par Maryse Laurence Lewis.
En 1983, alors que le pays se nommait encore Haute-Volta, Thomas Sankara et ses alliés transformèrent la vie de la population devenue, après la prise du pouvoir, burkinabée. Malheureusement, comme c'est le cas des pays longtemps soumis à la colonisation, les présidents favorisant leur peuple sont rapidement victimes d'un assassinat ou éradiqués par un Coup d'État. La France n'est pas innocente de ces faits, malgré sa prétention à défendre la démocratie. Déjà, la volonté de Sankara de rendre son pays le plus autonome possible, en encourageant la production locale, ne pouvait plaire aux entreprises étrangères. Jusque-là, tout leur était opportun : une population pauvre, sur une terre sillonnée d'or...
Au cours d'une visite officielle, on perçoit la rancœur du président Mitterrand, lorsque Sankara lui dit que le sol de la France a été souillée par Pieter Botha, dont le régime perpétuait l'Apartheid en Afrique du Sud. Lors de son discours à Addis Abeba, devant les membres de l'Organisation de l'Unité africaine, Sankara se compromet, encore une fois, pour l'avenir de l'Afrique. Ce 29 juillet 1987, il rappelle que la dette de chacun des pays a été contractée par des dirigeants assujettis aux anciens colonisateurs. Ces dettes sont déjà remboursées par les taux d'intérêts afférents. Il les enjoint donc à refuser de payer les créditeurs, pour enfin développer leur pays, sans suivre les dictats du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Des instances qui les contraignent à privatiser les services publics ou à les réduire. Son invitation n'ayant pas été suivie, peu après, c'est lui, et non les dettes, qu'on élimina... [1]
Thomas Sankara eut la maladresse d'abaisser trop vite l'écart entre les salaires des membres du gouvernement, face au revenu moyen de la population. Cet exemple d'équité n'a pas réjoui les députés et ministres. Les aspirations d'une part d'entre eux oscillant, tel qu'il le signale lui-même, « entre Che Guevara et Onassis »... Ceux qui l'ont aidé à initier sa révolution se sont donc, en partie, ligués contre lui. Le 15 octobre 1987, avec le soutien des gouvernements de la Côte d'Ivoire, de la France et des militaires fournis par un rebelle du Liberia, on assassina Sankara. Le Comité des droits de l'Homme des Nations unies condamna le Burkina Faso, pour refus d'enquêter sur les circonstances de la mort de Sankara et, bien évidemment, d'en intercepter les responsables. Blaise Compaoré, le principal inculpé, put se maintenir au pouvoir, pendant 27 ans.
Comment conserver la direction d'un pays
La majorité des partis d'oppositions s'étant objectés aux élections, protestant contre la prise illégale du pouvoir, n'empêche pas Compaoré d'être élu, en 1991. Le taux de participation n'atteint que 25%... En 1998, quelques jours avant de nouvelles élections, le journaliste Norbert Zongo est assassiné, par des membres de la garde de Compaoré, mandatés par son frère.
Des contestations ont lieu, en 2005, lorsque l'amoureux du pouvoir se représente aux élections. Les opposants invoquent un amendement apporté en l'an 2000, limitant le pouvoir à deux mandats et cinq ans de gouvernance. Les partisans de Compaoré obtiennent sa participation, en arguant que l'amendement ne peut être rétroactif, ce qui lui permettra de se présenter en 2005 et 2010. Ces deux élections ayant été « gagnées » avec 80% des votes, il est impossible qu'elles n'aient pas été irrégulières. En 2011, la mort d'un étudiant provoque des émeutes. On exige la fin de la répression effectuée par les policiers. Les manifestations sont alors, encore une fois, anéanties et sanglantes...
La France soutient une dictature
Le 18 septembre 2012, François Hollande reçoit Compaoré et s'engage, par l'intermédiaire de l'Agence française de développement, à lui verser 20 millions d'euros, en vue de planifier « la stratégie de croissance accélérée et développement durable » (SCADD) [2].
