Alain Gabon
François Zimeray, Sophia Aram, Xavier Gorce, Caroline Fourest et Etienne Gernelle (AFP)
Au plus fort du siège de la famine et du génocide d'Israël à Gaza, les médias français ont systématiquement amplifié la propagande israélienne, caché l'ampleur de ses atrocités et ignoré les souffrances palestiniennes.
Malgré un intérêt apparemment plus grand manifesté pour le sort horrible des Palestiniens entre mai et octobre, en alignement avec les déclarations un peu plus critiques des gouvernements occidentaux, les médias français traditionnels n'ont jamais cessé de relayer sans recul la rhétorique du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, alors même que les Palestiniens étaient décimés sous nos yeux.
Ce petit changement de ton, temporaire, n'a en rien marqué une évolution de leurs positions massivement pro-israéliennes, mais seulement une opération de contrôle des dégâts durant la phase la pire phase du génocide.
Les médias français - et, dans une certaine mesure, ceux de nombreux autres pays - ont donc été contraints de faire semblant d'être plus critiques envers Israël et d'accorder davantage de place au sort des Palestiniens.
Mais dans le même temps, ils ont déployé une panoplie de stratégies qui ont annulé cet infléchissement déjà très modéré et provisoire, leur permettant de continuer à coller au plus près de la ligne officielle israélienne.
Ces méthodes furent - et demeurent - systématiques sur les principales chaînes françaises de télévision et de radio, publiques comme privées, ainsi que dans les grands journaux et magazines, du centre gauche à l'extrême droite.
La seule exception est le petit quotidien communiste L'Humanité, dépourvu de la portée et de l'influence des grands titres. Résultat : un paysage médiatique où la propagande pro-israélienne continue de structurer la couverture à tous les niveaux.
La désinformation par omission
Au moment où la réalité du génocide devenait impossible à nier - après que des universitaires éminents des études sur la Shoah et la Commission d'enquête indépendante de l'ONU l'ont reconnu, et qu'un certain nombre de personnalités publiques israéliennes juives ont relayé l'appel international aux sanctions - les médias français ont saturé leur couverture de propagandistes israéliens connus et de responsables gouvernementaux.
Ils ont accordé une large tribune à des négationnistes du génocide tels que Caroline Fourest et Georges Bensoussan, leur offrant un temps d'antenne long et sans contradiction. Fourest - omniprésente malgré son usage répété de désinformation, souvent dirigée contre les musulmans et en défense d'Israël - a nié le blocus humanitaire imposé par Israël et affirmé que le Hamas mas détournait la nourriture et l'aide. Elle a aussi prétendu que les morts palestiniennes étaient surestimés et devaient être « divisées au moins par cinq, voire par dix », ignorant que ces chiffres sont largement considérés comme fortement sous-estimés.
Pourtant, elle et d'autres ont continué à pouvoir répéter des mensonges prouvés d'Israël, incluant les fausses histoires de bébés décapités.
Des études récentes montrent que les reportages français se contentaient en grande partie de citer Netanyahu ou l'armée israélienne sans recul critique, perroquant les éléments de langage du gouvernement et de l'armée. Ces déclarations constituaient souvent les seules sources pour des reportages, justifiées par un appel à « l'objectivité journalistique ».
Dans le travail médiatique, il faut considérer non seulement ce qui est montré, mais aussi ce qui est tu.
Dans ce domaine, tous les grands médias français ont dramatiquement sous-rapporté la souffrance palestinienne ou ignoré des aspects clés de l'entreprise d'éradication du peuple palestinien, notamment en dehors de Gaza.
Le quotidien influent Le Parisien, souvent moteur de l'agenda médiatique, n'a absolument pas couvert la Cisjordanie durant les onze mois entre octobre 2023 et septembre 2024, passant sous silence la campagne de nettoyage ethnique en cours.
Au pire de l'assaut génocidaire israélien, les JT de 13h et de 20h de France 2 (chaîne publique) et de TF1 (chaîne privée) ont quasiment cessé de couvrir Gaza : cinq minutes pour France 2 et huit pour TF1 sur dix jours consécutifs (5-14 septembre 2025) - la plupart du temps consacrées à répéter la ligne officielle israélienne.
Ils ont toutefois trouvé suffisamment de temps pour des sujets futiles, comme des informations sur les célébrités ou des rumeurs sur Brigitte Macron circulant sur les réseaux sociaux.
