
Par Nate Bear, le 11 décembre 2025
Garder son humanité est l'un des plus grands défis futurs.
Les pressions sociales, technologiques et économiques pour y renoncer seront nombreuses et croissantes.
Ces pressions, incitations et autres injonctions ne seront pas nécessairement présentées comme telles. La plupart d'entre elles seront enrobées de discours sur le progrès, sous l'égide des néolibéraux et technocrates.
Elles émaneront des élites, mais aussi de citoyens lambda convaincus par le projet, par cette grande illusion.
L'intelligence artificielle, dont j'ai récemment évoqué à plusieurs reprises les effets insidieux, en est l'illustration parfaite.
Les discours messianiques sur notre avenir avec l'IA, prônés par les hauts responsables techno-politiques, donneraient des haut-le-cœur à un cochon.
Le PDG de Google, Sundar Pichai, affirme que l'IA "présente un potentiel de transformation qui surpasse celui de l'électricité ou du feu". Melinda Gates estime qu'elle permettra de résorber la pauvreté, de lutter contre le réchauffement climatique et de venir à bout des maladies. Malheureusement, la plupart de ces affirmations restent nébuleuses. Le Premier ministre britannique, Keir Starmer, est d'avis qu'il ne faut pas s'inquiéter de perdre notre humanité, car l'IA Starmer says artificial intelligence 'makes us more human' - London Tech Week speech .
Plus humains ?
Que quoi ?
Qu'est-ce qui nous déshumanise, Keir ? En quoi notre système actuel manque-t-il d'humanité, Keir ?
Saturer notre monde de technologie pour libérer notre humanité endormie ou opprimée n'est que du divagationnisme. C'est une insulte à notre intelligence la plus basique de suggérer que l'essence de notre humanité peut émerger ou être émancipée par des machines plutôt que de notre propre fait.
L'IA ne nous sauvera pas.
L'IA brouille toutes les frontières connues entre le vrai et le faux. Et comme vous l'avez sans doute remarqué, les gens peinaient déjà à faire la différence avant l'assaut de la révolution de l'IA.
Vous avez peut-être constaté que, malgré un prosélytisme acharné, personne n'est vraiment clair sur le sujet. Sur la manière dont l'IA fonctionne.
Au-delà de la propagande et des discours simplistes, soyons clairs : des technologies gérées par des capitalistes dans l'optique capitaliste ne nous rendront pas plus humains.
Comment devenir plus humain via un système inhumain de rapports économiques dont le code source se résume à une logique d'extraction et d'exploitation ?
Car c'est précisément ça, Keir, qui nous déshumanise.
L'IA n'est pas un modèle alternatif de système économique. Ce n'est qu'un outil de plus au service de l'hégémonie capitaliste, manipulé par les acteurs du capital.
L'IA peut vous priver de votre emploi, mais elle ne réduira pas votre journée de travail. Elle sera pourtant utilisée comme arme contre vous. Pourquoi n'êtes-vous pas plus productif, Nate, alors que vous disposez du fabuleux assistant IA ? Un ami cadre m'a déjà dit que l'IA est formidable, mais qu'elle "ne fonctionne que si vous savez comment en tirer parti".
La machine est là pour optimiser et booster vos performances. Si l'IA ne vous aide pas, c'est que vous ne savez pas l'utiliser.
Et c'est vous qu'on blâmera, pas la machine.
Dans ces conditions, rester humain ne sera pas de tout repos, comme c'est déjà le cas. Et nombreux sont ceux qui, dans leur adhésion à un avenir basé sur l'IA, ne remarqueront même pas que leur humanité leur échappe peu à peu.
Rester humain à l'avenir va devenir un défi.
Nous aurons besoin d'un détecteur de conneries particulièrement bien affûté.
Après la négation d'un génocide par les élites et sa qualification en guerre d'autodéfense, nous voyons déjà à quoi nous attendre.
L'avenir sera riche en occasions de régler ledit détecteur.
Et l'avenir, c'est maintenant.
À Gaza, un génocide à combustion lente a été qualifié de cessez-le-feu. On parle de "zone de sécurité" pour désigner l'annexion de territoires par Israël. La destruction de villes entières n'est autre que de l'antiterrorisme. Les écoles et les hôpitaux seraient des bastions terroristes.
Dans la Caraïbe et le Pacifique, des pêcheurs, des hommes anonymes, à qui l'on refuse toute présomption d'innocence, sont accusés de "narco-terrorisme" et exécutés hors cadre légal.
Narco-terroriste. Ça vient de sortir. Une invention rhétorique. Une fiction politique conçue pour fabriquer du consentement au meurtre.