Ne voulant pas perdre le pouvoir, Compaoré désire modifier la Constitution, limitant la gouvernance à deux mandats. D'autre émeutes suivent. Il doit renoncer à changer l'article 37, mais cette fois, les militaires lui retirent leur appui. En 2014, Roch Kaboré, un de ses collaborateurs, démissionne et est suivi par des dizaines d'anciens membres du gouvernement. Il fonde le Mouvement du Peuple pour le Progrès. Cette occasion permet à la population de destituer enfin son dictateur. Grâce à l'intervention de François Hollande, Compaoré parvient à se rendre en Côte d'Ivoire. Après un séjour au Maroc, il revient à cette première destination, et on lui accorde aussitôt la nationalité ivoirienne... [3]
Juste avant les élections prévues pour 2015, le plus proche allié de Compaoré, Gilbert Diendéré, tente un Coup d'État. Cet échec permet la tenue des élections. Kaboré échappe à un attentat et obtient 53% des suffrages. Dès le retour de la démocratie, débutent une série d'attentats terroristes, perpétrés par des groupes affiliés à Al-Qaïda. Il ne s'agit pas d'une coïncidence sans lien avec le régime de Compaoré. Kaboré, pouvant briguer un second mandat, fut réélu en novembre 2020, avec 57% des suffrages. Moins de deux ans plus tard, un coup d'État l'oblige à se retirer.
Deux renversements de pouvoir en un an
Le 23 janvier 2022, le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba prend le commandement du pays. Ses relations avec la France s'annonçaient favorables, puisque l'on entrevoyait la possibilité de donner 15 millions d'euros à Damiba, afin qu'il assure la transition démocratique ! L'État français ne devait pas ignorer que Damiba prévoyait le retour de Compaoré, en dépit des crimes commis par lui. Curieusement, quatre jours après cette offre formulée le 26 septembre, un nouveau putsch obligea Damiba à quitter le pouvoir [4] !
Encore une fois, l'instigateur du putsch est un militaire. Comme celui-ci avait participé à la destitution du président Kaboré, et à son remplacement par Damiba, la situation demeure trouble. Qu'il s'agisse de Kaboré ou de Damiba, on invoque leur incapacité à reprendre le contrôle du pays, à faire cesser les attentats. Les groupes djihadistes maîtrisent encore la province de Soum, frontalière avec le Mali. Avec une population de plus de 20 millions d'habitants, les dissensions et attentats auraient provoqué le déplacement de près de deux millions de citoyens et plus de 10 000 morts. Si cette motivation à exécuter un putsch est certaine, le fait que Damiba demeurait complice de l'ancien dictateur Compaoré est un incitateur. D'autant plus que Damiba fut fortement aidé par Gilbert Diendéré, lequel n'est pas innocent du complot contre Thomas Sankara et de l'attentat visant Kaboré [5].
La mire de la France
On tente de minimiser l'ingérence de la France dans la situation actuelle. On impute à la circulation de fausses informations le début des émeutes populaires qui ont mené à l'assaut de l'ambassade française. On nie formellement que la garde ait tiré et tué des manifestants qui, eux, n'avaient que des cocktails Molotov et la possibilité d'allumer quelques incendies.
Le capitaine Ibrahim Traoré, responsable du gouvernement transitoire
D'abord membre du « Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration » qui permet à Damiba de prendre le pouvoir, promu chef de l'artillerie du régiment de Kaya, cette position permit à Traoré de s'opposer à Damiba, puisque ce régiment s'avérait un haut lieu de mécontentement... Bien qu'il s'agisse encore une fois d'un militaire, Traoré promet une transition démocratique. Le quatre octobre, il accueillit une délégation de la Communauté des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), désireuse d'évaluer la situation du Burkina Faso. La tenue d'assises nationales, annoncées pour le 14 et 15 octobre, permettra de consulter la population. Traoré promet d'organiser des élections, au plus tard en juillet 2024 [6].
Joue-t-on du Wagner au bénéfice de la Russie ?
Lors des manifestations, les journalistes occidentaux se sont empressés de mentionner que des participants brandissaient des drapeaux russes. Immédiatement, on imputa au gouvernement de Vladimir Putine une implication dans les événements, l'envoi imminent du groupe d'intervention « Wagner ». Les États-Unis avertissent les autorités du Burkina que les pays recevant l'aide de ce groupe sont fragilisés et insécures. Bien entendu, les États-Unis ont leurs propres mercenaires, actifs pour déstabiliser les pays du Moyen-Orient. Que les Russes s'en mêlent ou non, les reproches que l'on peut imputer à Blaise Compaoré sont plus amples encore. Et les dirigeants français ne peuvent les avoir ignorés, de même que l'Angleterre et les États-Unis.
