04/04/2024 reseauinternational.net  10min #246166

 Syrie : une annexe de l'ambassade d'Iran à Damas détruite par une frappe israélienne

Comment les Iraniens font-ils «bouillir une grenouille» ? Lentement & méthodiquement

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par Shivan Mahendrarajah

Ne prenons pas la retenue de l'Iran après l'attaque israélienne pour de la faiblesse. Téhéran exerce une pression constante sur Tel-Aviv, préparant soigneusement le terrain pour la chute d'Israël.

Une des stratégies de la guerre asymétrique est illustrée par la théorie de la «grenouille en ébullition» :

«La légende veut qu'une grenouille placée dans une casserole d'eau peu profonde chauffant sur une gazinière reste bien sagement dans sa casserole alors que la température continue d'augmenter, et n'en sorte pas même si l'eau atteint lentement le point d'ébullition, et tue la grenouille. Le changement de température progressif d'un degré à la fois est si lent que la grenouille ne se rend pas compte qu'elle est en train de bouillir, et qu'il est trop tard».

Bien que cette histoire soit une fable, une jolie fable censée relayer une leçon importante, elle est fréquemment invoquée par les  militaires et les géopoliticiens pour décrire le «long processus» permettant d'atteindre ses objectifs stratégiques.

Aujourd'hui, ce sont l'Iran et ses alliés régionaux qui adoptent une approche méthodique pour faire monter la température en Asie occidentale, jusqu'à ce que l'eau fasse bouillir les «grenouilles» américaines et israéliennes jusqu'à ce que mort s'ensuive. La stratégie, la discipline et une patience rare - l'antithèse du  modèle à court terme occidental - mèneront l'Iran à la victoire. Pour citer les Taliban : «Les Américains ont des montres, mais nous avons du temps».

Le temps est désormais du côté du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) et de ses alliés régionaux. Deux exemples connexes montrent comment le Corps des gardiens de la révolution islamique étalonne les températures comme le feraient des scientifiques dans un laboratoire.

La grenouille Yankee

Au lendemain de la mise en œuvre de l'opération de résistance «Al-Aqsa Flood» menée par le Hamas le 7 octobre dernier, le président américain Joe Biden a déployé des navires de la marine américaine dans le golfe Persique et la mer Méditerranée pour «défendre» Israël.

Le 26 novembre, l'USS Eisenhower et ses escortes ont traversé le détroit d'Ormuz, jetant l'ancre dans le golfe Persique du côté de l'Arabie saoudite. Les forces navales yéménites alignées sur Ansarullah ont d'abord ciblé  les navires israéliens et le port d'Eilat en tirant leurs premiers coups de feu le 19 octobre. Mais le 29 novembre, leurs attaques se sont intensifiées pour inclure les navires à destination ou en provenance d'Eilat, sans distinction de pavillon ou de propriétaire.

Ce schéma a culminé avec l'annonce par le Pentagone, le 18 décembre, de  l'opération  «Prosperity Guardian», destinée à préserver les intérêts économiques d'Israël aux frais du personnel militaire américain. Par la suite, l'Eisenhower et ses escortes navales ont quitté le golfe Persique pour la mer Rouge et le golfe d'Aden, soi-disant pour «défendre» l'État d'occupation.

Or, le positionnement des forces navales américaines en mer Rouge et dans le golfe d'Aden les a rendues vulnérables aux attaques potentielles de l'Iran ou des armes fournies par l'Iran, y compris les missiles de croisière, les missiles balistiques et les drones.

Malgré les actions de l'US Navy (USN) et de l'US Air Force (USAF), Ansarullah [Yemen] reste invaincu. Les précédentes frappes aériennes anglo-américaines au Yémen se sont avérées inefficaces, tandis que le rythme soutenu et  la portée croissante des opérations yéménites ont mis à rude épreuve les ressources navales et sapé  le moral des troupes.