Sans surprise, le terme a été très vite adopté par le récit impérial en vigueur.
Et quand, à l'avenir, les discours seront moins rétrogrades et que les appels à sacrifier notre humanité n'évoqueront plus explicitement l'idée de progrès, ils seront présentés comme un mal nécessaire.
Et l'avenir regorgera d'occasions de régler notre détecteur de balivernes.
Un utilisateur de Twitter a retrouvé un document rédigé l'année dernière par le NHS England, l'organisme qui régit les prestations de santé en Angleterre, qui détaille la gestion des futures pandémies. Ce document indique
qu'"il sera impossible de stopper la propagation d'un nouveau virus pandémique et que tout effort en ce sens serait un gaspillage des ressources et des capacités de soins publics". Il souligne également qu'"élaborer des scénarios est inutile, car qui sait ce qui peut réellement se produire ?"
Voilà une incitation claire à faire fi de notre humanité, ou je mange mon chapeau.
C'est l'effondrement total de la notion même de santé publique, sans parler des institutions.
"Un gaspillage des ressources de santé publique" n'est qu'un euphémisme pour annoncer : "La prochaine fois, on consacrera moins d'argent à sauver des vies".
Il faut admettre que la plupart des pays ont tiré un enseignement du Covid : du point de vue capitaliste, mieux vaut laisser mourir les plus âgés et les plus fragiles.
Et la leçon que nous, prolétaires, aurions dû tirer du Covid est que nous sommes tout simplement jetables. Notre conscience de classe aurait dû s'en trouver grandie.
Malheureusement, sous l'influence du capital, la plupart des gens, endoctrinés, tirent les conclusions inverses. Ils se disent que nous formons des îlots d'autonomie libertaire individuelle, uniquement responsables d'eux-mêmes. Que nous ne vivons pas en société. Que la loi du plus fort doit prévaloir.
J'ai déjà écrit à ce sujet. À plusieurs reprises.
Nous récoltons aujourd'hui les funestes conséquences de cette vision des choses. L'une des pires flambées grippales depuis des décennie sévit actuellement dans l'hémisphère Nord. Une souche plus virulente de la grippe A a muté en juin. Les vaccins fabriqués avant la mutation, au printemps, et nos anticorps issus d'infections grippales antérieures sont donc bien moins efficaces. C'est pourquoi certaines autorités sanitaires, au Royaume-Uni et en Europe notamment, recommandent (sans l'imposer) le port du masque dans les hôpitaux et les centres de santé. L'indignation sur les réseaux sociaux à l'idée que quiconque envisage de porter un masque pour protéger autrui est à son comble. L'émoji le plus couramment utilisé pour réagir est "😄".
Qu'on parle de la grippe ou de la prochaine pandémie, le Covid a contribué à ancrer dans les consciences une vision eugéniste de la politique de santé publique. Les désagréments d'une crise sanitaire ont été trop nombreux. Vous vivrez ou mourrez à cause du virus, il est donc inutile de se protéger ou de protéger quiconque. Ce qui doit arriver arrivera. Le show capitaliste, saupoudré de nihilisme, must go on.
Rester humain demain impliquera de rejeter cet antisocialisme. Rester humain signifie refuser les politiques inspirées par l'eugénisme, pour ne citer que la santé publique ou le contrôle migratoire.
Car si la libre circulation virale est une forme d'eugénisme en interne, des frontières toujours plus étanches et militarisées le seront en externe. Avez-vous été bombardé, affamé, sanctionné ou victime du réchauffement climatique au point de devoir fuir votre propre pays ? Êtes-vous en bonne forme physique ? Si vous parvenez à parcourir les 3 200 kilomètres à pied, alors bonne chance pour escalader le mur de 9 mètres de haut qui vous attend, surveillé par des quadricoptères et équipé d'armes de précision.
Et les appels à considérer les groupes X ou Y comme une variable d'ajustement se multiplieront.
Pour rester humain, il va falloir rassembler les pièces du puzzle.
Détecter à quel moment vous et d'autres sacrifiez votre intérêt au profit du capitalisme.
Réaliser que tout est lié.
Sans oublier une bonne dose de joie, de beauté, de justice et d'amour.
Car même si l'avenir risque d'être truffé de manipulation mentale et d'incitations à sacrifier notre humanité, rien n'est perdu.
L'humain n'est pas encore mort.
Voici quelques images d'un incroyable vol d'étourneaux dont j'ai été témoin cette semaine.


Il est probablement trop ringard de dire qu'à l'avenir, quand notre humanité sera menacée, nous devrions lever plus souvent les yeux.
Mais je l'ai dit quand même.
Traduit par Spirit of Free Speech
