28/03/2023 arretsurinfo.ch  9 min #226217

Chine, Poutine, dollar et Tiktok: Quand l'incurie des dirigeants Us donne de l'espoir

Par Michel Segal

 Arrêt sur info - 28 mars 2023

« Aujourd'hui il y a des changements comme on n'en a pas vu depuis un siècle, et nous menons ces changements ensemble. - Je suis d'accord - A bientôt cher ami ».  

Ce sont les mots de Xi Jing Ping à Vladimir Poutine à l'issue de leur rencontre à Moscou débutée le 21 mars dernier. Visite exceptionnellement longue de trois jours, délégation chinoise pléthorique, défilé militaire sur le tarmac à l'arrivée du leader chinois dont c'est le premier déplacement depuis sa réélection, cravate de la même couleur pour les deux hommes, proximité et chaleur affichées lors des séances photo ou des communications 2, tout était organisé pour envoyer un message clair : la Chine et la Russie sont engagés dans une coopération durable, fiable et profonde. Il n'en a d'ailleurs jamais été autrement et la légende d'une détérioration de leurs relations martelée depuis un an par les médias occidentaux est publiquement et clairement démolie.

Le conflit en Ukraine n'a pas constitué le sujet majeur des échanges 3 et c'est également un message important délivré au monde entier, celui du principe de non-ingérence : la Chine ne compte pas intervenir auprès de la Russie pour la contraindre à telle ou telle politique. Et on ne trouvera pas un pays dans l'histoire contemporaine dont les dirigeants auront été mis en place ou renversés par la Chine, pas plus qu'elle n'a décidé de la politique à mettre en œuvre de force dans tel ou tel pays à l'aide de sanctions, de représailles ou de chantages divers. Ce sont justement là les pratiques que l'occident, Etats-Unis en tête, a systématisées, et qui poussent à considérer ce pays comme le principal danger pour la paix dans le monde. Les exemples de ces méthodes de voyous sont nombreux, aujourd'hui par exemple quand certains pays de l'Union Européenne se voient contraints à un vote sous la menace 4, ou encore lors du sabotage des North Stream quand l'Allemagne est contrainte au silence en regardant les Etats-Unis détruire son économie à coups d'explosifs sous-marins. Qui pourrait accepter cela sans avoir les mains liées ? Barak Obama avait même explicitement reconnu cette pratique américaine habituelle sans que cela fasse scandale, tellement il s'agit là d'un fait acquis : « nous devons parfois tordre le bras à ceux qui ne font pas ce que l'on a besoin qu'ils fassent » 5.

La Chine n'agira évidemment pas contre la Russie dans ce conflit, pas plus qu'elle ne la jugera, ni ne la condamnera et encore moins lui appliquera des « sanctions » quelles qu'elles soient, et d'où qu'elles viennent. Au contraire, le gouvernement chinois déclare explicitement continuer à développer durablement et en profondeur son partenariat avec la Fédération, notamment avec l'annonce de la finalisation du spectaculaire Power of Siberia 2 6 (gazoduc de près de 7000 km) et d'un nouveau contrat énergétique aux dimensions pharaoniques. Les échanges s'étendent même à de nouveaux domaines de besoins précisément suscités par les sanctions occidentales, comme la fourniture de semi-conducteurs, même si celle-ci s'effectue de façon « officiellement dissimulée » 7. C'est une élégante manière de dire au monde que la Chine ne contourne pas les sanctions occidentales : elle les ignore. Nuance dont la finesse toute asiatique échappe généralement aux dirigeants occidentaux comme le montre l'annonce faite par Emmanuel Macron d'aller à Pékin pour, dit-il benoitement, « engager la Chine à nos côtés pour faire pression sur la Russie » 8. Voilà bien la preuve que le président français ne comprend rien à la position chinoise 9. Sauf s'il n'agit que pour des motifs de communication interne.

Fait ahurissant, c'est précisément lorsque le plan de paix chinois 10 est évoqué que John Kirby lâche depuis Washington que « les Etats-Unis sont fermement opposés à tout cessez-le-feu en Ukraine 11 ». Et c'est encore ce moment que la vice-ministre des affaires étrangères anglaise choisit pour annoncer son intention de livrer à l'Ukraine des obus à l'uranium enrichi, ce qui donnera d'ailleurs lieu à une remarquable séquence de propagande. En effet, les médias occidentaux n'ont d'abord pas relaté l'annonce britannique constituant la volonté manifeste d'escalade, qui plus est dans le sens nucléaire dont on soupçonne sans cesse la Russie. Vladimir Poutine a ensuite réagi en disant que si les Anglais franchissaient ce pas, alors la Russie devrait répliquer par des moyens appropriés. Et c'est cette annonce qui a été reprise cette fois bruyamment par les médias, accusant la Russie de chercher l'escalade 12.

A l'issue de ces rencontres, Vladimir Poutine annonçait que la Russie utiliserait le yuan dans ses échanges commerciaux avec l'Asie, l'Afrique et l'Amérique du Sud, ce qui constitue un signal fort dans le sens d'un monde multipolaire où aucune monnaie ne pourra plus exercer d'hégémonie. Et la récente annonce de l'Arabie Saoudite se disant prête à vendre son pétrole dans la monnaie chinoise 13 montre qu'il n'y aura pas de retour en arrière. La Chine s'est débarrassée en un an de près de 30% de ses bons du trésor américains 14, c'est un pas de plus vers la dédollarisation du monde, étape indispensable à l'établissement d'un monde multipolaire stable. L'Arabie Saoudite consomme la rupture avec son ex-allié indéfectible américain en annonçant la reprise de ses relations diplomatiques avec la Syrie 15, quelques semaines après avoir rétabli celles avec l'Iran (sous l'égide de la Chine !), reprenant ainsi les échanges avec les deux pires ennemis de l'oncle Sam.

