26/11/2025 reseauinternational.net  3min #297267

Coincés dans le système

par Amal Djebbar

On en est là. Pris au piège comme des rats dans un labyrinthe trop bien foutu, savamment huilé pour qu'on s'y perde sans jamais trouver d'issue. Des couloirs qui se referment, des portes entrouvertes qui ne débouchent que sur d'autres impasses. On comprend le manège, on voit bien que rien ne tourne rond, que ce cirque tient sur des ficelles usées, tendues par une poignée d'ordures planquées dans leurs tours d'ivoire. On sait. Mais on ne peut rien. On gueule, on s'indigne, et nos cris s'engouffrent dans le grand broyeur de la machine, digérés et recrachés en échos déformés, vidés de tout impact.

Pendant ce temps, le monde continue sa pantomime grotesque. Un théâtre d'ombres où chaque rôle est réparti d'avance, où chacun danse sans comprendre la musique, obéissant à un métronome invisible. Une farce bien rodée, rythmée par les alertes de leurs écrans, leurs gestes automatiques, leurs phrases creuses qu'ils ressassent comme des mantras. Tout est normal, tout est sous contrôle. Rien à voir, circulez.

Alors quoi ? On fait semblant ? On baisse la tête et on joue le jeu, sagement, bien dociles, bien alignés ? On apprend à aimer la cage, à remercier le gardien de nous laisser une gamelle pleine ? On s'extasie devant les nouvelles règles, les nouveaux formulaires, les nouveaux badges d'identification qui nous rappellent qu'on existe, qu'on est de bons petits rouages dans l'engrenage. Ah, la sécurité ! Ah, le progrès ! Ces merveilleuses prisons dorées qu'on nous vend comme des paradis.

Mais on voudrait dire non. On voudrait renverser la table, fracasser la mécanique, envoyer valser ces pantins et leurs ficelles moisies. Sauf qu'il y a ce mur. Ce mur invisible, mais infranchissable, bâti en indifférence et en peur, dressé par des générations entières de résignation. On nous a tellement bien appris à ne plus le voir qu'on finit par le frôler chaque jour sans jamais le remettre en question. Alors, on continue à marcher, tête baissée, en se persuadant que c'est la seule voie possible.

Et les autres ? Ceux qui rient encore devant leurs écrans, qui gobent tout sans sourciller, qui ne veulent rien voir ? On les méprise ? On les secoue ? On les insulte ? Ou bien, on les plaint, ces somnambules trop occupés à se bâtir un cocon de confort dans un monde qui s'effondre sous leurs pieds ? Parce que c'est ça, le pire. Voir la catastrophe arriver et constater que personne ne s'en soucie. Tout brûle, mais on continue à danser. L'orchestre joue encore, et tant que la musique ne s'arrête pas, tout va bien, non ?

Le Kali Yuga, la grande décadence. Un monde où tout se vend, tout se corrompt, tout s'oublie. Les vieilles vérités passées au broyeur du « progrès », la pensée remplacée par des slogans, les âmes bradées contre du plastique et des pixels. Mais chut ! Faut pas dire que tout s'effondre. Faut applaudir, acclamer, se convaincre que c'est une évolution, que c'est ça, l'avenir. Un horizon de désolation, un désert de béton où l'humain devient une donnée de plus dans une base de contrôle, un pion interchangeable dans une partie truquée.

Mais ils paieront. Ils devront payer. Ces marionnettistes, ces parasites qui nous surveillent, nous déshumanisent, nous lessivent le cerveau tout en engrangeant leur or sale. Ils s'imaginent intouchables, intangibles, au-dessus du troupeau. Mais à force de tendre la corde, elle finit toujours par casser. Et ce jour-là, ils entendront enfin nos voix. Ce jour-là, ce ne sera plus eux qui dicteront les règles, mais bien nous. Parce que la patience a une limite. Et que l'heure des comptes approche.

 Amal Djebbar

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