Unión de Trabajadores y Trabajadoras de la Tierra (UTT) regroupe plus de 22 000 familles productrices d'aliments dans vingt provinces du pays. Agustín San Vicente, de l'UTT, explique que l'organisation promeut un projet de loi sur l'accès à la terre : « Une sorte de  Procrear mais rural, conçu pour qu'une famille qui loue deux ou trois hectares puisse les acheter et les payer sur vingt ans. C'est une proposition réalisable, mais bon... Elle ne s'est jamais concrétisée ».

Gustavo Sarmiento* pour  Caras&Caretas

 Caras&Caretas. Buenos Aires, le 1er août 2023.

*Gustavo Sarmiento est argentin et rédacteur en chef du journal Tiempo Argentino. Il a obtenu un diplôme de technicien en communication sociale, orientation médias, à la faculté des sciences sociales de l'Universidad Nacional del Centro (UNICEN). Ces dernières années, il a participé à des panels tels que « L'éducation dans les médias » lors de la troisième conférence sur la communication et l'émancipation au Centro Cultural de la Cooperación, et a couvert toutes sortes de sujets : de l'accompagnement des médecins de l'UNICEF dans les soins et la vaccination de la population indigène dans le nord de Salta, aux débats législatifs et aux élections présidentielles dans les zones rurales.

Traduit de l'espagnol pour  El Correo de la Diáspora par : Estelle et Carlos Debiasi

 El Correo de la Diaspora Paris, le 13 août 2023

Notes

[1] Le canal de la Magdalena ou canal de la Magdalena (anciennement également connu sous le nom de canal du Sud ou canal del Sur) est un canal naturel dans le lit du Rio de la Plata dans sa partie moyenne sud, qui se termine au début de son secteur estuarien. Il a une profondeur inhérente de 4,50 mètres (15 pieds). Sur une partie de ce chenal, le gouvernement argentin a prévu la construction d'une voie de navigation d'environ 53 kilomètres de long et 200 mètres de large, construite par dragage pour porter sa profondeur à 12 mètres (40 pieds).

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