Laminée et moquée à l'extérieur, l'administration Biden n'a pas de répit à l'intérieur où la situation n'est pas plus encourageante avec une inflation record, une pauvreté qui explose, une dette abyssale, des faillites bancaires en chaine et des catastrophes naturelles à répétition.

Enfin, les auditions de l'enquête sénatoriale destinée à se débarrasser du réseau social chinois TikTok 16 s'avèrent un désastre qui pourrait bien avoir des conséquences significatives quant à la défiance de la population vis-à-vis de ses dirigeants. Le pitoyable interrogatoire du jeune et brillant patron auquel se sont livrés les sénateurs a permis aux citoyens de découvrir avec stupéfaction le niveau lamentable, voire inquiétant, de leurs sénateurs. La plupart s'expriment très mal, et quand l'un d'entre eux expose sans le comprendre qu'il ne sait pas ce qu'est le wifi, un autre révèle involontairement son ignorance des algorithmes en s'étonnant publiquement que le réseau ne lui propose que des scènes de striptease d'homosexuels ou de danses de drag queen. Tous se rejoignent finalement sur des questions comme Savez-vous que le gouvernement chinois réprime cruellement les Ouyghours ? ou bien Avouez que vous avez des liens très étroits avec le Parti Communiste Chinois ou même Je suis sûr qu'il n'y a rien concernant le massacre de Tian An Men sur TikTok, etc.

Des millions d'Américains suivent les quatre heures d'audition, sidérés par l'incompétence et l'agressivité de leurs supposés représentants dont il apparait qu'ils sont missionnés pour interdire TikTok sous n'importe quel prétexte. Les utilisateurs de la plateforme postent le jour même des dizaines de millions de vidéos exprimant autant de colère que de honte de leurs dirigeants pendant que des influenceurs de plusieurs millions d'abonnés demandent à leurs fans de contacter leurs sénateurs pour les avertir qu'ils voteront contre eux si jamais l'interdiction de TikTok est finalement décidée. Au-delà de l'étalage de la bêtise des sénateurs qui n'était certes pas prévue mais qui laissera des traces (en quelques heures, certains sont devenus célèbres à ce titre et ne s'en remettront sans doute pas), la question qui se pose est celle de la corruption des congressistes. En effet, tout sonne faux dans la mise en scène du congrès prétendant défendre leurs citoyens, et il est patent que Meta (Facebook, Instagram et Whatsapp) est en danger proportionnel au succès fulgurant de TikTok. Pour se débarrasser de son concurrent, il est hautement probable que Mark Zukerberg joue sur une frontière étroite entre lobbying et corruption en utilisant une pitoyable xénophobie, à tel point que le ministère des affaires étrangères chinois a dû réagir 17.

Ainsi, la suppression de TikTok sur le territoire américain ne se passe pas du tout comme prévu. A l'inverse des congressistes, le patron du réseau (qui a dû rappeler à plusieurs reprises qu'il était Singapourien et pas Chinois) est jeune, élégant, brillant, clair, il s'exprime parfaitement et il est devenu un véritable héros chez les 150 millions d'abonnés pour avoir affronté des dinosaures agressifs, stupides et ignorants. Précisons pour finir que le succès du réseau est lié à sa grande liberté d'expression, contrairement à Facebook ou Youtube où la censure est devenue systématique et brutale. Des millions d'américains publient des remerciements au jeune patron singapourien pour défendre le 1er amendement de la constitution américaine. Ainsi, même lors d'une opération programmée comme une simple formalité et destinée à exacerber une sinophobie latente, l'échec du pouvoir est total : la réponse du peuple est un rejet de ses représentants 18, et une sympathie certaine pour un étranger venu d'Asie.

Sur tous les fronts, le gouvernement américain fait face aux désastres qu'il a lui-même provoqués et semble ne plus rien contrôler. A l'image de leur président, ce vieillard à la démarche incertaine, au sens de l'orientation hasardeux et à l'expression pénible, les dirigeants américains avancent dans un bourbier général dont on ne voit plus très bien comment ils pourraient sortir. Pour le bien de l'humanité, il nous reste à espérer que l'enfoncement ait une accélération suffisante pour ne pas leur laisser le temps d'une fuite en avant consistant à engager un nouveau conflit sur un nouveau front, et avec de nouvelles armes.

Michel Segal

1  francedaily.news

2  information.tv5monde.com

3  challenges.fr

4  lexpress.fr

5 "We occasionally have to twist the arms of countries that wouldn't do what we need them to do"  vox.com

6 fr.wikipedia.org

7  bbc.com

8  lefigaro.fr

9 On s'abstiendra ici de commenter le choix du président français de se faire accompagner par la présidente de la commission européenne mais on peut espérer que ce ne soit pas avec le projet de gagner en crédibilité.

10  legrandcontinent.eu

11  republicworld.com

12  lejdd.fr

13  futuribles.com

14  french.china.org.cn

15  lesechos.fr

16  reuters.com

17  vm.tiktok.com

18  vm.tiktok.com

(Source:  arretsurinfo.ch)

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