16/04/2024 investigaction.net  7min #246899

 L'Allemagne annule brutalement une conférence sur la Palestine et réprime les manifestants

Berlin: la police lance une razzia contre une conférence s'opposant au génocide à Gaza et la disperse

Peter Schwarz


(AFP)

Vendredi après-midi, la capitale allemande Berlin a été témoin de scènes rappelant l'époque du régime nazi.

Des centaines de policiers ont terrorisé une conférence anti-guerre qui s'opposait au génocide israélien à Gaza, pour la disperser et l'interdire au bout de deux heures.

Des orateurs éminents étaient attendus à la conférence, organisée par Voix juive pour une paix juste au Moyen-Orient et à laquelle participaient plusieurs organisations pro-palestiniennes. Parmi eux figuraient l'ancien ministre grec des Finances Yanis Varoufakis, le député irlandais Richard Boyd Barrett, le médecin anglo-palestinien et recteur de l'université de Glasgow Ghassan Abu-Sitteh, l'expert de la Palestine Salman Abu Sitta, 86 ans, ancien membre du Conseil national palestinien, le cinéaste juif Dror Dayan et le journaliste palestinien Hebh Jamal.

Les médias et l'establishment politique avaient lancé au préalable contre la conférence une violente campagne de diffamation. Du tabloïd Bild au «respectable» Tagesspiegel, ils ont dénoncé ses participants comme «ceux qui ont la haine d'Israël». Bild titrait vendredi matin: «La conférence de ceux qui haïssent Israël. Ces supporters du terrorisme se rassemblent aujourd'hui à Berlin.»

Une «Alliance contre le terrorisme antisémite» multipartite allant de politiciens chrétiens-démocrates de la CDU/CSU jusqu'au Parti de gauche, a déclaré qu'il fallait s'attendre à ce que la conférence «répande la haine antisémite» et que Berlin ne devait pas devenir «le centre de la glorification du terrorisme». Pour le Parti de gauche, ont signé l'appel l'ex-sénateur [ministre du Land] berlinois pour la Culture Klaus Lederer et l'ex-sénatrice berlinoise pour le Travail Elke Breitenbach.

La police a agi en conséquence. Ghassan Abu-Sitteh s'est vu refuser l'entrée dans le pays à l'aéroport de Berlin. Le médecin, qui a travaillé à l'hôpital Al-Shifa de Gaza après le commencement de la guerre et qui a donné le 6 décembre au Spiegel une interview poignante sur ses terribles expériences là-bas, devait faire un discours à la conférence dans la soirée. Au lieu de quoi on lui a dit qu'il n'était pas autorisé à entrer en Allemagne avant le 14 avril.

Lorsque le lieu de la conférence a été annoncé vendredi matin (les organisateurs l'avaient gardé secret pour des raisons de sécurité), un important contingent de policiers a été mobilisé. Sur les 2 500 policiers prévus pendant tout le week-end de la conférence, près de 900 ont encerclé le palais des congrès de Tempelhof et érigé des barrières. Environ 25 personnes ont assisté à une manifestation dirigée contre la conférence, organisée par la CDU et des groupes sionistes.

Sous prétexte de «règles de sécurité incendie», la police a restreint l'accès à la salle des congrès. Bien que celle-ci soit conçue pour 1000 personnes, elle n'a autorisé l'entrée que de 250 personnes. Une file d'attente de 250 autres personnes, à qui on a interdit l'entrée, a été sommairement prononcée rassemblement par la police, devant être dissous avant 15 heures. En même temps, elle a arrêté des personnes qui attendaient dans la file, dont un membre de Voix juive qui brandissait une banderole disant: «Juifs contre le génocide».

Tout en refusant l'accès à la réunion aux participants inscrits, la police a fait entrer clandestinement dans le bâtiment plusieurs dizaines de journalistes non accrédités par une entrée arrière, dont la plupart venaient de la presse Springer, le pire agitateur contre la conférence.

Des policiers en uniforme et armés étaient également présents dans la salle de la conférence pour intimider les participants. En raison des obstructions de la police, la conférence n'a pu démarrer qu'après un long retard. Le prétexte de sa dissolution fut alors un discours sur vidéo de Salman Abu Sitta, qui s'était également vu refuser l'entrée.

