Par Craig Murray
Seul Israël a engagé les hostilités depuis le début du "cessez-le-feu", et ce, à plusieurs reprises. Personne n'a riposté.
Israël a attaqué trois jours de suite des sites abritant prétendument des roquettes du Hezbollah à l'aide de bombes ou de missiles, tuant au moins quatre personnes et probablement plus. Israël a ouvert le feu sur des journalistes. Il a grièvement blessé deux personnes en deuil en tirant sur un enterrement. De nombreux rapports font état de civils libanais rentrant chez eux dans le sud du pays et soumis aux tirs des troupes israéliennes.
The Israeli occupation open fired on Lebanese civilians in the town of Bint Jbeil, southern Lebanon in another act of aggression, this morning. pic.twitter.com/hGbXX9cmLp— Eye on Palestine (@EyeonPalestine) 𝕏 November 29, 2024
Cette vidéo montre les deux personnes touchées par un sniper au cours d'un enterrement. Selon un homme, les funérailles avaient été autorisées par la FINUL et l'armée libanaise.
Israël a également profité du "cessez-le-feu" pour faire progresser ses effectifs, y compris des chars, dans des villes et des villages d'où ils avaient été repoussés et qu'Israël était incapable de prendre par la force. Il a renforcé ses positions au Sud-Liban, a ordonné aux civils libanais de ne pas rentrer dans plus de soixante villages du Sud-Liban – dont aucun n'a pu être occupé de façon permanente au cours des combats – et se renforce, se réarme et se réinvestit.
Israël considère en fait le "cessez-le-feu" comme une reddition inconditionnelle. Tout cela était parfaitement prévisible, non seulement en raison du passé et du comportement habituel d'Israël, mais aussi au vu du document de "cessez-le-feu" lui-même, document extrêmement peu équitable.
Que le ministère des Affaires étrangères libanais ait signé un document de soumission aussi abject et non déguisé heurte ma sensibilité d'ancien diplomate.
Commençons par analyser le paragraphe 2 de ce document :
"2. À partir de 4 heures du matin, le 27 novembre 2024, le gouvernement du Liban empêchera le Hezbollah et tout autre groupe armé sur le territoire du Liban de mener des opérations contre Israël, et Israël ne mènera aucune opération militaire offensive contre des cibles libanaises, y compris des cibles civiles, militaires ou d'autres cibles d'État, sur le territoire du Liban, par voie terrestre, aérienne ou maritime".
Le déséquilibre est immédiatement perceptible.
Les groupes armés libanais seront empêchés de mener "toute opération contre Israël" alors qu'Israël ne mènera "aucune opération militaire offensive".
Le Liban n'aurait jamais dû accepter que le terme "offensif" soit inséré pour une seule des deux parties. Il est impossible d'interpréter cela autrement que par une autorisation qu'Israël est autorisé à tirer, mais que personne d'autre ne peut le faire. Israël a en effet tiré, tué et blessé sans relâche depuis l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, et qualifie bien entendu cette action de "défensive".
Le gouvernement libanais a enregistré 51 violations du cessez-le-feu par Israël en trois jours.
Les États-Unis et leurs alliés ont désigné le Hezbollah comme une organisation terroriste – un FTO [Organisations terroristes étrangères] dans le jargon juridique américain. Les États-Unis, qui sont chargés d'arbitrer le cessez-le-feu, considèrent donc que toute action militaire menée par Israël contre toute personne ou tout élément considéré comme appartenant au Hezbollah, en tout lieu et à tout moment, est une opération légitime de lutte contre le terrorisme.
Les États-Unis considèrent donc simplement – et le Royaume-Uni fera de même – que les attaques d'Israël ne constituent pas une violation du cessez-le-feu, mais une opération légitime de lutte contre le terrorisme.
Il n'y a aucun doute à ce sujet.
Le Liban ne peut rien faire pour surveiller ou empêcher le renforcement des positions israéliennes au Sud-Liban (car Israël n'a aucune intention de se retirer) parce que le cessez-le-feu stipule non seulement que l'armée israélienne a soixante jours pour quitter le Sud-Liban, mais aussi que, pendant ces soixante jours, les forces armées libanaises ne peuvent accéder aux zones occupées par Israël : elles ne peuvent notamment pas prendre le contrôle de leur propre frontière méridionale et par conséquent ne peuvent pas vérifier les troupes et les armes qu'Israël fait passer sans rencontrer d'opposition.
"12. Dès le début de la cessation des hostilités conformément au paragraphe 1, Israël procédera à un retrait progressif de ses effectifs au sud de la Ligne bleue et, parallèlement, les Forces armées libanaises se déploieront sur les positions de la zone sud du Litani indiquées dans le plan de déploiement des Forces armées libanaises ci-joint et commenceront à s'acquitter des obligations qui leur incombent en vertu de leurs engagements, notamment le démantèlement des sites et infrastructures non autorisés et la confiscation des armes et du matériel connexe non autorisés. Le processus coordonnera l'exécution par les autorités de la Défense d'Israël et des FAL du plan spécifique et détaillé de retrait et de déploiement progressif dans ces zones, qui ne devrait pas excéder 60 jours".
Le "processus" comprend les États-Unis, la France et les Nations unies par l'intermédiaire de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL). Mais ce sont clairement les Etats-Unis qui mènent la danse. Les Nations Unies "organisent" le processus, tandis que les Etats-Unis en assurent la "coordination".
Cette distinction entre "organisation" et "coordination" me paraît nouvelle. Elle semble signifier que les Nations Unies seront autorisées à servir le thé.
