Avec la presse populaire au XIXe siècle, et plus tard le cinéma, la radio et la télévision, sont arrivés des nouveaux moyens d'influencer les populations en profondeur, et en masse. Aujourd'hui, les faiseurs d'opinion butent sur un écueil : la liberté de parole et l'échange d'informations sur une échelle inédite dans l'histoire apportés par internet, et pour une large part, portés par les médias indépendants en ligne. De sorte que des tentatives de contrefaçons de médias alternatifs, et de phénomènes comme celui des lanceurs d'alerte sont en cours. On pouvait s'y attendre.
Par Patrick Lawrence
Paru sur Consortium News sous le titre PATRICK LAWRENCE Psyops
Oyez, oyez, bonnes gens, ô vous qui avez les yeux et les oreilles grands ouverts. La longue, très longue campagne de l'appareil de sécurité nationale pour contrôler notre presse et nos diffuseurs a pris un nouveau tournant ces derniers temps. Si les médias indépendants sont ce qui maintient l'espoir d'un quatrième pouvoir vigoureux et authentique, comme nous l'avons soutenu à plusieurs reprises, les médias indépendants font maintenant l'objet d'un effort insidieux et profondément anti-démocratique pour les miner.
Le Consortium international des journalistes d'investigation, Frances Haugen, Maria Ressa : Considérons cette institution et ces personnes. Ce sont tous des escrocs, si par escroquerie nous entendons qu'ils ne sont pas ce qu'ils nous disent être et que leur affirmation d'indépendance vis-à-vis du pouvoir est mensongère.
L'État profond - au stade où nous en sommes, s'opposer à l'emploi de ce terme est futile - s'est depuis longtemps fixé comme priorité de mettre la presse et les diffuseurs grand public à son service - de rendre la presse libre non libre. Cela se passe depuis les premières décennies de la Guerre froide ; le processus est amplement, et très bien documenté. (Hélas, si les Américains lisaient les nombreux et excellents livres et exposés sur ce sujet, des affirmations comme celle que je viens de faire n'auraient pas l'air le moins du monde outrancières). [1]
Mais plusieurs nouvelles réalités sont maintenant évidentes. La principale d'entre elles est que la colonisation des médias privés grand public par l'État profond est plus ou moins complète. CNN, qui remplit son temps d'antenne de barbouzes, de généraux et de divers menteurs officiels ou non, peut être considéré comme représentatif d'une prise de contrôle totale. Le New York Times est, de prime abord, supervisé par le gouvernement, comme il l'avoue de temps en temps dans ses pages. Le Washington Post, qui appartient à un homme ayant des contrats de plusieurs millions de dollars avec la CIA, est devenu une caricature.
Pour des raisons que je ne comprendrai jamais entièrement, les médias grand public n'ont pas simplement renoncé à leur légitimité : Ils ont activement, et avec enthousiasme, abandonné toute prétention à la crédibilité qu'ils pouvaient avoir. L'appareil de sécurité nationale incorpore les médias grand public dans son appareil, puis les gens cessent de croire les médias grand public : L'enthousiasme a disparu, disons.
La montée d'une crédibilité
En conséquence de ces deux facteurs, les médias indépendants ont commencé à s'élever au rang de médias indépendants. Ils trouvent un public. Petit à petit, ils acquièrent les habitudes de professionnalisme que la presse et les diffuseurs grand public ont laissées se dégrader. Petit à petit, ils acquièrent la crédibilité que le courant dominant a perdue.
Certains phénomènes engendrés par les médias indépendants se sont avérés populaires. Il y a les lanceurs d'alerte. Des gens de l'intérieur des institutions de l'État profond commencent à faire fuiter des informations, et ils se tournent vers les médias indépendants, dont le plus célèbre est WikiLeaks, pour les faire circuler. Alors que les employés de l'État profond dans les médias grand public gardent la tête basse et la bouche fermée tout en encaissant leurs chèques, les médias indépendants prennent des positions de principe en faveur de la liberté d'expression, et les gens admirent ces positions. Après tout, elles sont admirables.
Ceux qui peuplent l'appareil tentaculaire de l'appareil de sécurité nationale ne sont pas si stupides. Ils peuvent comprendre la réponse logique à apporter à ces développements aussi bien que n'importe qui d'autre. Le nouvel impératif est maintenant devant nous : pour eux, il s'agit de coloniser les médias indépendants, comme ils l'ont fait pour le courant dominant au cours des décennies précédentes.
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Le Consortium International des Journalistes d'Investigation
Il y a deux semaines, le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) a publié les « Pandora Papers », une « fuite » de 12 millions de documents électroniques révélant les agissements en matière de fraude fiscale et de dissimulation d'argent de quelques 300 personnalités politiques dans le monde. Les « Pandora Papers » ont suivi la publication des « Panama Papers » en 2016 et des « Paradise Papers » un an plus tard. Ces différentes publications contiennent de nombreuses révélations utiles, mais nous ne devons pas être dupes quant à la nature du projet.
Où l'ICIJ a-t-il obtenu les documents des « Pandora Papers », et comment ? Expliquer la provenance, l'authenticité, etc. est essentiel à toute entreprise d'investigation, mais l'ICIJ n'a rien à dire sur ce point.
Pourquoi, parmi toutes les personnes que les « Pandora Papers » dénoncent, n'y a-t-il pas un seul Américain ? Comme le note Moon of Alabama dans une analyse de ce communiqué, il revient à une liste de « personnes que les États-Unis n'aiment pas ».
L'ICIJ insiste vigoureusement sur son indépendance. Mais en y regardant de plus près, il s'avère que ce n'est pas le cas, quel que soit le niveau de compréhension du terme. Parmi ses donateurs figurent la Fondation Ford, dont les liens de longue date avec la CIA sont bien documentés, et l'Open Societies Foundation, l'ONG de triste renommée de George Soros qui se consacre à la promotion de coups d'État dans les pays qui ne respectent pas les règles du néolibéralisme.
