Marie-France Deprez
Marie-France Deprez, membre du Comité Julian Assange, a assisté au premier discours de Julian Assange hier matin à Strasbourg. C'est avec émotion qu'elle a pu écouter celui qui a été persécuté pour avoir informé sur des crimes de guerres, pour avoir fait un travail de journaliste! Il a tenu à montrer qu'il est loin d'être le seul et a montré sa solidarité envers Chelsea Manning et Joshua Shulte mais aussi rappelant les trop nombreux journalistes tués en Palestine.(I'A)
Premier octobre 2024, première prise de parole publique de Julian Assange depuis...depuis 2018. Année pendant laquelle l'ambassade d'Équateur où il résidait encore avait coupé sa connexion internet, le privant de toute communication.
Première prise de parole devant un public, depuis plus longtemps encore. On se souvient de ses quelques discours depuis le balcon de l'ambassade, exhortation à résister et surtout du discours de 2010, à Trafalgar square et de cette phrase : "Si les guerres doivent être initiées par des mensonges, la paix pourrait découler de la vérité".
Une première prise de parole en public, depuis sa libération, qu'il a choisi de faire devant la commission des questions juridiques et des droits humains du Conseil de l'Europe à Strasbourg, une institution qui avait déjà en 2020 et 2022 marqué son inquiétude, lorsque la Commissaire Dunja Mijolavic avait appelé le Royaume-Uni à refuser son extradition et avait souligné l'effet dissuasif que celle-ci pourrait avoir sur l'ensemble des journalistes.
Le 2 octobre, le rapport de la députée islandaise Thorhildur Sunna Aevarsdottir : "La détention et la condamnation de Julian Assange et leurs effets dissuasifs sur les droits humains" sera soumis au vote en plénière.
La présence de Julian Assange charge l'atmosphère d'émotion, ils sont nombreux dans la salle à se réjouir de sa libération (des militants et des journalistes sont aussi à l'extérieur, n'ayant pas reçu les accréditations promises...).
Assange commence par exprimer son ressenti, cette intervention devant une assemblée représentant 46 pays, 700 millions de personnes, à quelques mois seulement de sa libération d'une minuscule cellule à Belmarsh, a quelque chose de surréel.
Il va droit au but. Cette mobilisation de politiques, d'académiques, d'artistes, de militants, de citoyens n'aurait jamais dû être nécessaire pour protéger le travail d'un journaliste. Mais désigné coupable de journalisme par le système, ces actions, manifestations, films, déclarations, appels auront été nécessaires pour qu'il revoie la lumière du jour.
Et malgré tout cela, il est là aujourd'hui non parce que le système a fonctionné mais parce qu'il a "plaidé coupable de journalisme", coupable avec WikiLeaks d'avoir non seulement révélé des crimes de guerre mais aussi leurs "raisons", leurs "buts" et leur classification pour que le public ne puisse pas savoir.
Des crimes toujours impunis.
WikiLeaks est là justement pour révéler aux populations ce qu'elles sont en droit de savoir.
Clairement, dans ce témoignage, Assange a voulu insister sur le rôle des journalistes et aussi des lanceurs d'alerte. Il a rappelé le sort subi par Chelsea Manning. Condamnée à 35 ans de prison, la lanceuse d'alerte avait vu sa peine ramenée à 7 ans par Obama lors de son départ du pouvoir avant de se voir à nouveau incarcérée par l'administration Trump pour avoir refusé de témoigner contre le fondateur de Wikileaks et n'obtenant sa libération qu'après une tentative de suicide.
Assange cite aussi le cas de Joshua Shulte, ancien employé de la CIA, à l'origine des révélations connues sous le nom de Vault 7, à propos de la surveillance de masse des citoyens par la CIA et récemment condamné à 40 ans d'incarcération dans des conditions rappelant Guantánamo.
Il a également parlé, puisque c'est une des caractéristiques les plus choquantes de son cas, de l'extraterritorialité. Donnant comme exemple cette étrange mais possible situation où un citoyen des États-Unis qui attaquerait son gouvernement à Paris bénéficierait de la protection du premier amendement alors qu'un Français qui ferait de même pourrait être poursuivi en vertu de l'Espionage act sans égard pour la Constitution américaine.
Ces observations nous indiquent des pistes pour continuer notre travail en vue d'assurer la protection des journalistes et des lanceurs d'alerte et d'obtenir la réforme de l'Espionage Act et la poursuite des criminels impunis.
Certaines de ces tâches incombent à une institution comme le Conseil de l'Europe (et sont bien détaillées dans le rapport de la députée islandaise.
Lors de la séance de questions, le journaliste a été amené à parler de ses collègues tués en Ukraine et en Palestine (plus de cent l'ont été à Gaza et en Cisjordanie depuis bientôt un an). Il a également mis l'accent sur le fait que la situation est de plus en plus grave et que les citoyens doivent en permanence rester vigilants car même de bonnes lois peuvent être mal utilisées.
C'est bien pour cela, a-t-il conclu, que le journalisme n'est pas un crime mais au contraire un des piliers de nos sociétés.
Source : investig'Action