05/05/2025 investigaction.net  6min #276966

Comment la guerre commerciale d'Hitler a pavé la voie à la guerre

Marc Vandepitte

(AFP)

Faisant référence à la guerre commerciale de Trump, l'historien Timothy W. Ryback affirme dans une tribune remarquable que l'adoption précoce par Hitler des tarifs douaniers et du nationalisme économique n'était pas seulement une mauvaise stratégie, mais aussi un prélude à la guerre. Voici un résumé.

Le 30 janvier 1933, Hitler devient chancelier de l'Allemagne. À peine 48 heures plus tard, ses ministres insistent déjà sur l'augmentation des droits de douane agricoles. Non par conviction économique, mais pour des raisons politiques. Hitler voulait marquer des points aux élections cruciales prévues un peu plus d'un mois plus tard, le 5 mars.

De bons chiffres économiques étaient pour lui un tremplin vers le pouvoir. Une fois la majorité absolue obtenue, il gouvernerait d'une main de fer.

Le gouvernement d'Hitler était dépourvu de vision, dirigé par un homme qui ne comprenait presque rien à l'économie. Hitler parlait de l'inflation comme d'une question de volonté, et promettait la stabilité des prix avec l'aide de sa Sturmabteilung paramilitaire, mieux connue sous le nom de Chemises brunes. En réalité, il ne savait pratiquement pas comment fonctionne un budget.

Fondamentalisme économique

Pour élaborer ses idées économiques, Hitler comptait sur Gottfried Feder, économiste du parti et protectionniste fanatique. Feder plaidait pour une économie fermée, autarcique, dans laquelle des ouvriers allemands produisent des biens allemands pour des consommateurs allemands.

Sa vision était aussi raciste qu'économiquement absurde : l'Allemagne devait se détacher d'un monde globalisé. « Le national-socialisme exige que les besoins des travailleurs allemands ne soient plus satisfaits par des esclaves soviétiques, des coolies chinois et des nègres (sic) », écrivait Feder. Les tarifs douaniers, pensait-il, libéreraient l'Allemagne.

Feder rejetait à la fois le capitalisme et le marxisme. Sa solution : le nationalisme économique, avec des restrictions à l'importation et la protection du marché intérieur. Selon lui, les Allemands devaient être « protégés de la concurrence étrangère ». Cela sonnait comme une politique favorable aux travailleurs, mais cela s'est avéré être un prélude au chaos économique et au chômage.

Avertissements ignorés

Tandis que Feder rêvait d'autosuffisance, d'autres membres du cabinet alertaient sur les conséquences. Le ministre des Affaires étrangères, Von Neurath, parlait de guerres commerciales potentielles et de hausses de prix allant jusqu'à 600 %. L'ancien ministre Eduard Hamm avertissait que l'Allemagne avait besoin de ses marchés d'exportation pour maintenir l'emploi industriel.

Hamm expliquait que l'Allemagne exportait bien plus de produits industriels qu'elle n'importait de produits agricoles. Les taxes ne feraient pas que freiner le commerce, mais mettraient également en danger trois millions d'emplois.

Hamm écrivait des lettres, appelait à la prudence, mettait en garde contre la méfiance des partenaires commerciaux internationaux. Il rappelait à Hitler que le système de marché libre repose sur la confiance, l'État de droit et le respect des obligations contractuelles.

Mais ces avertissements sont restés lettre morte. Hitler ne fit aucun effort pour rassurer les marchés. Il continuait d'affirmer que les taxes étaient nécessaires et qu'il avait besoin de temps pour réparer le pays ruiné que lui avaient légué ses prédécesseurs.

Incertitude sur les marchés

Ironiquement, Hitler arriva au pouvoir alors que l'économie se relevait à peine du krach de 1929. La Bourse allemande avait rebondi à l'annonce de sa nomination. Mais cet enthousiasme s'est rapidement évaporé. L'incertitude quant à la nouvelle direction politique provoqua une stagnation.

