14/10/2020 les-crises.fr  7min #180371

Confirmation du déséquilibre énergétique de la Terre - par Johan Lorck

Présentation schématique de l'inventaire de la chaleur pour le déséquilibre énergétique au sommet de l'atmosphère. Source : Karina von Schuckmann et al.

Source :  Global Climat, Johan Lorck

Une évaluation complète du déséquilibre énergétique de la Terre a été publiée par le Système mondial d'observation du climat (GCOS). Dans la revue Earth System Science Data, un groupe de plus de 30 chercheurs d'institutions scientifiques du monde entier a suivi et quantifié le stockage de chaleur global de 1960 à 2018 pour répondre à une question fondamentale : où va la chaleur ?

Pour caractériser le réchauffement climatique, deux paramètres sont particulièrement suivis : l'évolution de la concentration de CO2 et la température à la surface de la Terre. Le déséquilibre énergétique de la Terre (DET ou Earth Energy Imbalance en anglais), reçoit moins d'attention mais c'est probablement la meilleure approche pour comprendre l'état climatique de la Terre. Le DET est la différence entre la quantité d'énergie solaire absorbée par la Terre et la quantité d'énergie que la planète rayonne vers l'espace sous forme de chaleur.

L'absorption de chaleur par l'océan agit comme un tampon, ralentissant le rythme du réchauffement de surface. Ainsi, la capacité de l'océan à stocker et à redistribuer verticalement de grandes quantités de chaleur sur une dizaine d'années signifie que les tendances de température de surface sont un indicateur peu fiable du réchauffement climatique à ces échelles de temps. Le DET traduit en revanche l'excès de chaleur qui s'accumule dans tout le système terrestre : c'est le véritable moteur du réchauffement climatique.

L'inventaire thermique le plus précis et le plus avancé à ce jour  a été publié en septembre par le Système mondial d'observation du climat (GCOS), un programme scientifique dédié à l'observation du climat soutenu par l'Organisation météorologique mondiale et les Nations-Unies. Cette mise à jour est le fruit d'une collaboration entre des chercheurs du monde entier, sous la direction d'une éminente spécialiste du bilan énergétique de la Terre, Karina von Schuckmann. Parmi ses 37 co-auteurs, on trouve le fameux James Hansen, ancien directeur du NASA Goddard Institute for Space Studies, et le jeune Lijing Cheng, qui s'est distingué récemment par ses études sur le contenu en chaleur de l'océan. Les scientifiques ont passé en revue un grand nombre de données pour dresser l'inventaire qui se veut le plus exhaustif possible.

Toute l'énergie entrant ou quittant le système climatique terrestre le fait sous forme de rayonnement au sommet de l'atmosphère (top of atmosphere ou TOA en anglais). La différence entre le rayonnement solaire entrant et le rayonnement sortant, détermine le flux radiatif. Les changements de ce bilan de rayonnement global déterminent l'évolution temporelle du climat de la Terre : si le déséquilibre est positif (c'est à dire moins d'énergie sortante qu'entrante), l'énergie sous forme de chaleur s'accumule sur Terre, ce qui entraîne un réchauffement climatique. Si le DET est négatif, c'est un refroidissement qui se produit.

La nouvelle étude montre que le déséquilibre énergétique de la Terre continue de croître sans relâche et a doublé au cours de la dernière décennie (2010-2018) par rapport à la valeur moyenne de 1971-2018. Le DET est estimé à 0,87 W / m2 sur la période 2010-2018 contre 0,41 W / m2 sur la période 1971-2018.

Le flux net au sommet de l'atmosphère dérivé de la télédétection par satellite donne des résultats similaires au bilan du GCOS pour la période 2005-2018. ll faut cependant préciser qu'il est ancré par une estimation du contenu en chaleur de l'océan (et donc pas complètement indépendant pour le DET total).

