par Bruno Guigue
L'ambassadeur de Chine en France, M. Lu Shaye, a fait des déclarations qui ont suscité un ouragan de protestations occidentales, et Paris a déclaré sa « consternation ».
Mais qu'a-t-il dit de si scandaleux ?
La question du journaliste Darius Rochebin était la suivante : est-ce qu'à vos yeux la Crimée c'est l'Ukraine ?
En réponse, Lu Shaye a dit deux choses importantes :
1. « Cela dépend de comment on perçoit ce problème. Il y a l'histoire. La Crimée était tout d'abord, au début, à la Russie. C'est Khrouchtchev qui a offert la Crimée à l'Ukraine à l'époque de l'Union soviétique en 1954 ».
2. « Les pays de l'ex-Union soviétique n'ont pas le statut effectif dans le droit international parce qu'il n'y a pas d'accord international pour concrétiser leur statut de pays souverain ».
Pour ma part, je ne prétends pas expliquer ce que Lu Shaye a voulu dire, mais seulement ce que j'ai compris de son propos :
Concernant la Crimée, l'ambassadeur a simplement rappelé ce que tout le monde sait : la Crimée est un territoire russe depuis 1783 artificiellement rattaché à l'Ukraine soviétique par Khrouchtchev en 1954. Elle est principalement peuplée de Russes qui ont demandé leur retour à la Russie en 2014.
Concernant le droit international, Lu Shaye a-t-il nié la souveraineté des États issus du démembrement de l'URSS ? Il me semble que non, même si sa formulation est ambigüe.
En réalité, il a surtout souligné le caractère problématique des frontières établies de facto lors de l'implosion de l'Union soviétique, ces frontières étant initialement des frontières administratives à l'intérieur d'un État fédéral, et non des frontières étatiques.
Si elles sont devenues des frontières étatiques, c'est donc à rebours de leur vocation première et à la faveur de la crise interne qui a frappé l'URSS et provoqué son éclatement.
Comme l'a rappelé Lu Shaye, à juste titre, ces frontières n'ont jamais fait l'objet d'un accord international en bonne et due forme. Dire que le problème de la délimitation des frontières entre les États issus de l'URSS n'est pas totalement réglé relève, par conséquent, d'un constat objectif.
Lu Shaye n'a donc pas dit que ces frontières ne valaient rien ou que les États de l'ex-URSS étaient des États-croupions, mais que ces frontières étaient problématiques, comme le montre bien le conflit actuel entre la Russie et l'Ukraine autour du Donbass et de la Crimée.
Mutatis mutandis, si demain un ambassadeur étranger dit que l'appartenance de certains territoires d'Outre-Mer à la France est problématique, que l'annexion de Mayotte en 1975 est illégale et que la France a tout fait pour priver les Kanaks de leur indépendance, ce sera peut-être la « consternation » à Paris, mais on n'empêchera pas le reste du monde d'avoir un avis différent sur la question.
source : Bruno Guigue