Ces choix éditoriaux - similaires de bout en bout dans les médias publics et privés, et manifestement délibérés - reviennent à censurer les milliers de civils palestiniens tués ou blessés en Cisjordanie et à Gaza, les rendant invisibles.
Cela s'est produit alors que les journalistes étaient déjà interdits d'accès à Gaza afin qu'Israël puisse tuer à huis clos et couvrir ses crimes - y compris, si nécessaire, en ciblant les journalistes qui tentaient malgré tout de les documenter.
Une aseptisation systématique
Les médias occidentaux suppriment systématiquement les informations qui exposent les actes d'Israël : les illégalités de ses bombardements en Iran, en Syrie, au Liban ; son long passif de violations du droit international ; ses condamnations répétées à l'ONU pour crimes de guerre ; ou encore le fait stupéfiant qu'un État considéré comme allié et démocratique est dirigé depuis des années par un homme recherché par la Cour pénale internationale pour crimes contre l'humanité, meurtre et autres actes inhumains.
Ce silence relève de la désinformation par omission.
On observe aussi une aseptisation constante du langage utilisé pour décrire les atrocités d'Israël depuis 1948.
Depuis deux ans, un génocide devient simplement une « guerre contre le Hamas » ou un nouvel épisode du soi-disant « conflit israélo-palestinien ».
Des mots comme « colonisation », « colonialisme », « apartheid », « suprémacisme juif », « massacres » ou même « territoires occupés » sont quasiment absents, révélant des choix éditoriaux destinés à occulter des faits centraux et irréfutables.
Le nettoyage ethnique devient un « déplacement de population ».
La colonisation devient une « évacuation stratégique et méthodique » ou une « expansion offensive ».
Les cibles civiles - écoles, hôpitaux - deviennent des « positions ennemies ».
Un État raciste, colonial, ségrégationniste et suprémaciste religieux devient une « démocratie » et une composante « de l'Occident ».
Cette rhétorique reflète celle d'Israël, en ignorant que des historiens israéliens juifs ont depuis longtemps déconstruit ces mythes d'auto-légitimation.
De même, Israël ne « tue » jamais : les Palestiniens « meurent » ou « sont tués », la voix passive effaçant la responsabilité israélienne.
Depuis le 7 octobre 2023, les médias français et occidentaux ont adopté l'alibi d'Israël : décrire ces deux années horribles comme de la « légitime défense », en parfait double discours orwellien.
Il est aussi remarquable qu'Israël ne soit jamais qualifié d'« État terroriste », alors qu'il est l'un des plus létaux du monde et soutient activement le terrorisme, tandis que des termes comme « terrorisme », « terreur », « massacre », « meurtre » sont réservés exclusivement à ses adversaires.
Deux poids, deux mesures
Outre ce qui est rapporté ou non, la manière de présenter les informations est tout aussi cruciale.
Les observatoires des médias - Acrimed, Arret sur Image, Les Mots Sont Importants ( LMSI) et Blast - ont documenté un cadrage radicalement pro-Israël dans les grands médias français, à tel point que même l'IA de Google ne trouve rien de positif à dire sur leur couverture du « conflit » de Gaza.
Les voix pro-Netanyahu dominaient à la fois le temps de parole et la tonalité, tandis que les rares invités pro-palestiniens étaient marginalisés, accusés d'être « pro-Hamas », constamment interrompus et placés face à plusieurs invités pro-israéliens et à des « modérateurs ».
Les doubles standards étaient également flagrants dans la couverture des victimes et des échanges d'otages et de prisonniers. France 24 a consacré trois minutes et demie au direct montrant la libération de 20 Israéliens, mais seulement une minute pour 90 Palestiniens. Le ton était enthousiaste pour les Israéliens, expédié pour les Palestiniens.
Les Palestiniens étaient décrits comme des « prisonniers », pas des « otages », avec une insistance constante sur leur prétendu terrorisme. Certains commentateurs ont même qualifié tous les otages palestiniens de « terroristes», ignorant que beaucoup étaient des enfants maltraités dans les prisons israéliennes, reprenant mot pour mot la ligne officielle israélienne.
Autre aspect de ce traitement préférentiel : seule l'humanisation des 20 otages israéliens a été poussée à l'extrême, avec photos, récits personnels et biographies.
Rien de tel pour les otages palestiniens, pourtant bien plus nombreux, dont de nombreux enfants, quasi absents de la couverture.
Ces doubles standards dans la valeur accordée aux vies innocentes sont à la fois quantitatifs et qualitatifs.
