L'échec de négociations entre les producteurs de pétrole de l'Opep emmenés par l'Arabie saoudite et les Etats non-membres comme la Russie a provoqué un effondrement des cours du brut. Les conséquences de ce désaccord s'ajoutent à l'effet coronavirus.
Ce lundi 9 mars, les cours du pétrole ont connu dans la matinée leur plus forte baisse depuis 1991, perdant en moyenne près de 30%. Ainsi, les contrats à terme de Brent, pétrole brut de la mer du Nord, ont baissé de plus de 27% à 35,5 dollars (31,2 euros) le baril à 11h30 GMT (12h30 heure française), après avoir chuté de 31% à 31,02 dollars (27,35 euros), leur plus bas depuis le 12 février 2016.
Le brut américain West Texas Intermediate (WTI) a chuté de plus de 28%, à 32 dollars (28,05 euros) le baril, après avoir initialement chuté de 33% à 27,34 dollars (24 euros), également au plus bas depuis le 12 février 2016.
Il faut remonter à 1991 pour retrouver une baisse d'une telle ampleur en une seule journée. Mais depuis le début de l'année, et la progression du coronavirus COVID-19 et son impact sur l'économie mondiale, la baisse des cours frôle 50%. Le Brent avait en effet fini en 2019 au-dessus de 68 dollars le baril.
C'est l'échec de la réunion de l'Opep+, en fin de semaine à Vienne (Autriche), qui est responsable de ce spectaculaire plongeon des cours. Après concertation avec les membres de l'Opep, l'Arabie saoudite avait tenté sans succès le vendredi 6 mars, dans un format de négociation (souvent appelé «Opep+») étendu aux principaux producteurs non-membres, en particulier la Russie, d'obtenir une nouvelle réduction concertée de la production jusqu'à la fin de l'année.
Guerre des prix contre le pétrole de schiste étasunien
Mais Moscou n'était prêt à accepter qu'une prolongation jusqu'à la fin du premier semestre de l'accord actuel valable jusqu'à fin mars. La compagnie pétrolière publique russe Rosneft, a déclaré depuis, dans un communiqué, que pour la Russie l'accord avec l'OPEP+ était «dénué de sens» et qu'en cédant ses parts de marchés (pour rester dans les limites de production de l'accord), la Russie n'avait fait que «céder la place» au pétrole de schiste américain. Le ministre russe de l'Energie Alexander Novak, a souligné que désormais l'augmentation de la production de pétrole dans le pays dépendait désormais des seuls plans de charge des entreprises nationales. Selon lui, la résiliation de l'accord pourrait permettre à la Russie d'augmenter sa production de 0,3 million de barils par jour (bpj).
En fin de semaine le président russe Vladimir Poutine avait déclaré que les prix du pétrole (avant la baisse brutale) étaient satisfaisants pour l'équilibre budgétaire de la Russie, et plusieurs personnages officiels ou institutions avaient laissé entendre que le pays ne redoutait pas les effets économiques d'une éventuelle baisse des cours.
Mais Leonid Fedoun, un des principaux actionnaires de la compagnie pétrolière privée russe Lukoil, premier producteur devant Rosneft, a exprimé sa méfiance à l'agence de presse russe RBC. Selon lui, la fin de l'accord, va faire perdre à la Russie de 100 à 150 millions de dollars par jour et une augmentation de 2% à 3% de la production ne pourra pas compenser les pertes futures pour le compagnies pétrolières russes.
Le rouble trébuche
Le rouble chute d'ailleurs fortement face au dollar et à l'euro. Face à la devise européenne, il avait perdu en milieu de journée près de 10%, lundi 9 mars à près de 85 roubles pour un euro, contre 74 roubles en fin de semaine, et moins de 70 roubles en début d'année. Face au billet vert le rouble chutait en milieu de journée jusqu'à 73,76 roubles pour un dollar contre 68 roubles vendredi et 61 roubles en janvier.
La désintégration de l'OPEP+, composé de membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole, plus la Russie et d'autres producteurs, comme le Kazakhstan et le Mexique met fin à plus de trois ans de coopération pour soutenir les prix du marché.
La fin de cette concertation signifie en outre un retour à une guerre de prix aux répercussions difficilement prévisibles aujourd'hui. Deux «sources» citées par l'agence Reuters ont confié que l'Arabie saoudite prévoyait d'augmenter sa production de brut au-dessus des 10 millions de barils par jour (bpj) actuels, en avril, dès l'expiration de l'accord actuel de limitation de la production.
L'action de Saudi Aramco chahutée
Mais cette annonce et les prix bas du pétrole qu'elle permet d'augurer a jeté un coup de froid sur le cours de l'action de Saudi Aramco, la société pétrolière du Royaume, dont le titre est passé en dessous de son cours d'introduction en Bourse à la fin de l'année 2019 à moins de 8 dollars.
L'Arabie saoudite, la Russie et d'autres grands producteurs se sont affrontés pour la dernière fois en 2014 pour obtenir des parts de marché dans le but de restreindre la production des Etats-Unis, qui n'ont adhéré à aucun pacte de limitation de la production et sont désormais le plus grand producteur mondial de brut.
Certains acteurs du marché de l'énergie estiment que l'actuelle baisse des cours du brut est passagère... à moins qu'elle ne débouche sur une crise plus grave. C'est le cas de Keith Barnett, vice-président chez ARM Energy à Houston (Texas) aux Etats-Unis, cité par Reuters, pour qui : « Le calendrier de cet environnement de baisse des prix devrait être limité à quelques mois, à moins que tout cet impact du virus sur le marché mondial et la confiance des consommateurs ne déclenche la prochaine récession.»
Baisse de la demande mondiale
Pour la banque d'affaire américaine, Goldman Sachs, le Brent devrait rester aux environs de 30 dollars le baril pendant les six prochains mois, et pourrait même chuter cette année jusqu'à 20 dollars le baril. Il prédit aussi que la demande mondiale de brut va se réduire de 150 000 bpj
La Russie, l'un des principaux producteurs mondiaux aux côtés de l'Arabie saoudite et des Etats-Unis, a également déclaré qu'elle pourrait augmenter sa production, ajoutant qu'elle pourrait faire face à des prix bas du pétrole pendant six à dix ans.
L'Agence internationale de l'énergie estime que la demande de pétrole devrait se réduire au lieu d'augmenter en 2020, pour la première fois depuis 2009.
Jean-François Guélain