Contrairement aux «canons de Hollywood», les navires de la marine américaine ne disposent pas d'un nombre illimité de missiles d'interception et ne peuvent pas non plus être rechargés en mer. Quant au moral des militaires américains, il s'effondrera à long terme, d'autant que de nombreux matelots et Marines, si ce n'est la plupart d'entre eux, ne sont tout simplement pas convaincus de la nécessité de se battre pour Israël.

Le mois dernier, le capitaine Chris Hill, commandant de l'USS Eisenhower, a  déclaré : «Les gens ont besoin d'une pause, ils ont besoin de rentrer chez eux».

Alors que les matelots, les Marines et les aviateurs se fatiguent à esquiver quotidiennement les drones et les missiles d'Ansarullah, la «grenouille Yankee» barbote allègrement dans son jacuzzi de Washington, persuadée que la «puissance» de l'USN viendra à bout de ces satanés «Houthis».

On peut affirmer que cette opération bien calibrée, soutenue par l'Iran, a permis d'atteindre deux objectifs : d'une part, faire sortir le groupe aéronaval du golfe Persique et, d'autre part, faire tomber les États-Unis dans un piège escalatoire. La grenouille yankee se trouve au carrefour de la mer Rouge et du golfe d'Aden. Elle ne peut pas gagner.

Soit elle en sortira et se repliera, humiliée, ruinant encore davantage la crédibilité des forces armées américaines après  le fiasco cuisant de 2021 en Afghanistan, soit elle restera dans la marmite et sera ébouillantée à mort - avec perte de navires et de vies humaines.

Dans les deux cas, l'Iran est gagnant. En outre, une défaite américaine face à l'Iran sera applaudie par la Chine, la Russie et de nombreux États adversaires des États-Unis, en particulier dans les pays du sud de la planète. Comme l'a fait remarquer un utilisateur avisé de Twitter/X, 𝕏 Armchair Warlord (décrivant les réponses probables de la Russie aux provocations ukrainiennes), l'Iran a démontré, par ses actes, un «contrôle réfléchi» sur les actions de Washington. Il entend par là que «si chaque action militaire entreprise entraîne une réaction symétrique, vous pouvez alors contrôler la nature, le lieu et le rythme du conflit à votre avantage». C'est précisément ce que le CGRI est en train de faire de manière astucieuse.

La grenouille israélienne

Pendant ce temps, la petite «grenouille israélienne», somnolant dans l'eau chaude, rêve de son «nouvel Israël» - l'Israël qu'elle créera une fois qu'elle aura ethniquement purifié Gaza de sa population autochtone. Il prévoit de développer Gaza, de construire des appartements de luxe en bord de mer et des logements pour les nouveaux colons.

Les architectes sont en train de dessiner des plans. Le gendre de l'ancien président et actuel candidat républicain Donald Trump, Jared Kushner, un bienfaiteur de Netanyahou et son parti, le Likoud, choisit les rideaux de  son condominium en front de mer à Gaza.

Cependant, l'armée israélienne n'a pas vaincu le Hamas, qui continue d'infliger des dégâts considérables aux équipements militaires et aux effectifs israéliens. Selon une estimation, le Hamas n'a été impacté que de 15 à 20%. L'armée d'occupation dépend entièrement des États-Unis et de ses États vassaux européens pour l'armement, car ses capacités de production nationales sont limitées.

Selon une estimation, quelque 500 000 colons ont regagné leurs pays d'origine, et  la plupart ne reviendront pas. Depuis le 7 octobre, la conscription n'est plus une obligation sûre mais gênante de trois ans : les parents ont peur pour leurs filles et leurs fils.

Un courant de désobéissance latente, née de l'invasion israélienne du Liban en 1982, a repris le dessus. Les appelés refusent de servir et sont donc emprisonnés.  L'exemption de conscription pour les juifs ultra-orthodoxes a expiré le 1er avril : ils menacent de fuir Israël, dont la survie même dépend de la présence de juifs dans le pays.