La déstabilisation volontaire de l'Afrique de l'Ouest
Lors d'une enquête menée par l'Organisation des Nations unies, Compaoré admis l'envoi de 400 soldats auprès des rebelles de Charles Taylor, en 1994 et 1995, afin de l'aider à prendre le pouvoir au Liberia. Avant qu'une dissension incite Prince Johnson à fonder son propre groupe armé, celui-ci appuyait Charles Taylor. En reconnaissance de l'aide apporté par Blaise Compaoré, lors du conflit au Liberia, Prince Johnson accepta de participer au complot menant à l'assassinat de Sankara.
Quoiqu'un embargo sur toute forme de vente d'armes ait été imposé, à Sierra Leone, Compaoré livra un minimum de 68 tonnes d'équipement aux rebelles du Revolutionary United Front, en 1999. Le chargement transita par la capitale du Burkina Faso, figurant comme étant destinées à l'armée du pays, avant de se rendre à Sierra Leone. Cet arsenal illégal aurait été acheté au trafiquant d'armes Leonid Minin, juif né en Ukraine. Connu internationalement pour ce lucratif trafic, il n'a été emprisonné que deux ans, en Italie. Ses livraisons s'effectuent sous convert d'exportation de bois. Son entreprise étant légalement enregistrée en Suisse, au Liberia et à Tel-Aviv. Toujours très actif, on lui attribue aussi la direction de la mafia ukrainienne... [7]
Pareillement, le crime commis contre Sankara fut appuyé par Félix Houphouët-Boigny. Lui aussi s'avérait reconnaissant de l'aide apportée par Compaoré, à ses milices des Forces Nouvelles de Côte d'Ivoire, visant à éradiquer Laurent Gbagbo, au cours de la guerre civile de 2004. À part quelques petites remontrances, ses bonnes relations avec la France lui ont permis de diriger la Côte d'Ivoire, de 1960 à 1993... Laurent Gbagbo s'avérait son principal opposant.
En 2005, Compaoré devient président de la Communauté des États Sahélo-sahariens. C'est précisément de cette zone que proviennent les groupes procédant à des attentats, au Burkina Faso, suite à la destitution de Compaoré et des élections de 2015... Les groupes, plus ou moins dépendants d'Al-Qaïda et de l'État Islamique, doit-on le rappeler, ne sont pas étrangers aux politiques occidentales.
Dès 1979, les États-Unis fournissaient de l'argent et des armes au Saoudien Oussama ben Laden et aux moudjahidines, afin d'empêcher l'URSS de soutenir le gouvernement Afghan. La guerre dura jusqu'en 1989. Et c'est en 1987 qu'Abdullah Azzam et Oussama ben Laden créèrent Al-Qaïda. Ce détail n'est pas à négliger, étant donné que les États-Unis cherchent toujours à réduire l'influence russe, au Moyen-Orient et en Afrique.
Voilà un résumé des hauts faits de Compaoré. L'État français, instigatrice de l'assassinat de Kadhafi, ne cessa, pendant vingt-sept ans, de soutenir un dictateur, après qu'il ait lui-même fomenté l'assassinat de Thomas Sankara qui, lui, aimait son peuple et a tout risqué pour en améliorer la vie.
Sierra Leone et Liberia : deux joyaux du néo-colonialisme
En 1787, des Anglais fondent Freetown, la future capitale de la Sierra Leone, pour y installer des esclaves affranchis. En 1822, une société étatsunienne de colonisation, voulant diminuer au pays le nombre de Noirs libérés, suite à la guerre de sécession, acheta des terres proches de la Sierra Leone, afin d'y installer d'anciens esclaves. Ainsi naît le Liberia.
