Après les annonces du gouvernement en direction des Ehpad, un aide-soignant s'est confié à RT France. Pour lui, la situation est plus que préoccupante et la mortalité dans ces établissements risque d'exploser dans les semaines à venir.
Ehpad, pour établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes : cinq lettres et de nombreuses interrogations. Lors d'une conférence de presse commune avec le Premier ministre, le 28 mars, Olivier Véran a fait de cette thématique un des axes principaux de son discours alors que la pandémie de Covid-19 continue à se propager dans l'Hexagone et que les personnes âgées en sont les principales victimes.
«Je demanderai aux établissements de type Ehpad de se préparer à aller vers un isolement individuel de chaque résident dans les chambres []... nous devons aller plus loin pour protéger ces personnes âgées particulièrement fragiles et prendre des décisions encore plus difficiles», a souligné le ministre, ajoutant vouloir «tester en priorité pour le virus le personnel qui travaille au sein des Ehpad» et promettant le déstockage de «500 000 masques» par jour.
Il a également précisé vouloir encourager «toute démarche pour que le personnel qui travaille sans relâche déjà au sein des Ehpad puisse le moins possible sortir de ces établissements pour prendre le moins de risques qu'il revienne avec le virus».
«Le plan bleu nous a permis de prendre des mesures difficiles humainement [avec] l'interdiction des visites, l'éloignement des familles, l'identification partout où c'était possible au sein des Ehpad de secteurs dédiés aux malades atteint du coronavirus», a-t-il enfin fait savoir.
Injonctions de la direction à ne pas porter de masque
Mais ces mesures n'arrivent-elles pas trop tard ? Le témoignage livré à RT France par Guillaume (le prénom a été modifié), aide-soignant dans un Ehpad du sud de la région parisienne, autorise à le penser. «En réalité, nous avions déjà interdit les visites des familles il y a plus de trois semaines quand les cas de coronavirus se sont multipliés sur le territoire et cela fait déjà plusieurs jours que les résidents sont confinés dans les chambres», assure-t-il.
Dans son établissement, trois résidents ont été testés positifs au Covid-19, dont une, qui présentait de lourds antécédents médicaux, est décédée. D'après lui, le virus est «très certainement arrivé par une personne extérieure à l'établissement y compris par les membres de l'équipe soignante. Mais tant qu'il n'y avait pas de cas confirmé au sein de notre structure, nos supérieurs nous demandaient de ne pas mettre les masques afin de ne pas faire paniquer les résidents».
Des comportements qui ont pu contribuer à la diffusion du virus dans l'Ehpad et que l'équipe a du mal à accepter. «D'un côté on nous dit de ne pas mettre les masques mais de l'autre nous savons très bien ce que cela va engendrer. Il est très difficile de tenir dans ces conditions», souligne l'aide-soignant d'une vingtaine d'années.
De plus, le manque de matériel, malgré les nombreuses annonces gouvernementales, rend les choses encore plus complexes. Guillaume a reçu il y a environ une semaine deux masques FFP2, qu'il doit réutiliser tous les jours. «Par manque de moyens, la direction nous demande de conserver les masques mais aussi les lunettes de protection ou encore les surblouses qu'il faudrait jeter après le soin d'un patient en isolement comme on nous l'enseigne pendant nos études», déplore le francilien.
Une situation insoluble pour les soignants, à laquelle s'ajoute la dure réalité du terrain. Celle à laquelle les hommes politiques ne sont que trop rarement confrontés. «Lors de ma dernière garde, on nous a clairement dit que si quelqu'un allait mal pendant la nuit il ne fallait pas appeler les urgences car entre une personne de 70 ans et de 40 ans le choix était clair. C'est la pire chose que l'on puisse entendre en tant que soignant», confie-t-il.
Une vague de mortalité à venir ?
«Le médecin de l'Ehpad a prévenu que nous devions nous préparer à voir les patients tomber les uns après les autres», ajoute-t-il, expliquant que l'établissement manque d'appareils à oxygène : «Lors de ma dernière nuit, vers quatre heure du matin, j'ai entendu une résidente tousser. Et tout ce que j'ai pu faire c'est la mettre assise dans son lit pour essayer de la soulager mais je n'ai rien pu faire d'autre alors qu'elle se trouvait en détresse respiratoire.»
Dans les deux semaines il est possible que nous perdions une dizaine de patients sur la cinquantaine que compte notre établissement
Loin d'être résigné, Guillaume a néanmoins compris depuis longtemps les conséquences d'un tel cumul de carences : «Dans les deux semaines il est possible que nous perdions une dizaine de patients sur la cinquantaine que compte notre établissement.» Si ce chiffre s'avère vrai, et en l'extrapolant au reste du territoire, 140 000 personnes pourraient perdre la vie en Ehpad, du coronavirus ou du manque de moyens engendré par la crise sanitaire. L'estimation fait froid dans le dos.
D'autant plus que l'équipe soignante pourrait, elle aussi, être contaminée. «Plusieurs membres du personnel soignant pensent que nous sommes tous infectés par le virus mais on nous dit de continuer à venir travailler si notre température ne dépasse pas 38. Et comme aucun d'entre nous n'a été dépisté nous ne pouvons plus protéger ni les résidents, ni nos proches, ni nous-mêmes», conclut-il.
Reste à savoir si le gouvernement, qui semble avoir pris conscience de l'ampleur de la catastrophe potentielle, en paroles pour le moment, honorera ses engagements afin de ne pas aboutir à ce qui serait un drame pour les 700 000 résidents des Ehpad ainsi que leurs anges gardiens, mais aussi pour l'ensemble de la société française. Selon le dernier bilan daté du 28 mars, 2 314 personnes (+319 en 24h) ont trouvé la mort en France des suites du coronavirus. 17 620 (+1 888) sont actuellement hospitalisés, dont 4 279 (+486) au sein d'un service hospitalier de réanimation.
Alexis Le Meur
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