On retrouve la même logique dans les réactions au « plan de paix » de Trump : on exige que la Palestine soit démilitarisée et « déradicalisée », mais aucune demande similaire n'est formulée envers Israël, qui a tué bien plus de civils sans défense que le Hamas et toutes les autres factions palestiniennes réunies.
Aucune mention non plus de la radicalisation de la société israélienne, pourtant décrite dans les sondages et les reportages comme profondément déshumanisée et violemment extrémiste - une société gouvernée par des fanatiques religieux élus par sa propre population.
Le plan Trump offre de vastes garanties de sécurité à Israël, mais ignore totalement celles des Palestiniens, qui restent les victimes d'un génocide à grande échelle ayant fait des dizaines de milliers de morts et des centaines de milliers de blessés, en immense majorité des civils désarmés.
« Présentisme fallacieux »
Parmi les méthodes de désinformation courantes, on trouve la réduction au Hamas, qui justifie les massacres de civils en prétendant qu'Israël ne visait que le Hamas, ainsi que la réduction au 7 octobre, qui excuse tous les crimes israéliens des deux dernières années en invoquant « le 7 octobre » comme prétexte.
Cela permet à des personnalités médiatiques et à de pseudo-experts - presque toujours des propagandistes pro-Israël présentés comme spécialistes du Moyen-Orient - d'éluder les questions centrales.
Interrogée sur la colonisation illégale d'Israël, qui précède de très loin le 7 octobre, l'omniprésente Rina Bassist a immédiatement invoqué « l'attaque du Hamas », alors même que le Hamas n'a rien à voir avec la colonisation et n'existait pas lorsque celle-ci a commencé.
Ce présentisme fallacieux efface les causes profondes et l'histoire longue ayant conduit à cette attaque horrible, et occulte le fait que l'entreprise génocidaire d'Israël a commencé bien avant octobre 2023.
Elle s'inscrit dans un continuum remontant aux campagnes de nettoyage ethnique de 1947, que les médias occidentaux dissimulent par la désinformation par omission.
Toute tentative d'expliquer cette histoire et ce contexte essentiels est perçue comme une justification de l'attaque.
La diversion est également fréquente : au lieu de couvrir le génocide, les médias français refocalisent sur l'antisémitisme en France ou fabriquent des polémiques autour d'incidents mineurs, tels que quelques mairies ayant hissé des drapeaux palestiniens, dont les maires furent présentés comme « pro-Hamas ».
La fausse symétrie est une autre tactique hypocrite : mettre sur le même plan l'attaque du Hamas et l'assaut israélien de deux ans, parler de « souffrances des deux côtés » ou de « victimes palestiniennes et israéliennes ».
Cela crée une égalité fictive qui n'existe pas dans la réalité, masquant la dissymétrie radicale entre une population civile bombardée et l'État colonial qui la bombarde.
Naufrage journalistique
Enfin, la couverture médiatique demeure extrêmement limitée, à la fois géographiquement et historiquement.
Les attaques israéliennes au Liban ou en Syrie furent à peine mentionnées, et les innombrables débats sur le 7 octobre et les deux années suivantes ont soigneusement évité les questions fondamentales : les racines de l'attaque, l'occupation brutale de plusieurs décennies, ou le contexte plus large qui l'a rendue possible.
Deux questions essentielles n'ont jamais été posées :
- Cet épisode génocidaire récent fait-il partie d'une longue campagne d'extermination contre les Palestiniens qui a commencé en 1947 et se poursuit depuis, alternant massacres ouverts et « génocide furtif » permanent ?
- Ce génocide - et la déshumanisation visible dans la société israélienne - est-il inscrit dans la nature même du projet sioniste, sinon comme intention explicite, du moins comme conséquence logique d'un projet exigeant la disparition des Palestiniens ?
Sur les plans professionnel et éthique, la couverture française du dossier Israël-Palestine du 7 octobre à aujourd'hui constitue un naufrage journalistique, mais un naufrage conforme au plan (d'Israël).
En accord avec la politique étrangère française depuis l'ère Sarkozy, les médias français ont surpassé leurs propres excès dans leur couverture de Gaza, se montrant souvent encore plus pro-Israël, propagandistes et inconditionnellement sionistes que de nombreux journalistes israéliens juifs, historiens de l'Holocauste , ONG comme B'Tselem ou même l'ancien Premier ministre Ehud Olmert.
Source : Middle East Eye
Traduit de l'anglais au français.