Alors qu'Hitler tardait à présenter un plan clair, les entrepreneurs et les économistes commencèrent à s'opposer ouvertement. L'Association allemande de l'industrie et du commerce mit en garde contre les mesures de rétorsion des partenaires commerciaux. Les entreprises retardèrent leurs investissements. La confiance dans la politique économique fondit comme neige au soleil.

Graisse de porc

Hans Joachim von Rohr, qui travaillait au ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation, expliqua à la radio nationale le raisonnement derrière la politique tarifaire de Hitler. Selon von Rohr, les produits que l'Allemagne ne produisait pas suffisamment elle-même devaient être rendus artificiellement plus chers. Grâce aux droits de douane, ces biens rares - souvent importés - deviendraient plus onéreux pour le consommateur.

L'idée était que les agriculteurs seraient ainsi financièrement incités à produire eux-mêmes ces produits en plus grande quantité, car le marché intérieur deviendrait plus attractif en l'absence de concurrence étrangère. On espérait ainsi renforcer l'autosuffisance de l'Allemagne.

Comme exemple, von Rohr prit la graisse de porc (Schmalz), un produit de base de la cuisine allemande. Si son importation devenait plus coûteuse en raison de droits de douane plus élevés, les agriculteurs seraient encouragés à élever des porcs plus gros qui produisent plus de graisse, au lieu des « porcs à bacon » plus petits.

De cette façon, raisonnait-il, l'Allemagne deviendrait plus indépendante des importations alimentaires étrangères. Mais les porcs plus gros mangeaient davantage et rapportaient moins que les porcs à bacon. Le plan était économiquement absurde.

Un expert économique souligna que le système commercial international fonctionnait depuis deux cents ans et que la politique tarifaire de Hitler plongerait le pays dans une « grave crise » pouvant coûter des centaines de milliers d'emplois. Et cela avant même que des mesures de rétorsion ne soient prises.

L'exemple de la graisse de porc montrait douloureusement à quel point la logique économique faisait défaut. Les agriculteurs furent les premières victimes de la politique censée les sauver.

Spectacle politique, désastre économique

Les taxes d'Hitler, annoncés le vendredi 10 février 1933, laissèrent les observateurs sans voix. Le New York Times parla d'une véritable « guerre commerciale » contre les voisins européens.

Les droits de douane sur les produits agricoles et textiles augmentèrent jusqu'à 500 %. Les pays scandinaves et les Pays-Bas furent particulièrement touchés. Le Danemark vit ses exportations d'élevage s'effondrer. Les contre-mesures ne se firent pas attendre.

En quelques jours, les chiffres à l'export chutèrent. Des réunions avec des représentants étrangers furent annulées. Les partenaires commerciaux menacèrent de sanctions.

Le soir même, Hitler apparut au Sportpalast de Berlin, vêtu de son uniforme brun. Il parla de rétablissement de l'honneur, d'autosuffisance et de résistance au Traité de Versailles (1919), qui avait imposé à l'Allemagne de lourdes réparations après la Première Guerre mondiale. Pas un mot sur la guerre commerciale qu'il avait lancée ce jour-là.

Il ne mentionna pas non plus le réarmement qu'il avait discuté la veille en conseil des ministres. Là, il avait déclaré : « Des milliards de Reichsmarks sont nécessaires pour la reconstruction de l'armée. L'avenir de l'Allemagne dépend uniquement et exclusivement de la reconstruction de l'armée. »

La guerre commerciale de Hitler avec ses voisins ne serait qu'un prélude à sa guerre dévastatrice contre le reste du monde.

L'histoire se répète, mais jamais de la même manière. « Elle se manifeste d'abord comme une tragédie, puis comme une farce », dit une célèbre boutade. Nous connaissons la tragédie des années 30. Espérons que nous en avons suffisamment tiré les leçons pour être épargnés de la farce.

Timothy W. Ryback est un historien germano-américain et directeur de l'Institute for Historical Justice and Reconciliation à La Haye. Il a notamment écrit Hitler's Private Library et Takeover: Hitler's Final Rise to Power. Ryback publie régulièrement dans The Atlantic, The New Yorker et The New York Times.

Source :  The Atlantic

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