Abu Sitta, qui fut expulsé de Palestine alors qu'il était enfant en 1948, a consacré sa vie à la cause des Palestiniens, participant à des débats publics avec des militants pacifistes israéliens, tels qu'Uri Avnery et le rabbin Michael Lerner.

Deux minutes après que le discours retransmis sur vidéo eut commencé, vers 16h30, de 30 à 40 policiers ont pris d'assaut la tribune pour bloquer sa transmission. Ils auraient invoqué des contenus illégaux comme justification. Par la suite, la police est entrée violemment dans la salle de contrôle et a coupé l'électricité et les lumières dans la salle du congrès afin d'interrompre la retransmission en direct de la conférence.

Moins d'une heure plus tard, à 17h24, la police a dispersé la conférence et ordonné aux participants de quitter la salle. La police sur place n'a donné à cela aucune raison. Plus tard, elle a justifié son arbitraire par le supposé danger que les orateurs puissent nier l'Holocauste ou glorifier la violence.

Peu de temps après, Udi Raz, membre du conseil d'administration de Voix juive pour la paix et coorganisatrice du Congrès palestinien, a été arrêtée. Dans une interview accordée au Junge Welt, elle a rapporté que son arrestation avait été justifiée par le fait qu'elle avait traité un policier d'antisémite et que cela avait été perçu comme une insulte.

Les opérations policières style dictature étaient étroitement coordonnées avec le gouvernement du Land de Berlin et avec le gouvernement allemand. Concernant le Congrès palestinien, le secrétaire d'État à l'Intérieur Christian Hochgrebe (social-démocrate, SPD) a annoncé à l'avance à la Commission parlementaire de l'Intérieur qu'il «ferait tout ce qui est en [son] pouvoir pour empêcher des crimes tels que l'incitation à la haine et l'utilisation de symboles interdits».

Le maire de Berlin, Kai Wegner (CDU), a remercié vendredi après-midi la police «pour son intervention résolue dans cet événement de la haine». On avait clairement montré « quelles sont les règles qui ont cours à Berlin. Nous avons clairement montré que la haine d'Israël n'a pas sa place à Berlin. Quiconque ne respecte pas cette règle en subira les conséquences.»

La sénatrice de l'Intérieur de Berlin, Iris Spranger (SPD), a déclaré: «Je soutiens pleinement la décision de la police.» Et le ministère allemand de l'Intérieur, dirigé par Nancy Faeser (SPD), a écrit sur Twitter à l'approche de la conférence: «Il est bien que la police berlinoise ait annoncé une répression sévère contre le soi-disant Congrès palestinien à Berlin. Nous surveillons de très près le milieu islamiste.»

Les organisations de jeunesse du SPD, de la CDU/CSU, des libéraux (FDP) et des Verts ont également soutenu l'opération de police. Avant la conférence, ils ont publié une déclaration commune «contre l'antisémitisme et la glorification du terrorisme» qui devait supposément émaner de la conférence.

Les méthodes autoritaires utilisées par la classe dirigeante allemande contre le Congrès palestinien sont indissolublement liées à son retour au militarisme. Il est impossible de rendre l'Allemagne «prête à la guerre», selon les mots du ministre de la Défense Pistorius, sans abolir la liberté d'expression et la démocratie.

Derrière les États-Unis, l'Allemagne est le plus grand fournisseur d'armes à Israël et le plus grand donateur de l'Ukraine. Le gouvernement allemand est en train de transférer des milliards du budget social vers le budget militaire et de réintroduire la conscription afin d'avoir de la chair à canon pour de nouvelles guerres. Même si l'on ne peut plus nier qu'Israël commet un génocide contre les Palestiniens, le gouvernement soutient inconditionnellement le régime de Netanyahou et criminalise toute opposition à celui-ci.

L'attaque lancée contre cette conférence est dirigée contre l'opposition grandissante à cette politique de guerre. Selon un récent sondage, 69 pour cent de la population allemande s'oppose aux actions militaires israéliennes dans la bande de Gaza. Mais plus l'opposition de la population est forte, plus la classe dirigeante se déchaîne à son encontre. Les mesures dictatoriales d'État policier visent à intimider quiconque rejette cette politique militariste.

Source :  World Socialist Web Site

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