La stratégie est simple : on se débarrasse des esclaves affranchis, pour ne pas encombrer la population blanche étatsunienne, en ayant l'air de leur offrir un paradis. On ne choisit pas n'importe quel territoire, mais des lieux recélant des diamants. Les colonisateurs en charge exploitent les mines, en octroient des concessions à des entreprises privées qui paient des redevances ou pot-de-vin. On exacerbe les divisions ethniques, soutient des milices locales, allant mater ceux qui prétendent nationaliser les ressources. Les experts, toujours étrangers, coûtent chers à la population maintenue pauvre et analphabète. Les conflits armés détruisant les infrastructures, on envoie des organismes qui s'occupent d'aménager le territoire, et l'endettement continue, envers le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. La politique du Liberia et de la Sierra Leone est complexe. Je ne mentionne ici que les gens liés à Blaise Compaoré.
Une guerre, menée en partie pour s'approprier les mines de diamants, conduit Charles Taylor à parrainer le « Front révolutionnaire uni », commettant des exterminations, des viols, enrôlant des enfants soldats. Ces excès font que Taylor est victime d'une offensive de la part des Libériens Unis pour la Réconciliation et la Démocratie, soutenu par les États-Unis. N'étant pas auparavant en mauvais terme avec des individus influents de ce pays, il alloue plus de deux millions de dollars, pour se racheter aux yeux du gouvernement d'Oncle Sam. D'abord par l'entremise de Lester Hyman, un avocat immiscé en politique, surtout au cours de la présidence de Bill Clinton. (On demande à Hyman d'approuver les potentiels candidats aspirant à devenir vice-président, secrétaire du trésor, membre de la Cour suprême, sénateur ou directeur de la CIA...) Puis le fameux télévangéliste, Pat Robertson, fondateur du Christian Broadcasting Network, connu pour ses déclarations politiques fracassantes, défendra Charles Taylor. Ce qui lui vaudra la concession d'une mine d'or libérienne...
Hillary Clinton sera elle aussi séduite. À la fin des batailles, elle parlera en faveur d'Ellen Sirleaf. Avant d'être élue présidente, et première femme accédant à ce poste en Afrique, Ellen Sirleaf assumait diverses charges gouvernementales, liées aux finances. Elle peut regretter, mais non pas nier, avoir financé la campagne présidentielle de Charles Taylor. Détail important, chassée d'un gouvernement précédent, durant son exil aux États-Unis, elle travaille pour la Banque Mondiale et Citibank... On lui attribuera même un prix Nobel de la Paix... [8]
La France, l'Angleterre et les États-Unis, ainsi que les entreprises canadiennes qui y exploitent des mines, ne peuvent nier leur soutien à des régimes ayant conduit à des centaines de milliers de morts et déplacements de populations. Hyman a d'ailleurs publié un livre sur son expérience de médiateur pour les efforts de paix : United States Policy Towards Liberia, pays où il fut conseiller légal, entre 1997 et 1999. Il fut aussi médiateur, au Guatemala, lors du règlement du conflit armé. Pendant que le télévangéliste Robertson, lui, affichait son amitié avec le dictateur guatémaltèque Rios-Montt... Concernant ces deux intercesseurs, je concluerais en affirmant que l'hypocrisie n'a pas de patrie.
Une date symbolique
Il y a 35 ans, le quinze octobre 1987, Thomas Sankara était assassiné. Le gouvernement transitoire promet des assises nationales, le 14 et 15 octobre 2022. Souhaitons que cette date ne signifie pas un nouvel enterrement des espoirs de justice, tandis que l'on exhume l'or du pays de l'homme intègre que fut Sankara, et dont le peuple ne voit pas encore l'éclat [9].
Avis : dans un prochain article, j'aborderai la question de la dette, l'inflation et des mines dans cette zone africaine.
source : Mondialisation
- • 17 novembre 1986 : Thomas Sankara et François Mitterrand17 novembre 1986 : Thomas Sankara et François Mitterrand • discours sur la dette : thomassankara.net • Un article antérieur sur Sankara (excusez l'erreur suivante : le parti de Mitterrand est « socialiste » et non « communiste » tel qu'écrit dans le texte) : mondialisation.ca • L'Organisation de l'Unité Africaine est devenue, en 2002, « l'Union africaine »
- Aide de la France en 2012 : burkina24.com
- aa.com.tr Promesse d'aide de la France en 2022
- lefaso.net
- voaafrique.com
- lemonde.fr ; europe1.fr
- letemps.ch
- lemonde.fr
- Assises nationales : lefaso.net