Si les représentants des juifs ultra-orthodoxes quittent la coalition du Premier ministre Benjamin Netanyahou, cela pourrait entraîner la chute de son gouvernement extrémiste. Les tensions internes au sein de la société israélienne s'intensifient, alimentées par les pressions socio-économiques et la désillusion quant à la gestion de la guerre par le gouvernement.

L'économie israélienne est sinistrée. Le shekel est en baisse. Il ne vaut plus que 3,60 ILS pour 1 USD, après avoir atteint des sommets de 4,01 ILS pour 1 USD, et d'autres baisses sont à venir. Les déficits budgétaires et les taux d'emprunt sont montés en flèche. Moody's [entreprise américaine spécialisée dans les solutions de gestion des risques et l'analyse financière d'entreprises commerciales ou d'organes gouvernementaux] a  rétrogradé la cote de crédit d'Israël de A1 à A2 le 9 février. L'industrie touristique israélienne s'est effondrée et traverse une véritable crise. La plupart des grandes compagnies aériennes ne desservent plus Israël. Les secteurs manufacturier et agricole d'Israël sont peu développés. Israël a un accès limité aux ressources naturelles et à l'énergie : il dépend des voies de communication terrestres vers la Jordanie et l'Égypte, le pétrole et le gaz azerbaïdjanais arrivant à Haïfa depuis la Turquie.

L'Iran fait à Israël ce qu'Israël lui a fait par le biais de sanctions économiques. Mais contrairement à Israël, l'Iran dispose d'abondantes réserves de pétrole et de gaz, compte 85 millions de personnes alphabétisées et éduquées qui n'ont pas l'intention de fuir, et dispose de formidables infrastructures agricoles et manufacturières.

Téhéran étrangle méthodiquement l'économie israélienne. Le port de Haïfa figure sur la liste des cibles du Hezbollah. Si Haïfa devait fermer, tout comme Eilat, Israël ne disposera plus que de voies de communication terrestres pour ses approvisionnements en vivres et en énergie. L'aéroport international Ben Gurion et d'autres aéroports pourraient bien être touchés prochainement.

Faire monter la température, d'un degré à la fois

La récente attaque israélienne contre la mission diplomatique iranienne à Damas, prétendument en réponse à l'attaque d'un drone irakien contre Eilat, illustre les appréhensions et les  frustrations de Netanyahou : «Le monde entier est ligué contre nous».

La stratégie de Netanyahou consiste apparemment à pousser l'Iran à intensifier les tensions, en l'incitant éventuellement à prendre pour cible les installations militaires américaines dans la région, entraînant ainsi les États-Unis au cœur de la guerre de Gaza. Il n'est toutefois pas certain que Téhéran morde à l'hameçon.

S'il est probable que le Corps des gardiens de la révolution islamique réagisse, il cherchera à éviter de tomber dans le piège tendu par Netanyahou. L'Iran pourrait plutôt choisir de resserrer son étau économique sur Israël, peut-être en frappant des sites stratégiques comme Eilat, Haïfa, et l'aéroport Ben Gourion.

Le CGRI sait que l'économie israélienne ne peut résister à un conflit prolongé. Sa stratégie pourrait donc consister en une escalade graduelle, c'est-à-dire en une lente ébullition pour la grenouille israélienne, par le biais d'actions coordonnées impliquant le Hezbollah, Ansarullah et diverses factions basées en Syrie et en Irak.

Comme l'a fait remarquer l'économiste Herbert Stein, «Quand une situation ne peut perdurer, elle s'arrête». Alors qu'Israël est encore loin d'être au bord de l'effondrement, les actions méthodiques et avisées du Corps des gardiens de la révolution islamique ne cessent d'accroître les tensions régionales. Si rien n'est fait, la société et l'économie israéliennes pourraient s'en trouver fortement affectées, sans pour autant en prendre conscience, à l'instar de la petite grenouille en ébullition.

source :  The Cradle via  Spirit of Free Speech

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