Au paragraphe 11, l'accord stipule que les forces armées libanaises "dès le début de la cessation des hostilités" déploieront des troupes pour contrôler tous les points de passage de la frontière, mais cette disposition est immédiatement annulée par le paragraphe 12, qui stipule que les forces armées libanaises ne pourront pénétrer dans la zone contrôlée par Israël – y compris à la frontière – que de manière progressive, sur une période de soixante jours.
Au lieu de cela, les Forces armées libanaises établiront une nouvelle frontière au sud du Liban, le long du fleuve Litani. Telle est la signification pratique du paragraphe 11. Il s'agit en effet d'une nouvelle frontière, dont les Israéliens contrôlent la partie méridionale
"En outre, les FAL déploieront des effectifs, mettront en place des barrages routiers et des checkpoints sur toutes les routes et tous les ponts situés le long de la ligne délimitant la zone du Litani méridional".
Voilà pourquoi, la veille du cessez-le-feu, les Israéliens ont fait venir un peloton de forces spéciales pour une séance photo de quelques secondes sur le Litani, afin de pouvoir prétendre que leurs forces armées étaient arrivées jusque-là.
Les États-Unis ont toutes les cartes en main. Les forces armées libanaises sont la seule armée de l'histoire moderne qui soit "restée neutre" lorsque son pays a été envahi. Les forces armées libanaises sont littéralement à la solde des États-Unis.
Il s'agit d'un pays complexe. La vérité est que la majorité des soldats de l'armée libanaise défendraient bien leur pays contre Israël s'ils le pouvaient, alors que leurs dirigeants partagent une toute autre opinion et nourrissent des ambitions politiques soutenues par les États-Unis.
Les États-Unis sont partie prenante au conflit. Les bombes qui sont tombées sur la tête des Libanais sont des bombes américaines, larguées par des avions américains. Les États-Unis sont responsables de la "paix" en vertu de cet accord. L'hégémon impérial américain actuel a fait porter ses couleurs par l'ancienne puissance coloniale qu'est la France, en échange de quoi la France a garanti l'immunité à Netanyahu pour ses crimes de guerre.
Le peuple libanais aspire désespérément à la paix. C'est sur l'insistance des États-Unis que le Liban n'a pas de défense aérienne – historiquement, les États-Unis ont tout fait pour supprimer les défenses aériennes fournies par la Syrie, et ont veillé à ce qu'elles ne soient jamais remplacées. Les États-Unis maintiennent le Liban au sol pour qu'Israël puisse commettre ses violations.
Les États-Unis souhaitent voir le Liban divisé, affaibli et à la merci d'Israël, et une réduction de la population chiite. La deuxième plus grande ambassade américaine au monde est en train d'être construite ici en tant que plaque tournante de l'influence régionale, et le jour où le cessez-le-feu est entré en vigueur, les États-Unis et Israël ont activé l'attaque d'Alep par leur armée milicienne mandataire en Syrie [soit Hayat Tahrir al-Sham, branche d'Al Qaïda].
Le Hezbollah n'est pas officiellement signataire de l'accord de cessez-le-feu, qui est conclu entre États, mais il est le plus grand parti politique au parlement libanais et membre du gouvernement de coalition du Liban. Par conséquent, le Hezbollah a forcément accepté l'accord de cessez-le-feu. Il a désespérément voulu présenter cet accord comme une victoire et confirmer qu'il a repoussé l'invasion israélienne du Sud-Liban.
N'oublions pas que, de mémoire d'homme, Israël a occupé et contrôlé Beyrouth, avec le soutien des États-Unis et de la France. Je comprends donc très bien que prévenir une telle situation soit une réussite. C'est encore plus vrai si l'on considère les pertes majeures subies par le Hezbollah avec l'assassinat de ses dirigeants et les pertes de ressources humaines dues aux attaques terroristes par beeper.
Mais cet accord de cessez-le-feu ne tient pas compte des conséquences positives des combats.
Israël a montré sa capacité et sa volonté de dévaster le Liban depuis les airs, tout comme il a dévasté Gaza. Il a montré qu'il s'attaque aux mêmes infrastructures vitales, et qu'il commet des actes barbares à grande échelle sans le moindre scrupule. Le Liban a vu que, tout comme Gaza, il ne dispose d'aucune capacité de défense, et que la communauté internationale ne fera rien pour arrêter le massacre à court terme.
Israël a passé 72 heures en violations flagrantes du cessez-le-feu sans que les puissances occidentales n'émettent la moindre protestation. Dès que quiconque ripostera à un seul tir, les États-Unis et leurs satellites crieront au scandale, les bombardements intensifs sur Beyrouth reprendront, et Israël tentera à nouveau d'avancer à partir de ses nouvelles positions renforcées au Sud du Liban.
Je pense que cela se produira plus tôt que tard. Les accords de paix qui favorisent entièrement l'une des parties ne durent jamais, à moins d'une extermination effective de la partie lésée, ce qui n'est pas le cas.
Du moins pas encore. Voilà un rappel sur le sens des valeurs morales d'Israël.
Craig Murray
Article original en anglais : Lebanon's Unbalanced Ceasefire Teeters on the Brink 10, Craig Murray, le 30 novembre 2024.
Traduction : Spirit of Free Speech
Image en vedette : Le complexe de l'ambassade des États-Unis au Liban, la 2è plus grande ambassade américaine au monde après celle de Bagdad en Irak.
La source originale de cet article est craigmurray.org
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Par Craig Murray