Il faut noter cependant, comme l'indiquait Kevin Trenberth  dans une étude de 2014, que le déséquilibre énergétique global n'est pas constant dans le temps. Ceci en raison de la complexité des différents forçages climatiques et également en raison de la variabilité naturelle. Par exemple, les fluctuations ENSO provoquent des changements dans le stockage de chaleur dans l'océan et il y a un mini réchauffement climatique à la fin des événements El Niño, car la chaleur sort de l'océan et est finalement rayonnée vers l'espace

Où va prioritairement ce déséquilibre énergétique ? En accord avec les précédentes études sur le sujet, l'océan, avec sa masse et sa capacité thermique élevée, domine très largement l'inventaire, devant les sols, la cryosphère et l'atmosphère. C'est la raison pour laquelle le déséquilbre énergétique peut être le mieux estimé à partir des changements du contenu thermique des océans, complété par des mesures de rayonnement depuis l'espace.

Inventaire de la chaleur de la Terre (accumulation d'énergie) en ZJ (1 ZJ = 1021 J) pour les composantes du système climatique terrestre de 1960 à 20. Le flux net à TOA du programme NASA CERES est affiché en rouge. Source : Karina von Schuckmann et al.

La plus grande part de la chaleur excessive (89% sur 1970-2018 ; 90% sur 2010-2018) est absorbée par la mer, ce qui peut être estimé par l'évaluation du contenu thermique des océans mesuré de plus en plus précisément grâce aux flotteurs Argo qui couvrent désormais l'ensemble des mers du globe. Sur la période 1971-2018, 52% du gain de chaleur est allée dans les 700 m supérieurs, 28% dans les couches intermédiaires et 9% dans la couche océanique profonde (en dessous de 2000 m de profondeur).

Concernant le reste de la répartition, 1% seulement de la chaleur en excès sur la période 1971-2018 réside dans l'atmosphère, un chiffre qui grimpe à 2% sur 2010-2018. Enfin, 6% du gain de chaleur va dans le réchauffement des sols et 4% fait fondre la glace.

Bien que le réchauffement des sols représente une faible proportion de chaleur par rapport à l'océan, plusieurs processus pourraient jouer un rôle crucial dans l'évolution future du climat. Entre autres, la stabilité et l'étendue des zones continentales occupées par les sols de pergélisol. Les modifications des conditions thermiques à ces endroits ont le potentiel de libérer du CO2 et du CH4 stockés à long terme.

Pour la composante appelée « fonte des glaces », il faut entendre l'absorption d'énergie impliquée dans la fonte de la glace de mer, des calottes glaciaires du Groenland et de l'Antarctique, des glaciers autres que ceux des inlandsis et la neige.

Présentation schématique de l'inventaire de la chaleur pour le déséquilibre énergétique au sommet de l'atmosphère. Source : Karina von Schuckmann et al.

Tant que la Terre continuera d'absorber plus d'énergie solaire que la planète ne rayonne d'énergie vers l'espace, la température mondiale augmentera. D'après l'étude, la concentration de CO2 dans l'atmosphère devrait être réduite du niveau actuel de plus de 410 ppm à 350 ppm pour ramener la Terre vers l'équilibre énergétique. Ce qui nous ramènerait au niveau de concentration de la fin des années 1980. Une réduction de la concentration de CO2 de 57 ppm est en effet requise pour augmenter la radiation vers l'espace de 0,87 W / m2, ce qui permettrait de retrouver un équilibre énergétique. Ce nouvel équilibre laisserait la température autour de son niveau actuel de +1,2°C au-dessus du niveau préindustriel environ.

Il faut bien comprendre que le DET actuel est la partie du forçage qui ne s'est pas encore manifestée. La planète s'est déjà réchauffée en réponse au déséquilibre énergétique. Mais le déséquilibre reste positif et même s'accroit, ce qui signifie qu'il y a un potentiel de réchauffement supplémentaire. Le réchauffement se poursuivra même si les gaz à effet de serre sont stabilisées au niveau actuel. Le déséquilibre énergétique définit donc un réchauffement climatique supplémentaire qui se produira sans changement supplémentaire du forçage.

Compte-tenu de l'importance du déséquilibre énergétique dans l'évaluation de l'état climatique de la Terre, les chercheurs impliqués dans l'étude appellent à poursuivre les efforts pour traquer le plus précisément possible l'énergie.

Source :  Global Climat, Johan Lorck, 24-09-2020

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