Le groupe a été fondé en 1997 dans le cadre d'un projet du Center for Public Integrity, une autre institution qui se consacre à « inspirer des changements en utilisant le reportage d'investigation », dans les mots du centre. Parmi ses sponsors figurent la fondation Ford, une fois de plus, et le Democracy Fund, qui a été fondé par Pierre Omidyar, bailleur de fonds de l'Intercept (un autre média soi-disant « indépendant »). Omidyar est, comme Soros, un sponsor d'opérations de subversion dans d'autres pays au prétexte de projets de « société civile ».
Les autres sponsors de l'ICIJ (et d'ailleurs ceux du Democracy Fund) sont composés des mêmes types de fondations qui financent NPR, PBS et d'autres médias de ce type. [2] Quiconque suppose que les institutions médiatiques qui reçoivent de l'argent de ces sponsors sont authentiquement indépendantes ne comprend pas que la philanthropie est une courroie de transmission bien établie des récits dominants.
Quelle est la réalité ici ? Pas celle que nous pensons voir, en tous cas. J'y reviendrai.
Maria Ressa
Il y a le cas de Maria Ressa, la co-lauréate du prix Nobel de la paix cette année, une journaliste philippine qui a fondé une publication en ligne à Manille, The Rappler. Le comité Nobel a choisi Ressa pour son « combat pour la liberté d'expression ». Qui est Maria Ressa, alors, et qu'est-ce que The Rappler ?
Encore une fois : Elle et sa publication ne sont pas ce que nous sommes censés croire.
Ressa et The Rappler, qui insistent tous deux sur leur indépendance comme le fait l'ICIJ, mentent carrément sur ce point. The Rappler a récemment reçu une subvention de 180 000 dollars de la National Endowment for Democracy, une entité de la CIA - ceci selon un rapport financier de la National Endowment for Democracy elle-même publié plus tôt cette année. Pierre Omidyar et une organisation appelée North Base Media possèdent des actions sans droit de vote dans la publication. Parmi les partenaires de North Base Media figure le Media Development Investment Fund, qui a été fondé par George Soros pour faire ce que George Soros aime faire dans des pays étrangers.
Une image commence-t-elle à se dessiner ? Lisez les noms ensemble et vous en reconnaîtrez au moins un. Il faut bien se dire qu'ils sont tous unis par les mêmes intérêts.
Nobel en main, Maria Ressa a déjà déclaré que Julian Assange n'est pas un journaliste et que les médias indépendants ont besoin de nouvelles réglementations, autrement dit de censure. Henry Kissinger avait obtenu un Nobel pour son « pacifisme » : Ressa en obtient un pour sa « défense de la liberté d'expression ». Ça colle.
Frances Haugen
Ce qui nous amène au cas de Frances Haugen, l'ancienne cadre de Facebook qui s'est récemment présentée devant le Congrès en brandissant de nombreux documents qu'elle semble avoir secrétés dans les bureaux de Facebook pour plaider en faveur - pardi - d'une réglementation gouvernementale accrue des réseaux sociaux, autrement dit de censure. Frances Haugen, voyez-vous, est une courageuse lanceuse d'alerte qui dit la vérité à la face du pouvoir. Peu importe que son apparition au Capitole ait été soigneusement orchestrée par des agents du Parti démocrate.
Il est difficile de dire qui est le plus courageux de ces trois farouches lanceurs d'alerte, je trouve - l'ICIJ, Maria Ressa, ou Frances Haugen. Que ferions-nous sans eux ?
La culture des médias indépendants, telle qu'elle a germé et s'est développée au cours de la dernière décennie nous a donné WikiLeaks, et son efficacité ne fait pas l'ombre d'un doute. Elle nous a apporté toutes sortes de journalistes courageux qui défendent les principes d'une presse véritablement libre, et les gens les ont écoutés. Elle nous a donné des lanceurs d'alerte qui sont admirés, même si l'État profond les condamne.
Et maintenant, l'appareil de sécurité nationale nous apporte tout un équipage de soi-disant divulgateurs de secrets composé de propagandistes au service du courant dominant, d'une journaliste faussement indépendante élevée aux plus grands honneurs, et d'une lanceuse d'alerte en carton - trois contrefaçons. Ce sont trois escrocs. Ils sont au journalisme indépendant ce que McDonald's est à l'art culinaire.
Il n'y a qu'une seule défense contre cet assaut contre la vérité et l'intégrité, mais c'est une très bonne défense. Il s'agit de sensibilisation. CNN, des médias soi-disant dissidents comme Democracy Now!, l'ICIJ, Maria Ressa, Frances Haugen - aucun d'eux, non plus que de nombreuses autres personnes des médias ne sont correctement étiquetés. Mais ces étiquettes peuvent être facilement décryptées. Une prise de conscience et un examen minutieux, l'observation et l'écoute, seront suffisants pour accomplir cette tâche.
Traduction et note de présentation Corinne Autey-Roussel
Photo Pete Linforth / Pixabay
Notes de la traduction :
[1] C'est la même chose en France, où la plupart des médias sont détenus par un nombre infime de milliardaires, dont au passage, les intérêts coïncident généralement avec ceux de leurs congénères américains. Les médias publics, quant à eux, se font l'écho des partis néolibéraux successifs au pouvoir. Sans même parler des généreuses subventions publiques octroyées au médias, ce qui les bâillonne très efficacement. Le système est verrouillé. [2] NPR (National Public Radio) et PBS (Public Broadcasting Service) résultent de partenariats public-privé.